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Unteratg of Ptttaburglî
Darlington Mémorial Library
L'EUROPE
ET
L'AMÉRIQUE
COMPAREES.
Digitized by the Internet Archive
in 2010 with funding from
University of Pittsburgh Library System
http://www.archive.org/details/leuropeetlamri02indrou
L'EUROPE
ET
LAMERIQUE
COMPARÉES;
PAR M, DRÔUIN DE BERCY,
Colon et Propriétaire à Saint-Domingue , Lieutenant-Colonel
cTEtat-Major provisoire dans l'Armée française , lors de l'ex-
pédition sous le général Leclerc.
AVEC SIX PLANCHES COLORIÉES.
TOME SECOND.
A PARIS,
Chez ROSAj Libraire, grande cour du Palais-Royal:
A LONDRES, chez Treuttel et Wùrtz;
Et à BRUXELLES , chez Lecharlier , Libraire.
l8l8-
_y
L'EUROPE
ET
L'AMÉRIQUE
COMPARÉES.
LIVRE TROISIÈME.
CHAPITRE UNIQUE.
Observations sur les animaux de V Amérique , et
sur ceux qui ont été importés dans ce pays.
Je me bornerai à ne parler ici que de quelques-uns des
animaux les moins connus , qui peuplent les forêts , les
rivières et les lacs de ce vaste continent.
% Guyane.
On trouve dans les forêts de la Guyane de nombreux
troupeaux de sangliers appelles Pingos ; ils ont une
habitude singulière. Ceux qui appartiennent à un
troupeau , marchent à la file l'un de l'autre , et sont
entièrement déroutés , dès qu'ils out perdu leur COU-
TUME 2. I
2 OBSERVATIONS SUR LES ANIMAUX
ducteur ; alors il est facile de les tuer , car ils ne sont
pas très-farouches : c'est un manger recherché.
Le Cras-pingo est plus grand , plus sauvage , et armé
de défenses plus fortes que le Pingo ordinaire. Sa chair
est plus dure et moins délicate; la plus légère égratignure
le rend furieux , il se défend avec vigueur.
Le Pécari est également du genre des sangliers ; son
naturel doux le rend facile à apprivoiser : il a environ
trois pieds de long , point de queue , et n'a que de pe-
tites défenses; il est d'une couleur gris -jaunâtre: son
dos est hérissé de longues soies ; il habite les montagnes.
On remarque sur son dos un trou dans lequel on peut
mettre le bout du doigt ; il s'y trouve une glande d'où
s'exhale une odeur désagréable pour les personnes
qui ont le genre nerveux délicat. Sa chair est très-
estimée.
Le Câblai (cavia -capybarus), appelé Chiguire dans
la province de Carraccas , est un porc de rivière , sans
queue , quia des soies grises et de fortes défenses; il a à
chaque pied trois doigts unis par une membrane, et vient
la nuit sur le rivage pour chercher les graines et les
fruits dont il se nourrit. Sa chair est bonne : on fume ses
extrémités cdmme des jambons , qui se ressentent un
peu de l'odeur du musc.
Les quadrupèdes les plus communs aux environs ds
Cayenne et de Surinam , sont , parmi les singes :
YOuarime. (Voyez M. de Buffon. )
Le Miko est de la grosseur d'un lynx ; son poil est
d'un teau brun : il a la tête noire , et une queue fort
Jongue.
Le Saki est de la grosseur d'un écureuil ; il a le poil
rouge , le visage blanc avec une très-grande tache noire
DE L'AMERIQUE. 3
au milieu , les yeux très-vifs, et beaucoup d'agilité. Les
naturels du pays l'aura ppent avec de la glue. On l'ap-
privoise facilement.
Le Coati est plus laid , il est ordinairement noir, et
a le visage couvert de poil rougeâtre ; il se sert de sa
queue avec autant d'adresse que de ses pattes , qui n'ont
que quatre doigts. Il entortille de sa queue , avec une
vivacité incroyable , le bout d'une branche d'arbre ) s'y
suspend par ce moyen , s'y tient fortement attaché , et
lance de là, sur les passans, de petites pierres, et sou-
vent ses excrémens.
Le Ouahako vit solitaire , et craint les autres singes,
Ceux-ci le poursuivent continuellement pour le battre,
mais ils ne le tuent jamais.
Le Paresseux tient beaucoup du singe : il tire son
nom de la lenteur avec laquelle il se meut. Il emploie un
temps considérable à mettre un pied devant l'autre,
et se repose à tout moment. Il est tout aussi lent à
grimper sur les arbres qui lui fournissent sa nourriture;
aussi n'en quitte-t-il aucun qu'il ne lait entièrement
dépouillé. Quand il veut l'abandonner , il se roule du
haut en bas , en se laissant tomber.
Le Porc-épic de Surinam est différent de celui d'Eu-
rope ; il est long de trois pieds , et armé de pointes
longues de trois pouces. Quand on l'attaque , il s'enfle ,
se hérisse , fait mouvoir ses pointes , frappe la terre du
pied, et se jette de côté, vers son ennemi; il monte sur
les arbres au moyen de sa queue , avec laquelle il s'atta-
che aux branches , pour y chercher sa nourriture.
11 Armad'dle ou Tatou , dont il y a plusieurs espèces ,
est recouvert partout , à l'exception du ventre , d'une
cuirasse épaisse , composée d'écaillés de forme carrée ,
J *
4 OBSERVATIONS SUR 1ES ANIMAUX
et quelquefois hexagone. lia au milieu du corps, depuis
six Jusqu'à dix-huit bandes d'une structure admirable ,
qui jouent aisément, ce qui. donne à l'animal la facilité
de se mettre en boule quand il est poursuivi.
Le Tatou a un peu au- delà de trois pieds de long;
sa tête ressemble à celle du porc : il est d'une couleur
fauve-rougeàtre 5 sa queue longue et pointue est cou-
verte d'écaillés ; il a de longues griffes , au moyen des-
quelles il s'enfouit dans la terre avec la plus grande
facilité : il dort le jour , et va la nuit chercher les insecn
tes, les oisep.ux, les fruits et les racines dont il se
nourrit. Sa chair a un très-bon goût.
Il y a plusieurs espèces de Didalphes ou Sarigues. Cet
animal, quà tort on appelle Rat de bois , puisqu'il ne
lui ressemble nullement, est de la grosseur d'un chat
d'Europe ; il a la tête d'un renard, les pattes d'un singe,
et la queue comme celle du cochon. La femelle a sous le
ventre , qui est garni de poil , une poche qu'elle ouvre
et ferme à volonté , dans laquelle ses petits rentrent
quand ils sont poursuivis ou menacés de quelque danger.
Sa chair a le goût du cochon de lait, son poil est gri-
sâtre ; il a un duvet comme le castor. La Sarigue , ou
Oposum, se nourrit dans les bois, de faines, de châ-
taignes , de noix et de glands. Sa graisse est extrême-
ment blanche et fine ; on en fait une pommade excel-
lente pour guérir les hémorroïdes.
On trouve aussi des Akouchi , des Ecureuils , des
Cavia; le Virobocere qui parait appartenir au genre du
cerf; des Bats de bois qu'accompagnent leurs petits,
lorsqu'ils vont chercher leur nourriture. Au moindre
bruit y ils sautent sur le dos de la mère, s'attachent à §a
DEL* AMÉRIQUE. 5
qaeae , avec la leur , et se font porter ainsi jusqu'à leur
retraite.
Le Fespertilio-îepturus ne s'est encore trouvé qu'aux
environs de Surinam. Il en est de même du Thoiis , ou
Canisthous ; plusieurs espèces de Viverra , le Grison ,
Vivcrra Vivata , le Co'ase de Surinam; Iverra Quasje, et
le Chincha , Viverra Méphilis , différent du petit furet.
( c. a. w. )
Parmi les animaux extraordinaires de l'Orénoque ,
on remarque une espèce de Chien vif, méchant, hardi,
et qui ne craint aucune bête. Dès qu'il voit approcher un
homme, un tigre ou un lion, il l'attend de pied ferme.
Lorsque son ennemi est à une portée convenable, il
lui tourne le dos, et lâche un vent si empesté qu'il est
impossible d'y résister. Il continue ensuite tranquille-
ment son chemin, dans la persuasion qu'on ne sera pas
tenté de le suivre.
Le Cusicusi est une espèce de chat qui n'a point de
queue , et dont le poil ressemble à celui du castor. Il
dort le jour , et va la nuit à la chasse des oiseaux et
des serpens ; il est fort doux, et lorsqu'on le porte
dans les maisons, il ne quitte point sa place de la
journée ; mais dès que le soir arrive , il recommence
ses courses nocturnes; il fourre sa langue, qui est longue
et mince, dans tous les trous , et s'il entre dans un lit,
ou que quelqu'un dorme la bouche ouverte , il ne
manque pas de la visiter.
Le Jaguar de la Guyane est un tigre de la taille
ordinaire du tigre africain. Sa robe est mouchetée et
non pas vergetée par anneaux , ou par bandes transver-
sales ; il fait la guerre aux hommes et aux bestiaux 3
lorsquil a terrassé un bœuf, il le déchire et traîne les
6 OBSERVATIONS 5 » R LES ÀNÏMXu^
lambeaux de sa chair dans les bois , après lui avoir
ouvert la poitrine et le ventre , pour boire tout le sang
dont il se contente pour la première fois. Il couvre
ensuite sa proie , et ne s'en écarte guère ; mais lorsque
sa chair commence à se corrompre , il n'en mange plus.
On dit qu'un tison ardent le fait fuir : on prétend
aussi que le cri du coq fait fuir le lion d'Afrique.
Le Cogouar , surnommé le Lion américain. Il est
d'une couleur brune-rougeatre , moins grand et moins
féroce, dit-on, que les lions d'Afrique.
UAnte , que Ton appelle la grande Bëtc, et qui n'a
nulle ressemblance avec les quadrupèdes connus en
Europe , est de la grosseur d'un mulet ; il est très-
agile , et sa peau impénétrable aux flèches. Ses pieds
sont courts , et terminés par quatre ongles ; il a entre
les deux sourcils, un os, ou corne., avec laquelle
il brise tout ce qu'il rencontre dans les forets. Il est
toujours en guerre avec le tigre. Celui-ci l'attend ordi-
nairement en embuscade , pour lui sauter à la tête ou
sur le dos. Si le combat se donne dans la plaine , ou dans
nn espace libre , le tigre est victorieux ; mais si le pays
esl couvert d"arbres ou de buissons , Tante court avec
tant de fureur dans l'endroit le plus touffu , que son
ennemi est déchiré dans le moment par les broussailles.
Parmi les oiseaux nombreux de la Guyane , tels
que Haras , Perroquets , Perruches , Paons et autres ,
qui sont communs à l' Amérique méridionale, on remar-
que le Quereiva qui est de la grosseur d une grive. Ses >
plumes sont dune très-jolie couleur; à leur origine ,
elles sont d'un beau noir ; mais leur extrémité, c'est-
à-dire , le bout seul qu'on voit 3 est d'un bleu-vert ; la
gorge et le col sont d'un pourpre violet très-éclatant ;
DE L'AMÉRIQUE. y
les aîles sont presque noires, ainsi que la queue. (Voyez
BufFon ).
Entre autres insectes, on remarque le Porte -lan-
terne et les Mouches à feu; voyez à ce sujet la tempé-
rature de l'Amérique méridionale. Le Kanker laque
est une espèce de Scarabée d'un noir rouge âtre. Il a
un pouce , et quelquefois un pouce et demi de long ;
il gâte et ronge le linge , les habits , les sou iers, les
chapeaux, les provisions de bouche. Quand il se retire,
il laisse derrière lui une odeur désagréable , comme
celle de la Punaise de bois d'Europe. On s'en préserve,
en mettant dans les armoires du poivre, de l'iris de
."Florence, ou quelque odeur , telles que des roses effeuil-
lées. Les grandes fourmis noires , dans leurs visites, les
chassent des maisons et les tuent.
U Araignée de Surinam, ou Phalange, est redoutable
par sa morsure ; elle est hideuse : tout son corps est
velu , et de la grosseur d'un œuf. Elle habite sur les
arbres, se nourrit de fourmis, ou suce le sang des
petits oiseaux qu'elle attaque dans leurs nids; elle aime
surtout celui du colibri; elle fait une guerre éternelle à
ce charmant oiseau. La bouche de la Phalange est armée
de deux crochets forts écailleux , que les Indiens
enchâssent dans de l'or, et dont ils se servent en forme
de cure-dents. On prétend qu'ils se préservent , par ce
moyen, de la carie et du mal de dent. Cet insecte a aussi
ses ennemis ; ce sont ces grandes fourmis noires ,
appelées Fourmis de visite , essaims innombrables, qui
dans leurs courses attaquent et tuent ces araignées,
mais payent leur victoire par la mort d'un grand
nombre d'entre elles ; car l'araignée se défend long-
temps avant de succomber.
8 OBSERVATIONS SUR L*S ÀNIMlUJ
Ces fourmis sont de la grosseur d'une guêpe ; leur
corps est d'un brun marron; elles habitent dans la
terre, à huit pieds de profondeur. Leurs fourmilières
sont très-artistement arrangées ; de temps en temps ,
elles sortent en ordre de bataille , vont dans les habi-
tations , s'y répandent en nombre infini , pénètrent
par toutes les issues, s'emparent des vivres qu'on n'a
pas mis à l'abri de leur voracité ; tuent les rats , les
araignées et tous les autres insectes qu'elles trouvent
dans les maisons , et s'en retournent ensuite dans le
même ordre. Les habitans qui , moyennant quelques
précautions , trouvent leur compte à ces visites , ne
s-'aperçoivent pas plutôt de leur approche , qu'ils
mettent leurs provisions en sûreté , et ouvrent ensuite
leurs portes et leurs armoires. L'essaim parcourt tous
les lieux où il peut arriver , dévore tout ce qu'il ren-
contre ; et on est sûr que , dès qu'il s'en retourne , la
maison est purgée de tous les animaux incommodes;
cependant leur séjour y est quelquefois plus long qu'on
ne le voudrait.
Quoiqu'il en soit , elles sont moins redoutables que
les Fourmis blanches d'Afrique , qui sont de la grosseur
d'un pouce. Celles-ci obligent les Nègres à déserter leurs
habitations. Il n'y a que les métaux qui puissent échap-
per à leur rage ; car souvent elles éteignent , par leur
nombre , les feux qu'on leur oppose ; souvent , aussi ,
elles se font un pont , sur les eaux qui les arrêtent ,
des corps de celles qui périssent, Celles qui s'établissent
dans les arbres , se nomment Punaises ou Termites.
Les fourmis qui se nichent dans la terre , occasionnent
iiuo douleur cuisante par leur piquûre. Elles sont si vi-
DE L' AMÉRIQUE* §
vaces , que le vinaigre et les liqueurs fortes ne font
aucun effet sur elles.
Les Moustiques sont une espèce de Cousins , dont la
piquûre occasionne de vivesinflammations.On a coutume,
pour s'en garantir, de brûler du tabac dans les apparte-
temens , de laver les parties du corps , qui sont le plus
exposées à leur atteinte, avec du vinaigre ou du jus de
citron, et de se coucher dans des lits entourés d'un
rideau de gaze claire , qu'on nomme, à cet effet, Mous-
tiquaire.
Les Papillons de la Guyane sont renommés par leur
grosseur , et la variété de leurs couleurs.
On trouve dans les fleuves de ces contrées, V Alligator
et la Torpille. L'Alligator a depuis quatre jusqu'à vingt
pieds de long. Il appartient à la classe des lézards. Son
dos dentelé, est d'un jaune brunâtre; les côtés sont ver-
dâtres , le ventre d'un blanc sale; sa tête est grande, ses
yeux sont immobiles et défendus par une excroissance
de chair; son museau ressemble à celui d'un porc ; sa
gueule est garnie d'une double rangée de dents; son
corps est couvert de larges écailles ; sa queue très-longue,
et sa peau si épaisse et si dure, qu'elle amortit la balle
du fusil. On ne peut le blesser qu à la tête , ou sous le
ventre.
Tj Alligator a un ennemi redoutable dans une espèce
de grosse fourmi, qui lui entre par la gueule, et lui
dévore les intestins. Les naturels du pays l'attaquent
avec courage , le tuent et mangent sa chair , qui a une
odeur de musc. La femelle pond jusqu'à soixante œufs ,
les dépose à l'entrée de son nid, et laisse à la chaleur
du soleil , le soin de les faire éclore. Une partie devient
ordinairement la pàuu*e du père et de la mère. Les
ÎO OBSERVATIONS SUR LES ÀNÏMÀTJX
petits hurlent comme des chiens. Quand il y a plusieurs
alligators réunis, leur hurlement ressemble au bruit
du tonnerre. Lorsqu'il guette sa proie , il se lient
à l'affût derrière des roseaux ; dès qu'il croit pouvoir la
surprendre , il s'élance les yeux étincelans , les nazeaux
enflés, ouvrant une énorme gueule armée de dents tran-
chantes, et agitant sa queue redoutable , dont un coup
suffit pour renverser un homme. Ces amphibies se cons-
truisent des nids qui ont un diamètre considérable , et
plus de cinq pieds d'élévation. Ces nids, en forme de
cône tronqué, sont faits de limon, de branches d'arbre
et de gazon.
La Torpille d'Amérique a quatre pieds de long ; elle
est presque noire, et ressemble aux anguilles d Europe ;
on l'appelle aussi Anguille torporijique. Elle a une pro-
priété fort remarquable , lors qu'on la touche avecla main,
ou avec une baguette de métal, ou même avec un bâ-
ton , elle cause une commotion semblable à celle de
l'électricité , suivie d'un engourdissement si violent, qu'il
occasionne quelquefois des vertiges. Elle fait éprouver
la même sensation aux poissons qui l'approchent, et il
semble que la nature lui ait donné cette propriété pour
sa défense. Cependant, si on en approche avec un ai-
mant , qu'on la touche avec un mouchoir de soie , ou
qu'on la prenne par la queue , on n éprouve point cet
engourdissement. Cette vertu torporifique n'existe plus
dans l'animal aussitôt après sa mort. Les marins man-
gent la chair de la torpille , et lui trouvent un bon
goût.
Terre-Ferme.
On trouve dans la Terre-Ferme les mêmes animaux
D E V M M £ R I Q U E. 11
qu'à la Guyane. Dans la province de Cumana, les lions
y sont communs, mais peu redoutables; les tigres, au
contraire , y sont si terribles , qu'il n'est pas rare ( dit
l'abbé de la Porte) de les voir entrer dans les cases
des sauvages , saisir un bomme et l'emporter dans les
forêts pour le dévorer. La taille de ceux que Ton tue
proche du village de Maniquarez, peu éloigné du châ-
teau à'Araya, ne le cède, de l'aveu de M. Humboldt,
que de très-peu , à celle des tigres de l'Inde.
Les chèvres y sont d'une race très-grande et très-
belle : on les marque comme les mulets. Les cerfs vont
par troupeaux.
Les animaux puans , si joliment rayés par bandes,
sont le Chinche , le Zorille et le Conepate (viverra ma-
purito, Zorilla et vittata. )
A Porto-Bello , les tigres parcourent la nuit les rues,
emportent la volaille qui s'y trouve , les chiens , et
jusqu'aux enfans. Les nègres et les mulâtres sont fort
industrieux à les combattre dans les bois ; ils imitent
en cela les Indigènes. Ils attendent que le tigre se jette
sur la lance qu'ils lui présentent, pour lui couper les
pattes; l'animal blessé se retire en faisant des cris
effroyables; bientôt après, il revient à la charge comme
un furieux. Le nègre le frappe d'un second coup, qui
lé met hors d'état de se mouvoir. Le chasseur alors le
tue à son aise , l'écorche , lui ôte la tête et les pattes,
et revient triomphant à la ville , chargé des dépouilles
de l'ennemi.
Parmi les animaux de ce pays, il en est d'une espèce
singulière, appelé par ironie, le Léger-pierre , à cause
de son extrême lenteur ; il ressemble beaucoup au
Paresseux. Ils sont tous deux si lents, si pesans, qu'on
12 OBSERVATIONS SUR LES ANIMAUX
n'a besoin ni de chaînes , ni de cages , pour les arrêter
et les contenir ; ils ne remuent l'un et l'autre que
lorsqu'ils sont pressés par la faim, et ne marquent
aucune crainte ni des tommes ni des bêtes. Ce
que le Légcr-picrre a de particulier , et qui le dis-
tingue spécialement de l'autre, c'est qu'à chaque
effort qu'il fait pour se remuer , il pousse un cri si
plaintif, si désagréable , qu'il excite en même-temps
le dégoût et la pitié. Ce cri affreux est toute sa défense.
L'ennemi qui voudrait le poursuivre , ne pouvant
supporter ce terrible hurlement , prend la fuite lui-
même , pour éviter un bruit si effrayant. Dans toutes ses
actions , le Léger-pierre ne diffère presque point du
Paresseux.
On trouve dans l'Isthme de Darien , une sorte de
sanglier, que les Indiens appellent Peccaris. Il est noir
et a de petites jambes qui ne l'empêchent pas de courir
fort vite. Ce qu'on remarque de plus extraordinaire
dans cet animal, c'est qu'au lieu d'avoir le nombril sur
le ventre, il le porte (dit l'abbé De la Porte) au
milieu du dos. Quand il est tué , si l'on diffère à lui
couper cette partie , sa chair se corrompt et n'est plus
bonne à manger.
Il y a à la Terre-Ferme une espèce de Renard qui ,
lorsqu'il est poursuivi par un chien ou par d'autres bêtes ,
mouille, en fuyant, sa queue dans son urine, et leur en
jette au museau. L'odeur en est si infecte , qu'elle suffît
pour les arrêter. On assure qu'elle se fait sentir d'un
quart de lieue , et dure près d'une demi -heure. Les
bœufs , les chevaux , les moutons , les chèvres , y abon-
dent par milliers.
Parmi les oiseaux dont le nombre est incroyable ,
de l'Amérique. ï3
et le plumage aussi riche que varié , il y en a un , que
les Espagnols appellent Gallinazo , parce qu'il ressemble
à une poule. Il nettoie les maisons des insectes qui s'y
trouvent; il a l'odorat si subtil, qu'il sent les bêtes mortes
à trois ou quatre lieues à la ronde , et ne les abandonne
qu'après en avoir dévoré entièrement toutes les chairs.
S'ils sont pressés par la faim , ils attaquent les bestiaux.
Une vache , un porc , qui a la moindre blessure, ne peut
éviter leurs coups dans cet endroit ; ils agrandissent la
plaie avec leur bec , et ne lâchent pas prise qu'ils ne
l'aient rendue mortelle.
Nouvelle Grenade.
Les forêts de la Nouvelle Grenade fournissent une
grande quantité d'animaux qui sont à peu-près les
mêmes que dans les parties de l'Amérique qui l'avoisi-
nent. On distingue cependant la Philandre, espèce de rat ?
dont la femelle porte sur le dos ses petits qui , pour s'y
fixer , entortillent leurs longues queues , autour de la
queue recourbée de leur mère.
"Les Chauve-souris, nommées Vampires. Elles s'attachent
quelquefois aux hommes et aux animaux qu'elles trou-
vent endormis , et leur sucent le sang , jusqu'à leur don-
ner la mort. Les Millepieds , ou Scolopendres , dont la
piquûre occasionne un légère douleur et un peu de
fièvre.
Le Caïman, c'est une espèce de crocodile qui est
moins gros et moins fort que celui d'Afrique. Il vit
ordinairement dans l'eau : c'est de là qu'il épie sa
proie. Si la femelle n'a pas de petits , elle n'attaque point
l'homme qui se baigne proche de son trou; mais dans
l4 OBSERVATIONS SUR DES ÀNIMÀTTX
le cas contraire, elle s'élance dessus, et l'entraîne au
fond des eaux, pour servir de pâture à ses petits.
Panama,
On remarque à Panama le Colimaçon-soldat ; c'est un
insecte de deux pouces de long , qui depuis le milieu du
corps jusquà l'extrémité postérieure, a la figure des
limaçons ordinaires; par l'autre moitié, il ressemble à
Técrévisse. Il n'a ni coquille, ni écaille, mais pour se
mettre à couvert et se loger, il s'empare de celle de
quelque autre colimaçon proportionnée à sa grandeur.
Tantôt il marche avec cette coquille, tantôt il en sort
pour chercher sa nourriture; si quelque danger le me-
nace il court vite la reprendre, il y rentre par la partie
de derrière, et se défend avec celle de devant. Lorsqu'il
devient assez gros pour ne pouvoir plus se servir de sa
première demeure , il a recours à une plus grande , il en
tue le propriétaire et se met à sa place.
Guyaquil.
Cette province se distingue surtout par ses petits Li-
maçons, ou Murex, qui donnent une belle couleur pourpre
inaltérable.
La Terre- erme fournit des papillons chamarrés avec
un goût exquis.
Pérou.
Entre les animaux indigènes, que l'on trouve au Pérou ,
on remarque cinq espèces de bêtes de somme analogues
au chameau , qui sont particulières à l'Amérique méridio-
nale : le Lama, \e Quanaaue, \eMoromore,\a. Vigogne M.
Paco.
t)EL' AMÉRIQUE. l5
Le Lama, ou plus proprement \eRuna, (car Lama si-
gnifie simplement une bête, un quadrupède) a six pieds
de long et quatre et demi de haut. Il a beaucoup d'analogie
avec le chameau d'Afrique ; on l'apprivoise aisément : il
est patient et facile à nourrir. Il porte deux cents livres
pesant, descend avec ce fardeau les ravines précipitées,
gravit les rochers escarpés, fait de grandes journées sans
se fatiguer, mange peu et ne boit jamais. Si on le sur-
charge trop, ou qu'on le fasse aller trop vite, il se cou-
che, reçoit patiemment les premiers coups ; si on per-
siste à le battre, il ne se relève plus, et il crache à la
figure de ceux qui le frappent. On fait de riches étoffes
de sa laine qui est d'un rouge tendre : ceux qu'on trouve
sur la pente occidentale du Chimboraço , sont devenus
sauvages, lorsque Vlcan, l'ancienne résidence des domi-
nateurs de Quito , fut détruite et réduite en cendres.
Il est bien extraordinaire que le chameau, cet animal
si utile, qui se propage dans l'Amérique méridionale
ne le fasse presque jamais à Ténériffc. Dans le seul dis-
trict fertile à'Adeve , où les plantations de la canne à
sucre sont plus considérables , ils se multiplient quel-
quefois. Ces bêtes de somme , de même que les chevaux
ont été introduites aux îles Canaries, au i5e siècle, par
les conquérans Normands. ( Humb. voj. aux rég. équin.
du Nouv. Cont. ).
Le Guanaque , ou chameau sauvage , est un animal
plus gros et plus dur que le Rima; il a le corps d'un
rouge-brun , la tête et la poitrine blanches ; il vit dans
les montagnes. Quoiqu'il ait les jambes grosses , il a
l'agilité du cerf ; son poil et sa chair sont recherchées.
On préfère sa laine à celle du lama.
Le M&romore approche beaucoup du guanaque.
l6 OBSERVATIONS SUR LES ANIMAUX
La Vigogne est plus petite : sa laine est plus courte,
plus fine, et tirant sur le brun; tandis que celle des
autres est de différente couleur. La vigogne habite par
troupeaux les plus hautes montagnes, et se nourrit
d'herbes. On tue cet animal pour en manger la chair ,
et surtout pour en avoir la laine , qui est la plus belle ,
la plus soyeuse et la plus fine que Ton connaisse ; elle se
vend jusqu'à 16 ou 18 francs la livre, et l'aune du
drap qu'on en fabrique coûte jusqu'à 8 louis l'aune.
Le Pacos , ou Alpaca, ou Alpagne, semble être une
espèce de vigogne.
Le Bison est un taureau indigène à l'Amérique ; il
est de la taille , ou à peu-près , de celui d'Europe ; la
nature l'a doué d'un instinct qui le rend difficile à
dompter. Lors même qu'il est né et élevé dans une
étable, il revient à son caractère revèche et fougueux,
secoue le joug , et retourne à la première occasion dans
les bois. Pour le tuer, les chasseurs s'arment d'une
lance dont le fer est très-tranchant , et attaché en
travers. Quand l'animal passe dans le sentier où les
chasseurs l'attendent, un d'eux le perce avec sa lance,
et deux autres s'élancent en avant pour lui couper d'un
coup vigoureux les nerfs des pieds de devant ; le bison
tombe et on l'achève à coup de poignard. Il faut pour
cette chasse autant d'adresse que de courage ; car l'ani-
mal passe souvent , et avec tant de vitesse , que la pointe
de la lance ne fait qu'écorcher sa croupe. Aussitôt qu'il
se sent blessé , il casse , brise , renverse tout ce qui
s'oppose à son passage , pour foncer sur son ennemi à
coups de cornes.
Parmi les bêtes féroces, on distingue le Jaguar , tigre
absolument naturel à. l'Amérique, et dont on n a pas
DE L5 AMER I QUE, \t*
découvert l'analogue dans l'ancien continent; il a le poil
fort ras : sa peau est marquée de taches noires sur un
fond jaunâtre, tirant sur le roux, qui fait la nuance
que les naturalistes expriment par le terme de Lutco-
Rufus : il a beaucoup plus de corpulence que le plus
grand dogue des Alpes ; il est haut monté sur ses
jambes , ce qui le rend svelte et alerte; ses dents ca-
nines sont canotiques et très - grandes. Il terrasse
l'homme et le bison.
Le Puma est un quadrupède auquel les Espagnols ont
donné le nom de lion. Le mâle n'a point de crinière 5
il est plus petit que les lions d'Afrique , aussi avide de
sang, mais moins déterminé peut-être que ceux du
Bilédulgérid.
Le Cogouar est aussi un lion américain ; il est d'un
brun-rougeâtre ; sa taille approche de celle des lions
ordinaires du Zara. Il attaque les plus forts taureaux
qu'il fait servir à sa pâture.
On a trouvé à Quito et au Pérou un grand nombre
de chiens noirs sans poil , que BufFon appelle Chiens-
turcs , et les Espagnols Perro - chines e , parce qu'ils
croyent que cette race a été apportée de Canton ou de
Manille.
Les autres animaux sont des Chats-sauvages, des
Léopards, des Onces, des Tatous, des Ours , des Singes ,
des Lièvres , des Cerfs , des Hypopotames , etc.
Parmi les nombreuses variétés d'oiseaux , dont la
nomenclature est longue, mais qui renferme diverses
espèces de Perroquets , de Haras , de Paons , d' Oiseaux-
mouches , et autres oiseaux qui appartiennent aux tropi-
ques, je ne parlerai que du Xochiiol et du Condor.
Le Xochitol a le dos et le croupion noirs, la poitrine ;
T03IE 2. 2,
l8 OBSERVATIONS SUR LES AWIMAUX
le ventre et le dessous du corps d'un jaune-safran , mêle
de noir; les ailes sont variées de noir, de blanc et d'un
peu de bleu; la queue est d'un beau jaune mêlé de
noir. Il y en a de trois espèces , avec autant de nuances
différentes. Leur ramage ne manque pas d'agrémens.
Le Condor, ce géant des vautours (vultur gryphus),
est le plus redoutable des oiseaux de proie ; sa taille est
monstrueuse, et ses aîles ont quelquefois jusqu'à vingt
pieds d'envergure ; il a la tête d'un vautour , une crête
rouge , le corps noir avec des taches blanches. Il fait un
bruit considérable en volant. La hauteur absolue que le
Condor atteint est de trois mille six cent trente-neuf toises,
là où le baromètre se soutient à peine à douze pouces ;
souvent on ne le voit que comme un petit point noir.
Après avoir tourné des heures entières dans des régions
où l'air est si raréfié, il s'abat tout d'un coup jusqu'au
bord de la mer , et parcourt ainsi , en peu d'instans, en
quelque sorte tous les climats. Le Condor attaque le
bœuf, le chameau , enlève les chèvres , les moutons,
et ne se laisse point effrayer ni par le berger ni par le
bruit des armes à feu. On le voit fondre quelquefois
sur des enfans de dix à douze ans. Les Indiens n'ont
qu'un moyen de se saisir de ce redoutable ennemi ; ils
font avec une argile très-visqueuse , une figure d'enfant
qu'ils exposent en plein champ ; le vorace oiseau se
précipite sur cette proie, la saisit avidement avec ses
griffes , qui sont extraordinairement longues ; elles s'y
enfoncent si profondément qu'il ne peut les dégager de
suite , ni enlever cette masse qui renferme des objets
pesans. Les Indiens profitent de ce moment pour le tuer
a coups de flèches ou de fusil , car il en coûterait la
vie à celui qui chercherait à l'assommer à coups de bâtoa ,
DE L'AMERIQUE. 1<j
avant de lui avoir cassé les aîles. (Pour tous les animaux,
voyez M. de Euffon ).
Les papillons du Pérou sont aussi brillans que les
oiseaux des Tropiques.
Chili.
On trouve au Chili des Guanacos , des Chilibueques,
Ceux-ci tiennent du guanaco et du mouton d'Europe,
qu'ils surpassent du double en grosseur; leur chair est
aussi bonne que celle du mouton ; leur laine est excel-
lente : il y en a de blancs, de gris, de noirs et de
cendrés.
Le Guemul est de la forme et de la taille du Chilibuè-
que, à l'exception de la queue qui ressemble à celle du
cerf; il est plus sauvage que le Guanaco, et n'est pas
moins estimé.
Malgré la guerre terrible que Ton fait à la Vigogne,
elle y multiplie d'une manière étonnante.
Le Chili contient des Mouffettes , espèces de rats
inconnues aux systèmes d'histoire naturelle de l'Europe ,
et décrites par Az:ra; savoir: le Castor du Chili, la
Loutre , le Mulet bleu, le Rat laineux, dont les Péruviens
employaient les poils soyeux et fins comme la toile
d'araignée ; V Ecureuil , (le sciurus degus.)
La Viscaque est de la grosseur et presque de la figure
du lapin ; sa queue ressemble à celle du renard , elle est
garnie de soies dures , qui ont l'air d'épines ; son corps
est gris-cendré et recherché.
Le Chine he est de la grosseur d'un lapin , sa figure
ressemble à celle d'un petit chien. Il porte près de
l'anus une liqueur extrêmement puante , qu'il lance
contre ses ennemis.
20 OBSERVATIONS SUR LES ANIMAUX
lu Arda est une espèce de mulot de la grosseur d'un
chat. Cet animal est couvert d'une laine cendrée , épaisse
et délicate.
On voit plusieurs espèces de singes, des chiens muets
nommés Runalco , dont les habitans de Sausa et de
Huenca recherchaient la chair ; des milliers de Chevaux ,
de Bœufs , de Féaux marins , de Lions de mer. Tout kle
monde connaît la réputation des chevaux du Chili, et
celle des perles de ce pays. Quant aux insectes , aux
papillons, etc. , voyez BufTon.
patagonie.
Outre cette multitude de Chevaux, de Bœufs et autres
animaux qu'on trouve dans la Patagonie , on y remar-
que V Abeille-bourdon ; le Guanaco, animal semblable au
chevreuil pour la figure , la couleur et la taille, excepté
qu'il a de plus une tumeur sur le dos.
If Autruche américaine a six pieds de haut, huit d'en-
vergure ; ses plumes sont partie bleu- clair, et partie
brun - foncé. Elle n'en a de blanches que sur le dos; ses
aîles sont composées de bouquets de plumes étroites et
courtes, sous lesquelles il y en a de plus longues qui se
courbent vers la partie de derrière , et lui forment une
espèce de queue. Comme ses aîles sont très-petites ,
elles ne lui servent point à voler , mais à donner à sa
course une très-grande rapidité. Jj1 Autruche se nourrit
d'herbes et de fruits ; ses œufs sont particulièrement bons
à manger, ils sont de la grosseur de la tête d'un enfant
d'un an : les Indiens sont friands de sa chair ; son cuir
est si épais , qu'on peut en faire des cuirasses et des bou-
cliers.
Les Cygnes de ce pays sont beaucoup plus gros que
DE L'A M fi RI QUE, 21
ceux d'Europe , et y abondent ainsi que les Canards, les
Cercelles , les Hérons rouges , les Perdrix , les Bécassines ,
les Faucons , les Milans, les Hibous et les Pinguins. Cet
oiseau ressemble à un canard ; il n'a pour aîles que des
membranes sans plumes , qui lui servent non à voler ,
mais à nager ; aussi se tient-il d'ordinaire sur l'eau. Il y
a une autre espèce de Pinguin qui a de grandes aîles,
au moyen desquelles il s'élève dans les airs.
Parmi les quadrupèdes , on y trouve des Daims sau-
vages , dont la cliair et la laine sont excellentes ; des
Renards , des Lièvres d'une grosseur prodigieuse, pesant
vingt livres.
M. de Buffon confond le Techichi avec le Coupara de
la Guyane. Ce dernier est identique avec VUrsus-cancri-
vorus ou Y Agua-gaza , mangeur de moules de la côte
desPatagons; Linnée au contraire, confond le Chien-
muet avec Y Itzcuinte-potzoli , espèce de cliien encore
assez imparfaitement décrite, et qui se distingue par
une queue courte, une tête très-petite, et une grosse
bosse sur le dos. ( Azarra quadrup. du Paraguay, tome i,
page 3i5.)
Dans cette partie renommée pour les perles, les nacres
d'Huîtres et les Burgans,les baleines sont plus grosses et
plus nombreuses que dans la Mer septentrionale. On n'y
éprouve pas l'obstacle du froid qui chasse les pêcheurs
du Nord , et les oblige à construire des fourneaux sur
les navires ; car à Magellan , l'expérience a prouvé qu'on
peut y passer Vhiver, se bâtir des habitations supporta-
bles. Enfin, si la pêcbe de la baleine donne trop de
peine , on peut la remplacer par celle du veau marin ,
par celle du lion de mer, moins difficile , moins coû-
teuse , et qui fournit aussi beaucoup d'huile,
23 OBSERVATIONS SUR LES ANIMAUX
Paraguay.
Les forêts du Paraguay sont peuplées de Cerfs } de
Chevreuils, de Renards, de Tamanoirs, de Chats-sauvages ,
à." Elans, de Fourmilliers de deux espèces, de Mouffettes ,
de Chevaux , de Bœufs , etc.
Dans la famille des nombreux individus du genre du
chat , Vlagouarété ou Jaguar le plus grand de tous, que
M. de Buffon a confondu probablement avec un petit
animal de la Guyane française; car DobrizliofFer, qui a
résidé vingt-deux ans dans le Paraguay, dit: « que comme
» les lions d'Afrique surpassent de beaucoup en taille et
* en férocité ceux du Paraguay, de même les tigres afri-
y> cains le cèdent en grandeur à ceux du Paraguay. »
M. Bougainville rapporte que les tigres près de Mon-
tevideo , sont plus gros et plus sauvages que ceux d'Afri-
que; qu'il a vu un petit de quatre mois, qui avait deux
pieds trois pouces de haut. (Prerietty, p. 141 ).
Le Gouazara ou Cogouar de Buffon, appelé Puma
par Garcilasso, grimpe aux arbres; le Chiligouazou ou
VOcelot de Buffon grimpe aux arbres pour manger les
oiseaux, et s'élance delà sur sa proie lorsqu'elle passe;
deux autres chats, Y Yagouaroundi et YEvra, paraissent
être inconnus aux naturalistes d'Europe , ainsi que le
chat Pampa, des environs de Buenos- Ayres, qui ont été
confondus avec le ebat d'Europe ; trois espèces du Fu-
rets, que Buffon nomme Mouffettes ; six espèces de
Sarigues, qu'il nomme Micouré; l'Ours ou le Raton-crabier
de Buffon; Y Agouarachay , qui appartient plutôt au
genre du chien qu'à celui de l'ours ; le Coati, ours noi-
râtre de Buffon: il n'habite que les forêts, et non les
ïuontagnes comme on le dit. Il y en a de domestiques
DE
dans ces contrées, ils y tiennent lieu de chats : la Loutre,
le Quouira, espèce nouvelle de Cabiai; le Capiygoua ou
Cabiai, que l'on trouve sur les Lords des lacs et des
rivières; le Pay qui habite l'intérieur des forêts et se
cache dans les terriers ; V Agouti, qu'on trouve dans les
Lois , ou sous des arbres abattus ; la Vizcache ou lièvre
des Patagons , que Buffon appelle YAccouchi ; le lièvre
Pampa, qui est une espèce de Cavia ou Cabiai; le Lapiti
ou lièvre de Brésil et quelques autres ; YAspérea ou co-
chon d'Inde ; la Philandre , le Couiy, qui est le Coindonàe
Buffon ; huit espèces de Tatous, décrits par M. Azarra.
Ces animaux vivent d'oiseaux, d'oeufs de vipères, de
petits lézards , de crapauds , de vers. Six espèces de
singes, le Caraya ou l' Ouarine , hurleur noir de Buffon;
YAlouate roux ; le Cay, S ai de Buffon ; le Saïmiri; le Mi-
riaquoina , etc. La chair de toutes ces espèces de singes
est très-recherchée par les naturels. Douze espèces de
Chauve-souris, dont les naturalistes ne connaissent que le
Vampire et la Chauve-souris fer de lance.
L' 'Orocomo est de la grandeur d'un chien; son poil est
roux , il a le museau pointu et les dents fort tran-
chantes. Lorsqu'il voit un homme armé, il prend la
fuite ; mais s'il le trouve sans défense , il le renverse sans
lui faire d'autre mal, pourvu qu'il fasse le mort; après
l'avoir agité pendant quelque temps , pour voir si effec-
tivement il n'est pas en vie, Y Orocomo le couvre de
feuilles et s'enfonce dans l'épaisseur du bois. L'homme se
relève dès que la bête a disparu, il cherche son salut
dans la fuite , ou bien il monte sur un arbre. L'animal
ne tarde pas à revenir, accompagné d'un tigre, qu'il
semble avoir invité à venir partager sa proie ; mais ne la
retrouvant plus, il pousse des hurlemens épouvantables^
24 OBSERVATIONS SUR LES ANIMAUX
et regardant son compagnon d'un air triste , il a Vair de
témoigner du regret de lui avoir fait faire un voyage
inutile. (Muratori, Missions du Paraguay, page 211 de
la traduct. franc.)
Il y a quatre espèces de Cerfs , qui diffèrent entr'eux
par la conformation, par les mœurs et les habitudes ;
savoir : les Gazous rouges et bruns ;le Guazoupanou, c'est
le plus grand de tous : il est roux , son bois large et ra-
mifié ; le Guazouti (cervus mexicanus) se rapproche du
chevreuil d'Europe, il est brun; c'est le plus rapide de
tous; et le Gazoupita qui est rouge, et dont le bois n'est
pas ramifié.
Le Paraguay fournit des Perroquets , des Paons et un
grand nombre d'oiseaux d'un plumage brillant, des Con-
dors, des Autruches , qu'on trouve en très-grand nombre
dans les vastes plaines de ce pays. Enfin le Moineau des-
tructeur de couleuvres, les Abeilles et les Fers à soie, four-
nissent aussi aux habitans des objets de spéculations,
ainsi que les papillons , que l'on recherche pour leur forme
et leur éclat,
Brésil.
Le règne animal n'est pas moins varié dans l'inté-
rieur du Brésil. On y voit peu d'animaux domestiques;
mais dans les établissemens européens , on trouve en
abondance des Chevaux , des Bœufs , des Porcs. Plusieurs
des animaux du Pérou et du Paraguay se retrouvent au
Brésil. Ceux qui lui sont particuliers, sont : le Singe
Marikina,\e Miriquouina ,1e Titi qu'on ne rencontre que
très-rarement au Paraguav ; le Sagou, le Pinche qui est
plus petit que le Titi ; le Vampire , la Chauve-souris-musa-
raigne ; les deux espèces de paresseux, Y Ai etYUnau; des
Fourmiîliefs et des Tatous, la 7M annote, le Pay ou Cabiai,
VAperea ou cochon d'Inde, r£c«r<?m7(sciurus-œstuans),le
Lièvre-tapeti. Il n'a point de queue, et doit entrer dans
le genre des Lagomys de Cuvier.
L'animal le plus distingué de ces contrées , est le
Tapir ou Anta. Il est presqu'aussi gros qu'un bœuf : sa
couleur est d'un brun-foncé; il a quatre dents de moins que
l'hypopotame , et il n'a aux pieds de derrière que trois
doigts , au lieu que l'hypopotame en a quatre et un faux
talon. Son corps ressemble à celui d'un porc : sa tête n'a
point de cornes, elle se termine par un grouin, ou si
l'on veut, par une trompe longue d'un pied , par laquelle
il respire , qu'il tend et détend à volonté , à l'aide d'un
muscle très-fort. Il se tient ordinairement près des
rivières. Il a coutume de passer matin et soir d'un bord
à l'autre , et se sauve à la nage dès qu'on le poursuit. Il
se nourrit de plantes, de racines, de rejetons de pousses
tendres,, et surtout de fruits tombés des arbres. Il est
d'un naturel facile à apprivoiser : il aime la propreté, et
va tous les jours se baigner dans quelque rivière ou lac.
Les Américains mangent sa chair et font avec le cuir de
sa peau, des boucliers impénétrables aux flèches, et
même à l'épreuve de la balle d'un fusil. Le Tapir est
également chargé de beaucoup de graisse , comme les
grandes machines animées, qui nagent à l'instar du
IValross et du Phocas.
Le Pécari ou Cochon-musc, est long de trois pieds, il
n'a point de queue , et porte sur le dos une espèce de sac
spongieux, rempli d'une matière gluante qui sent le musc.
IL est beaucoup plus propre que le cochon ordinaire
d'Europe; il se nourrit de fruits, de racines et de serpens ;
20* OBSERVATIONS SUR LES ANIMAUX
sa couleur est grise , tachetée de noir ; sa chair est bonne
à manger: on l'apprivoise aisément.
Le Gavia est un genre d'animal qui tient le milieu
entre le lapin et le rat; sa patrie est le Brésil et la
Guyane. Il s'enfonce dans la terre,, il plonge dans l'eau
et y reste plusieurs heures.
Le Tamanoir, surnommé le Fourmillier, est un animal
qui ne se nourrit que de fourmis ; il les prend en allon-
geant sa langue gluante sur le passage de ces insectes: il
la retire quand elle en est couverte , et les avale. A l'aide
de ses griffes, il grimpe facilement sur les arbres, où il
cherche les fourmillières, et par le moyen de sa langue
qui est longue et effilée, il prend les fourmis jusques
dans les coins les plus cachés. Cet animal dort ordinai-
rement le jour, et sort la nuit pour aller chercher sa
proie. On l'élève facilement; il y en a trois espèces, le
grand , le moyen et le petit Tamanoir. La première est
de la grosseur d'un renard; il a le poil long, sa couleur
est un mélange de jaune , de blanc et de noir. Il a des
griffes très-aigués, et il est assez lort pour se défendre
contre le petit tigre américain, que l'on regarde comme
une sorte particulière d'Once.
Le tigre nommé Sagnar, n'a que deux pieds et demi
de longueur, mais il est aussi féroce et aussi altéré de
sang que celui de l'Ancien Monde. Il s'avance la nuit
jusques dans les villages et les villes, pour y prendre les
poules, les chiens ou autres animaux. Le Crocodile et
lui' se font une guerre terrible; lorsqu'il va pour se désal-
térer sur le bord d'une rivière , le Crocodile, que d'autres
nomment Alligator, met la tête hors de l'eau pour se
saisir de lui : le tigre, aussitôt qu'il aperçoit son ennemi ,
saute sur l'amphibie, s'efforce de lui arracher les yeux
D E l' A M é R I Q U E# 27
avec ses griffes, lui mord la tête avec tant d'acharne-
ment, que le Crocodile, pour s'en débarrasser, l'entraîne
au fond de l'eau, où ils périssent souvent tous les deux,
car le Sagnar aime mieux périr que de lâcher prise. Le
grand Lion sans crinière et le Tigre du Brésil , sont assez
robustes pour traîner au haut d'une colline, le jeune tau-
reau qu'ils ont tué.
On trouve dans le Brésil divers Chats-sauvages , plu-
sieurs autres animaux qui fournissent de belles fourrures,
des Lynx on Loups-cerviers de plusieurs espèces. Les uns
sont roux, d'autres agréablement tachetés. Le Lynx a les
yeux brillans et pleins de feu ; il est communément de
la grandeur d'un fort renard : il a le poil long, de
grandes oreilles et les pieds divisés comme le lion. Il
vit de chasse et poursuit sa proie jusqucs sur la cime
des arbres; les chats-sauvages et les écureuils ne peu-
vent lui échapper ; il saisit les oiseaux ; il attend les
cerfs, les chevreuils, les singes, les lièvres au pas-
sage, leur saute à la gorge , et lorsqu'il s'est repu de
sang, il leur ouvre la tête pour en manger la cervelle,
et les abandonne ensuite pour chercher une nouvelle
proie.
Comment M. Paw a-t-il eu la mr.l-adresse d'avancer
page 2,1 3 de son troisième volume ; k que les Américains
» craignent plus les bêtes féroces, que les Nègres, les
» Maures et les Cafres ne craignent les vrais lions et
y> les tigres de l'Afrique, mille fois plus dangereux? »
Et page 210, du même volume, « que les Sauvages
» naturellement poltrons, redoutent toujours la ren-
y> contre du Jaguar, parce qu'ils imaginent que ces
» bêtes préfèrent leur chair à celle des Européens ; »
lorsqu'il est notoire que les Américains 5 libres ; vivent
Si8 observations sur les animaux
en grande partie de la chasse, et viennent trafiquer avec
les Européens, les fourrures des animaux que leur pays
produit; que les Brésiliens tiennent à un aussi grand
honneur de tuer un Lynx qu'un ennemi ; et que les
tribus des Indiens de l'Amérique du Nord s'honorent
déporter le nom des bêtes féroces les plus cruelles qu'ils
tuent tous les jouis.
Les oiseaux , surtout les Perroquets et les Paons , y sont
en abondance. Les plus remarquables sont : l'Oiseau-
mouche , la plus petite espèce des colibris; son plumage
e6t un mélange de bleu , de vert , d'or, de noir et autres
couleurs. 11 se nourrit du suc des fleurs. Pour n'être pas
la proie des araignées, il construit son nid qui n'est que
de la grosseur d'une noix, sous celui d'un autre oiseau
qui dévore ces insectes; ou bien à l'extrémité d'une
branche de grenadier , parce que les fourmis n'y vont
pas. Il y en a de verts, de bleus, de couleur d'or; les
femmes du Brésil en font des pendans d'oreilles.
Le Toucan n'est pas plus gros qu'un pigeon ; son bec
nuancé de jaune, de bleu et de vert, a souvent sept
pouces de long. On trouve dans ce bec , au lieu de
langue, une plume avec son tuyau et sa barbe : il se
nourrit de poivre ; aussi lui donne-t-on le nom de
IWange-poivre. Il y en a de plusieurs plumages.
C'est dans la Capitanie de Rio- Janeiro , que l'on trouve
le plus communément Y Oiseau-lugubre, il est de la
grosseur du pigeon , et son plumage gris-cendré : les
Brésiliens le respectent à cause de la tristesse de son
chant qu'il ne fait entendre que la nuit. Ils sont per-
suadés , que cet oiseau leur est envoyé par leurs ancê-
tres, et qu'il vient leur parler de la part des morts.
Celui qui aurait le malheur de le troubler dans ce mo-
DE l' AMÉRIQUE. 3Q
ment , ou de sourire de l'attention avec laquelle ils
Técoutent , s'exposerait à une mort certaine.
Les Indiens ne mangent pas d'oeufs, parce qu'ils
croyent qu'ils avalent en même temps un oiseau. Delà
vient que les volailles se multiplient beaucoup dans ces
contrées; les Tortues y abondent également, et les Pa-
pillons y brillent des couleurs les plus éclatantes.
M exiguë.
L'on ignore si les Mexicains avaient essayé de ré-
duire à l'état de domesticité les deux espèces de bœufs
sauvages indigènes du Mexique et du Canada , qui errent
par troupeaux dans les provinces voisines de la rivière
du Nord; s'ils connaissaient le Lama, qui dans la Cor-
dillière des Andes, ne dépasse pas la limite de l'hémis-
phère australe; s'ils avaient tiré parti des chèvres de la
Californie , de celles des montagnes de Monterey. Parmi
les nombreuses variétés de chiens qui sont propres au
Mexique, les dimanches de la province septentrionale
se servaient de chiens mexicains pour le transport des
tentes, comme plusieurs peuples de la Sibérie. Les
Aztèques vendaient au marché de Mexico la chair du
chien-muet Techichi, qu'on châtrait pour l'engraisser.
Le manque de bêtes de somme força une classe nom-
breuse des habitans , celle des Tlamama7 à faire le métier
de Colporteurs; ils étaient chargés de petlacalli, ou
grosses caisses de cuirs qui contenaient des marchan-
dises d'un poids de trente à quarante kilogrammes.
Le Xaloit2Cuintli est un loup indigène du Mexique ;
il est très-grand, entièrement dénué de poils, et res-
semblant au chien.
Depuis le milieu du 169 siècle, les Bœufs , les Che-
3o OBSERVATIONS SUR LES ANIMAUX
vaux, les Brebis , les Porcs, se sont multipliés dune
manière étonnante clans toutes les parties de la Nou-
velle-Espagne, et n'y ont nullement dégénéré, malgré
les assertions bazardées de M. de Buffon, répétées sans
plus d'examen par l'auteur des Réflexions philosophi-
ques sur les Américains, qui n'en a jamais vu, et qui
connaît encore moins leur pays.
M. de Jeffèrson, dans son excellent ouvrage sur la
Virginie, pages icg, 166; et M. Clavigero , tome iv ,
pages io5 et 160, ont réfuté victorieusement ces idées ,
qui se sont propagées facilement, parce qu'en flattant la
vanité des Européens , elles se liaient à des hypothèses
brillantes sur l'ancien état de la planète européenne.
Les Chevaux du Mexique , ceux des Chimboraces , sont
aussi célèbres par leurs excellentes qualités, que les
cbevaux du Cbili. Ils forment avec les bœufs, des trou-
peaux innombrables ; les Mulets seraient plus nombreux
encore, s'il n'en périssait pas beaucoup sur les grandes
routes, par les fatigues dont ils sont excédés, après des
voyages de p'usieurs mois. Le commerce de Vera-Cruz
seul en occupe soixante-dix mille par an. Plus de cinq
mille mulets sont employés, comme un objet de luxe,
dans les attelages de Mexico.
L'éducation des Moutons a été singulièrement négligée
dans la Nouvelle-Espagne, comme dans toutes les co-
lonies espagnoles de l'Amérique. C'est encore une ques-
tion de savoir si les Mexicains ne connaissaient pas le
Porc-commun et les Poules que Ton trouve dans toutes les
îles de la Mer du Sud. Outre les variétés de Porcs qui
sont aujourd'hui les plus communes au Mexique, dont
Tune a été introduite de l'Europe, et l'autre des îles
philippines , et qui forment un commerce de jambons
DE l' AMÉRIQUE. Si
très-lucratif dans la Vallée de Joluca , on remarque le
Pécari de plusieurs espèces , que l'on rencontre souvent
dans les cabanes des naturels de l'Amérique méridio-
nale, et qui aurait pu être facilement réduit à l'état de
domesticité.
Avant la conquête, il existait très-peu d'oiseaux de
basse- cour chez les indigènes du Nouveau-Continent,
parce que la fertilité du sol des Tropiques et de la Zone
tempérée , les dispensait de labourer une grande étendue
de terrain; que les lacs et les rivières étaient , et sont
encore couverts d'oiseaux faciles à prendre , et qui four-
nissent une nourriture abondante; cependant avant l'ar-
rivée des Espagnols, ils élevaient dans leurs basses cours,
plusieurs gallinacées, comme les Hoccos , les Dindons,
plusieurs espèces de Faisans , de Canards , de Poules-
d'eau, des Yacous , ou Gitans et des Aras, qui sont re-
gardés comme un mets délicat , lorsqu'ils sont jeunes.
Le Mexique a fourni à l'Europe le plus gros et le
plus utile des gallinacées, dans le Dindon-, le plus brillant
dans le Paon dont la chair est assez délicate.
Les Pintades sont rares au Mexique, tandis qu'elles
sont apprivoisées et sauvages à Saint-Domingue , à Cube :
le Canard-musqué , dont l'Europe est encore redevable au
Nouveau-Continent, acquiert une grandeur extraordi-
naire sur les bords de la rivière de la Madeleine. Le Coq
d'Europe, originaire des Grandes-Indes, et commun
aux îles Sandwich, paraissait inconnu en Amérique,
jusqu'à ce qu'on eût visité les Indiens Xibaros , qui sont
établis à Tutumbero , dans un endroit presque inacces-
sible , entre les Cataractes d'Iariquisa et de Patorumi ,
formées par V Amazone. On trouva dans leurs cabanes des
Poules et des Coqs.
32 OBSERVATIONS SUR LES ANIMAUX
Au reste, les diverses variétés de Poules, surtout
celles de Mozambique , qui ont la peau noire, sont de-
venues communes dans les deux hémisphères, partout
où les peuples des anciens Continrns ont pu pénétrer.
On trouve dans les Lois de Saint-Domingue une petite
poule noire, appelée Zingue , qui existait du temps des
premiers habitans. La chair en est délicate, c'est un
gibier recherché.
Les forets du Mexique sont peuplées de Lièvres, de
Cerfs, de Chevreuils, de Chiens, dont l'espèce est muette 5
de Renanù, de Loups , d' Ours , de Chats-sauvages , de
Juguars, de Paresseux, de Porcs-épics; de Coèndou, espèce
de porc-épic ; de Guenons , de Tamanoirs , de Tatous ,
à! Anles, de Bisons: on y trouve un animal delà grosseur
d'un chat, appelé Sauachcs , dont on mange la chair : on
l'apprivoise aussi, parce que son visage mobile se prête,
comme celui du singe , à mille grimaces qui, jointes à ses
gestes comiques , donnent le spectacle d'une pantomime
très-plaisante.
Les oiseaux ne sont pas nombreux au Mexique; mais
plusieurs sont remarquables par leur chant agréable , et
la beauté de leur plumage. On y distingue le Colibri ,V Oi-
seau du Tropique,\es Perroquets, le Cardinal et le Hoazin.
Le Colibri est le plus petit des oiseaux. Il y en a à
plumes dorées, de verts, de rouges, de bleus et de cou-
leur orange ; tout se réunit pour rendre ces oiseaux
charmans. Odeur agréable, richesse de couleur, finesse
daus leur forme et dans leur manière de vivre. Ils se
nourrissent du suc des fleurs et le pompent avec leur
langue, sans se poser, en se soutenant en lair, par le
battement précipité et presque imperceptible de leurs
ailes ; leur chant est une espèce de cadence rapide , très-
D £ l' a m i R I Q U £. 55
sonore. Leurs arbres favoris sont l'oranger, le citronnier,
le frangipanier et le grenadier. C'est sur leurs branches
que la femelle fait avec du coton, son petit nid, dont la
construction est des plus industrieuses. Elle y pond deux
ceufs, chacun de la grosseur d'un pois ; les petits nouvel-
lement éclos, sont gros comme des mouches. La plus
petite espèce de colibri, est V Oiseau-mouche , il ne pèse
avec son nid qu'une demi - once. Il est gros comme un
hanneton , ayant les couleurs vives et changeantes de
l'émeraude , du saphir, de la topaze, du rubis, nuancées
d'or, de violet et de brun.
L'oiseau du Tropique a pris son nom, de ce qu'il
n'habite que les contrées de la Zone torride, situées
entre les deux Tropiques , il est de la grosseur d'un
pigeon : ses plumes sont blanches, à l'exception de quel-
ques-unes qui sont d'un gris-clair. Une longue plume
qui part du dos, et se recourbe en forme de queue, lui
si fait donner le nom de Paille-en-cul.
Le Cardinal joint le charme de la voix à la beauté du
plumage ; il est rouge sur la tête et la poitrine , noir et
bordé de blanc sur le reste du corps. Il module en
sifflant des sons variés et distincts, qui sont fort agréa-
bles.
Le Hoazin est une espèce de faisan , dont le plumage
est coloré de jaune, de rouge et de noir. Sa tête est
couronnée d'une huppe ; il se perche sur des arbres à
côté des lacs et des rivières, se nourrit de serpens, de
fourmis, de vers et d'autres insectes. On l'apprivoise
aisément , sa chair est très-délicate.
Les côtes occidentales du Mexique , surtout la partie
du Grand Océan, située entre le golphe de Bayonna, les
îles Maries et le cap Saint-Lucas, abondent en Cachalots,
TOME %. Q
34 eBSERVATIONS SUR LES ANIMAUX
dont la pêche, à cause de l'extrême cherté du blanc de
baleine qui est renfermée dans les énormes cavités de
son museau, est devenue pour les Anglais et les habitans
des Etats-unis, un des objets les plus importans de
spéculation mercantile. Sans la pêche des Cachalots ,
dont un seul donne vingt-trois mille trois cent quatre-
vingt-douze pintes de spermaceti , et sans les fourures
de Loutres marines de INoutka , le Grand Océan ne serait
presque pas fréquenté par les Anglo-Américains et les
nations de l'Europe.
Au printemps, les environs de Galapagos sont le
rendez-vous de tous les Cachalots macrocephales des
côtes du Mexique, de celles du Pérou , et du golphe de
Panama , qui viennent s'y accoupler. Plus au nord des
îles Maries , dans le golphe de Californie, on ne trouve
plus de physetères , mais seulement des Baleines : le
spermaceti de la tête est de première qualité ; on l'em-
ploie à la fabrication des chandelles. Celui du corps et
de la queue ne sert en Angleterre qu'à donner du lustre
aux draps. On voit au Mexique des papillons charmans.
( Voir ce qu'en disent Buffon et les autres naturalistes.)
Californie.
Les forêts de la Californie abondent en animaux sem-
blables en grande partie à ceux du Mexique : dans la
Cordillière qui longe la côte entre San-Diego et Mon-
terey, on ne trouve sur la crête des montagnes qui se
couvrent de neiges au mois de novembre , que les Be-
rendos à petites cornes de chamois; mais toutes les
forêts , toutes les plaines couvertes de graminées , sont
remplies de troupeaux de Cerfs à taille gigantesque, à
bois rond extrêmement grand. On eu voit souvent qua-
DSL' AMÉRIQUE. 35
rante à cinquante à-la-fois ; ils sont d'une couleur
brune, unie et sans tache. Leurs bois dont leurs empau-
mures ne sont pas applaties, ont près de cinq décimètres,
(quatre pieds et demi de long1).
Le grand Cerf de la Nouvelle-Californie , estun des plus
beaux animaux del' Amérique Espagnole. Ces Fenadoswdi
diffèrent probablement du IVewakish de M. Marne, ou
de YElk des habitans des Etats-unis, dont lés natura-
listes ont fait mal à propos les deux espèces de Ctrvus-
canadensis et de Cervus-sirongyloceros , courent avec une
rapidité extraordinaire, en jetant leur col en arrière, et
en appuyant leurs bois sur le dos.
Le Tayé de la Californie diffère du moufflon de l'An-
cien-Continenfc ; on a aussi vu cet animal dans les
Stony-Mountains, aux sources de la rivière de la Paix.
Le petit Buminunt, du genre de la chèvre ou de l'cmte-
lope , qui est taché de noir et de blanc , et qui se trouve
sur les bords du Missoury, et dans la rivière des Arkansaw,
est encore différent du Taré:
Les chevaux de la Nouvelle-Biscaye, réputés pour
être excellens coureurs , ne peuvent les égaler à la
course , que lorsque le Fenado, qui ne boit que très-rare-
ment, vient d'étancher sa soif; c'est alors que, trop lourd
pour déployer toute l'énergie de ses forces musculaires,
il est atteint facilement.
Les côtes ouest du Grand-Océan opposées à la Chine,
abondent en belles fourrures et en loutres marines.
Parmi les nombreuses espèces d'oiseaux qu'on trouve
dans la Californie , on distingue :
Le Pélican , oiseau aquatique , qui vit sur le bord de
la mer et des grands fleuves; ses pattes sont garnies
de membranes qui lui aident à nager; son bec est d'une
3*
36 OBSERVATIONS SUR LES ANIMAUX
largeur si énorme, qu'on en a vu, où la tête d'un homme
pouvait entrer. Les deux branches du demi-bec inférieur
sont unies par une peau jaune, qui s'élargit au point de
former un sac dans lequel cet oiseau met sa provision
de vivres, pour lui et pour ses petits; il peut y renfermer
des poissons de huit à dix livres. Son corps est d'environ
cinq pieds, et ses aîles en ont jusqu'à onze d'envergure :
ma' gré cette grosseur , il parvient à s'élever si haut, qu'il
ne paraît pas pus gros qu'une hirondelle.
Le Cormoran, autre oiseau aquatique , vit sur le bord
de la mer ; il est de la grosseur d'une oie , et se nourrit
de poissons. Comme il a la facilité de nager sous l'eau
aussi bien que dessus, il ne manque jamais sa proie ; s'il
attrape un poison, il le saisit dune patte , et l'autre
lui sert de gouvernail pour regagner le bord : c'est le
plus grand destructeur de poissons. En Chine, on le
dresse à la pêche, il rapporte sa proie, comme le chien
de chasse le gibier.
Le Promerops est un peu plus gros qu'une grive; il
paraît avoir quatre aîles , à cause de ses plumes recour-
bées et frisées aux deux côtés du corps ; sa tête est d'un
bleu très-brillant , et couverte de divers étages de plumes
qui ont jusqu à un pied et demi de long. Cet oiseau vit
sur les hautes montagnes, il se nourrit d'abeilles et
d'autres insectes.
Louisiane.
La Louisiane a tous les animaux domestiques de l'Eu-
rope; ses forêts renferment, outre le gibier ordinaire, des
Lièvres et des Ours-blancs, dont la peau est très-estimée ;
des Boucs, des Chèvres, des Cabrits-sauvages ; les naturels
les tuent ù coup de flèches dans les pays montagneux où
bel' Amérique. 3j
ils passent. Les Français qui ont mangé de la chair des
jeunes chevreaux, s'accordent tous à dire qu'ils sont
aussi bons que les moutons de Besançon. Le Bœuf-sau-
vage est très-gros et très-fort ; les Colons et les Indigènes
se nourrissent de sa chair, qu'ils font saler ou boucaner :
ils font de sa peau une couverture, de son suif de la
chandelle ; ses nerfs fournissent aux Sauvages des cordes
d'arcs; ils travaillent ses cornes, en font des cuilliers
pour manger leur sagamite, et des Poulverains ou Cornets
pour la chasse.
Le Bœuf sauvage a une bosse sur le dos comme le
chameau : il a de grands poils sur la tête comme le bouc,
et sur le corps, de la laine comme les moutons. Les Illi-
noises en fabriquent des étoffes.
De tous les animaux terrestres qui vivent dans ces
contrées, VOurs est regardé comme un des plus utiles.
Un seul de ces animaux fournit quelquefois plus de cent-
vingt pots d "huile ; elle est très-bonne , très-saine , n'a
aucun mauvais goût, sert aux ragoûts, à la friture, à la
salade ; elle ne se fige que dans les grands froids. Elle
est alors dune blancheur à éblouir : on la mange en
guise de beurre. La chair de l'Ours est excellente, ses
jambons sont recherchés et sa fourrure est estimée.
Il y a des Ecureuils de quatre espèces : de gros , de
noirs , de rouges , de gris et de petits de la grosseur d'un
petit rat. Ces derniers se nomment Écureuih-volans , à
cause d'une membrane qui lie chacune de leurs pattes ,
et qu'ils étendent en sautant d arbre en arbre.
On trouve dans ce pays des Sarigues ou Oposums , et
un animal appelé Chat-de-bois ; il est de la grosseur du
renard d'Europe , il n'a du chat que la queue. Cet animal
est très-friand d'huîtres : il est de la figure d'une mar«
38 OBSERVATIONS SUR LB S ÀNIMÀTJX
mote ; il s'apprivoise comme un chien , léchant et cares-
sant son maître qu'il suit partout : il prend avec ses
pattes comme le singe. Ce sont ces Chats de bois que
les Espagnols prirent pour des chiens-muets, lorsqu'ils
les virent pour la première fois chez les naturels. Cette
méprise a fourni à M. Paw, l'idée rie l'entendre, au
point d'accuser le climat du Nouveau-Monde , d'ôter la
voix aux chiens qu'on transporte d'Europe en Amérique;
et c'est ainsi qu'on prétend faire des mémoires intéres-
sans, pour servir à l'histoire de l'espèce humaine!
Les Loups n'ont rien de remarquable. Les Tigres de la
Louisiane diffèrent de ceux de l'Afrique et de l'Amérique
méridionale, en ce qu'ils sont mouchetés ; ils attrapent
les chevreuils, comme le chat la souris. Les Chais-tigres
guettent les boeufs et les cerfs dans le sentier qui conduit
à l'eau : aussitôt qu'ils les aperçoivent, ils grimpent sur
un arbre, et quand l'animal est proche de l'arbre fatal
ils sautent sur son dos, lui coupent le nerf avec leurs
dents, ne cessent de le mutiler jusqu'à ce qu'il tombe et
qu'il soit mort.
Il y a dans le Mississipi , dans le Tombecké et dans la
rivière Rouge , des Crocodiles • ces animaux fuyent dès
qu'on marche à eux. Durant le froid ils sont engourdis,
se tiennent dans la vase la gueule ouverte , et le poisson
y entre comme dans un entonnoir. Comme ils ne peuvent
ni avancer, ni reculer, les Sauvages leur montent alorssurle
dos et les assomment à coups de haches, dont ils frappent
sur la tête comme par partie de plaisir; ou bien ils lui
jettent de grosses cordes d'écorce d'arbres à nœuds cou-
lans, autour du col et sur le milieu du ventre, et quand
il est bien lié, ils l'enferment entre plusieurs piquets,
pprès l'avoir tourné le ventre en l'air; en cet état,, ils
DE L' AMÉRIQUE. 3<J
l'écoFclient , l'habillent pour ainsi dire d'écorce de sapin
puis ils y mettent le feu.
On trouve dans l'île de la Corne , sur la route de la
rivière mobile à la Nouvelle-Orléans, un coquillage que
les Sauvages appellent Naninathelé , araignée de mer; sa^
couverture , lorsqu'elle est pétrifiée , est d'un vernis plus
beau et plus luisant que celui de la Cbine ; ses yeux sont
aussi durs que du diamant. Ce coquillage est de la forme
et de la grandeur d'un plat à barbe renversé. Il a une
queue d'environ dix pouces de long, extrêmement poin-
tue ; la piquûre en est dangereuse.
Il y a des Loutres et des Castors dans les pays d'en-
haut ; ils ne s'occupent pas , comme ceux du Canada , à
construire des cabanes et des digues , pour détourner le
cours des rivières.
Parmi les oiseaux de la Louisiane , on remarque une
espèce & Aigle très-grosse , qu'on appelle Aigle de la race
royale; c'est avec ses plumes qui se traitent par toute
l'Amérique septentrionale, que les Indiens décorent
leurs calumets de paix. Ils les nomment Plumes de valeur.
Ces oiseaux se nourrissent de viande, de serpens, d'en-
trailles d'animaux.
Le Karancro est un oiseau carnacier, de la figure et de
la grosseur d'un coq d'Inde; c'est le plus vorace qui soit
connu ; il suit les chasseurs et les convois qui font route
pour les différens postes : on les voit par bandes, comme
les corbeaux , attendre avec impatience le moment du
décampement, pour venir manger avec avidité ce qu'on
y a laissé; après quoi ils reprennent la route en volant
vers le nouveau camp. Le Karancro mange aussi les
hommes lorsqu'il les trouve morts. Il a Ja plume noire;
le duvet de dessous de l'aile a la vertu d'arrêter le sang.
4o «BSliVÀTIONS StJR LES ANÏMA.TTX
Le F/aman^ est de la même grosseur; il a leboutdel'aîle
noir, le dos blanc, et le ventre couleur de feu. Ils paissent
l'herbe par troupes ; on trouve des Etourneaux de deux
espèces, les plus petits sont gros comme ceux d'Europe;
ils sont très-bons à manger. Ces oiseaux sont d'un noir
couleur de geai , l'extrémité des aîles est d'un beau rouge ;
leurs plumes sont très-belles, on en fait des manchons,
des pompons et des garnitures de robe pour les dames.
Il y a quantité de Perroquets, de Perruches et de Geais
fort beaux ; dans le pays des Missouris, on voit des Pies
qui ne diffèrent de celles de l'Europe que par le plu-
mage dont les couleurs noires et blanches sont nuancées;
les Sauvages en font des ornemens à leurs cheveux.
Le Mocqueur est un oiseau qui chante agréablement ;
il se plaît à la compagnie de l'homme : il est unique par
son ramage. Etant perché au haut d'un arbre, il contre-
fait tous les autres oiseaux, il se moque aussi des chats
dont il imite le miaulement. Quelquefois il pleure
comme un enfant, quelquefois il rit comme une jeune
fille : cet oiseau comédien ne représente qu'en été; il est
de la grosseur d'un sansonnet, et de couleur bleuâtre
comme l'ardoise; il s'apprivoise facilement lorsqu'il a
été pris jeune.
Le Pape est d'un bleu-de-roi autour de la tête, il a le
dessous de la gorge d'un beau rouge et le dos vert-doré;
son ramage est doux, il est gros comme un serin.
Le Cardinal est tout rouge, il a le dessous de la gorge
noir et une huppe sur la tête ; son bec est rouge et fort :
c'est une espèce de moineau qui se plaît aussi avec les
hommes ; il est à-peu-près de la grosseur d'une allouette,
il siffle pendant l'été comme un merle.
DE L'AMÉRIQUE» 4l
TjEvéque est d'un bleu mêlé de violet, et de la grosseur
d'une linotte dont il imite le chant.
Le Chardonneret est tout jaune, et a le bout des ailes
noir; ce petit oiseau est très- léger et siffle agréable-
ment.
Jj Arlequin est ainsi nommé, parce qu'il est bigarré de
diverses couleurs. 11 y en a un autre que les babitans
français nomment le Suisse , parce qu'il est rouge et b!eu.
Ces trois derniers oiseaux ne se rencontrent qu'au pays
des Illinois pendant l'été : ce sont des oiseaux de pas-
sage.
Pour V Oiseau-mouche , voyez l'article Brésil et Mexi-
que ; il y a beaucoup d'autres oiseaux inconnus, dont le
détail serait trop long. On trouve des Canards de p'u-
sieurs espèces; les plus curieux sont ceux qu'on appelle
Branchus. Ils se perchent sur les arbres, à l'aide des
serres qu'ils ont au bout de leurs pattes , qui sont faites
en nageoires; ils font leurs nids sur les troncs des arbres,
qui donnent en arc-boutant sur les lacs ou les rivières,
et lorsque leurs petits sont éclos , ils s'élancent aussitôt
dans l'eau. Leurs plumes sont nuancées des couleurs les
plus belles; le mâle porte une huppe sur la tête : cette
espèce de canards est la plus recherchée pour la déli-
catesse de la chair; ils se nourrissent de glands et de
faînes.
On voit sur le bord des rivières des Aigrettes', cet
oiseau est ainsi nommé, parce que ses plumes qui sont
d'une blancheur extrême, servent d'aigrettes aux dames.
"Le Pélican, que les habitans de la Louisiane appellent
Grand-gosier, à cause d'une poche qu'il a sous la gorge,
est aussi gros qu'un cygne ; son bec a près de douze
pouces de long; sa peau sert à faire des manchons, et sa
42 OBSERVATIONS SUR LES ANIMAUX
graisse à lier la pâte d'indigo , que Ton fait ayec fa
graine de cette plante , pour teindre en bleu.
La Spatule a le bec fait comme une spatule de phar-
macien ; il y a un autre oiseau qu'on nomme Bec-lancette ,
parce que son bec ressemble exactement à cet instrument
de chirurgie.
Les Papillons comme les oiseaux sont de toute beauté
et d'une richesse étonnante.
La Floride.
Parmi les animaux de la Floride , qui ne diffèrent
point de ceux de la Louisiane et des Etats-Unis, on
remarque les Rat de bois; quoiqu'il ne soit pas plus gros
que celui d'Europe , il se construit avec un art étonnant,
des demeures de quatre à cinq pieds si solides, que les
animaux les plus forts ne sauraient les renverser ; on y
remarque aussi des Tortues de marais , qui ont deux pieds
et demi de long, sur dix-huit pouces de large. Elles se
nourrissent de canards , de grenouilles et de poissons : il
y en a qui pèsent jusqu'à cent livres. La Tortue de terre
est moins grande , elle se cache dans les cavernes pro-
fondes qu'elle creuse dans des collines de sable , à l'aide
de ses griffes. L'une et l'autre sont très-bonnes à manger.
Etats- Unis.
Les animaux domestiques des Etats-unis ne diffèrent
point de ceux de l'Europe, si ce n'est dans quelques
nuances légères dans la couleur; le règne animal est
très-varié. Parmi les plus grands animaux sauvages, on
peut citer le Bison (bos Americanus) aux petites cornes,
dont on voit de nombreux troupeaux sur les bords du
Mississipi. Il était autrefois très-multiplié dans les
de l'Amérique* 43
parties occidentales de la Virginie et de la Pensylvanie.
Quoiqu'il ait une bosse sur le dos, c'est une bête bien dis-
tincte des Zebus de l'Inde et de l'Afrique, et des aurochs
d'Europe. Ils pèsent quelquefois deux mille livres; le
Bison et le Bœuf-musqué servent à la nourriture des
Indiens Nomades, Apaclies-llaneros et Apaches-lipanos .
"Le Bison appelé Cibolo par les Mexicains, n'est recherché
que pour sa langue , mets tres-délicat ; ce n'est peut-être
qu'une variété de YUrus.
UUrus du Kentuck ressemble beaucoup au bœuf; sa
tête est fort grande., et le devant en est large ; ses corne3
sont épaisses , courtes et recourbées , et il est plus gros
devant que derrière. Sur ses épaules, on voit une grosse
masse de chair couverte d'une touffe fort épaisse d'une
laine longue et de poils frisés d'un brun-foncé : cet
animal qui n'est point méchant, ne marche pas comme
le bétail ordinaire, il va par sauts; son extérieur est
grossier, ses jambes courtes : il court malgré cela fort
vite , et ne se détourne jamais quand il est poursuivi , si
ce n'est pour éviter les arbres. Il pèse depuis cinq-cents
jusqu'à m il le livres : sa chair fournit une excellente nour-
riture , elle supplée en plusieurs endroits à celle du
bœuf, sa peau forme un bon cuir.
Le Taureau-musqué et sa femelle (bos moscatus) ne
paraissent que dans les contrées les plus occidentales ,
au-delà du Mississipi ; ils sont plus petits que le Bison;
leurs cornes se rapprochent de celles des Buffles du cap
de Bonne-Espérance.
Le Mammouth, qu'on dit être cinq à six fois plus gros
que l'éléphant, est au nombre des animaux dont l'espèce
est aujourd'hui perdue. On trouve ses os, particulière-
ment dans le voisinage des sources salées , situées vers
POhio.
44 OBSERVATIONS SUR LES ANIMAUX
On déterre encore des dents & Hypopothames dan»
Long-Island.
Le Mosc-Deer commence à devenir fort rare, cepen-
dant on en trouve encore de douze pieds de haut :
l'espèce grise excède rarement la hauteur d'un cheval.
Les uns et les autres ont des cornps palmées, qui pèsent
quelquefois jusquà cinquante-six livres. (Pennant A.
Z. I. 18.)
Le Cerf de l'Amérique est plus grand que celui de
l'Europe; les bois en sont peuplés, ainsi que d'élans
( elks. ) On trouve aussi beaucoup de cerfs nains
(deer.)
Il y a dans les Etats du Nord, deux espèces d'Ours-
noirs ; ï Ours-maraudeur et le Loup se trouvent dans tous
les états. On y voit aussi différentes espèces de Renards ,
et une espèce d'Ours appelée la TVolverenne.
La Panthère est un animal de la hauteur d'un fort
dogue , ellea neuf pieds rie long de la tête à l'extrémité de
la queue, elle est armée de griffes qui ont jusqu'à trois
pouces de longueur-, ses dents et sa tête ressemblent à
celles du tigre, à la femelle duquel elle appartient: la
hauteur de ses jambes n'excède pas quinze pouces; elles
sont musculeuses et nerveus s. La panthère est d une
couleur fauve, sans aucune tache; elle grimpe sur les
arbres d'où elle s'élance sur sa proie jusqu'à vingt pieds
de distance; elle est redoutable lorsqu'elle a des petits,
parce qu'alors elle brave tout : dans toute autre circons-
tance, si elle n'est point pressée par la faim, elle passe
tranquillement son chemin, et se retire même à la vue
d'un homme.
Le Cogouar, qu'on appelle tigre dans les Etats méri-
dionaux, a cinq pieds de long de la tète à l'origine
DE ^AMERIQUE. 45
de la queue; toutes ces bêtes féroces diffèrent absolu-
ment de celles de l'Ancien-Conlinent.
Ou rencontre aussi dans les Etats-Unis le Lynx, l'Once,
le Margay, le Renard-gris , celui de Virginie, 1 Isatis , le
Chat de Newyork , le Coase ; 1 Urson, espèce de porc-épic
commune près de la baie d'Hudson; le Manicou, six
espèces d'écureuils ; le Strié d'Amérique , celui de la Ca-
roline ; le Cendré, qui fournit une fourrure estimée, celui
de la baie d'Hudson , dont il y a deux espèces distinctes
confondues sous ce nom: l'une d'elles eslun Ecureuil-vo-
lant qui rapproche de la Po'atnuche; un autre qui ne
grimpe pas sur les arbres, mais qui hubite sous terre
comme les lapins ; enfin V Écureuil-noir ; le Lièvre d'Amé-
rique , qui diffère de celui d'Europe; VOposum qui est
à-peu-près gros comme un chat : sa queue est plate et
couverte d'écaillés raboteuses , qui lui donnent le moyen
de se pendre aux arbres. Il vit de fruits, de pain, de
viande et de volaille ; il a les mêmes habitudes que ce—
lni de la Louisiane : leur chair est également recher-
chée.
Il y a dans les cantons de l'Amérique septentrionale,
une grande quantité de Castors, auxquels lintérêt de
l'homme livre une guerre implacable. Lorsque les cas-
tors ont perdu leurs femelles ou leurs petits, ils versent
des pleurs: les voyent- ils blessés, ou dans les douleurs de
l'agonie, ils lèvent leurs yeux remplis de larmes vers
les barbares qui les poursuivent, et semblent implorer .
le sentiment de la pitié ; mais l'impitoyable chasseur
reste inaccessible à toute commisération ; leur fourrure
seule l'intéresse !
On rencontre quelquefois des Crocodiles de l'espèce
que les naturalistes appellent Caïmans; ils habitent dans
46 OBSERVATIONS SUR LES ANIMAUX
des fossés bourbeux, sont longs de près de douze pieds,
tête et queue comprises. Rarement cet animal est nui-
sible lorsqu'il vient sur la terre ; il est plus dangereux
danS^eau. Il babite ordinairement la Floride.
Les oiseaux de l'Amérique septentrionale ne sont pas
moins variés et curieux. On voit plusieurs espèces & Aigles,
de Fautours , de Chats-huants. Les Dindes , les Oies , les
Hérons, les Canards, les Outardes, les Bécasses, les
Cygnes Au poids quelquefois de trente-six livres, y voient
par milliers; les Mélèagrides ou Pintades et les autres
volailles , y sont communes ainsi que d'autres oiseaux
qui ressemblent à la Perdrix, à la Bartavelle , à la Caille
d'Europe.
L' Oiseau-mouche vient annuellement sucer les fleurs,
que la nature fait naître dans cet étonnant pays ; il ne
paraît qu'avec les fleurs et disparaît avec elles , sans qu'on
sacbe ce qu'il devient.
Le Wakon ressemble à l'oiseau du paradis.
Le grand Chat-huant ne diffère de celui des autres
pays que par sa voix singulière , qui consiste à pousser
un cri étrange et surprenant, comme un bomme dans
le plus grand péril.
La Bécasse à bec d'ivoire est d'une couleur blancbâtre;
sa tête est surmontée d'un plumet blanc; elle vole en
poussant des cris très-aigus ; son bec est de pur ivoire ,
ce qui rend cet oiseau plus extraordinaire encore.
Tous les printemps, un nombre prodigieux de cigo-
gnes viennent babiter quelques plaines de l'Amérique
septentrionale. Elles ont au moins six pieds de baut, et
leurs aîles déployées, plus de sept pieds d'envergure;
elles ne passentjamais sans être entourées de sentinelles",
qui veillent autour d'elles pour annoncer l'approcbe de»
DE L'AMÉRIQUE. 4t
ennemis. Quelque temps avant leur départ, elles s'assem-
blent en grandes troupes, et le jour fixé, toutes s'élèvent
en tournant lentement; elles décrivent de longues spi-
rales, jusqu'à ce qu'elles soient arrivées à perte de
vue.
Le Muscawlss est gros comme un Tiercelet, il a un
plumage br^in et marqué de taches dwn blanc éclatant-
il ne paraît qu'une heure ou deux avant le coucher du
soleil: alors, on entend de tous côtés le bruit de ses gam-
bades , de ses élans,, de ses chutes soudaines et rapides,
qui font naître l'idée de l'adresse et de la folie. Son vol
bisarre ne ressemble à celui d'aucun autre oiseau : on
ne peut rien concevoir de plus léger; mais à peine les
ombres de la nuit commencent-elles à couvrir la terre,
que ces oiseaux descendant du haut des airs , se perchent
surles branches inférieures des arbres, sur les clôtures et
souvent s'abattent au milieu des champs , où ils passent
la nuit à répéter leurs monotones et singuliers accens, que
les Indigènes représentent par le mot Muscawiss. On ne
sait de quoi il vit, où il fait ses pontes, ni ce qu'il devient
pendant l'hiver. Rien n'est plus frappant que le contraste
entre l'extrême agilité de ses mouvemens, la légèreté,
la rapidité de son vol et sa constante immobilité, ainsi
que la tristesse de ses accens pendant toute la nuit
accens, dit M. Bonnet, qui paraissent être ceux de la
douleur ou d'un profond ennui.
Le Mocqueur , voyez ce que j'en ai dit à l article de la
Louisiane. (Quant aux autres oiseaux, voyez Buffon).
Parmi les insectes, on remarque les Mouches-à-feu 9
dont la multiplicité répand dans la nuit une lumière
vraiment étonnante. Les Miles, insecte ailé qui se met
dans la farine j les Mousquites ou Moucherons , les Cha-
jfi OBSERVATIONS SUfi LES ANIMAUX
rensons , qui déposent leurs œufs au haut des tiges de
blé, surtout du froment; le Sureau les fait disparaître
des granges; les Mouches-7iessoises dont le nom annonce
assez le pays doù elles sortent.
Les Abeilles ont multiplié aux Etats-Unis au point
que Ion compte actuellement le miel et la cire au
nombre des productions les plus lucratives du pays.
Dans les contrées du Sud, on a des plantations de mû—
riers , et on y fait des Fers à soie.
Les côtes abondent en Huîtres , en Poissons délicieux;
les rivages septentrionaux sont fréquentés par la Vache-
marine et le Veau-marin ; ceux du Midi , par le Lamentin ,
commun à l'Amérique méridionale. Cet amphibie a les
pieds de devant pareils à des mains, et une queue de
poisson ; la femelle a les mamelles d'une femme , on
croit que c'est laSyrène de la Table.
Canada.
Dans les savanes du Canada occidental, et autour
des ruines colossales du palais des Aztèques , cette
palmyre de l'Amérique, qui s'élève solitairement dans
le désert, auprès de la rivière de Gïla, on voit paître
deux races indigènes d'animaux à cornes. Le Moufjlon
aux longues cornes, souche primitive du mouton, erre
sur les rochers calcaires, arides et pelés de la Californie.
Les Vigognes , les Alpacas et\es Lamas, tous ressemblant
au chameau, appartiennent à la Péninsule méridionale ;
mais ces animaux utiles , à l'exception du Lama , ont
conservé depuis des siècles leur antique liberté.
Indépendamment des Martres , des Loups , des Ours,
des Charcals, des Chiens, des Chats-tigres, des Caribous ,
des Originaux, des Bisons ? qu'on peut apprivoiser, rendre
DE L'AMÉRIQUE, /q
propres à l'agriculture, etqui produisent avec la vache ou
le bœuf d'Europe ; on remarque le Castor, animal amphi-
bie , doux , paisible , industrieux dans la liberté mais
triste et abruti dans la servitude. Quand on l'attaque
il fuit au lieu de combattre ; mais si on le saisit il
mord cruellement. La fourrure du castor s'emploie
dans la fabrique des chapeaux. On file le duvet des
flancs pour en faire des bonnets , des gants et des bas.
Les boisseliers font des cribles de sa peau ; sa chair a
le goût des animaux de terre, et sa queue celui du
poisson.
On doit ajouter, comme propres à ces contrées septen-
trionales , le Raton ( Ursus lutor ) , le Carcajou ( Ursus
labradorius ) , qui est plus petit que le blaireau ; trois,
espèces de Martes ou belettes ; la Belette du Canada
( mustella Canadensis ), le Vison ( mustella Vison), et
mustella venanti , nommée le Pêcheur; trois marmottes
( arctomjs monax ) , arctomys empêtra , et ( arctomys
pruinosa ) ; le Rat de Labrador ( Mus Hudsonius ).
Le Cerf du Canada et la Renne du Groenland , que
les naturalistes ne regardent que comme des variétés
de ceux d'Asie et d'Europe , pourraient bien être des
espèces distinctes, quoique voisines. Le Caribou que
l'on trouve du côté de la Baye dHudson, paraît s'éloi-
gner de la Renne par des caractères très-prononcés.
ISIsatis (Canis lagopus) est aussi un habitant de ces
froides régions, dont les rivages sont fréquentés par
toutes les espèces de phoques imparfaitement connues ,
et imparfaitement décrites, (c. a. w. ) m
Pour les oiseaux , vovez Buffon.
TOME 2.
lo OBSERVATIONS SUIl LES ANIMAUX
Antilles.
Il n'y a dans les Antilles d'autres animaux sauvages
que des Caïmans , des Iguans et des Lézards ; la Chauve-
souris-fer-de-lance , le Mulot volant ( vespertillio mo~
lossus J, le Kinkajou (vivera caudivolvttla), le Muspilo-
rides , Rat pilotis ,• les Perroquets , les Colibris , les
Oiseaux-mouches , sont communs dans tout cet Archipel.
On remarque cependant la petite Fauvette à gosier
jaune de Saint-Domingue. Elle a un chant très-agréable;
elle pond deux ou trois fois par an , fait son nid avec de
l'herbe sèche et de petites racines entrelacées avec beau-
coup d'art , et le suspend à la pointe d'une branche
inclinée vers l'eau. L'intérieur de ce nid est extrême-
ment industrieux.
Le Rossignol de cette île ressemble anx Bergeretles
des environs de Paris ; il est gros comme un Bruant,
et chante très-agréablement; il n'est pas farouche : la
présence de 1 homme semble l'encourager à renouveler
ses roulades et ses modulations.
Le Musicien: cet oiseau est ainsi nommé, parce qu'il
prélude toujours par une gamme ; et lorsqu'il est arrivé
à l'octave ou note de répétition, il termine son chant par
des roulades ; puis il recommence sa gamme . Il se
cache si bien , que jusqu'à ce jour, on ne connaît ni sa
grosseur, ni son plumage , ni sa manière de vivre.
Le Chardonneret , appelé par les Nègres Banane
mûre , parce qu'il se nourrit de ce fruit , ressemble au
Chardonneret de la Louisiane ; mais il a de plus qu«
lui le haut des ailes noir. Son chant est assez varié.
Le Penoquet de terre est ainsi nommé , parce qu'il
fait son nid dans la terre ; il est gros comme une Fait-
DE L'AMERIQUE." 5l
relie : il a Je dos vert .comme une émeraude , la gorge
rose, le yentre gris-de-lin, légèrement rosé , les pattes
noires et le bec rouge-brun en. forme de lancette.
La Dame anglaise est un moineau de la grosseur
d'un pigeon; son .col, jsa poitrine et son dos , sont écar-
lates 5 son ventre grisâtre et sa queue bleue.
Le Bout de tabac est de la grosseur d'un fort Merle •
il a le plumage tout noir , le bec gros , court et jaune •
il mange la vermine des bestiaux: , et les graines qui se
trouvent dans leur fiente sèche.
Le Taquoi ressemble au Geai d'Europe ; les plumes
de sa queue ont un pied de long : elles sont bigarrées
de bleu , de blanc , de rouge et de noir , comme celles
de ses ailes ; il est très-privé , et gros comme un pigeon
ordinaire.
-
Le Flamana1 de Saint-Domingue est gros comme le
plus fort mâle Dinde. Ses jambes ont deux pieds de
hauteur: son col est plus long que celui du Cygne; il se
tient en troupe au bord de l'eau. Lorsqu'il est jeune ,
son plumage est gris-cendré, il devient d'un beau rose à
mesure qu'il .vieillit; sa chair est bonne à manger.
Le Grand-gosier ressemble à un héron.
Les Papillons sont aussi variés que brillans.^i en est
de même des coquillages ; on pêche les huîtres, soit
dans la mer , soit sur les mangles qui croissent au bord
de l'eau. Quant aux poissons , tels que le Capitaine , le
Vivaneau , le Rouget , le Mulet , la Carpe , les Lunes ,
la Sardine, et nombre d'autres qu'il serait trop long
de détailler ici ; ils sont supérieurs aux poissons d'Eu-
rope , de l'avis des Européens même. Le Requin est
très-vorace , aussi la-t-on surnommé le Goulu de mer,
Il y en a qui ont jusqu'à dix pieds de long; sa mâchoire
4*
02 OBSERVATIONS s ° R LES ANIMAUX
est armée de plusieurs rangées de dents triangulaires
très-aiguës, suivant l'âge de l'animal: il est redoutable
pour ses coups de queue.
La Bée une est dangereuse aux nageurs , parce qu'elle
enlève les parties des baigneurs qui se laissent sur-
prendre par elle.
Les Homards , les Crabes , les Anguilles , les Tortues
de terre et de mer y sont excellentes. J'engage le
lecteur , qui désire connaître plus particulièrement les
animaux , les oiseaux ? les poissons, les coquillages de
l'Amérique , de lire les ouvrages de MM. de BuïFon ,
d'Azara , etc. , etc.
D'après ce léger aperçu des animaux qui sont particu-
liers à l'Amérique , et dont plusieurs n'ont pas leur
analogue sur l'Ancien Continent , M. Paw doit sentir
combien il a été inconséquent de chercher à dégrader
la race des animaux du Nouveau -Monde , à insinuer
que le Jaguar perd tout courage quand il est repu ; qu'un
seul chien alors suffit pour lui donner la chasse ; que le
Jaguar est un tigre poltron ; que le Coguar se met
aisément en fuite , hormis qu'on ait la timidité naturelle
des Américains ; car s'il eût été à Carthagène , il y eût
«vu les Espagnols habiter des maisons sur pilotis, se
garder nuit et jour , pour n'être pas dévorés par ces
Jaguars , par ces Puma , par ces Coguars , qu'il appelle
avec affectation Tigres poltrons ; il les eût vus aller le
jour à la nage dans les îles ou les Européens ont du
bétail , tandis que dans les établissemens que les Hol-
landais ont dans les environs du Cap de Bonne-Espé-
rance , à la pointe méridionale de l'Afrique , les lions
et les tigres africains restent cachés pendant le jour ,, et
D E L' A M & R I Q U E. 53
n'attaquent le bétail que la nuit, et lorsqu'il n'est pas
renfermé.
M. Rubaut , dans son voyage d'Afrique à Quankia ,
dit avoir vu dans les forêts un grand nombre de lions ,
de tigres et de loups , qui ne cherchèrent pas à attaquer
sa petite caravane.
MM. Picard etMungo Park assurent que ces animaux
attaquent rarement l'homme , surtout en plein jour.
M. Picard , employé de l'administration du Sénégal ,
ayant été chargé de traverser la Sénégambie dans toute
sa longueur; de visiter les bords de la Falénie , ceux
de la Gambie ; de reconnaître les sources du Niger ,
et d'observer les différens peuples chez lesquels il avait
à passer , rapporte qu'après avoir quitté la ville d'/f/r-
cator , il traversa une forêt considérable dans laquelle
il vit beaucoup de Lions et de Tigres ; que s'étant
écarté de ses compagnons pour chasser un grand Aigle
qu'il désirait abattre , il était si animé à sa poursuite ,
qu'il ne s'aperçut pas , au moment où il le cpuchait en
joue , qu'un énorme Tigre se trouvait étendu à vingt
pas de lui , que le Tigre , en le voyant approcher , se
leva et alla se coucher à vingt pas plus loin; que les
gens de M. Picard , qui 4e suivaient des yeux , n'eurent
pas plutôt aperçu l'animal , qu'ils crièrent pour l'avertir
du danger ; mais , que sans s'arrêter à leur cri , il avan-
çait encore pour être plus sûr de son coup , et ne pas
manquer son aigle ; lorsque le tigre, ennuyé sans doute
de se déplacer une seconde fois , poussa en se relevant ,
un rugissement affreux qui lui fit oublier sa proie , et
le força ;à rejoindre précipitamment ses compagnons
qui lui racontèrent ce qu'ils avaient observé.
M. Paw 7 qui s'est tant récrié contre le lion américain
55- OBSERVATIONS SUR. LES ÀHIMAUX
nommé Puma, ignore qu'il existe en Perse une espèce
de lion d'un naturel doux , et qui n'a point de crinière ,
qu Olivier a surtout remarqué sur les bords du fleure
des Arabes ; c'est peut-être celui-là dont les Persans
se servent pour leurs chasses. Les Anciens ont connu ce
lion 5 Oppien en fait mention, (c. a. W. ).
M. Paw est dans l'erreur lorsqu'il prétend qu'il est
impossible de dompter le tigre de l'Ancien Continent ,
au point de le toucher de la main, qu'il faut le ren-
fermer dans dés cages bien grillées et doublement
barrées , puisque les Perses ont été long-temps dans
l'usage d'apprivoiser les animaux de proie, au point
même de les faire chasser avec des lions, dès tigres,
des léopards , des panthères et des onces. Cet écrivain
ignore , sans doute , qu'avant la révolution , on a vu à
Paris des tigres dont le gardien était assez fou pour
mettre Sa tête dans leur gueule; qu'un nommé Politos
h. Londres en faisait voir un, en 1814 , dans une cage de
sapin , d'un pouce d'épaisseur, ayant des barreaux gros
comme le petit doigt ; que ce même tigre s'étant
échappé dé sa cage , qui s'était ouverte en tombant de
dessus la charette qui le conduisait dans Londres , il
traversa paisiblement tout lé Strand comme Un chien ,
et alla se coucher dans là cave d'une maison abattue ,
où Ion parvint à le faire rentrer dans sa cage sans qu'il
eût essayé de mordre qui que ce fût. (Voyez le Siatesman
de cette année ).
Il conviendra que , si rAmériepiè produit des
Alligators , des Crocodiles , dès Caïmans et des Serjyens ,
la nature attentive a pris soin ailssi de leur opposer des
ennemis implacables pour y assurer l'existence de l'es-
pèce humaine, C'est pour cela que le tigre Sagiiar, et la
DE i/ AMÉRIQUE* 55
grosse Fourmi noire font une guerre d'extermination aux
Alligators , aux Crocodiles et aux Caïmans ; que les
Serpens cherchent en vain à éviter la dent meurtrière du
Cusicusi, etHe du Pécari ' , le bec redoutable de l'Aigle
royal , celui du Hoazin et de la troupe pénétrante de
la Fourmi de visite ; et les Couleuvres , les attaques
mortelles du moineau du Paraguay. La nature libérale
ne s'en est pas tenue là , elle a placé le contre-poison
dans le bois que le serpent habite.
Avant de passer outre , j'observerai encore qu il
oublie fréquemment la thèse qu'il a avancée , « que le
« nouvel hémisphère était inférieur en tout point au
« continent d'Europe , que ce n'est pas prouver la
« vérité de son assertion que d'avoir continuellement
« recours à l'Afrique et à l'Asie , et de confondre le
« continent d'Europe avec l'Ancien Continent , sous
* prétexte qu'il comprend l'Europe avec l'Afrique et
« l'Asie. »
On a avancé que quelques parties de la terre et de ses
habitans paraissent plus jeunes que dans d'autres, et que
les montagnes de l'Amérique semblent montrer que ce
Continent est moins ancien que l'Europe , l'Asie et
l'Afrique , parce que leurs sommets ont été moins dimi-
nués. M. de Bufïon a pensé que les animaux sauvages
de l'Amérique , comme les Tigres , le Puma , qu'on
appelle Lion , quoique ce soit une bête particulière qui
ne ressemble pas très-exactement à cet animal puisqu'il
jest plus petit ; que le mâle n'a point de crinière , qu'il
ne saurait se servir de sa queue comme d'une arme ;
qu'il grimpe sur les arbres , et que ses mœurs diffèrent
de celles des Lions d'Afrique ; enfin , qu'ainsi que l'es-
pèce humaine , ils sont encore dans un état d'enfance ,
56 OBSERVATIONS SUR LES ANIMAUX
d'augmentation , ou de décrépitude et de caducité pro-
gressives; qui plus est , que dans le Nouveau-^Monde 5 la
nature a une tendance à appauvrir ses productions.
Les détails que j'ai présentés au commencement de cet
ouvrage, font naturellement conclure, comme je l'ai déjà
dit?que l'Amérique est le terrein le plus ancien duglobe ;
l'article de la salubrité des deux Continens , n'est nulle-
ment cm faveur de l'Europe. La comparaison rapide
que j'ai faite des productions de l'Amérique avec celles
de l'Europe , prouve la triste infériorité de ce dernier
Continent. M. l'abbé Raynal , qui s'est rétracté depuis ,
a appliqué cette théorie à tous les animaux transportés
d Europe ; mais M. Jefferson a confondu leur opinion
trop basardée , non-seulement par la preuve négative
prise sur la courte existence des Européens sur le Conti-
nent américain , dans cet état de tranquillité et de bon-
heur publics qui favorise les sciences et fait éclore les
génies; mais encore par la preuve positive, en indiquant
les hommes qui ont déjà illustré cette nouvelle terre ,
desquels la mémoire ne pourra jamais être perdue:
Washington pour la guerre ; Franklin pour la physique ;
Rittenhouse pour l'astronomie , etc. Il met ensuite tou-
tes les probabilités en faveur des Etats - Unis pour
l'avenir , par le rapprochement simple des noms d'Ho-
mère, de Virgile, de Racine et de Shakspeare , du
nombre d'années que la Grèce , Rome , la Erance et
l'Angleterre, ont mis à produire ces grands -hommes. Il
suffit , dit M. Bonnet, pour vérifier ce fait., de parcourir
les campagnes, et de se rendre compte du tribut qu'ils ont
déjà payé aux sciences et aux arts ; ce talent se prononce
tous les jours dans les inventions relatives aux manufac-
ture», à la navigation, aux métiers et à l'agriculture.
t> E l' A M É B. I Q T7 E: 57
M. Humboldt , dans son voyage à la Nouvelle-Es~
pagne , esubien éloigné de regarder l'espèce humaine
dans un état d'enfance , de décrépitude ou de caducité.
D'après l'exactitude de la déduction sur les animaux
par M. de Buffon, et ceux qui ont adopté cette opinion
6ans plus d'examen , on peut regarder la Bretagne
comme plus récente que la Normandie , sa voisine , et
la race des chevaux et des bêtes à cornes du Limosin ,
postérieure de bien des siècles , à celle des bœufs du
Poitou et des chevaux de la Flandre.
Il est bien malheureux pour ce système lumineux ,
qu'on ait trouvé en Amérique , et qu'on y trouve
journellement le Mammouth , ou son analogue , dont les
os annoncent qu'il était cinq ou six fois plus gros
que Y Eléphant', qu'en 1818, on en ait vu dans les
montagnes Rocky; qiv'on ait découvert sous terre, au
Paraguay , le squelette d'un quadrupède qui a des
rapports avec le Paresseux , pour la forme de la tête et
les proportions de son corps , mais qui est long de douze
pieds ; on l'appelle le Mégaihérium. Il a dû appartenir
à une espèce gigantesque , qui probablement a péri ;
que le Moose-deer ait douze pieds de haut ; que l'espèce
grise excède quelquefois la hauteur d'un cheval ; que le
Cerf américain soit plus grand que celui d'Europe ; que
les chevaux qu'on appelle au Pérou Qdvidllos chimbadoras ,
soient d'une taille extraordinaire ; que ceux du Chili ,
du Paraguay , de la Nouvelle-Biscaye , de la Virginie,
du Connccticut , pays aussi étendu que l'Europe , égalent
ceux d'Europe ; que les chèvres Berendos de la
Californie soient plus grandes que celles d'Europe ;
que le Chien de Terre - Neuve surpass3 en volume
toutes les tribus canines de TAncien-Monde ; que la
5& OBSERVATIONS SUR LES AKIMAUX
taille des Tigres du Paraguay l'emporte sur celle des
Tigres d'Afrique ; que les bestiaux,importés ^Europe eu
Amérique , y soient, au rapport même du professeur
Bonnet et de plusieurs autres observateurs , plus forts
crue ceux d Europe ; que le Lièvre de la terre Magella-
nique pèse trois fois plus que celui d'Europe ; que les
Cygnes et les Oies surpassent en grosseur d'un tiers ceux
d'Europe ; que le Dindon pèse quatre fois plus en Amé-
rique que ceux qu'on élève en Europe ; que le Condor
soit infiniment plus grand et plus fort que les oiseaux
de proie les plus redoutables de l'Ancien Continent ; que
les physiciens soient si divisés sur la haute stature des
anciens Américains , dont on confond quelquefois les
ossemens avec ceux des éléphantins ; celle des modernes
étam en général aussi haute , aussi forte et aussi fraîche
que la complexion des Européens les plus vigoureux 5
enfin que jusqu'aux huîtres , elles soient quatre fois plus
grosses que celles d'Europe.
Les auteurs qui ont. écrit sur le règne végétal de
l'Amérique septentrionale , conviennent tous que la
végétation y est robuste , vigoureuse , vivace , et d'une
force qui n'est plus connue dans les anciens continens,
sans donner d'autres signes de dégradations que ceux
qui doivent naturellement se succéder dans la suite des
temps , sur une terre encore vierge , qui doit néanmoins
passer par l'enfance , l'adolescence , la virilité , et
arriver ensuite à la vieillesse , où elle attendra qu'un
plus où moins long repos lui rende une partie de sa
première vigueur. ( Bonnet ).
Je ne conçois pas comment M. Paw a pu mettre en
avant de pareilles idées , ayant pardevers lui la preuve
que M. Humboldt a trouvé près de Santa Fè , dans le
D Ë L* A M É RI Q V E. 5g
êamp du Géant , une quantité immense de fossiles ,
d'os d'éléphans de l'espèce africaine et de l'espèce Car-
nivore , que Jean de Holmos , lieutenant de Puerto de
Vijio , fit déterrer en i543 , dans la terre des Brûlés
au Pérou, des débris de squelettes humains , et d'autres
d'animaux d'une grandeur étonnante ; que M. Gentil ,
en 1715, y trouva encore une partie de ces ossemens
prodigieux ; qu'on en a exhumé de Semblables au
Mexique , à Tezcuco , dans les îles de Sainte-Hélène et
de Paria ; et qu'on en découvre dans toute la longueur
de l'Amérique , depuis le Canada jusqu'aux terres Ma-
gellaniques ; que le long de VOhio , à treize cent
soixante-dix toises de hauteur , on en a trouvé en plus
grand nombre , et plus hauts que cent d'aucune autre
partie du monde ; qu'on trouve dans l'Amérique septen-
trionale des amas considérables d'ossenïens et de dents-
fossiles d'éléphans , de rhinocéros , d'hypopothames ,
d'animaux inconnus à l'Ancien Continent , des ossemens
humains monstrueux, que la prévention empêche de
reconnaître, et préfère attribuer aux jeunes éléphans;
des fossiles de cornes d'ammon et d'autres coquillages ,
et des empreintes de végétaux qui n'existent plus depuis
nombre de siècles , ou du moins qu'on n'y a pas encore
retrouvés depuis que les hommes voyagent , mais qui
viennent à l'appui de la tradition des Américains , sur
l'existence de ces monstrueux humains , et <le ces qùa-^
drupèdes d'une taille gigantesque.
M. Paw ne s'attendait pas, qu'en 1785, on trouverait
dans le Keniuck , près d'une source de sel voisine de
VOhio , des os dont la grosseur surpasse celle de tous
les os d'animaux connus en Amérirjue. On avait d'abord
cru que c'étaient ceux d'un éléphant ; mais les natura-
60 OBSERVATIONS SUR LES ANIMAUX
listes nyant reconnu le contraire , on doit croire , d'âpre^,
la forme des dents , que c'étaient les os d'un animal'
vorace, appartenant à une race qui s'est éteinte. C'est la
seule manière de résoudre une pareille difficulté. Il est
mille phénomènes dans la nature , que la faiblesse de
l'esprit humain ne sait expliquer que par des suppo-
sitions de ce genre.
Sans se donner pour naturaliste, sans prétendre
encore moins être aussi instruit que l'illustre M. de
BufFon, on peut cependant se permettre de dire que ce
savant , que M. Paw , et M. Pison , son autorité, se sont
trompés sur bien des faits , qu'ils ont fondés sur des
conjectures vagues et souvent sans fondement. On en
peut dire autant de l'abbé Raynal pour ce qui regarde
l'Amérique.
Je ne sais avec quels yeux M. Paw a vu que les ani-
maux d'origine européenne ou asiatique , transportés
immédiatement après la découverte du Nouveau- M onde,
s'étaient rabougris , que leur taille s'était dégradée , et
qu'ils avaient perdu la moitié de leur instinct ou de leur
génie ; puisque leurs rejetons , qui n'ont jamais été
soignés , nourris , établés comme ceux d'Europe , et
qui existent de nos jours , au mileu de ces fore 's
qu'il prétend n'être infectées que de marécages , de
serpens et d'insectes , ne le cèdent en rien aux ani-
maux de l'Ancien Continent, et qu'ils ont multiplié
au point que les Espagnols , ce peuple destructeur ,
vont souvent les chasser et les tuer 3 non par un , mais
par des vingt et trente mille , uniquement pour en
vendre les cuirs.
Cet auteur, qui n'a jamais voulu consulter les Mé-
moires qui, seuls, pouvaient l'instruire sur les points qu'il
D' E l' A M in ï Q TTE. 6l
traitait, ignore que plusieurs familles, au Mexique ,
possèdent dans leurs liattes trente à quarante mille têtes
de bœufs et de chevaux , sans compter les mulets , qui
seraient plus nombreux encore , s'il n'en périssait pas
beaucoup sur les grandes routes , par les fatigues dont
ils sont excédés , après des voyages de plusieurs mois.
Le commerce de Vera-Cruz seul en occupe soixante
mille par an. Plus de cinq mille mulets sont employés,
comme objets de luxe, dans les attelages de Mexico.
11 saura aussi qu'on voit au Mexique de nombreux trou-
peaux de brebis, de chèvres, de porcs; qu'une paire de
bœufs pour la charrue ne coûte , même dans la capitale ,
que quatre à cinq louis ; que le père Acosta, Liv. IV,
chap. 3, rapporte qu'en 1687, ^a flotte qui entra à
Se ville portait soixante-quatre mille trois cent quarante
cuirs mexicains ; que depuis cette époque , la valeur des
cuirs corroyés de l'intendance de Guadalaxara seul , est
évaluée à quatre cent dix-neuf mille piastres ( deux
millions cent quatre-vingt-dix-sept mille deux cent
cinquante francs) ; qu'à la Côte-Ferme, le propriétaire
avec lequel on s'arrange pour tuer tant de milliers de
bœufs , ne se donne jamais la peine d'aller voir, si l'on
a outrepassé la quantité dont on était convenu ; que
dans la province de Ris-Grando , au Brésil , les bœufs
sont si communs , qu'ils ne coûtent qu'une piastre (cinq
francs cinq sols) 5 le sel étant trop cher pour saler beau-
coup de viande , on ne les tue que pour en avoir la
peau dont on fait un très - grand commerce; qu'au
royaume de la Plata , un cheval ne coûtait , il y a quel-
que temps que six francs , et un bœuf de vingt-cinq à
trente sols ; aujourd'hui on paye ce dernier jusqu'à
quinze francs. Quant aux chevaux sauvages, ils vont par
62 OBSERVATIONS S V B. LES ANIMAUX
troupes composées de dix mille individus , presque tous
bais-châtains. Dans l'Amérique méridionale, on fait
la chasse aux bœufs seulement pour leurs peaux j qui
sont un objet de commerce trop lucratif pour pouvoir
s'occuper de saler leur viande , qui demanderait trop
de temps , de sel et de futailles pour un Espagnol.
M. d'Obrizhoffer dit , qu'au Paraguay , ils sont aussi
gios que les bœufs hongrois , que la longueur ordinaire
de leurs peaux est de trois aunes , que les chevaux y
sont aussi très-nombreux , et qu'on envoie annuellement
huit mille mulets des plaines du Paraguay au Pérou.
M. Paw regardeiait peut-être comme exagéré le
tableau que je pourrais lui mettre sous les yeux de la
quantité étonnante de Bœufs , de Chevaux , de Mulets , de
Chèvres en vie , que les Américains espagnols vendent ,
tous les ans, auxdifférens établissemens de l'Améri-
que ; mais il est trop bien connu , pour avoir besoin d'en
parler ici. J'observerai seulement que la viande de
bœuf est infiniment supérieure à tout ce qu'il a bien
voulu en dire*; qu'on mange d'aussi bonne viande aux
Etats Unis et dans d'autres endroits de l'Amérique ,
qu'en aucune partie de l'Europe; qu'à Saint-Domin-
gue , elle n'est pas aussi pleine de filasse , ni aussi
difficile à mâcher, que M. Paw le prétend ; qu'elle est
saine et mangeable, et qu'elle rivaliserait la meilleure
viande Européenne si , au lieu de cultiver autant de
sucre , l'habitant laissait quelques terreins en prairies t
pour la nourriture des Bœufs , des Moutons , des Cher
vres , des Chevaux , des Mulets et des autres animaux,
qui ne subsistent que de ce qu'ils peuvent attraper dans
les bois, au bord de la mer, sur les haies épineuses qui
bordent les chemins, et à leur retour dans la savanne
DE ^AMÉRIQUE. 63
( enclos en forme de prairie naturelle ), de quelques
paquets d'herbes , qu'ils mangent à l'ardeur du soleil ou
à l'humidité du soir , n'étant jamais abrités , ni soi-
gnés comme ceux d'Europe.
Malgré ces inconvéniens , les Moulons , les Chèvres ,
les Codions ont en général un goût plus fin que ceux
d'Europe : il en est de même des Pigeons et des volail-
les , que l'on engraisse au maïs et au petit mil. Les
Brebis et les Chèvres font plusieurs portées par an : elles
donnent jusqu'à quatre et quelquefois cinq petits clianue
fois , K^ue l'on ne soigne pas plus que les bœufs et les
chevaux. La multiplication des volailles et des cochons
-est incroyable ; ces derniers ne sont pas sujets à donner
la lèpre comme les cochons européens. Les pigeons font
jusqu'à six ou sept pontes en autant de jours de suite ,
les couvent, et il en naît autant de petits qu'il y avait
d'ceufs.
L'Europe peut -elle se flatter d'avoir une race de
chevaux aussi durs à la fatigue et aux privations que
'Ceux de l'Amérique ? Tous les Européens voyageurs ,
ou employés auprès des négocians ou des babitans ,
attesteront franchement que ces chevaux , qui ne sont
pas ferrés , font des vingt lieues d'une seule traite ,
galoppant , malgré l'ardeur du soleil des tropiques , à
travers les bourbiers , les rivières , le sable ; les pierres ,
les montées et les descentes des montagnes. Les chevaux
de Buenos- Ayres sont renommés par leur légèreté ,
leur douceur, leur courage et leur sobriété. Leur pas est
si vif , qu'il égale le plus grand trot , et le petit galop
des chevaux européens , et leur mouvement est beaucoup
plus doux pour le cavalfer.
J'ai été , ainsi que des milliers d'autres , avec le
64 OCSERVATIONS SUR LES^AHIMAUX
même cheval , des Cayes à V Ance-à- Féaux , île Saint-
Domingue , dans des chemins pareils à ceux ci-dessus ,
en neuf heures et demie de temps. Il y a vingt mortelles
lieues , et beaucoup de montées et de descentes. Un
mulâtre , nommé Charles Daguille , dans l'intervalle du
lever au coucher du soleil , s'est rendu sur le même
cheval , de V Ance-à- Veaux à Jérémie , il y a trente-une
lieues, toutes à travers des marécages , des sables et des
montagnes.
Je citerais , s'il le fallait, mille traits de cette nature ,
pour prouver que les chevaux , en Amérique, n'ont point
dégénéré en bonté ; quant à la taille et à la grosseur , il
y en a de tous les corsages comme en Europe , cepen-
dant plus grands et plus forts que ceux d'O/ero/i. Quel
est le cheval européen qui , après des courses sem-
blables , étant lâché tout suant dans une savanne dont
l'herbe est brûlée par le soleil , étant réduit à manger
les lianes et les feuilles qui se trouvent dans les haies
d'épines , ou à leur défaut , la fiente sèche des chevaux
et le fruit desséché du Monbin , qui ressemble à un
pruneau sec; étant exposé la nuit, à faire furtivement
des courses forcées avec les Nègres , et le lendemain à
être vraisemblablement monté de nouveau par son
maître ; quel est le cheval européen, je le demande ,
qui résisterait à des fatigues et à des privations sem-
blables ?
M. Bonnet n'a pu s'empêcher de convenir que
les bestiaux des Etats-Unis sont plus forts que ceux
d'Europe, surtout ceux que l'on élève dans les Etats du
nord; quant à l'agrément, il dit : « Il y a peu de che-
« vaux qui puissent être comparés au cheval de Virginie ;
« ils sont d'origine anglaise. Il y en a de deux espèces:
D E L' A M £ R I Q TJ E. 65
« Tune appelée sang pur, c>st-à-c!iï e , lorsque Té talon
« et la jument sont, anglais: Vautre sang mêlé , lorsque
« l'une ou l'autre est née en Amérique. la seconde
« espèce résiste mieux. Le cheval rie Virginie est d'une
« grandeur médiocre ; il est bien fait et court très-vîte;
« mais l a moins de force et de taill 3 que les chevaux du
« Connecticut et des Etats du nord, ce qui le rend plus
« propre à la selle. On en dresse beaucoup pour des
« courses semblables à celles que l'on fait en Angle-
« terre. »
Les chiens qu'on a amenés et qu'on amène d'Europe
en A.méiique, ne cessent pas d'aboyer dans la plu-
part des eontrées du Nouveau - Contin nt. ni de se
conserver sains et exempts d'aucune atteinte de peste
vénérienne. Le chien d'Europe, devenu sauvage dans
les Pampas, aboie aussi fort que le chien indigène
de l'Amérique. Il y en avait de plusieurs espèces.
Garcilasso i apporte , qu avant l'ai rivée des Espagnols,
les Péruviens avaient une espèce de chien , appelée
Perros - Gosqucz. Il donne le nom dîAUco au chien
indigène ; celui-ci paraît n'être qu'une simple variété
du chien des bergers; il est plus petit , a le poi! long
avec des taches brunes, et les oreilles choites et poin-
tues ; il aboie beaucoup , mais il mord rarement Les
prêtres des Indiens de Xauxa et de Huanca , faisaient
une sorte de cor avec le crâne du chien Runalco, avant
que VInca Pachacutec les eut forcés d adopter le culte du
Soleil. Dans les éclipses de lune , on battait les chiens
jusqu'à ce que l'éclipsé fût passée. Le seul chien - muet
était le Techinidu Mexique, variété du chien commun,
appe'é TecJdchi, qu'on châtrait pour engraisser, et dont
on vendait la chair au marché de Mexico. Les Péruviens
tome 2. 5 ;
66 oBsinvATioNS sun les animaux
de Xauxa et de Huanca mangeaient leurs chiens Ru-
nalco. M. Paw ignore que les Bull-àogs d'Angleterre
n'aboient jamais, et que quand ils ont mordu, ils ne là-
client jamais prise. S'il eût écrit sur l'Angleterre , il
n'eût pas manqué d'affirmer que les chiens , dans ce
pays, cessent d'aboyer, parce que les Bull-dogs ne le font
pas. Quel dommage pour cet auteur, que les Espagnols
n'aient pas trouvé , en Amérique , une race aborigène ,
velue comme celle des Touriles, habitansdes îles du même
nom dans les mers méridionales du Japon , dont le
corps est entièrement couvert d'une espèce de poils ou
de crins , et que les Japonais, leurs conquérans , ont
réduit à la condition des bêtes! cette découverte lui eût
encore fourni les moyens d'assurer que les Américains
étaient des animaux velus, de la race des Ourangs-ou-
tangs , et que les Espagnols avaient eu raison de les
exterminer, comme étant plus nuisibles qu'utiles à la
société.
On se trompe quand l'on prétend : « Que l'iiu-
« midité de l'atmosphère en Amérique est la véritable
« cause de ce que les animaux ne nagent jamais dans
« aucune partie du Nouveau-Monde. » Cette assertion
est de toute fausseté. J'ai vu nager tous les animaux
indistinctement , soit dans les rivières des habitations,
soit dans les rades, pour les embarquer ou débarquer.
Des contes de cette nature ne font point honneur à un
écrivain, quelque soit son mérite.
J'ignore dans quelle partie de l'Amérique on a
amené des chameaux: il en est venu deux, à ma connais-
sance , a Saint-Domingue ; ils sont restés sur l'habita-
tion Caradeux, au cul-de-sac, proche de la ville du Port-
au-Prince , jusqu'au départ de l'armée française , qui
de l'Amérique. 67
lésa mangés en i8o3, avant d'évacuer Saint-Domin-
gue. Qu'on consulte M. Humbodlt , il est facile de se
convaincre qu'ils se propagent dans l'Amérique méri-
dionale^ Voyez aux Régions équinoxialesdu Nouveau-
Continent ).
Parce que les Portugais ont eu plusieurs fois l'idée
de transporter des éléphans au Brésil , ce n'est
point une raison pour quils ne se procréent point ,
si on les abandonnait, dans les forêts, à leur propre
inclination ? Et puisqu'il est prouvé par les ossemens
de ces animaux, qu'on a découvert, dans toute l'étendue
de l'Amérique , qu'i s y existaient en grand nombre
avant le déluge de ce pays , il est juste de croire
qu'ils pourraient encore s'y procréer , et maintenir
leur espèce dans cette même terre qui les nourrissait
jadis , et dont les eaux s'étaient retirées plus de trois
cents ans avant l'établissement des Portugais dans la
Brésil ?
Lorsqu'on insinue de pareils faits , il faut citer les
époques , le nom des bâti mens qui ont apporté de pa-
reils animaux. , le lieu où on les a débarqués , et non
pas conclure souvent sans preuves quelconques , et ss
contenter de dire en parlant de Don Prenetty : «Le
« critique peut-il donc nier ces faits, que personne
« n'a jamais révoqués en doute. »
Quant à la prétendue dégénération des animaux _, on
peut encore s'assurer qu'elle n'existe que dans l'ima-
gination ; car les bœufs y sont plus forts que ceux de
Salamanque , qui sont les plus grands de l'Espagne.
Il y a plusieurs espèces de taureaux , les uns sans
cornes , d'autres nommés Nata , Chivosa ; parce que
leurs têtes et leurs cornes sont tantôt droites et yer-
5 *
68 OBSERVATIONS SUR LES ANIMAUX
ticales , tantôt coniques et très-grosses à leur racine ;
les chevaux ont toutes les formes et tous les signes qui
caractérisent la force et la beauté, et les moutons , les
pores , les chèvres , les volailles , ne laissent rien à
désirer pour la bonté.
Tout autre que M. Paw eût trouvé un motif nou-
veau d'adorer le Créateur de toutes choses , pour avoir
placé, dans le nouvel hémisphère, les animaux qui pou-
vaient lui convenir , sans s'inquiéter si leurs analogues
sur l'Ancien Continent étaient où n'étaient pas d'un
sixième plus forts , et y avoir mis une variété éton-
nante d'animaux , d'oiseaux, de végétaux, de miné-
raux absolument inconnus à l'ancien. S'il eût voulu
réfléchir un instant, il eût senti que le Créateur, en
donnant aux bètes féroces du Nouveau -Monde un ins-
tinct qui permet de les apprivoiser , les a douées d'une
qualité plus heureuse pour l'espèce humaine , que celles
de V Ancien Continent , qu'il a armées dune férocité que
rien ne saurait adoucir; enfin que la catastrophe récente
que ce pays a éprouvée , lui a été favorable , puis-
que le ciel, en faisant disparaître les éléphans , les rhi-
nocéros et les hypopotames, les a remplacés par des
Tapirs , des Pécaris à musc , des Tamanoirs , des Gavia
et d'autres animaux moins destructeurs, et entièrement
inconnus au reste de lUnivers.
J'observerai en passant que cet écrivain, ens'extasiant,
comme il le fait , sur la férocité des tigres de l'Asie et
de l'Afrique , et sur celle des premiers conquérans de
l'Amérique , dévoile des sentimens indignes d'un
homme qui a la prétention d'instruire le genre humain ,
avec des Mémoires , où l'on cherche en vain l'impartia-
lité , l'humanité et sujrtout cette candeur franche et
DE l' AME RI Q U E. 6$
naïve, que tout écrivain ne doit jamais perdre de vue.
Aussi , en accordant à M. Paw cette férocité qui lui
tient tant à cœur , il ne peut nier que les habitans de
l'Amérique ne sont pas obligés., comme ceux des Gran-
des-Tndes, d'arroser et d'entourer de haies, le bananier ,
le plus utile des végétaux , pour le garantir le jour de
l'ardeur du soleil , la nuit des attaques des bêtes sau-
vages , et de se renfermer continuellement dans des
palissades , pour se préserver de leur férocité.
Relativement aux dégâts occasionnés par les fourmis ,
je lui ferai observer que ces insectes ne laissent pas
d'être très-utiles, puisque les Fourmis de visite détrui-
sent les araignées , les vers , les mouches , les rats , les
serpens , les alligators ; qu'elles ont fait certainement
moins de ravage dans la Guyane , que les insectes ailés
dans la Laponie , dans le pays des Tunguscs ; que les
Taons qui occasionnent la rage et des maladies cruelles
aux troupeaux qu'on laisse paître dans quelques cantons
de l'Irlande et de Suède ; que la Vermine entre le Bas-
Danube et le Nieper ; que les Crapauds et les Saute-
relles dans l'Ukraine ; que les Charansons et les Mouches
hessoises apportées au Nouveau - Monde par le blé
d'Europe, dont on approvisionnait les troupes hessoises
à la solde de l'Angleterre , lors de la guerre d'Amérique ;
que les Hannetons qui , en mai 1816, ont mangé
toutes les feuilles du bois de Châteauroux, dans le dépar-
tement de l'Indre 5 que les Fers, les Limas , les Che-
nilles , les Papillons , les Fourmis , sans y comprendre
la JSiele , la grêle dans toute l'Europe ( Voyez les Jour-
naux de 18 16 et de i8i7.);que \ss Moineaux,, les
Oiseaux de proie et les Taupes dans le Paiatinat , dans
les divers royaumes de l'Europe , dans la. Suisse , où
J
JO OBSERVATIONS SUR LES ANIMAUX
l'on paye jusqu'à ce jour pour les détruire ; que les La-
pins > dans les Iles Baléares et en Espagne; que les
Rats , les Souris, les Renards et les Loups dans toute
l'Europe.
Les Rais-gris , jusqu'à ce jour , n'ont pas encore paru
dnns le Cumberland aux Etats-Unis.
En juillet 1816, non loin du village de Konne-
witz , au-delà de Leipsick , la plus grande partie d'une
foret a été détruite par les ravages que les souris des
champs causeaient en mangeant l'écorce des arbres.
( Journal Général ). L'histoire n'a jamais parlé d'un fait
semblable, relatif au Nouveau-Continent.
En i8i3 , les environs de Vierzon , département du
Cher , furent couverts d'une quantité innombrable de
chenilles d'un vert-lisse , avec des petites taches noires
et bieu-de-ciel. Les habitans , surpris de leur grosseur et
de leur longueur les conservaient dans des cages. Ces
chenilles avaient cinq pouces de long , et étaient grosses
comme une forte chandelle des six à la livre ; elles ont
détruit la majeure partie des pommes de terre et des
végétaux.
La Nielle , le Bluet et le Coquelicot , si connus dans
les champs d'Europe, ne se sont pas multipliés dans
l'Amérique septentrionale.
Ne sachant comment excuser les maux que l'Europe
a occasionnés à l'Amérique, par l'introduction des
rats et des souris dont elle a empoisonné le Nouveau-
Monde , il a imaginé d'avancer : « que les Vers Tarèts ou
« rongeurs des digues et des vaisseaux , qui ont fait
« trembler la Zélande, étaient probablement originaires
« d'Amérique. »
de l'Amérique. 71
Une assertion semblable , soutenue par un probable-
ment aussi judicieux , annonce plus de partialité que de
bonne foi. Est-il vraisemblable que ces insectes aient été
transportés du climat brûlant des Tropiques dans celui
des Zones glaciales, que leur multiplication , au bout de 60
ans , ait été si prodigieuse et si rapide dans les mers gla-
cées du nord de l'Europe , au point , comme il l'avance ,
d'infecter tous les ports de cette portion du globs ,
et d'ajouter de nouveaux dangers aux dangers de la
navigation , en criblant la carène des navires sous les
p'eds du matelot ?
Il est malheureux pour ses systèmes injurieux que
M. Kerroux, dans son histoire de la Hollande, page
11 59 du 2e volume , dise: « que ce fut en 1730 , que
« l'on s'aperçut des premiers ravages causés , par
« ces vers de mer, à la digue de Westcapelle, dans
« l'île de Walcheren , que 1 on prétendit qu'ils étaient
« venus des Indes , ensuite de l'Amérique ; tandis qu'on
« en avait déjà aperçu depuis longtemps dans la mer du
« Nord de l'Europe. »
Comment se fait il que les Espagnols n'aient jamaisson-
géà faire une pareille imputation à l'Amérique? Jusqu'à
ce jour, ce pays si injustement décrié par cet auteur, n'a
pas encore eu à se plaindre de voir tomber fréquemment
comme l'Europe dans les divers royaumes qui la com-
posent, des nuées de pierres aérolitlies , dont quelques-
unes pesaient cent livres , et les autres de vingt à qua-
rante.
Qui aurait pu s'imaginer (pie l'auteur des Recherches
philosophiques sur les Américains, en annonçant au pu-
blic j des Mémoires intéressans pour servir à Thittoi: ;
Jl OBSERVATIONS SUR LES ANIMAUX
de l'espèce humaine, ait poussé la prévention et la
mauvaise foi jusqu'à exagérer et supposer bien des
faits, afin d'mspûer aux lecteurs les plus crédules une
partie de la haine que le dépit lui a fait concevoir contre
un pays préférable au sien. Voilà, comme il le dit lui-
même, jusqu'où l'esprit de système peut entraîner ceux.
qui s'y abandonnent. C'est un torrent qui se perd dans
un précipice , d'où la raison ne se retire que diffici-
lement»
Personne ne contestera que l'Europe doit à la
découverte de l'Amérique, les améliorations toujours
croissantes de son agriculture, de son industrie, de
son commerce , de ses arts; qu'elle lui doit, surtout
le développement de ces connaissances, qui, en éclai-
rant les esprits, ont frappé tant d'abus, et dissipé
de si funestes erreurs ; que^ sans les Colonies , il n'y
aurait plus de prospérité depuis Cadix jusqu'à Archangel,
dans les villes comme dans les campagnes, sur les bords
de la mer , comme dans l'intérieur des terres; puisque
le bien-être des Euiopéens , puissans ou faibles, riches
ou pauvres , cultivant les lettres , les sciences, les arts,
ou simples ouvriers, est subordonné au sort des Colonies
du JNouveau-Monde.
Si Ton pouvait douter encore que la découverte de
l'Amérique fût un bonheur pour le reste du monde,
je me contenterais d'observer qu'elle a produit de
nouveaux rapports politiques entre les diverses nations ,
de nouvelles directions dans le commerce , des besoins
nouveaux, il est vrai , mais qu'elle satisfait dune manière
agréable ; que c'est à l'ambition désordonnée de cer-
tains princes de 1 Europe , et non à l'Amérique , que les
t> e l'Amérique»
7*
Européens doivent attribuer les nouveaux sujets de guerre
entre les souverains ; enfin que l'Europe a changé près-
qu'entièrement de face, depuis que les trésors du nouvel
hémisphère y ont circulé , et que les arts, les sciences
et la civilisation y ont fait des progrès inconnus aux
siècles antérieurs.
74 POPULATION r>E L* EUROPE
LIVRE QUATRIÈME.
CHAPITRE PREMIER.
Population de l'Europe et de V Amérique,
X lusieurs observateurs , tels que M. de Buffon , ont
cru reconnaître dans quelques nations de l'Amérique ,
les mœurs des anciens peuples de l'Asie , et en ont con-
clu que les Américains descendaient de ces derniers.
Cette assertion est hasardée. La nature des hommes étant
partout la même , partout ils sont asujétis aux mêmes
besoins : il n'est donc pas extraordinaire que quelques
usages se ressemblent. Les mœurs d'un peuple se ressen-
tent toujours des localités ; aussi voit-on des nations qui
vivent sous le même climat, avoir les mêmes goûts et
les satisfaire de la même manière, sans qu'il y ait jamais
eu entre elles aucune communication.
La population primitive de l'Amérique a dû être un
composé de peuples divers, dont le centre était parvenu
a un degré considérable de civilisation, tandis que le
Nord et le Sud étaient peuplés de races à demi-civiiisées,
environnées d'un certain nombre de hordes sauvages. La
première origine des Mexicains est demeurée envelop-
pée d'épaisses ténèbres. Les recherches des hommes les
plus habiles ont été infructueuses à cet égard. Point de
ressemblance entre leur langage et celui des Péruviens, ou
ET DE L' AMÉRIQUE. /5
celui des autres Américains, ni avec la langue des Malais,
quoique ceux-ci aient peuplé les nombreuses îles de
l'Océan pacifique. Leurs traits, les formes des animaux de
leur pays diffèrent essentiellement de ceux de l'ancien
Continent. Il paraît naturel de penser que le Créateur a
formé une race particulière d'hommes et d'animaux pour
ce Continent, comme il Ta fait pour l'Afrique , au moins
dans ce qui regarde les hommes.
Les Arithméticiens politiques , qui se sont occupés à
calculer le nombre des individus qui peuvent exister dans
l'univers, s'accordent en général a reconnaître que la
population de l'Amérique l'emporte de beaucoup sur
celle de l'Europe.
Dapper , qui avait étudié avec quelque attention les
relations connues de son temps , était persuadé que la
population du nouvel hémisphère surpassait considé-
rablement celle de l'Europe, et qu'elle égalait celle de
l'Asie, qu'on suppose de quatre cents et quelques mitions.
Riccioll, que M. Paw ,page 64 du Ier. volume, ap-
pelle impertinent calculateur , ne place pas moins de
trois cent millions d hommes en Amérique : ce qui ap-
proche de l'opinion de Dapper, qui croit, comme je l'ai
dit, que les Américains sont aussi nombreux que les
Asiatiques. Un savant d'Allemagne , nommé Susmilch ,
qui s'est signalé par son opiniâtreté à faire pendant
quarante ans des recherches sur le nombre d'hommes
répandus sur la totalité du globe , en place six cent cin-
quante millions en Asie, cent cinquante millions en Afri-
que, autant en Amérique et cent trente millions en Eu-
rope : ce qui fournit un excédent de vingt millions en
faveur de l'Amérique.
Une population semblable démontre le cas que ion
7*> POPULATION DE L* E TJ R O P E
doit faire des rapports inconsidérés de cet auteur, qui per-
siste, en dépit des conquéruns et des écrivains, à repré-
senter le nouveau monde comme une solitude prodigieuse,
dont la race humaine n'occupait qu'un point. Quelle idée
aurait-on de lui , si l'on tablait surtout sur les données ,
ou plutôt sur les calculs de Riceioli et de Dapper ? Un
pays qui est remarquable par la ferti ité de son sol , la
beauté et la bonté de son climat , doit être propice à la
fécondité de l'espèce humaine, et conséquemment faire
supposer que , si la population américaine n'égalait pas
tout-à-fait celle de l'Asie, elle ne devait pas s'en éloigner
de beaucoup»
Il trouve que le dénombrement de l'Europe pa-
raît être fait avec la dernière ponctualité, et qu'il est
peut-être impossible à approcher davantage de la vérité,
mais que la même table de M. Susmilch renferme plutôt
une estime qu'un calcul , en faisant contenir six cent cin-
quante millions d'âmes à l'Asie , cent cinquante millions
a l'Afrique, et cent cinquante millions à l'Amérique ;
parce que, selon lui, le dénombrement de l'Afrique est à
coup sûr fautif, puisque Von ne connaît , dit-il ? que les
côtes de cette vaste portion de V Ancien Continent , et que
ta population de ses cotes est très-considérable , à en juger
par la traite des Nègres. M. Paw s'est doublement trompé,
parce que les côtes fournissent au plus le quart des es-
elavesqu'on achète dans ce pays , et que , pour s'en pro-
curer une quantité suffisante , il faut les aller chercher
jusqu'à cent et même deux cents lieues , dans l'intérieur
des terres.
Quant à la population de l'Amérique, il la trouve
exagérée , parce qu'il s'ensuivrait , selon lui , qu'il y
aurait à peu près treize à quatorze personnes sur un mille
ET DE l' AMÉRIQUE. 77
anglais en carré, et celle de l'Asie étonnante, parce
qu'elle contiendrait à elle seule plus d hahitans que le
reste de l'univers connu ; quoiqu'elle ait , selon Tempel-
man , dix millions deux cent cinquante sept mille
quatre cent quatre-vingt sept mille anglais en carré • et
il trouve que le dénombrement de l'Europe est de
la dernière ponctualité, quoique cette portion du
globe n'ait que neuf cent trente - neuf mille anglais
en carré , qu'elle soit trois fois plus petite que l'Amé-
rique, et qu'elle contienne 1 38 hommes et une fraction
d'homme par mille anglais en carré.
N'est-il pas absurde de prétendre donner comme un
calcul juste , la supposition qu'on dit avoir été faite de
la population de la Virginie, lors de l'arrivée des pre-
miers Anglais dans ce pays, et d'affirmer, sur l'estimation
de gens qui sont restés constamment sur le bord de la
mer àchercherde l'or à l'embouchure de la rivière, qu'il
n'existait que cinq cents Américains sur un terrain de 60
lieues carrées; que dans la Floride française ,les Ang'ais,
après le traité de Fontainebleau, n'ont pu y compter huit
mille personnes , tandis que les peuplades seules d'In-
diens libres, qui ont survécu aux massacres réitérés des
Européens, fournissent encore, de nos jours., une popula-
tion de quarante-cinq mille âmes qui occupent 55 vil-
lages ; que sur les limites de la Géorgie , on porte à plus
de quinze - cent mille , le nombre des guerriers in-
diens indépendans , et à près de quarante-cinq mille ,
ceux qui sont établis en Géorgie. C'est d'après des
données semblables à celles ci-dessus, qu'on a avancé
que le Chiraguay , qui a cent lieues d'étendue , et cin-
quante de large, ne contenait tout au plus que vingt mille
Sauvages , tandis crue malgré les guerres cruelles qu'on
78 POPULATION DE L 'EUROPE
leur a faites , on en compte encore soixante-dix-lmil
mille , qui habitent des villages et des villes où l'on
trouve des maisons assez bien bâties ; que dans la Guyane
qui paraît être une fois plus grande que la France , on
n'a compté, au moment de la découverte , que vingt-cinq
mille âmes . tandis qu'aujourd'hui même , on y compte
au moins ddix-cent mille Indiens réunis aux Français ,
aux Hollandais , et aux Portugais ; qu'on connaît de plus
une quarantaine de peuplades libres, dont la population
excède cent mille âmes. C'est par suite de cet esprit de
dépréciation, qu'il avance, qu'en remontant vers le
Nord, on a parcouru trois cents lieues en tous sens, sans
rencontrer une famille , une cabane , sans voir un être à
face humaine. Si cet écrivain avait parcouru la Terre-
Ferme proprement dite , il eût appris, à son grand éton-
nement , qu'on y compte les Indiens par centaines
de mille , ainsi que dans le Brésil , dont on ne connaît
qu'une vingtaine de peuplades ; que sur la côte du
Mississijyi et dans la Louisiane , Ton rencontre plu-
sieurs centaines de milliers d'Indiens libres, sans compter
ceux qui se sont fixés parmi les Européens ; qu'à l'O-
rient , et en allant vers l'Occident, un peu vers le Nord,
du coté du Canada et dans le Canada même, on trouve
une cinquantaine de tribus dont le nombre s'élève à
plus de cent mille hommes ; enfin , que si la popula-
tion des Péruviens et des Mexicains a été exagérée par
les Espagnols, elle n'en était pas moins considérable.
Ne serait-on pas fondé à lui demander d'où il a
tiré des renseignemens semblables ? Comment se flat-
ter de pouvoir donner au juste la population d'un im-
mense Continent, où erraient un grand nombre de nations
sauvages , qui n ont jamais songé eiies-mêmesà compter
*
ET DE L'AMERIQUE. jn
leur propre mombre ? Quel est le voyageur qui puisse en
parler aussi pertinemment, qui ait eu assez de crédit ou
d'autorité pour parcourir impunément tous ces pays, et
faire comparaître devant lui tous les habitans de chaque
canton, afin d'en faire un recensement exact, ou une
approximation exempte d'erreurs grossières ? On sait
d ailleurs que les Espagnols et les Portugais qui possèdent
la partie du Nouveau-Monde la plus considérable et la
p] js peuplée , sont très-attentifs à dérober la connais-
sance exacte de leurs forces : et personne n'ignore qu'il
y a encore de vastes contrées en Amérique , tant dans le
pays conquis, que dans ceux où l'on n'a jamais pénétré ,
qui seraient susceptibles d'offrir de grandes acquisitions
pour l'histoire de l'homme , et dont on a soustrait à
dessein la connaissance au public.
Il me semble qu'il est aussi difficile d'évaluer avec quel-
que certitude , le nombre des habitans qui composaient le
royaume deMotézuma, que de prononcer sur l'ancienne
population de l'Egypte, de la Perse, de la Grèce , et du
Latium. Les ruines étendues des villes et des villages
que M. Humboldt a observées sous les ï8 et 200 de la-
titude , dans l'intérieur du Mexique , prouvent que la
population de cette partie du royaume était jadis bien
supérieure à celle qui existe aujourd'hui. Quoiqu'il en
soit, on avait évalué en i793 , la population de toute la
Nouvelle - Espagne à cinq millions deux cent mille
âmes , nombre qui était probablement au dessous de la
population existante , puisqu'aucune calamité publique
n'avait affligé ce pays. Depuis le dénombrement de i7q3 ,
M. Humboldt, en 1802, l'a estimé à six millions cinq
cent mille. Les Indiens, d'après les renseignemens qu'on
lui a fournis sur les lieux , forment les deux tiers de la
80 POPULATION DE l'eTJÏIOPE
population du Mexique , c'est à-dire, trois mi lions, six
cent soixante six mille six cent soixante-six âmes. Dans la
province d Oaxaea, sur cent individus, on compte quatre-
vingt-huit Indiens. Ce grand nombre d indigènes prouve
combien la culture de ce pays est ancie nne. Aussi ,
trouve t-on près d'Oaxaca , des restes de monumens
d'architecture mexicaine, qui annoncent une civilisation
singulièrement avancée.
Je crois, comme M. Paw , que les Espagnols, accour. r-
mes à peindre tous les objets avec des proportions ou-
trées, ont exagéré la population des Péruviens et des
Mexicains. Cette exagération, malgré tout, prouve
qu'ils ont trouvé dans ces régions, une mulitude prodi-
gieuse d'individus ,etque si leur nombre a diminué dune
manière sensible , cette diminution a été le résultat des
sacrifices , des guerres que les Indiens se font entreux ,
des guerres à mort que les Espagnols , les Portugais et
les Anglo- Américains n'ont cessé de leur faire , et de la
traite que l'on faisait de ces mêmes indigènes. Le com-
merce des esclaves américains , (observe M. Humboldt
dans son Voyage aux Rég. équin. du Nouveau Conlin nt)
se faisait au seizième siècle, avec une activité étonnante
aMacarapan, appelle anciennement Amaracapana, à Cu-
mana, à Araya, et surtout à la nouvelle Cadix , fondée
dans l'ilot de Cubagna , pour payer le quint aux officiers
de la couronne, et les renvoyer à Saint-Domingue,
après avoir souvent changé de maîtres , non par la voie
d'achat , mais parce que les soldats les jouaic nt au dé.
Si à ces maux ou joint la multitude des Indiens brûlés
par les Dominicains de l'inquisition; submergés à la
pêche des perles ; écrasés sous le poids des fardeaux et
des exactions 5 ceux détruits par la petite vérole epi ,
IT DE L'AMERIQUE. 8l
lors de son apparition dans l'île de Cuba , moissonna
soixante mille âmes , fit éprouver à Saint-Domingue
une perte deux fois plus considérable , et détruisit six
millions d'Américains sur le Continent d'Amérique ; les
maladies , la famine , le poison , le dévouement de ces
peuples aux mânes de leurs Caciques, qui coûtaient,
pour un petit chef, la vie de quatorze personnes, et
vraisemblablement celle de milliers d'êtres, pour former
dans l'autre monde la suite des Incas, et des prédéces-
seurs de Motézuma qui commandaient à plusieurs na-
tions les victimes innombrables qu'ils sacrifiaient aux
idoles ; la mort accidentelle , naturelle ou forcée ; et,
par-dessus, tout le nombre incalculable de Péruviens, de
Mexicains et de Brésiliens, enfouis \ivans et journelle-
ment dans les mines où les vainqueurs les entassaient et
les entassent encore inhumainement 3 ces causes, je crois,
seront suffisantes , pour convatnere tout homme impar-
tial, que l'Amérique était pour le moins aussi peuplée
que M. Susmilch l'a supposé.
Quand on pense que les Espagnols ont détruit plus de
douze millions d'Américains , en peu d'années , et les
Anglais plus de six millions d'Indiens dans une année ;
on ne doit plus être étonné des révolutions du règne
animal.
N'est-il pas étrange de voir M. Paw recourir sans
cesse à de vaines subtilités , pour détendre la thèse qu'il
doit être honteux d'avoir avancée? Encore une fo s ,
l'auteur des recherches sur les Américains , n'est pas
conséquent avec lui-même , lorsqu'il prétend que les
femmes du Nouveau - Monde sont sujètes à la stérilité,
et qu elles cessent d'avoir des enfans à trente-six ans.
D'où seraient donc sortis les douze millions de Mexicains
tome 2. 6
S2 POPULATION DE LEUROPE
qu'il dit avoir été égorgés par les Castillans ; les trois
millions de Péruviens qui expirèrent sous les coups de
Pizarre et successeurs ; les millions de Elorides , que
[Ferdinand Soto massacra ; les cadavres dont la morta-
lité avait jonché la terre partout où les Espagnols péné-
trèrent, au point que les vivans , dit M. Paw , ne suffi- '
fiaient pas pour y enterrer les morts ; les deux tiers de
Brésiliens que les Portugais assassinèrent; les dix mil-
lions d'Indigènes que les Français , les Anglais , les
Hollandais et les Anglo-Américains ont détruits depuis
le Cap Horn jusqu'à la baie de Wager , les deux millions
d'Insulaires que les Espagnols immolèrent à leur fureur
dans les Antilles?
Peut-on supposer que le Continent d'Amérique, qui
offrait tant de ressources et tant de variétés , fut une
solitude prodigieuse dont la race humaine n'occupait qu'un
point , lorsqu'il est avéré que Saint-Domingue possédait
près de deux millions d'Indigènes; Cube un million
liuit mille , et les autres îles , une population propor-
tionnée à leur étendue et au produit de leur territoire.
M. Paw, sentant la futilité de son assertion, l'aban-
donne pour avancer qu'on ne peut pas attribuer la dépo-
pulation de l'Amérique aux massacres et aux cruautés
des Espagnols , puisque"/ a passé , dit-il , dans les Indes
occidentales , plus à? Européens qu'on j" a détruit d'Indi-
gènes ; car si Y Espagne , conclut- il, contenait, du
temps de Ferdinand -le -Catholique , vingt millions
d'habitans , on peut hardiment assurer que jamais sa popu-
lation n'a été plus forte , et il s'ensuit qu'en décomptant
les Maures et les Juifs expulsés , il est passé en un laps
de deux cent soixante ans, huit millions d'Espagnols.
Qui se serait attendu à un raisonnement et à une
ET DE L'AMÉRIQUE. 83
conclusion semblables de la part d'un homme qui refuse
des connaissances aux Améfi ains? Par e que I Espagne,
du temps de Ferdinand, contenait ? vingt millions d'iiabitans ,
on peut hardiment assurer , dit-il , que jamais sa popu'a*
tion n'a été plus forte. Voilà une conséquence qui n est
nullement conséquente ; et pour prouver son raisonne-
ment à fortiori , M. Paw conclut très-Savamment • il
s'ensuit qu'en décomptant Les /Maures et les Juifs expulsés
il est passé en un laps de deux cent soixante ans , huit
millions d'Espagnols. Comme ce tte conclusion est aussi
concluante que la conséquence, le lectcu--, je l'espère,
me saura gré de ne point m'appesantir sur un raisonne-
ment aussi absurde.
Prétendre que la dépopulation de l'Amérique n"a pas
été occasionnée principalement par les massacres et les
cruautés des Espagnols , c'est s obstiner à nier l'authen-
ticité d'un fait, que personne ne met en doute. Affirmer*
qu'il a passé , dans les Indes occidentales , plus d Euro-
péens qu'on y a détruit d'Indigènes, c'est avancer une
erreur ; puisqu'en supposant que l'Europe , depuis
lan i 5oo , ait envoyé cinquante mille hommes par an,
jusqu'en 1770, moment où M. Paw a écrit son ouvrage ,
cela ne ferait, dans un laps de deux cent soixante-dix
ans, que treize millions cinq cent mille Européens.
Et si l'on comptait les Nègres , ajoute-t-il, on trouve-
rait que le Nouveau-Continent a reçu plus d'hommes de
V Ancien Monde , qu'il nen existait au moment de la
découverte de l'Amérique.
Quoique cet auteur sorte encore de 1 état de la ques-
tion , qui n'embrasse que l'Europe et l'Amérique , je
répondrai que cette assertion n'est pas plus exacte
que la précédente ; puisque ce ne fut qu'en i5i-j, qu'on
6*
$4 POPULATION DE l' EUROPE
amena pour la première fois mille Nègres à Saint-Do s
mingue , dont la moitié fut envoyée au Mexique; que
jusqu'en i538, on ne transporta pas en Amérique au-
delà de six mille Nègres par année; qu'en 1539., on
en envoya de dix à douze mille ; que depuis 1540
jusqu'en 1600, le nombre pouvait-être de vingt-cinq à
trente mille par an; que de 1600 à 1700, l'Amérique
recevait annuellement de trente-cinq à quarante mille
têtes d'esclaves; que ce commerce jusqu'en 1760 , s'est
augmenté jusqu'à cinquante mille par an , et que depuis
1760 jusqu'en 1770 , ce trafic a été porté à environ
soixante mille par an; ce qui, au plus haut total,
fournit neuf millions quatre cent trente-trois mille
Nègres , Négresses , Négrillons , Négrittes ; pour le
terme moyen , huit millions d'Africains ; et pour le
grand total , y compris les Blancs et les neuf millions
quatre cent trente-trois mille Nègres, vingt-deux mil-
lions neuf cent trente - trois mille individus; c'est-à-
dire , à peu près la septième partie des habitans que l'on
a reconnus à l'Amérique.
J'observerai que j'ai non-seulement forcé le nombre
de Nègres dans les cent premières années de l'établis-
sement des Européens en Amérique , mais encore que
j'ai exagéré celui des Blancs qui ont été se fixer dans
le Nouveau-Monde , et qui , pour ne pas végéter misé-
rablement dans leur pays natal, ont été forcés en
quelque sorre d'aller vivre et mourir en Amérique ,
séjour de la cordialité, de la bienfaisance, qui offre,
quoi qu'on en dise plus de villes et de bourgades que
Y Allemagne n'a de villes murées.
Encore une fois , ce ncst point ainsi qu'on écrit
l'Histoire Naturelle de l'Homme , et celle d'un pays
n se l' a m £ r i q u e. 85
nouveau , lorsqu'on veut instruire ses semblables sur
des faits qu'ils peuvent ne pas connaître, ou qu'ils n'ont
jamais été a même de vérifier , pour en apprécier la
valeur on l'exactitude.
SUR LA CONSTITUTION.
DES
PREMIERS AMERICAINS,
Juour pallier les malheurs sans nombre occasionnés par
cette peste horrible , à laquelle les Européens ont
donné le titre modeste de petite Vérole , et qu'ils ont
introduite en Amérique , M. Paw, pag. 19 du Ier vol. ,
dit , avec une assurance qui n'appartient qu'à lui :
« Que la Maladie Vénérienne , qu'on a nommée , par
« opposition la G. . . . V. . . . , est née en Amérique ?
« parce que ces contrées avaient eu recours à quantité
« de remèdes, pour en retarder les progrès extrêmes ;
« et page 22 du même vol. , que la chair des Améri-
« cains , n'étant autre chose qu'un vrai levain variolique
« dans sa plus grande activité ., il suffisait de séjourner
« dans leur pays pour y gagner la goutte sereine etle mai
« vénérien sans contact , les germes en étant comme
k répandus dans l'atmosphère. »
Que signifie cette réticence , les germes en étant,
comme répandus dans l'atmosphère ? S'ils ne l'étaient
pas , pourquoi donner à entendre une fausseté ? Si,,
comme M, Paw le prétend ? l'air donnait la gouite*
86 SCR LÀ CONSTITUTION
sereine et le mal vénérien _, affectait les facultés physi-
ques et morales des Américains ; si une immense
quantité de vers ascarides et cylindriques les persécu-
ta ent à tout âge ; si , la liqueur du fiel était édulcorée
en eux , ou ne coulait pas abondamment , comme dans
lésenfans mâles des Européens ; si les vers cylindriques
leur restaient jusqu'à la dix-septième ou dix-huitième
année , temps auquel la bile doit acquérir assez d'acri-
monie pour nettoyer le canal intestinal, en tuant, par
son amertume , les insectes logés dans ses replis ; si la
transpiration insensible était moindre dans les Indiens
occidentaux , qu'elle ne devait l'être , au point de les
contraindre à se racler la peau jusqu'au sang , à se
frotter de graisses pénétrantes, à se manier fortement
les membres pour les tenir souples , et en prévenir l'en-
gourdissement ; s'ils étaient obligés de bo're continuelle-
ment de la salsepareille, du gay \c . de la lobclia, pour
empêcher le mal endémique et national de dégénérer
en excès ; de mâcher continuellement du coca et du
caamïni pour les faire cracher, et les délivrer dune
quantité d'humeurs malignes ; de se mettre du tabac
dans le nez et dans la bouche , pour provoquer l'écoule-
rnent pi tui taire , et tuer les vers intestinaux; si la lan-
gueur et l'indifférence des Américains pour les femmes ,
avaient été telles que M. Paw l'avance; est- il probable,
est-il possible que ces peuples , chargés d'autant d'afilic-
tions , eussent pu survivre à tant de fléaux , au milieu
d'un pays désert, rempli de marécages. Leur popula-
tion n'eût pu faire face à leurs guerres , à leurs sacrifices,
puisque les, Espagnols accusaient Moiézuma de laisser
immoler, tous les ans, vingt mille enfans. L'auteur,
qui feint de ne pas croire à ce rapport , cite cependant à ce
DES PREMIERS AMERICAINS. 87
sujet , par manière d'acquit, l'Histoire Générale de l'A-
mérique publiée par le père Touron en 1768 et 69 ;
ainsi que Herrera , qui prétend qu'Ahuitzol immola
soixante-quatre mille hommes à la dédicace du temple
de Mexico , et qu'on trouva cent trente mille crânes
de personnes qui avaient été sacrifiées. Est-il vraisem-
blable , dis-je , que la population américaine eût pu ,
pendant dix ans et plus , fournir, malgré cette destruc-
tion , autant de millions de victimes à la rage des Espa-
gnols ; que cette poignée d'aventuriers n'eût pas suc-
combé elle-même sous les miasmes d'un air aussi
pestiféré , que l'odeur des cadavres sur lesquels les
conquérans marchaient , devaient rendre encore plus
mortel ?
M. Paw, au lieu d'avancer au hasard des faits
semblables ; aura't dû commencer par prouver , d'une
manière irréfragable , que les Américains avaient eu
recours à quantité de remèdes , pour retarder les pro-
grès du mal vénérien. Il s'en est bien gardé , parce que
les preuves qu'il eût alléguées à l'appui de sou assertion,
eussent été contraires à l'apathie , à la stupide insensi-
bilité , à la paresse , à l'éloigné ment pour les femmes,
qu'il reproche à ce peuple. Cela ne doit pas surprendre,
puisque nous allons le voir dans ce chapitre , sans cesse
en contradiction avec lui-même.
Si M. Calme, botaniste suédois , élève du célèbre
Linnéj , qui a voyagé en curieux et en savant , dans
l'Amérique septentrionale , s'y est assuré que les Indi-
gènes se servent avec grand succès de la lobelia , et a
rapporté , comme on peut le voir dans les Mémoires de
T Académie de Stockolm , qu'orc n*a jamais trouvé de
sauvage , qui n'ait été radicalement guéri du virus le
J88 SUR LA CONSÏITUTION
plus invétéré , en usant de ce spécifique ; comment
M. Paw , qui avait connaissance du rapport de M.
Calme , comme son ouvrage le prouve , a-t-il rsé pu-
blier que la malad e vénérienne , avant la découverte
du Nouveau-Monde, existait avec les qualités horribles
que son imagination en délire lui a suggérées; puisqu'il
est prouvé par ceux qui voyagent en Amérique depuis
cette époque, que les Sauvages ne sont nullement sujets
à ce mal ; que lorsqu'ils Fattrappent, ils s'en guérissent
radicalement , avec une décoction des racines de simple
ci-dessus ?
M. Humboldt, dans son Voyage à la Nouvelle-Es-
pagne , dit : « Il est curieux d'observer comme les
« Métis et les Indiens , qui sont employés à porter le
« minerai sur leur dos , et que l'on désigne sous le nom
« de Tenateros , restent chargés continuellement pen-
ce dant six heures , d'un poids de deux cent vingt-cinq
« à deux cent trente livres , étant exposés en même
k temps à une température très-élevée , et montant
« huit à dix fois de suite , sans se reposer , des escaliers
« de dix-huit cents gradins : l'aspect de ces hommes
y> laborieux et robustes aurait pu faire changer d'opinion
« auxRaynal , aux Paw, et à ce grand nombre d'auteurs
« d'ailleurs estimables, qui se sont plu à déclamer sur
c< la dégénération de notre espèce dans la Zone Torride ,
« dans les mines mexicaines. Des enfans de dix-sept
ce ans. portent déjà des masses de pierres, de cent livres
ce pesant »
Soit remords , soit oubli , ce dernier, déclare, pag. 43
du premier vol. , que le mal vénérien ne faisait pas ,
parmi les américains } les mêmes ravages qu'il a occa-
sionnés en Europe , au commencement de sa transplanta-
DES PREMIERS AMERICAINS. 89
fion, et que cette maladie était plus bénigne dans son pays
natal.
Quelle contradiction ! Quoi , vous venez de nous
dire , tout à l'heure , que le mal vénérien avait désor-
ganisé toutes les facultés physiques et morales des
Américains ; et maintenant cette maladie est plus bé-
nigne ? Cela ne s'accorde pas ! Mais voyons ce que disent
les Missionnaires qui ont résidé parmi eux.
Le Père du Tertre , dans son histoire naturelle des
Antilles , tome 2 , traité 7 , chapitre ier §, dit en par-
lant des Caraïbes : « Il est à propos de faire voir dans ce
« traité, que les Sauvages de ces îles sont les plus con-
« tens , les plus heureux , les moins vicieux , les plus
« sociables , les moins contrefaits , et les moins tour-
te mentes de maladies que toutes les parties du monde. »
Le Père Claude d'Abbeville , dans son Histoire de la
mission des Pères Capucins dans l'île de Marignan sur la
côte du Brésil, chapitre 47, fait le portrait le plus avan-
tageux des qualités physiques et morales de ces insulai-
res , ainsi que des Brésiliens. Son témoignage est
confirmé par Jean de Lèrj.
Antoine Biet, supérieur des prêtres missionnaires qui
passèrent en i65s , à Cayenne , dit dans son Voyage de
la Terre équinoxiale , livre 3 page 390 : ce Les Galiibis
«c laissent leurs enfans toujours nus , c'est une merveille
« de voir comme ils profitent ; quelques-uns à neuf
« ou dix mois, marchent tout seuls. Quand ils croissent,
« s'ils ne peuvent marcher , ils se traînent sur leurs pieds
« et sur leurs mains, » De pareils témoignages , n'an-
noncent pas une désorganisation totale dans les facultés
physiques de ces peuples.
M. Humboldt 3 dans son Voyage aux Régions équiao-
cjo srn la coxstitttioîî
xiales du nouveau monde , observe « que le même in-
« dien , qui se plaint lorsque dans une herborisation ,
«: on le charge d'une boète remplie de plantes , fait re-
«c monter lui canot contre le courant le plus rapide , en
« ramant pendant 14 ou 1 5 heures de suite , parce qu'il
« désire letourner dans sa famille. Pour bien juger de
« la Io.^e musculaire des peuples , il faut les observer
« dans les circonstances tu leurs actions sont détermi-
« nées par une; vbloûté également énergique. Lorsqu'une
« pirogue chargée de cocos et conduite par un pêcheur
« indi.°n accompagné de son fils, vient à chavirer dans
« le golfe de Cariaco , et surtout dans la péninsule
« d'Araya , en gouvernant trop près du vent, droit a la
« lame, le père redresse la nacelle et commence à en
« faire sortir l'eau , tandis que le fils rassemble les cocos
« en nageant autour. En moins d'un quart- d'heure , la
« pirogue est de nouveau sous voile , sans que l'Indien ,
« dans son imperturbable indiiTérence , ait proféré une
« plainte. »
Les Gazettes anglaises , du 2, septembre 18 16, ont
annoncé qu'un jeune habitant du détroit de Davis, âgé
de dix-huit ans, a exécuté dans le bassin de Leith en
Ecosse, avec un canot de son pays, des manœuvres très-
adroites , en présence d'un grand nombre de specta-
teurs; qu'il a nagé parfaitement, plongé avec son bateau
renversé sur sa tête, et s'est relevé à une grande dis-
tance , assis dedans. Ces exercices, quoi qu'on puisse dire,
annoncent de la force musculaire, et non une consti-
tution délabrée.
Je ne sais comment le traducteur anglais de M. Sparr-
man, pour nous faire sentir l'utilité des journaux de
voyage , a pu citer MM. Paw et Rayual pour exemples :
DES PREMIERS AMÉRICAINS; C|I
le docte et judicieux abbé Frizi , qui ne s'est pas laissé
imposer par les rêveries de M. Paw , a noté plusieurs
de ses méprises. Peut-cn en trouver une plus étonnante
que celle-ci ?
Cet écrivain, qui nie tout, n'établit rien, et prend ce ton
tranchant qui l'a fait tomber dans mille erreurs , dans
mille équivoques, tant en physique, qu'en histoire, dit
avec confiance, que c'est le pape Pie II, qui intro-
duisit l'usage du gayac pour la maladie vénérienne. Or,
ce Pape mourut en 1464, c'est-à-dire, trente ans avant
que Colomb eût découvert l'Amérique , dîoù Ton rap-
porta le gayac... Voilà comme M. Paw, arrange sa
Chronologie !
Il est aussi risible de l'entendre affirmer pé-
remptoirement, que les germes du mal vénérien, en
étaient comme répandus dans l'atmosphère , que de
l'entendre assurer que les Lézards iguans , que les Fran-
çais ont nommé Coqs de joute , dont les Américains se
nourrissaient, y renforçaient sans qu'on le sût, le prin-
cipe variolique, dont tous les hommes et beaucoup
d'animaux étaient atteints; puisque ce fait a été conti-
nuellement démenti par l'usage des Créoles , des
Européens et des Nègres, qui, depuis la découverte du
Nouveau-Monde jusqu'à ce jour , n'ont cessé d'en man-
ger, sans éprouver la moindre attemte vérolique, comme
on le prétend, sur l'autorité de Lister. La chair de
ce Lézard, loin d'être malfaisante et contraire à ceux
qui sont atteints du mal vénérien , est un sudorifique
qui pousse à la peau , comme celle de Tortue. On a dé-
couvert récemment à Saint-Domingue , le secret de
guérir la maladie vénérienne , en avalant de petits Lézards
nommés Anolls , crus et écorchés.
92 SUR LA CONSTITUTION
Les voyageurs qui ont mangé de Vlguan7 ont tous
exalté la délicatesse et la tendreté de sa chair, qui a le
même goût que celle du poulet ; et parce que M . Pison
seul dit l'avoir trouvée fade, M. Paw conclut qu'elle ne
vaut rien, et qu'elle irrite incroyablement le mal véné-
rien.
Pour prouver que la maladie vénérienne est née
en Amérique, il cite, page 18 du premier volume, le
premier article du fameux Edit du parlement de Paris ,
daté de 1496, qui condamne à la potence, les étrangers
qui, étant infectés de cette maladie, ne quitteront pas la
capitale dans vingt-quatre heures. Fontanon , qui rapporte
cet Edit, s'exprime ainsi :
« Pour pourvoir aux inconvéniens qui adviennent
or chaque jour, par la fréquentation et communication
« des malades qui sont de présent en grand nombre en
« cette ville de Paris, de certaine maladie contagieuse
« nommée la G. ... V. ... , ont été advîsés, conclus et
a délibérés par révérend père en Dieu , monsieur Tévê-
a que de Paris, les officiers du roi, prévôts des mar-
ie chands et échevins, et le conseil, et l'avis de plusieurs
« grands et notables personnages de tous les états, les
o points et articles qui s'ensuivent :
« Sera fait cry public de par le Roi, que tout malade
« de ceste maladie de G.... V...., estrangiers tant
« hommes que femmes, qui étaient demeurants et rési-
« dents eu ceste ville de Paris, es-pays et lieux dont ils
« sont natifs, ou là où ils faisaient leur résidence,
« quand ceste maladie les a prins , ou ailleurs où bon
« leur semblera , sur peine de la hart; et à ce que plus
« facilement ils puissent partir, se retirent ès-portes de
« Saint J)euis et Srint- Jacques, où ils trouveront geas
DES PREMIERS AMERICAINS» g3
« députes, lesquels leur délivreront à chacun quatre
« sols parisis, en prenant leur nom par escript, et leur
« fesant défense sur la peine que dessus, de non rentrer
« en ceste ville, jusqu'à qu'ils soient entièrement garis
« de ceste maladie , etc. »
Cet Edit que M. Paw a cité, nomme cette maladie,
comme on vient de le voir, la G. . . . V. . . . , et non pas
le mal d'Amérique. Cet écrivain est peut-être le seul
individu qui ait imaginé de dégrader un pavs, en le
gratifiant des turpitudes du sien. Sachant, à n'en point
douter , que les Français et les Anglais ne pouvaient
pas avoir reçu ce mal de l'Amérique , puisque Saint-
Christophe est la première île où les aventuriers de ces
deux nations étaient arrivés pour la première fois,
en 1629, c'est-à-dire, cent vingt-neuf ans après le
fameux Edit dont il appuie son assertion : il a recours,
pour sa justification, au passage suivant, qu'il a extrait
de Dias de Isla ; or ce célèbre Sangrado , aussi peu
connu dans la médecine , que dans le monde littéraire ,
dit sans plus de formalités :
« Qu'au moment que Colomb, de retour du Nouveau-
« Monde , vint débarquer à Palos en Andalousie , le
« Roi et la Reine d'Espagne résidaient à Barcelone,
« où on alla leur rendre compte du succès de l'expédition
« du voyage ; que le mal vénérien se déclara tout d'un
« coup dans cette dernière ville , et atteignit presque
« tous les habitans à-la-fois ; qu'on ordonna des pro-
« cessions publiques , des jeûnes ; qu'on exhorta les
« citoyens à faire des aumônes pour fléchir le Ciel
« irrité ; qu'on pria avec ferveur, et qu'on ne se guérit
« point; que Tannée suivante ( 1494 ), Charles VIII,
« Roi de France , ayant conduit une armée formidable
94 SUIl LA CONSTITUTION
« en Italie , plusieurs régimens espagnols , qu'on envoya
« pour s'opposer à l'invasion de Charles , y apportèrent
« avec eux le germe du mal ■d'Amérique, et le com-
te muniqierent aux Français qui. ne sachant d'où leur
« venait cette épidémie , en accusèrent le climat insa-
« 1 ubre du royaume de Naples , et imaginèrent de lui
« donner le nom de mal de Naples, pour désigner cette ma-
* ladic, dont ils ne connaissaient que les ravages, sans en
« connaître 1 origine ; et que les Italiens , qui n'avaient
« ja ruais entendu parler de ce nom inventé par les
« Français , appelèrent cette indisposition le mal
« français . »
Que de pauvres expédiens présentés d'une manière
encore plus pitoyable ! D'abord une maladie contagieuse
qui se propage sans contact immédiat, sinon par l'atmos-
phère ambiante , et qui ne se déclare précisément qu'à
Earcelone , à environ cent cinquante lieues du mouil-
lage où elle a débarqué , qui fait grâce aux habitans
de Palos , à ceux des villes et villages que le courier a
traversés , pour n'attaquer que les Earccloniens , qui
en furent presque tous atteints , et excepter la famille
royale , qui a cependant communiqué avec le cour-
rier extraordinaire , a reçu les dépêches dont il était
porteur , et qui. sortaient des mains pestiférées des
nouveaux débarqués ; ensuit? la maladresse de Fau-
teur , qui a oublié de prévenir que cette maladie
s'était propagée immédiatement par toute l'Espagne ,
et qui fait partir plusieurs régimens espagnols pour
l'Italie, sans dire de quelle partie de l'Espagne , ni si
les germes véroli u s aériens étaient parvenus à l'endroit
où ces troupes résidaient.
Si celte maladie eût été si contagieuse à cette époque,
DES. PREMIERS A M i R I C A I X s . q5
qu'il suffisait de respirer l'air ambiant pour l'attraper*
comment se fait-il que les neuf Américains et les quatre-
vingt-deux soldats et matelots, qui formaient l'équipage
du bâtiment que Christophe ramena à Palos , n'infec-
tèrent pas l'air de cette ville avec plus de force eue
celui de Barcelone; puisqu'ils y séjournèrent quelque
temps avant d'obtenir la permission d'aller à Barcelone-
que le virus qui ne faisait que d'arriver, devait avoir
plus d'activité , puisque Colomb laissa cinquante deux
soldats et matelots à Palos, et qu'il est à présumer crue
Colomb, en se rendant à Barcelone, n'avait emmené
avec lui que ceux qui étaient sains ou, tout au plus, les
moins malades ?
Pourquoi le Gouvernement et la cour d'Espagne, en
apprenant que les nouveaux venus avaient des figures
remplies de frondes virulens, infects et contagieux, ne
défendirent-ils pas de communiquer avec ces pestiférés,
jusqu'à ce qu'ils fussent guéris? N'est-il pas étonnant
que cette maladie ait perdu sa force destructive à Pa'os
le long de la route , pour la retrouver à point nommé
dans le lieu où la Cour résidait- que Christophe ne se
soit pas plaint de cette maladie ; et que, contre toute
vraisemblance , il ait manqué aux égards qu'il devait
à son roi , pour lui faire l'hommage d'une nouvelle
peste ?
Ce qui prouve la fausseté de la relation de Dias de
Jsla, et le ridicule de l'observation de M. Paw, qui
prétend que les Américains débarqués à Palos, faisaient
des hurle meus affreux , et se démenaient comme des
démoniaques; c'est que les relations des autres écrivains
disent positivement que Colomb , le 2 5 mars 1493, fut
iavué à se rendre à la Cour, pour y recevoir un hom-
g 6 SUR LA CONSTITUTION
mage public d'estime et de reconnaissance , que le
peuple se portait en foule sur les pas de cet homme
extraordinaire , et que , par l'ordre d'Isabelle , son entrée
dans la ville de Barcelone où la Cour se trouvait, se fit
avec tout l'appareil et toute la pompe d'un triomphateur ;
que Christophe présenta au roi et à la reine, des mon-
ceaux d'or et quelques Insulaires qui l'avaient suivi vo-
lontairement jet que le Gouvernement espagnol ordonna
d'équiper promptement une flotte , avec laquelle ce
héros pût aller à la recherche de nouvelles contrées.
Reçoit-on ainsi un homme qui amène des Démonia-
ques , couverts de frondes virulens, sales et dégoûtans,
et ordonne-t-on d'équiper une flotte pour s'en procurer
d'autres, et aller à la recherche d'un pays désert, cou-
vert de marécages mortels? Voilà comme une absurdité
avancée par un homme d'esprit , se propage , lorsqu'elle
flatte surtout des préjugés nationaux, qu'elle se consacre
avec le temps, et qu'il est ensuite si difficile , pour ne
pas dire impossible, de la déraciner particulièrement
de l'esprit de cette classe d'hommes , qui croient sans
plus d'examen , tout ce qu'un livre, bon ou mauvais,
peut contenir, et le répètent avec la même légèreté.
Pour ne point effaroucher la pudeur de mes lecteurs, je
m'abstiendrai de citer ici vingt-deux autorités qui ne
laissent aucun doute sur cette maladie. Il ne s'agit que
de voir ce qu'en disent Mojse{zjC)$ ans avant la décou-
verte de r Amérique ;
L'imprécation de David contre Joab-
Pallade, (Hist. Lausiaque, pag. 82 et 83 deMeursius,
Leyde 161 6, in-40.);
Les lettres de Pline le jeune;
Cehe? Martial \
DES PREMIERS AMERICAINS. 97
La Chronique de Misnie , citée dans les Commen-
taires de Leipsick , lors de l'invasion d'Attila ;
Gérard de Carmone (dont il y a quatre manuscrits,
deux dans la bibliothèque du Roi , deux dans celle de
Saint- Victor) , dans son Commentaire sur le Viatique
du savant moine Constantin;
Guy de Chauliac, Brunnus , Bertapalia , Hugo, Henri;
d" Hermondaville , sous Philippe Auguste , Arnaud de
Villeneuve. Les ouvrages manuscrits sont à la Biblio-
thèque du Roi ;
Guillaume , évêque de Paris , dans son second
supplément à son traité de la Pénitence ;
Hiéodoric , évêque de Servie , habile médecin ;
Delphini 5 la mort du roi Ladislas ; Pacijîcus Maximus
au dieu Priape ;
Le manuscrit de Rochouart , à la Bibliothèque des
Bénédictins ;
Turner; le poème latin imprimé en 1489, qui se
trouve dans la Bibliothèque Mazarine, {hoc genus morbi
commune Gallis et Iheris ) ;
Basile Valentin ( Chronique d'Erfori ) ;
Le docteur Sanchez;le médecin Fioraventi, auteur des
Caprices Médicinaux; Monconis , etc. ;
Enfin, la défense expresse que Henri III, roi d'An-
gleterre , et son conseil ont faite de ne pas laisser em-
barquer pour la Méditerranée quiconque était atteint
du mal vénérien , autrement dit napolitain. Henri III fut
couronné en 12 16, et mourut en 1272,, (c'est-à-dire,
deux-cent - vingt ans avant la découverte de l'Amé-
rique. )
L'illustre chancelier Bacon , rapporte qu'en 1494,
des marchands de vivres , ayant fait suler et encaquer de
Tome 2. 7
98 SUR LA CONSTITUTION
la chair humaine sur les côtes de la Mauritanie , vinrent
la vendre aux troupes françaises, persécutées par la disette
au blocus de Naples : que cette salaison les infecta de
cette même indiposition, qu'on a ensuite retrouvée chez
les Cannibales du Nouveau Monde.
Ce résultat paraît assez vraisemblable , si surtout l'on
veut se donner la peine d'examiner le poison redoutable
que les Africains tirent de la malignité des humeurs et
du sang humain, que les anciens Scythes méridionaux
mêlaient avec de la sanie de Vipère , pour occasionner une
mort plus prompte. Cependant je ferai observer, quoi
qu'en dise l'illustre chancelier Bacon, que les Cannibales
qui mangeaient de la chair humaine fraîchement tuée et
saignée, qui choisissaient les corps sains, comme nous
le faisons de la viande de boucherie, et qui la faisaient
rôtir, ne pouvaient pas être affectés de la même indis-
position que les troupes françaises et espagnoles, qui
s'étaient repues de cadavres; que ces soldats., d'ailleurs,
n'étaient pas accoutumés, comme les Antropophages , à
se nourrir de chair humaine fraîche; conséquemment ,
que les Cannibales ne pouvaient pas avoir éprouvé les
mêmes indispositions que ceux qui avaient dévoré des
charognes.
Les médecins du seizème siècle attribuaient le
mal vénérien aux causes qui avaient infecté l'armée
française, campée au royaume de Naples en 1494.
Cisalpin rapporte que cette contagion qu'on a nom-
mée ensuite mal de Naples, provient de la sanie de lé-
preux, que les Espagnols avaient mêlée dans du vin
grec; les troupes de Charles en avaient bu avidement,
lorsqu'ils prirent le poste que les Espagnols occupaient
dans la bourgade de Somma près du Vésuve.
DES PREMIERS AMÉRICAINS. çg
Fallope soutient que les Espagnols y avaient délayé
de la céruse.
Comme on le voit , ce mal était connu du temps de
Moïse , et les médecins eux-mêmes sont loin d'attribuer
la maladie vénérienne à l'Amérique , encore moins aux
sophismes insoutenables de M. Paw, qui , pour ne pas
démordre de ses principes erronés, ajoute d'après l'Es-
pagnol Zaràte , « que l'air de cette partie du Pérou , qui
« est la plus voisine de la ligne Equinoxiale , était sujet
« à donner des clous, qu'il appelle verrues ou frondes ,
« fort malins et fort dangereux. » Or, ces frondes ,
conclut très-ingénieusement M. Paw, n'étaient que les
effets du mal vénérien qui, au commencement de sa
transplantation en Europe , y produisit les mêmes symp-
tômes. Le lecteur, d après les diverses citations que je
lui ai soumises, voit clairement que la Chronologie n'est
pas du ressort du génie de Fauteur des Recherches sur les
Américains, qui croit, pour mieux prouver la justesse de
sa conclusion , devoir citer, page 1 84 du troisième volume ,
le passage suivant du poète Le Maire.
c Mais à la fin quand le venin fut meur,
« II leur naissait de gros boutons sans lleut
c Si très-hideulz, si laids et si énormes,
« Qu'on ne vit onc visages si difformes >
« IN'onc ne reçut si très-mortelle injure
« j\ature humaine en sa belle figure.
t Au front , au col, au menton et au nez
« Onc ne vit-on tant de gens boulonnez,
e £ie ne sceut onc lui bailler propre nom,
«r Nul médecin, tant eut-il de renom.
« L'ung la voulut sahafati nommer,
« En Arabie ; l'autre a pu estimer
« Qu'on la doit dire en latin mentagra
« Mais le commun , quand il la rencontra,
7*
lOO SUR LA CONSTITUTIOH
« La nommait gorre ou la v...I grosse
< Qui n'épargnait ne couronne, ne crosse
«
« Et dit-on plus qu<; la puissante armée
« Des forls Français à grant peine et souffrance
c En Naples , l'ont conquise et mise en France. »
( Voyez les Contes de Cupido et df^tropos. )
Quoi, parce que le flamand Le Maire s'est bien
gardé de dire, même dans cette facétie, que cette
maladie fût venue d'Amer. que, vous n'avez pas rougi
d'en imposer à l'Univers , en suppléaut au silence de ce
poète, par une calomnie aussi vile que méprisable;!
Parce que Le Maire affirme qu'en Arabie, les médecins
l'ont nommée sahafati, que le Latin l'appelle meniagra ,
et le vulgaire la grosse ou la V. .... grosse , qui n'épargne ,
ne couronne , ne crosse ; parce qu'il vous a plu de sup-
primer le vers suivant qui eut prouvé votre imposture ,
et que le dernier vers affirme d'une manière posiiive,
que les Français à Naples lotit conquise et mise en
France ; vous avez l'impudeur de conclure qu'elle vient
d'Amérique. Si un Américain était capable de raisonner
de la sorte , on pourrait peut-être vous excuser de taxer
le climat de lui déranger le cerveau; mais pour un
homme qui veut instruire les autres , cela ne s'appelle
nullement raisonner ad rem, pour prouver que cette ma-
ladie est née en Amérique, et qu'elle a été apportée
de là en Europe.
Tout le monde sait que cette maladie provient des
excès auxquels lés deux sexes se livrent, et surtout de la
mal-propreté et du genre de vie qu'on mène ; que les An»
ciensRomains étaient d'une débauche sans exemple, puis-
que Pline dit : « que les Hermaphrodites de son temps ,
DES PREMIERS AMERICAINS. 101
« étaient très-recherchés, et qu'on les comptait entre
«f les délices et les derniers raffineraens du luxe. Gig-
ue nuntur et utriuscfue sexus , auos Hermaphrodites
« vocamus , olini androgjnos vocatos et in prodigiis
« habitos , nunc vero in deliciis. » H st. nat. , lih. vu,
cap. ni. ) ; d'où l'on peut juger jusqu à quel point les
débauches les plus effrénées, après les règnes des
Tihères et des Nérons, avaient perverti les mœurs , en -
étouffant jusqu'aux derniers germes de la liberté, de la
pudeur, pour caresser des monstres, et satisfaire des
goûts bizarres et contre nature.
A cette perversité on peut ajouter qu'il existait
parmi les Romains, des délateurs, des espions, des
satellites , des empoisonneurs , des filles prostituées ,
des bourreaux et des flatteurs , qui disaient aux Nérons
et aux Caligulas, que tout allait bien. Chez les Améri-
cains, ces fléaux étaient et sont encore inconnus.
Quelle différence de ce temps à celui, cù le Patri-
cien Manilius fut chassé du sénat, pour avoir donné un
baiser à sa femme en présence de sa fille ! D'où vient
que cette sévérité n'existait plus du temps des Ti-
bères ? C'est que la débauche était alors à son comble ,
qu'on s'efforçait de rallumer les chastes feux d'une mère,
afiu de pouvoir eu inspirer d'impurs à sa fille ?
On n'ignore pas que les Romains restèrent maî-
tres de l'Espagne qu'ils avaient enlevée aux Carthagi-
nois, alors ploîigés dans les délices; qu'ils portèrent
leurs vices dans la Gaule , dans une partie de l'Alle-
magne et en Angleterre, où ils débutèrent par ravir
l'honneur aux filles de Boadicee , reine des Icéniens ^
Que les Maures , après leur conquête de l'Espagne
en yi3 (781 ans avant la découverte de l'Amérique).
102 SUR LA CONSTITUTION
ne respiraient que le libertinage, qu'ils se mêlèrent
avec les Espagnolettes, et les Espagnols avec les Mau-
resques ;
Que dans les Tribus germaniques , dont Tacite a
vanié la simplicité grossière , ces peuples demi-sauvages ,
épousaient leurs soeurs , les filles de leurs frères , leurs
belles-soeurs et souvent les veuves de leurs pères ;
Que Charlemagne , malgré ses Capitulaires, n"a jamais
pu adoucir les mœurs de sou peuple , à qui l'inceste
n'était pas étranger ;
Qu'en Angleterre avant et après l'arrivée des Romains ,
une douzaine d'amis mettaient leurs femmes en commun,
qu'ils prenaient sans tirer à conséquence , la première
qui se trouvait sous leur main; (que 996 ans avant la
découverte du Nouveau-Monde) , c'est-à-dire en 496,
après la conquête de l'Angleterre, par les Saxons, la
débauche y était si grande, que Melnas, petit roitelet
du Comté de Sommerset , enleva et ravit la femme
d Arthur., roi des Bretons; que Mordred, neveu de ce
malheureux prince , débaucha la troisième femme de son
oncle; que les rois Bretons, Edwy, Edgar, Ehteïred , ne
se faisaient point scrupule d'accaparer pour leurs plaisirs,
toutes les jolies filles de leurs sujets ; que les Religieuses
anglaises se prostituaient au premier venu ; que les
Danois et les Princes bretons les violaient jusques sur
les marches de l'autel; que les couverts étaient la plupart
de véritables pépinières de tous les vices ; que la dépra-
vation sous Henri III était telle, qu'elle eût fait rougir
tout autre individu qu'un ecclésiastique. (Voy. l'Hist.
Ecclés. de Collier, 1 vol in-folio, 464, 60.)
Pour bien juger des abus qui s'étaient introduits dans
les monastères , bien avant le douzième Siècle , il suite-
DES PREMIERS AMERICAINS. lo5
rait de lire dans la vie de l'abbé Suger , les détails de la
licence à laquelle s'abandonnaient les religieux de Saint-
Denis , dont ce grand homme ne pensa à entreprendre
la réforme qu'après avoir long-temps , lui-même , auto-
risé en quelque sorte leurs désordres , au moins par
l'exemple du faste , par celui d'une vie indépendante et
toute guerrière ;
Qu'un désordre à-peu-près semblable régnait dans
toute l'Europe; que les Croisades, au onzième siècle , rie
firent qu'augmenter la corruption des mœurs ; que ce
dérèglement, bien avant la découverte du Nouveau-
Monde, était porté à son comble par l'esprit romanesque
de la Chevalerie ;
Qu'en octobre 1255 ( 237 ans avant la découverte
de l'Amérique ) les Espagnols introduisirent en Angle-
terre, des vices et des maladies jusqu'alors inconnus à
ce pays: ce qui força Henri III., et son conseil, à prendre
les mesures dont nous avons parlé plus haut;
Que plus incontinens que les Américains qui s'étaient
fait une loi de ne pas approcher les femmes affectées de
leur indisposition menstruelle, puisque celles-ci quittent
la cabane dans leurs flux périodiques, apprêtent elles-
mêmes leur boire , leur manger, et ne reviennent parmi
les hommes, qu'après s'être bien purifiées, les Européens
bravaient , et bravent encore le contact dangereux du
flux, même celui des filles publiques , qu'on a été obligé
de tout temps de tolérer en Europe , et , par conséquent ,
que le mal vénérien ne pouvait pas être étranger à
l'Europe , puisqu'il n'est que le résultat de la débauche,
des excès , de la malpropreté y et du genre de vie que
l'on mène.
loi SUR LA CONSTITUTION
Les Européens, loin de redouter l'indisposition mens-
truelle desiemmes , l'ont célébrée par ces vers :
« Vous n'êtes pas propre aux combats
«r Puisqu'un peu de sang vous étonne ;
« Il faut de plus vaillans soldats
« A Vénus ainsi qu'à Bellone :
« Qu'attendre de votre valeur,
r Monsieur, dans les grandes affaires,
c Si manquant de force et de cœur ,
« Vous craignez tant' les ordinaires? etc.
Cela ne pouvait pas être le cas des Américains , qui
n'avaient eu de rapport avec aucun peuple étranger, pas
même avec leurs plus proches voisins, les habitans du
Kanischatka, puisque le capitaine russe Tschirikow, qui
avait embarqué deux Kamscbatkades pour l'interpréter
auprès des habitans de celte partie de l'Amérique, qui
est la plus voisine de l'Asie, courut en 1741 , pendant
000 lieues , le long des côtes de la Californie, sans pou-
voir se faire comprendre des Américains.
Les habitans du Nouvea:i - Monde ignoraient ces
moyens honteux d'empêcher la naissance des hommes ,
de tromper la nature, soit par ces goûts brutaux et
dépravés, qui insultent son plus charmant ouvrage ;
soit par ces avortemens secrets ■_, dignes fruits de la
débauche et de l'honneur vicieux ; soit par l'exposi-
tion ou le meurtre d'une multitude d'enfaus , victimes
de la misère de leurs parens, ou de la honte barbare de
leurs mères. Ils n'ont jamais connu ces goûts mons-
trueux, qui ne sont nés, dans les pays policés, que dune
imagination corrompue ; aussi ne leur a-t-on jamais ap-
pliqué ce sonnet sur l'avorton :
« Toi que l'amour fit par un crime ,
« Que l'honneur détruit par un crime à son tour ?
DES PREMIERS AMERICAINS. JOv>
e Funeste ouvrage de l'amour,
« De l'honneur funeste victime
<x Deux Tyrans opposés ont décidé ton sort :
« L'amour, malgré l'honneur, te fit donner la vie;
« L'honneur, malgré l'amour, te fait donner la mort
La maladie vénérienne ne pouvait pas être endé-
mique chez ces peuples, ni exister dans leur sang, avec
les symptômes et les effets effrayans qu'il lui a plu de
supposer, puisque lui-même , page 161 du 3.e volume
de son ouvrage , dit: « On ne saurait disconvenir que
k les Autmons , les Jongleurs , les Javas , les Boy es , les
« Alexis et les Piais, qui sont les médecins des sauvages
« 'du Nouveau-Monde , connaissaient des simples, et
« surtout des vulnéraires et des sudorifiques , qu'ils
c< employaient contre le mal vénérien. »
Comment se fait-il , qu'étant informé de cette parti-
cularité 7 il ait eu l'effronterie d'assurer au public, p. 33
du Ier. volume: « Que les Américains avaient peu d'in-
« clination et peu de chaleur pour le sexe ; que l'amour
« exerçait à peine sur eux la moitié de sa puissance ;
ce qu'ils ne connaissaient ni les tourmens, ni les dou-
ce ceurs de cette passion, parce que la plus ardente et la
ce plus précieuse étincelle du feu de la nature s'éteî-
ce gnait dans leur âme tiède et flegmatique. »
Quand on lit ces deux assertions , on est tenté de de-
mander si M. Paw a cru faire de l'esprit , en entassant
périodes sur périodes, sans examiner si elles étaient
marquées au coin du bon sens. Qui s'attendrait, d'après
lo3 SUR LA CONSTITUTION
cette affirmation, le voir écrire, pag. 56 du Ier. vol.
« Il est avéré que tous les Indiens sont polygames , si
« Ton en excepte quelques hordes particulières, qui ne
« tirent pas à conséquence pour la totalité. On pourrait
« croire que cette polygamie dépose contre ce que nous
« avons dit de la tiédeur de leur tempérament ; mais
« c'en est, au contraire , une preuve de plus ; dès qu'une
« femme avait eu un enfant , ils en étaient dégoûtés, et
« ne communiquaient plus avec elle de deux ou trois
« ans ; dans cet intervalle, ils cherchaient une autre
« épouse. »
Soyez-donc conséquent , avec vous-même , car enfin ,
si les Américains étaient polygames, s'ils se dégoû-
taient, pour deux ou trois ans, d'une femme qui avait
eu un enfant , pour prendre une nouvelle épouse ; l'a-
mour exerçait donc sur eux toute sa puissance, puisqu'ils
ne pouvaient pas se passer de femmes ? et le feu de la
nature, loin de s'affaiblir chez ces peuples , les poussait
donc à rechercher des vierges par préférence, afin d'of-
frir plus de résistance à leur lubricité? De plus, cet
intervalle qu'ils accordaient aux femmes nouvellement
accouchées, leur donnait le temps de se remettre des
fatigues de leurs couches, et de l'allaitement de leurs
enfans , qui n'en devaient être que mieux constitués par
cette abstinence salutaire.
L'auteur s'est-il imaginé persuader à ses lecteurs ,
que les Africains, les Turcs et les Asiatiques, ne sont
polygames que parce que laur constitution est défec-
tueuse, et pèche foncièrement par faiblesse ? Quelle
que soit son idée, tout être raisonnable, sans égard
pour son opinion, dira que cette polygamie chez les
Américains annonce 3 comme celle des Turcs , la force
DES *P HE MI EUS AMERICAINS. IO7
et non la tiédeur du tempérament ; et que l'offre que
les Lapons font de leurs femmes au premier venu qui se
présente devant leurs huttes , est au contraire une preuve
de la tiédeur, de la faiblesse de leur tempérament,
et du peu de pouvoir que l'amour exerce sur les cœurs
glacés de ces peuples.
Malgré la déférence et l'estime que j'ai pour M. Ray-
nal, je ne puis m'empêcher de le soupçonner de s'être
laissé préoccuper par un système auquel bien des per-
sonnes ont sacrifié la vérité. Cet auteur dit, pages 73 et
suivantes , qu'il se fait une loi de suivre à la lettre Ja
relation d'Améric Vespuce, lèmoin oculaire et exact:
ainsi , pour prouver la faiblesse de la constitution natu-
relle de Américains indigènes , il rapporte : ce Que les
« femmes remédiaient au défaut de l'organe des hommes,
» en leur oignant la V. . . . avec des drogues et des in-
» sectes caustiques, jusqu'à la faire enfler prodigieuse-
y> ment , de manière à les mettre en état d'exécuter les
» fonctions viriles. » Il cite en note , les paroles de la
relation imprimée en latin à Strasbourg en i5o5 ; et en
prend occasion pour décrier le recueil de Ramusio , en
disant qu'il est fait sans goût et sans exactitude; parce
.qu'il est dit dans la relation de Vespuce , qui y est im-
primée , que les femmes produisaient cet effet, moyen-
dant un breuvage. Il ajoute donc que celui qui a traduit
l'original de Vespuce en italien, a mal entendu le texte de
V auteur , et V a falsifié autant qu'il a pu.
Qui croirait, comme l'a dit le comte J. R. Carli, que
tout cela n'est qu'une falsification , non du traducteur ,
mais de M. Paw lui-même. D'abord, dit-il, la rela-
tion latine nlest pas l'original; c'est au contraire le texte
italien qu'il prend pour une traduction. Le traducteur
IC>8 SUn U CONSTITUTION
latin était un nommé Joconde y peut-être même un Mo-
rentin. « Fx itallcâ in linguam latinam Jocundus interpres
hanc epistolam ver fit. » Cette relation a donc été impri-
mée par Ramusio dans son vol. i. , pag, 141, folio verso,
comme adressée à Pierre Soderini, gonfalonier ; mais
l'abbé Baldini , en la publiant de nouveau dans' l'ou-
vrage intitulé : Fie et lettres d'Améric ^espace, l'adonnée
comme adressée à Laurent, fils de Pierre-François de
Méd cis.
Or, on lit , tant dans l'édition de Ramusio , que dans
celle de Baldini , et très-clairement: « Que les femmes
» donnent à boire aux hommes , le jus dune certaine
» herbe, et si cela n'aide point, elles appliquent à la
» parlie certains animaux venimeux, qui la mordent
» jusqu'à ce qu elle se gonfle. » C'est donc dans 1 ita-
lien me [ne , qu'il est fait mention des insectes stimu-
lans , et non pas du breuvage. L infidélité devrait re-
tomber sur le texte latin, si l'on y avait omis le breuvage ,
comme première tentative ; mais on n'y a pas commis
cette erreur : car il y est suffisamment indiqué par une
distinction frappante. « Et hoc auodam earum artificio
« et mordicaiione quorumdam animalium , c'est-à-dire,
» et ceci par un de leurs artifices, et par lamorsure de
» quelques animaux. » Or, qu'indique cet artifice , sinon
ce que dit le texte italien du breuvage ? L'erreur re-
tombe donc entièrement sur M. Paw, qui n'entendit
pas le texte Italien , ou le lut trop vite , sans faire atten-
tion aux animaux venimeux, ou ne réfléchit pas sur ce
que la traduction latine indiquait par cet artifice.
Voilà comment Raynal, d'après une erreur qui n'est
que la sienne , ou celle de la source altérée où il a puisé ,
décide , sans connaissance de cause , d'un recueil le plus
DES PREMIERSÀMERÏCÀINS. 10£
précieux de tous, tant par le choix des relations et des
pièces originales , que par les observa ions savantes qu'y
a jointes ce célèbre éditeur; mais ce n'est qu'un échan-
tillon des nombreuses méprises de l'auteur des Recher-
ches sur les Américains ; on en verra de plus graves encore.
Quoiqu'il en soit, j'observerai que cettj faiblesse des
hommes n'est assurément pas une preuve d'organisa-
tion généralement dégénérée parmi ces Indiens, mais
celle d'un abus énorme de leurs facultés naturelles. Ne
voit-on pas la plupart des jeunes gens à Paris, épuisés
et vieux à lâge de treute à trente-huit ans, quoique nés
en province, de parens robustes? Tout homme sensé ne
l'attribuera qu'au libertinage excessif de ces femmes
bibliques , qui ont perdu toute pudeur. Voilà la cause
de cette faiblesse des Indiens et de la jeunesse de Paris,
ou de toute autre capitale de l'Europe, doiit beaucoup
n'aurait que trop besoin des ressources qu'on trouvera
dans Thécphraste. (T.)
Ce que les Jésuites ent raconté de la façon dont les
jeunes Américains faisaient l'amour aux filles qu'ils
voula'ent épouser, contredit le rêve systématique de
M. Paw , sur la dégénération des parties animales et des
facultés morales et physiques des Américains ; ainsi que
le conte ridicule d'Améric Vespuce, qui rappelé : « Que
« dans plusieurs endroits, où toute une peuplade logeait
« dans une vaste cabane, les vieillards ne finissaient pas
« d'y prêcher matin et soir, qu'il fallait plus aimer
« les femmes qu'on ne les aimait »
La maladie vénérienne , chez les Américains , ne
pouvait pas non plus provenir de la mal-propreté , des
excès du jeu, de la table , des spectacles ou autres plai-
sirs , puisqu'ils se baignaient plusieurs fois le jour ; qu'ils
1IO SFR LA CONSTITUTION
vivaient d'une manière si frugale , que la subsistance
de six Indiens suffisait à peine à un Espagnol , qui est le
peuple le plus sobre de l'Europe , et qu'il ne faisait pas
du jour la nuit. Les deux sexes habitués aux mêmes
exercices , montaient et montent encore, avec une égale
rapidité, sur les arbres, traversent les fleuves à la nage
en prenant leurs enfans sur leur dos. Ils étaient légers et
agiles à la course ( comme M. Paw l'avoue, pag. 3i
du premier vol.) , par conséqu^ nt, doués de la force vive
et physique, qui résulte de l'attention et de la résistance
des muscles et des nerfs.
M. Grasset-St.-Sauveur , dans ses tableaux cosmographi-
ques de l'Amérique dit, que la nation des Sauteurs atteint
les cerfs àla course, et qu'avec un petit canot d'écorce, ils
s'amusent a se précipiter du haut des chetus du Niagara ,
dans les bouillons des cascades.
Sur les bords de la Plata, dans le Tucuman, l'agilité
des Indiens est si étonnante , qu'ils défient les chevaux
à la course. Le brigadier D. Juan Mendiburn , gouver-
neur du Guayaquil, dans le rapport qu'il a envoyé au
Roi d'Espagne en 1817, dit : « Que les peuples de la
« vallée de Logrono , sont très-forts , d'une belle taille,
« très-agiles, doux et affables ; qu'armés d'une pique de
« bois sans fer , et de flèches, ils font sans cesse la guerre
« aux bêtes féroces, dont leur pays est rempli , et que
« leur adresse à manier des canots , est -incroyable. Ils
« ont adopté le costume et la religion des Espagnols. Ce-
« pendant, ils portent des casques de fils tissus, surmon-
te tés d'un panache de plumes de diverses couleurs, au-
« quel pendent derrière des chapelets de graines, et
« de petits fruits du pays. »
M. Bossu ( Nouv. voyage aux Jnd. Occident.) dit:
DES PREMIERS AMERICAINS. 111
Les Chactas sont si alertes , que j'en ai vu courir avec
autant de vitesse qu'un cerf.
M. Humboldt (dans sonvoy. aux Rég. équin. du Nou-
veau-Continent), en parlant des Guayqueries qui appar-
tenaient autrefois à la nation des Guaraotuios , que l'on
ne trouve plus que dans les marais compris entre les
bras de l'Orénoque , s'exprime ainsi : « Lorsque nous
« fûmes assez proches des pirogues , il y avait dans
« chacune dix-huit Indiens Guayqueries , nus jusqu'à
«. la ceinture , et d'une taille très-élancée. Leur consti-
* union annonçait une grande force musculaire , et la
« couleur de leur peau tenait le milieu entre le brun et
« le rouge cuivré. A les voir de loin , immobiles dans
« leur pose, et projettes sur l'horizon, on les au-
« rait pris pour des statues de bronze. Cet aspect nous
« frappa d'autant plus, qu'ils ne répondaient pas aux
« idées que nous nous étions formées, d'après le récit de
« quelques voyageurs , des traits caractéristiques et
« l'extrême faiblesse des naturels. Nous apprîmes dans
« la suite , et sans franchir les limites de la province
« de Cumana, combien la physionomie des Guayqua-
« ries contraste avec celle des Chaymas et des Caraïbes j
« ils appartiennent à cette tribu d'Indiens civilisés, qui
« habitent les côtes de la Marguerite , et les faubourgs
« de Cumana. Après les Caraïbes de la Guiane espa-
ce gnole , c'est la race d'homme la plus belle de laTerre-
« Eerme. » Tels sont, cependant, ces hommes que
M. Paw nous représente comme des spectres ambulans.
Si la nature était, en Amérique, aussi dégradée qu'il
l'a prétendu , au point que les Créoles et les Euro-
péens s'y affaiblissent tous, on n'y verrait pas nombre
de vieillards aussi âgés qu'en Europe. Voyez ce que j'en
ai dit au Ier. vol., traitant de la température.
112 SUR LA CONSTITUTIONS
Les Romains appelaient la maladie vénérienne Veneris
furor; en effet ces expressions, de fureur de Vénus ;
rigueurs insupportables de Cypris ; vengeance , châtiment
de la déesse de Cythère ; douleurs aiguës ; feux dévorans
de l'amour ; poison subtil et destructeur ; fatal présent
de la colère des Dieux, étaient autant de manières dé-
centes d'exprimer un mal honteux, auquel les modernes
ont donné un nom grossier.
M. Hume, un des premiers historiens de l'Angleterre,
ayant observé , « qu'il trouvait surprenant qu'on repré-
« sentât l'Amérique comme un pays aussi mal sain ,
« aussi contagieux et aussi mortel ; puisque les petites
« armées espagnoles , qui soumirent et dévastèrent
« ces grandes régions, n'avaient eu presque rien à
« souffrir. » M. Paw répond que M. Hume se trompe ,
faute de s'être instruit dans les Historiens de ce temps-là;
et pour prouver ce qu'il avance , il cite Zarate , qui dit:
« Que les troupes , commandées par les frères Pizarre ,
« fuient attaquées de clous , et que tout malades qu'ils
« étaient, Pizarre les fit résoudre à partir. * Puis il
ajoute : « Que Cortez serait mort de la maladie véné-
« rienne , si les Mexicains ne l'avaient pas guéri ; que
« Ferdinand Soto expira dans la Floride , mais que son
« armée en réchappa , grâces aux remèdes des Sauvages ;
« et que de tous les pelotons de Gonsalve à peine en
« échappa-t-il dix hommes. » C'est ainsi que cet écri-
vain prétend avoir victorieusement réfuté M. Hume !
On est étonné de la hardiesse de M. Paw qui , écri-
vant au fond d'une province d'Allemagne , deux cent
quarante ans après les témoins oculaires , nie tout ?
sans avoir jamais été en Amérique. On n'a jamais vu
que des clous à la figure , aux bras ou aux cuisses, em-
DES PREMIERS AMERICAINS. Il3
péchassent de marcher, lorsqu'ils ne se trouvent pas
dans les jointures , ou dans les articulations : c'était une
incommodité passagère, que Pizarre et ses soldats regar-
dèrent comme une bagatelle , puisqu'ils se mirent en
route malgré cette irruption d'humeurs , qui , comme on
le sait , évite des maladies , lorsqu'elle aboutit heureuse-
ment , et qu'elle n'est pas représentée. Quant à la
guérison de Cortez et de l'armée de Soto , ou c est une
fabrication de M. Paw , ou il en a imposé au public ,
lorsqu'il a dit , page 45 du premier vol. : « que les
a Américains les plus sains , en apparence , ne laissaient
« pas de communiquer aux Européens une espèce de
« virus qui , à la longue , pervertissait la qualité du
« sang; et la page d'avant : que les Américains, avec
« la salsepareille, le gayac et la lobelia, pouvaient aisé-
* ment empêcher le mal endémique' et national , de
« dégénérer en excès ; et qu'ils mâchaient continuelle-
« ment du coca et du caamini , pour les délivrer d'une
« quantité d'humeurs malignes ; » car si les Mexicains
avaient pu guérir Cortez , et les Florides l'armée de
Soto , alors ils devaient se guérir des infirmités cpie
l'auteur leur a prodiguées avec si peu de vraisemblance
sans être obligés de mâcher éternellement du coca et du
caamini , pour se délivrer d'une cpiantité d'humeurs
malignes ; ni de se ficher du tabac dans le nez , dans la
bouche , pour provoquer l'écoulement pituitaire.
M. l'abbé de la Porte , loin d'accuser l'air du Pérou
d'être nuisible à la constitution , dit : « Les femmes de
» Lima ont la peau d'une blancheur éclatante , les yeux
« vifs, le teint délicat , animé, plein de fraîcheur et
« de vie ; une taille légère et bien prise, qui semble se
« jeter dans les bras de l'amour; des cheveux noirs ,
tome 2. 8
H^ SUR LA CONSTITUTION
« épais, qui leur descendent jusqu'au-dessous de la
« ceinture ; à des jambes fines et bien dessinées , se
« joint un pied d'une petitesse extrême. » En parlant
du Brésil , il s'exprime ainsi : « Enfin , parmi les habi-
te tans , on ne voit que des hommes bien faits , adroits
« et pleins de génie , dans les choses du moins qui leur
« sont utiles. » Cette description ne s'accorde pas
avec la constitution dégradée , qu'on a imaginé de don-
ner aux Américains.
Si, comme M. Calme et plusieurs autres observateurs
l'ont rapporté , « on n'a jamais trouvé de Sauvage qui
« n'ait été radicalement guéri du virus le plus invé-
« téré, » comment n'a-t-il pas craint de voir mettre en
évidence son imposture , lorsqu'on s'est permis d'avan-
cer: « Oue les Américains communiquaient aux Euro-
« péens un virus qui pervertissait , à la longue , la qua-
« lité du sang ; » et si Ton n'est parvenu , que vers
l'an 1750, à apprendre des habitans de l'Amérique,
différens secrets qu'ils avaient tenus long-temps cachés,
pour guérir le mal vénérien , ils ne pouvaient donc pas
être aussi affligés d'autant de maux, ni être aussi in-
firmes , aussi indifférens aux plaisirs , à la peine , aussi
stupides et aussi passifs, que Fauteur des Recherches
sur les Américains les a dépeints ?
Pour comble de gaucherie , cet auteur , page 161 du
troisième vol. , confesse ingénument : « qu'on n'a pas
« trouvé une seule peuplade en Amérique, qui n'eut
« des médecins : ce qui est fort singulier , dit-il , car
« on s'imagine ordinairement que chaque Sauvage sait
« se guérir lui-même , comme les Hottentots. »
Je ne vois pas qu'il soit singulier que des peuples par-
venus à une certaine civilisation , aient des médecins ;
DES PREMIERS AMERICAINS. 11 5
qui plus est , en les « supposant sauvages , ce serait
convenir que les Sauvages l'emportent , sur ce point ,
sur les peuples civilisés , puisqu'ils pourraient se guériF
eux-mêmes ; tandis que les nations éclairées sont ré-
duites à s'en rapporter, pour la guérison , aux lumières
de quelques individus.
Tout autre que M. Paw n'eut point , je crds , trouvé
étonnant que Soto et les faibles détacliemens de Gon-
zalve qui se battaient journellement contre les Indiens
occidentaux, et qui avaient constamment à lutter contre
l'intempérie du climat, les privations, et des souffrances
sans nombre , aient succombé , pour la majeure partie ?
sous les flèches empoisonnées des Indiens , sous le
poids des fatigues, des privations et des exhalaisons
malsaines des marécages qu'ils étaient parfois obligés de
traverser. Toutes ces considérations , comme on le voit ,
sont cependant trop au-dessous de la prévoyance de cet
écrivain , pour l'empêcher de ne pas trouver extraor-
dinaire que Gonsalve ait perdu quelques centaines d'hom-
mes , en faisant la guerre dans un pays que lui-même a
représenté comme le plus malsain du globe; et que
M. Hume se soit permis de dire que les petites armées
espagnoles n'avaient eu presque rien à souffrir, tandis
qu'elles avaient eu des clous qui ne les avaient cependant
pas empêchés de marcher, et des maladies qui n'avaient
ni retardé, ni empêché la conquête du Pérou, du
mexique , de la Floride , etc.
N'est- il pas plaisant de lui entendre , page 101 du
premier vol. , supposer que , « les Américains venaient
« seulement de descendre des rochers et des élévations,
« où ils s'étaient réfugiés , comme des Deucalions,
« dans des plaines remplies de vases, qui avaient re-
Il6 SUR LA CONSTITUTION
« refroidi la chaleur de leur tempérament , diminué
« incroyablement leur population , dépilé et énervé
« leur corps , et occasionné la maladie qui anéantissait
« chez eux toutes leurs facultés morales et physiques. »
D'après cette hypothèse , les Hollandais et les Véni-
tiens, qui ont toujours habité des marais, auraient dû.
éprouver les mêmes effets , ou d'autres à peu près sem-
blables; les Espagnols n'auraient pas dû trouver des
routes pour voyager commodément; ni les villes, les
bourgs , les richesses et les armées qu'ils ont rencontrées
dans les empires du Pérou , du Mexique , dans la Flo-
ride ; mais bien une mort inévitable, au milieu de ces
vases mal saines , fourmillant de reptiles dangereux , et
occasionnant des maladies mortelles.
Je rappelerai à M. Paw que Colomb , dans sa lettre,
dit au contraire, que c'étaient des terres saines et fer-
tiles , qui s'étendent au-delà de tout ce que l'imagina-
tion peut se figurer , ou que l'avarice peut convoiter ;
et non pas un climat qui avait fait dégénérer les ani-
maux , qui avait abruti et vicié les hommes , dans
toutes les parties de leur organisme d'une façon éton-
nante. Les descriptions de Cortez , de Pizarre et des
autres conquérans , s'accordent toutes à vanter les
richesses et les merveilles qu'ils ont trouvées dans ce
vaste pays. Si la maladie vénérienne eût exercé des
ravages aussi affreux que ceux dont parle cet écrivain ,
Colomb et ses gens eussent été affectés ; Christophe
n'eut pas manqué d'en faire mention dans la lettre qu'il
écrivait, de la Jamaïque en 1504, au roi Ferdinand,
pour rendre encore plus déplorable la triste situation
dans laquelle il se trouvait.
Cet auteur , qui ne manque pas d'expédiens , bons ou
DES PREMIERS AMERICAINS. l\j
mauvais pour colorer ses hyperboles, nous eût tirés d'un
grand embarras . s'il nous eût démontré les ressources
que les cent cinquante millions de Deucalions avaient
trouvées , pour subsister dans les rochers pendant le
déluge de leur pays ; à moins qu il ne suppose que cela
se soit fait par enchantement ; pour dédommager ces
Américains imberbes , dont le défaut de poil sur la
surface de l'épiderme et des parties génitales , était
cause de la défaillance et de l'altération de ces mêmes
parties , de la petitesse de Voigane et de la longueur du
scrotum, et les rendait incapables de rien faire, pas même
d'avoir des villes; quoique les Espagnols avouent qu'ils
trouvèrent chez ces Américains des lois, des villes con-
sidérables, des édifices remarquables , et des temples ma-
gnifiques, dont M. Humboldt a admiré l'architecture
en 1 80 1 . Certes , l'établissement de ces villes , de ces mo-
numens , a dû prouver l'antiquité des connaissances de
ces peuples , condamnés par M. Paw, à une éternelle
stup.'ditée, et leur réunion en société et les ressources
qu'ils tiraient de leur sol et de leur intelligence , démen-
tent la prétendue descente de ces Deucalions.
Mais s'il est avéré, M. Paw, que les Américains se
sont retirés dans les montagnes, pendant le déluge de leur
pays , il est vraisemblable que leurs troupeaux et une
partie des animaux de la première grandeur y ont
trouvé le moyen de s'y garantir des eaux , sans qu'il
soit nécessaire ponr cela , « de faire grimper aux élé-
« phans , le montChimboraço, ni les pointes de rochers
« nuds et incultes ; » puisqu'il existe en Amérique beau-
coup d'élévations convexes, telles que les Andes, qui,
par une pente insensible à l'est , se convertissent en une
plaine de plusieurs centaines de lieues ; les Apalaches
ou Alleganjs , qui ont assez de surface pour fournir à
Il8 SUR LA CONSTITUTION
leur nourriture , et assez de hauteur pour les mettre
au-dessus de la plus forte inondation que notre planète
puisse éprouver. Le grand nombre d'ossemens de ces
animaux qu'on a déterrés le long de l'Oh'o et dans tout
le nord de l'Amérique septentrionale , confirme cette
assertion , et donne lieu de présumer que c'est le grand
froid de ces hauteurs qui les a détruits , et non pas l'eau
et le manque de nourriture.
Quoiqu'il semble extraordinaire à M. Paw de voir
les éléphans grimper sur les montagnes ; cependant cet
auteur me permettra de lui dire , qu'à Daca dans lTn-
dostan , on se sert de ces animaux pour aller chasser les
bêtes féroces dans les montagnes ; qu'au Bengal , les
Anglais employent les éléphans dans leurs armées ,
surtout pour dégager leurs canons des bourbiers ; dans
ce cas-là, l'animal saisit la pièce avec sa trompe, la
soulève ; et jette au même instant un cri perçant, qui
effraie les bœufs de traits et les excite à donner un coup
de collier pour la sortir du bourbier. Si l'éléphant s'aper-
çoit que l'un d'eux n'a pas fait sjn devoir , il laisse re-
tomber le canon , et va châtier avec sa trompe le bœuf
coupable. Dans l'Inde on s'en sert pour exécuter les
criminels ; sitôt que le coupable leur est remis , ils le
renversent par terre ? et le foulent sous leurs pieds. La
sagacité de l'éléphant est telle , qu'il reconnaît les ser-
vices cp'on lui rend ( témoin l'aventure du sold at de
Pondichéri , cju'un de ces animaux empêcha de fusil-
ler ) , comme il sait punir ceux erui osent se jouer de
lui ( témoin l'aventure du tailleur de cette même ville ,
qui s'étant amusé à piquer avec son aiguille la trompe
d'un éléphant em'il avait coutume de caresser devant sa
boutique, fut inondé de boue par cet animal 3 à son
DES PREMIERS A M ÉRIC A IN S. HC|
retour de la rivière). Mais revenons à la constitution des
premiers Américains.
N'en déplaise à M. Paw , la maladie vénérienne est
née en Europe , comme sa cruelle sœur la petite vérole.
Les Espagnols qui la possédaient de temps immémo-
rial, soit qu'ils l'eussent reçue des Romains , soit qu'elle
fût provenue de leur mélange avec les Maures , peuples
non moins libertins que les anciens Romains, l'ont
apportée en Amérique, où l'air salin de la traversée , la
mauvaise nourriture du passage , l'air mal sain des
entre-ponts , l'eau corrompue , la chaleur du pays où
ils débarquèrent , et les excès en tout genre de ces san-
guinaires usurpateurs , peuvent lui avoir donné une
nouvelle activité. C'est ainsi que les Européens l'ont
propagée dans divers cantons de l'Asie, et dans quel-
ques îles de la mer Pacifique.
Si cette maladie eut existé dans le Nouveau-Monde
avec cette contagion et cette force destructive que
M. Paw a inventées ; si les chiens que les Espagnols
avaient lâchés dans quelques cantons , l'attrapaient bien-
tôt , et si ceux qui mangeaient les Indiens dont la
chair , suivant lui , n'était qu'un vrai levain vario-
lique , étaient attaqués de ce mal vénérien ; ces ani-
maux auraient dû perdre de leur force , de leur rage ;
n'être plus aussi alertes à poursuivre les Indiens à la
piste, et à les harceler jour et nuit. Au lieu d'éprouver
cette altération, cette espèce de chiens conserve encore
jusqu'à ce jour le même goût pour la chair des Indiens .
et les dogues de ces Indiens, la même antipathie contre
les Espagnols.
S'il suffisait de séjourner dans leur pays, pour gagner
la goutte sereine, et le mal vénérien , même sans cou-
120 SUR LA CONSTITUTION
tact ; les Espagnols , dont le . sang était plus riche que
celui de ces Américains, n'aurait-il pas dû offrir plus de
prise à la fureur de ces deux fléaux, que le sang appau-
vri des naturels ? Ces conquérans et leurs successeurs
n'auraient pu, ni dû trouver à massacrer de vingt h trente
millions d'individus, tant dans les Antilles que sur toute
la surface du Nouveau-Monde.
Si Ton ajoute à ce nombre des millions d'autres In-
diens, que leurs guerres particulières, les maladies , les
infirmités de la vieillesse , et les sacrifices des idoles
enlevaient; si l'on y joint les ravages de la petite vérole,
dont Terrebio assure que , « d'après les rapports qui
k furent faits à Cortez , il mourut dans l'empire du
« Mexique trois millions cinq cent mille Mexicains ; que
« peu de temps après , il périt huit cent mille Indiens
« par les nouvelles infections varioliques , qui furent
« apportées d'Europe , qui continua de communiquer
« ces fléaux à l'Amérique , à des intervalles de vingt à
« trente ans , on d'un nombre d'années moins considé-
« râbles ; que la contagion s'étendit de la Fera Cruz
« jusqu'aux extrémités les plus reculées, répandant la
« terreur, la mort et la désolation sur tout ce conti-
k nent ; que cette perte , il y a trente ans, dit le même
« auteur, emporta encore dix mille Indiens dans les
k villes de Mexico et de Puebla.
« Qu'environ cinquante ans après l'invasion du Pérou,
« (en i58o), l'Europe infesta ce pays avec la petite
« vérole; qu'elle enleva 100.000 Indiens dans la seule
k province de Quito. ( M. de la Condamine a trouvé ce
« rapport dans un ancien manuscrit , que l'on conserve
« dans la cathédrale de cette ville ), que la petite vérole
« ne fit pas imxiisde dégâts dans les é tab lisse mens por-
DES PREMIERS AMERICAINS. 121
« iugaîs , et le long au fleuve des Amazones ; que dans
« le royaume de Léon , où les Espagnols avaient peine
« à résister aux attaques que les Indiens faisaient sur
« leurs villes ; la petite vérole a presque détruit tous les
« naturels de la campagne, ainsi que ceux qui habitaient
k Monterrej , capitale du nouveau royaume de Léon 5
« qu'à l'instar des chênes àllulus à Troyes , qui ombra-
« geaient les tombeaux , on voyait , il y a environ cin-
« quante ans, sous les vieux chênes des plaines , des
« monceaux d'ossemens d'Indiens, comme autant de
« trophées de ce fléau destructeux ; que dans le nord
« de V Amérique septentrionale , la petite vérole étendit
« ses ravages comme le feu dans l'herbe sèche ; que des
« tribus entières disparurent parmi les Esquimaux, les
« Indiens de la côte de Labrador ; que dans les Antilles
« elle ne fit pas moins de dégâts 5 que l'île de Cuba, lors
« de la première apparu tion de ce fléau, perdit soixante
« mille âmes , et Saint-Domingue le double de ce nom-
« bre. » On n'aura pas de peine à s'apercevoir alors
combien la description que M. Paw a faite de l'Amé-
rique et de ses naturels , est fausse et erronée , puisque
les principes de la dégéuération , dans les deux sexes ,
eussent été trop viciés par le mal vénérien , pour résister
aux ravages de cette maladie , à ceux du climat , à l'a-
nimosité des peuplades acharnées à leur destruction mu-
tuelle, et pour permettre aux Américains de se procréer,
au point de suffire , et au-delà , à toutes ces pertes.
Il est aussi ridicule de supposer que les sels les plus
subtils de Vhumus , et la grande humidité de l'atmos-
phère du Nouveau-monde , ont produit le mal vénérien
chez les Américains , que de soutenir que les Vénitiens ,
mais principalement les Hollandais, doivent tous l'avoir ,
122 SUR LA CONSTITUTION
parce qu'ils sont établis dans un pays marécageux , et
qu'ils s'entourent d'eaux plus ou moins stagnantes dans
tous les endroits où ils se fixent 5 que de prétendre comme
il Va dit, p. 199 du troisième vol. , « qu'on a été long-
» temps avant de savoir discerner les eaux dont on
» pouvait boire, d'avec celles dont il fallait s'abstenir; et
» que les Européens qui arrivaient nouvellement en
» Amérique , devaient là-dessus se faire instruire par
» les personnes qui avaient déjà fréquenté le pavs depuis
» quelque temps , et qu'on nommait alors Vétérans. »
Il ne peut y avoir qu'un bomme aussi peu versé dans
la Géographie , qui puisse émettre une pareille idée ;
puisque le dernier enfant , qui étudie la Géographie,
sait que l'Amérique possède les plus grands fleuves ,
le plus grand nombre de rivières , de ruisseaux, et les
lacs d'eau douce de la plus vaste étendue du monde
connu : pour donner une lueur de vraisemblance à un
conte aussi outré, M. Paw aurait du démontrer comment
les armées de Cortez , dans le Mexique ; de François
Pizarre , dans le Pérou ; de Soto , dans la Floride ; de
Cabecca de Vacca , dans la Louisiane ; de Dieguc à' Al-
magro , dans le Chili ; d' Orellana , sur le Maragnon ; de
Gonzalve Pizarre , dans la Canella; et de Barthelemi Co-
lomb , dans 111e de Saint-Domingue, et à la Jamaïque ,
ne s'empoisonnèrent pas immédiatement après leur dé-
barquement.
Parce que les trois cents Epouses de VInca Atabaliba
qui furent prises avec lui , furt nt contraintes sur le champ
de bataille de Caxamaloa , de céder à la brutalité des
Vainqueurs , que le lendemain de l'affaire , plus de cinq
mille femmes éperdues , après avoir arrosé de leurs
larmes le corps de leurs époux gisans sur la terre, vin-
DES PREMIERS AMERICAINS. 12a
rent avec des cris lamentables , se rendre an camp des
Espagnols, lorsque les restes de leur nation vaincue,
fuyaient à plus de quarante lieues dans les forets ot dans
les solitudes ; parce que le sort des armes força la sœur
d 'Atabaliba à être la maîtresse du victorieux Pizarre
parce qu'il eut un enfant avec une Péruvienne de Cusco
parce que la maîtresse dy Almagro , était née à Panama
qu'une Indienne de l'île d'Haïty, devenue amoureuse de
l'Espagnol Dias , indiqua le terrein et favorisa rétablis-
sement de la ville de Santo-Domingo , que Bartlielemi
Colomb n'aurait jamais pu entreprendre sans elle; parce
que l'Américaine Amazillj fut la maîtresse et l'inter-
prète de Fernand-Cortez ; que des femmes Indiennes sau-
vèrent Vasco-Nunnez et son armée au Darien , d'une
conspiration formée par les "Naturels , pour la détruire;
parce que \ajîlle du Cacicjue^Coîaciqui, ouvrit la Floride
à Ferdinand Soto, et lui fournit tous les moyens imagi-
nables, pour dompter cet immense pays ; et que des
femmes sauvages vinrent avertir les Français que les
peuplades de la Louisiane avaient conclu le projet de
profiter de leur sécurité, pour les égorger : doit-on en
conclure, « que les Indiennes furent extraordiiiairemsnt
» charmées de l'arrivée des Européens , que leur lubri-
» cité faisait ressembler à des satyres, en comparaison
» des Naturels? »
Tout autre que M. Paw eut vu dans la démarche des
cinq mille Américaines qui se rendirent après le mas-
sacre de Caxamalca , les unes éeli veiées , les autres
portant leurs enfaus à la mamelle , des .émises , qui
avaient cru parleurs larmes, leur déplorable situation,
émouvoir la pitié de leurs vainqueurs ; drms celle des
Indiennes du Dar'un et de la Louisiane , un mouvemrv t
124 SU31 IjA CONSTITUTION
de compassion qui leur fait honneur ; et si M. Paw n'eût
pas feint d'oublier comme il Ta dit : « que les Sauvages
» en général , sont dans l'habitude de battre leurs fem-
» mes, et de s'arroger sur elles le droit de vie et de
» mort, de les exclure de la famille quand il leur plaît,
» et de regarder les femmes comme une propriété ap-
» partenante au vainqueur; » il eut attribué , à la con-
duite des autres Indiennes, un tout autre motif que leur
amour pour les Oreillards de la Bissadoa; pour ces Espa-
gnols, que leurs longues chausses , leurs goitres, leurs
collerettes et leur barbe hideuse , pouvaient ( comme il
l'observe fort bien ) faire paraître aussi ridicules que des
satyres; et il eut conclu, plus naturellement, que ces
femmes, par devoir, par habitude et par crainte , autant
que par le désir de changer leur condition et leur exis-
tence misérables , s'étaient crues obligées de souscrire à
la volonté de leurs nouveaux maîtres, et peut-être de la
prévenir: tout comme en Angleterre, même dans le dix-
neuvième siècle, la femme, dont un mari veut se
défaire , souffre qu'il lui passe un corde au col , qu'il la
mène dans cet état à travers les rues pour aller la vendre
publiquement au premier venu , dans le marché de
Sinithsfieldà Londres, ou dans celui de toute autre ville
d'Angleterre.
Il fallait être aussi barbare que ces Espagnols, pour
n'être pas touché des prières de cinq mille femmes
éplorées , des cris de milliers d'enfans tendans leurs
petits bras pour invoquer leur pitié , et surtout pour
abuser de la situation de ces malheureuses mères. Quelle
différence d'avec ces farouches Romains ! Galba , qui ne
pouvait se laver du crime dont on l'accusait, n'eut qu'a
produire , aux yeux de rassemblée , ses petits enians ,
DES PREMIERS AMÉRICAINS. 125
que sa mort allait rendre orphelins; et ce spectacle tou-
chant arracha à ses juges attendris l'absolution qu'il
ne pouvait obtenir de leur justice. Comme on le voit, il
n'en est pas de même de M. Paw, puisque , non con-
tent de prêter des ridicules à ces femmes infortunées , il
ne rougit pas d'insulter la vertu dans le malheur. Quand
on applaudit à un forfait semblable , on doit approuver
aussi i'enlèvement des Sabines !.....
Qu'il allègue que Ruminagui , général d'Ataba-
liba, ait fait rassembler ses femmes après l'assassinat de
Caxanialca , qu'il leur ait dit : Mesdames , vous aurez
« bientôt le plaisir de vous divertir avec les chiens de
« Chrétiens , et qu'il les ait fait décapiter , pour s'être
« mises à rire. » Je réponds que c'est un conte à dormir
debout , ejt contre nature , parce qu'il n'est pas vrai-
semblable que ces femmes , qui n'avaient jamais vu
d'Espagnols, qui n'avaient jamais eu d'intrigues avec ces
étrangers , dont le costume devait leur paraître ridi-
cule , sale et même puant, par rapport à leur barbe, à
la grossièreté de leurs étoffes , et à l'habitude qu'ils ont
de se laver les mains et la figure avec leur urine; enfin
qui étaient en sûreté et hors d'état d'être insultés par
eux , aient pu oublier qu'elles étaient mères , et s'ima-
giner trouver le bonheur' avec ces farouches étrangère,
tout dégoûtans du sang de leurs pères , de leurs frères ,
de leurs amans et de leurs compatriotes. M, Paw ignore
sans doute que les femmes d'un rang élevé , n'importe
dans quel pays , tiennent plus au décorum que les vivan-
dières et les femmes de soldats.
En second lieu , ce propos vulgaire, vous aurez bientôt
le plaisir de vous divertir avec les chiens de Chrétiens , est
une expression familière aux Turcs,, et que M. Paw a
llG SUR LA CONSTITUTION
platement placée dans la bouche d'un général Péruvien ,
croyant sans doute qu'il était question d'un manant.
Cette histoire controuvée servirait encore à démentir
l'indifférence pour le sexe , que cet auteur suppose aux
Américains. Que pourrait-il répondre , si on lui citait
ceux qui avaient jusqu'à trois cents femmes? Dirait-il
ou prétendrai t-il nous persuader que des hommes exté-
nués , et qui n'avaient que le souffle, étaient obligés,
pour améliorer leur constitution débile et ruinée, d'a-
voir recours à un spécifique aussi extraordinaire ?
Je ferai observer en même temps à l'au'cur des Re-
cherches sur les Américains , que si les Espagnols se sont
empressés de prendre ces Ind.ennes pour leurs maîtres-
ses ; s- les Français et les Anglais ont imité leur exem-
ple ; si le capitaine Smith , surnommé le Voyageur , et
le jeune anglais Ro'fe , n'ont pu résister aux charmes de
de la virginienne Pocahuntas , fille du Roi Powhatan ;
c'est une preuve qu'elles ne manquaient pas d'attraits , et
qu'elles n'étaient pas aussi matérielles , aussi hideuses ,
ni aussi dégoûtantes , que Fa faussement avancé l'auteur
des prétendus mémoires intéressans.
Parce que des femmes européennes se prostituent à
des étrangers , au lieu de rester fidèles à leurs maris, et
aux hommes de leur pays; conclu era-t~on peur cela,
comme M. Paw , que les Allemandes , par exemple ,
sont extraordinairement charmées de la présence des
Français, que leur lubricité fait ressembler à des
satyres , en comparaison des Allemands ?
Quand cet auteur assurait « que le climat de l'Amé-
« rique éteignait , dans ses hab.tàns , tout sentiment
« d'amour , d amitié et de sens.bilité , » il faisait tort à
ses connaissances , en avançant un paradoxe , qui est
DES PREMIERS AMERICAINS. 127
démenti , non-seulement par Dulertre , Charlevoix , et
les autres Missionnaires qui ont écrit sur l'Amérique,
mais encore par les voyageurs et les écrivains , qui
s'accordent tous à dire qu'une simple fosse y fait verser
plus de larmes que les catafalques des cathédrales de
l'Europe; parce que l'Américain regarde les tombeaux
comme les plus forts liens de la patrie , tandis que l'Eu-
ropéen ne s'y arrête que lorsque le ciseau du sculpteur a
su fixer ses regards.
Oui , certes , c'est en Amérique que la douleur
prend de la sublimité, qu'elle s'allie avec tous les efforts
de la nature , sans que les travaux les plus rudes et les
destinées les plus humiliantes puissent en éteindre l'im-
pression dans les cœurs les plus misérables. Le Canadien
à la vue du petit tertre qui couvre les cendres de son
enfant , ou celles de sa femme , y verse journellement
des pleurs ; la Canadienne arrose de son lait et de ses
larmes les restes de son enfant , et sur celle de son
époux , elle va déposer des fleurs et une touffe de ses
cheveux. Le Péruvien , à la vue de ses grands tombeaux
murés , nommés Guacas , se prosterne et se recueille
avec respect ; l'esclave noir dans les Ku tilles , ne man-
que pas de visiter quelquefois, pendant plusieurs années ,
l'humble lieu qui contient ce qu'il avait de plus cher au
monde.
C'est encore en Amérique , que l'amour et l'amitié se
sont signalés par une tragédie , dont la fable et l'histoire
n'avaient pas encore fourni l'exemple.
Deux Nègres créoles, de Saint-Christophe, jeunes,
bienfaits, robustes, courageux , nés avec une àme rare,
s'aimaient depuis l'enfance. Associés aux mêmes tra-
vaux, ils s'étaient unis par leurs peines , qui, dans les
128 SUR LA CONSTITUTION
cœurs sensibles , attachent plus que les plaisirs. S'ils
n'étaient pas heureux , ils se consolaient au moins dans
leur infortune. L'amour qui les fait toutes oublier, vint
y mettre le comble. Une négresse , esclave comnje eux?
avec des regards plus vifs, sans doute, et plus brûlans ,
à travers un teint d'ébène , alluma , dans ces deux amis'
une égale fureur. Plus faite pour inspirer que pour sentir
une grande passion , leur, amante aurait accepté Tun ou
l'autre pour époux ; mais aucun des deux ne voulait la
ravir , ne pouvait la céder à son ami. Le temps ne fit
qu'accroître les tourmens qui dévoraient leur âme, sans
affaiblir leur amitié , ni leur amour. Souvent leurs larmes
coulaient , amères et cuisantes , dans les embrassemens
qu'ils se prodiguaient à la vue de l'objet trop chéri qui
les désespérait. Us se juraient quelquefois de ne plus
l'aimer, de renoncer à la vie plutôt qu'à l'amitié. Toute
l'habitation était attendrie par le spectacle de ces com-
bats déchirans ; on ne parlait que de l'amour des deux
amis pour la belle Négresse.
Un jour ils la suivirent au fond d'un bois. Là, chacun
des deux l'embrasse à l'envi , la serre mille fois contre
«on cœur, lui fait tous les sermens , lui donne tous les
noms qu'inventa la tendresse ; et tout-à-coup , sans se
parler , sans se regarder , ils lui plongent à-la-fois un poi-
gnard dans le sein. Elle expire ; et leurs larmes , leurs
sanglots , se confondent avec ses derniers soupirs. Us ru-
gissent ; le bois retentit de leurs cris forcenés. Un esclave
accourt: il les voit de loin qui couvrent de leurs baisers
la victime de leur étrange amour. Il appelle , on vient ,
et l'on trouve ces deux amis , qui , le poignard à la
main , se tenant embrassés sur le corps de leur malheu-
reuse amante , baignés dans leur sang , expiraient eux-
DES PREMIERS AMERICAINS. 1 2Gj
mêmes dans les flots qui ruisselaient de leurs propres
blessures. ( Raynal. )'-
Pour donner une idée de la complexion des Indigènes
du Nouveau-Monde, je ne puis mieux faire que de rapporter
ici l'opinion de M. Humboldt . « La race américaine, dit
« ce savant, offre des peuples , qui par leurs traits ,
« diffèrent aussi essentiellement les uns des autres , que
« les variétés nombreuses de la race du Caucase , les
« Circassiens , les Maures , les Perses. La forme
« élancée des Patagons qui habitent l'extrémité australe
« du Nouveau-Continent, se retrouve, pour ainsi dire,
ce dans les plaines depuis le Delta de l'Orénoque jus-
« qu'aux sources du Rio-Blanco , chez les Caraïbes que
« l'on doit compter parmi les peuples les plus robustes
« de la terre , et qu'il ne faut pas confondre avec les
« Zambos dégénérés , appelés jadis Caraïbes , à l'île
« Saint- Vincent; et le corps trapu des Indiens Chajrmas
« de la province de Cumana. La grande nation des
ce Caraïbes , qui , après avoir exterminé les Cabres , ont
ce conquis une partie considérable de l'Amérique méri-
« dionale, s'étendait au seizième siècle, depuis l'équa-
« teur jusqu'aux îles Vierges. Le peu de familles qui
ce existaient encore dans les Antilles orientales, et qui
ce viennent d'être déportées par les Anglais, étaient un
ce mélange de vrais Caraïbes et de Nègres. Quelle diffé-
ce rence de forme entre les Indiens de Tlascala , descen-
te dans des Tolstèques , et les Lipans et les Chichimèyues
ce de la partie septentrionale du Mexique !
Parmi les Indigènes du Nouveau-Continent, ilexiste
des tribus d'une couleur très-peu foncée , et dont le teint
se rapproche de celui des Arabes ou des Maures. Les
TOME 2. 9
l3o SUR LA CONSTITUTION
peuples du Rio-Nigro sont plus bazanés que ceux du
bas Orénoque.
Dans les forets de la Guiane , surtout vers les sources
de rOrénoque , vivent plusieurs tribus blanchâtres , les
« Guaicas , les Guajaribes , et les Aribes , dont quelques
a individus robustes , et n'offrant aucun signe de la ina-
« ladie asthénique qui caractérise les Albinos , ont le
« teint de vrais métis! Cependant, ces peuples ne se sont
« jamais mêlés avec les Européens, et se trouvent en-
te tourés d'autres peuplades d'un bruu noirâtre.
« Les Indiensqui, dans la zône-torride habitent les pla-
te teaux les plus élevés de la Cordillière des Andes ,
« ceux qui , sous les 45e de latitude australe , vivent de
« pêche entre les îlots de l'archipel des Chonos , ont le
« teint aussi cuivré que ceux qui , sous un ciel brûlant,
« cultivent les bananes dans les vallées les plus étroites
« et les plus profondes de la région équinoxiale. Les
« Mexicains sont plus bazanés que les Indiens de Quito
« et de la Nouvelle Grenade , qui habitent un chmat
« également analogue ; les peuplades éparses au nord
« du Rio-Gila , sont plus brunes que celles qui avoi-
«c sinent le royaume de Guatimala. Cette couleur fou-
it cée se soutient jusqu'à la côte la plus proche de l'Asie 5
« mais sous les 540 10 de latitude boréale , à Cloak-
« Bay , au milieu des Indiens à teint cuivré , et à petits
« yeux très-allongés, se présente une tribu quia de
& grands yeux , des traits européens , et la peau moins
« brune que les paysans des campagnes de l'Europe.
k Tous ces faits, dit M. Humboldt, tendent à prouver
« que , malgré la variété des couleurs et des hauteurs
« qu habitent les différentes races d'hommes, la nature
DES PREMIERS AMÉRICAINS. îSl
* ne dévie pas du type auquel elle s'est assujettie depuis
« des milliers d'années,
« Les Indigènes à teint cuivré ne sont presque sujets
k à aucune difformité» 'Je -n'ai jamais vu , dit ce savant ,
« un Indien bossu ; il est extrêmement rare d'en voir
« de louches , de boiteux ou de manchots. Ils sont
m exempts de goitres, rarement si l'on observe cette
« affection de la glande thyroïde chez les Métis. J'ai
« vu , en 1801, le fameux géant mexicain, nommé Mar*
« tin Salmeron ; il a sept pieds un pouce de hauteur, me-
« sure de Paris • c'est le mieux proportionné que j'aie
« rencontré» Il a un pouce de plus que le géant de Tor-
« néo , venu à Paris en 1735 ; il est fils d'un Métis qui
« a épousé une Indienne du village de Chilapa el grande^
« près de Chilpansingo, »
La race blanche américaine offre, en général, dans
l'Amérique méridionale, des formes heureuses, vue car-
nation animée , des yeux expressifs. Dans la partie sep-
tentrionale de l'Amérique , les hommes ont une stature
élevée , des membres vigoureux et bien proportionnés. ,
un teint vermeil. Les femmes y sont grandes \ élancées,
leur poitrine haute et ferme; leurs traits seduisans?
leur peau douce , blanche , rehaussée par l'incarnat de
la rose.
Les enfans sont en général bien faits 7 actifs,- dispos,
brillans de santé et de fraîcheur. (Voyez ce qu'en disent
M. Bonnet et le duc de Liancourt. )
Dire qu'un Créol Portugais et Anglais se tiennent
pour offensés quand on les appelle américains , et qu'un
Espagnol ne pardonne jamais à celui qui a osé lui faire
ce reproche ; c'est s'oublier soi-même , sans porter pré-
judice en rien au caractère des Américains, puisque
9*
l32 SUR LA CONSTITUTION
tout le monde sait que les premières familles espa-
gnoles tiennent à honneur de descendre des anciens
seigneurs Aztèques et Mexicains; et que les alliances
entre ces deux peuples sont très - communes. Plus
grands que Cornélius Fidus , gendre d'Ovide , qui pleura
en plein sénat , parce que Corbulon l'avait appelé
Autruche sans plumes , les Créoles , à l'instar de Socrate,
qui écoutait de sang froid la comédie des Nuées, dans
laquelle Aristophane , ce lâche et vil bouffon renversait
la religion de son pays. , tournait Socrate en ridicule
d'une manière si indécente ,: et préparait lentement le
poison (pïAnilus et Melitus devaient bientôt lui envoyer
au nom de ses concitoyens superstitieux et ingrats ; les
Créoles , dis-je , croiraient se déshonorer s'ils descen-
daient à prendre la plume pour, repousser les sarcasmes
déplacés de M. Paw ; parce qu'ils n'ignorent pas que ce
sont les armes dont les insolens et les petits esprits ont
coutume de se servir, lorsqu'iJs ne savent que répondre
aux objections qu'on leur fait; et, qu'elles sont indignes,
d'ailleurs , du mérité de l'auteur des Recherches sur les
Américains
Je l'engage a ne pas oublier ces sentences du ph'lo-
sophe Démocrate : « Celui qui fait une injure, est plus
malheureux que celui qui la reçoit. Il vaut mieux condam-
« ner ses propres erreurs que celles des autres ; et
« comme hommes, nous devons gémir sur les calamités
« de nos semblables , et non pas en faire un sujet de
« risée. » C'est ainsi que pensaient ce philosophe et son
confrère Démophile , tous deux de la secte de Pytha-
gore. Ce même Démophile prétendait ce que la plaisan-
ce terie était comme le sel, qu'on ne devait l'employer
« qu'avec ménagement ; et que pour être maître de soi,
DES PREMIEBS AMERICAINS. l35
« il fallait savoir gouverner sa langue et ses passions. »
M. Paw croit-il se faire nu mérite aux yeux des hom-
mes sensés , en avançant , pag. 2 du 2.e vol. : « Que si
« l'on prenait à tâche d'excuser la méprise des théolo-
« giens et des philosophes du quinzième siècle , dont
« l'ignorance seule pouvait les avoir induits à refuser une
« âme immortelle aux habitans de l'Amérique, et à
« soutenir qu'ils n'étaient pas de véritables hommes ,
« mais bien de véritables Orang-outangs ; il ne sait pas
« si l'on ne pourrait pas réussir à excuser cette méprise,
« quelqu'énorme qu'elle paraisse ? »
L'idée d'une opinion semblable déshonore celui qui
l'a conçue ,€ t plus encore celui qui s'efforcerait de la
défendre. Quoi ! M. Paw , prétendriez-vous jus'iÇer ces
Espagnols qui se flattent d'être des Chrétiens zélés, d'a-
voir chassé des hommes paisibles avec des dogues alains,
de les avoir découpés en morceaux pour repaître les chiens
qui les avaient saisis ? Et parce que les Alains amenèrent
en Europe cette race particulière de chiens , qu'ils s'en
servirent peut-être dans leurs guerres contre les anciens
habitans de l'Espagne , vous croyez que leurs descendans
ont eu raison de s'en venger sur les peuples pacifiques
et innocens de l'Amérique , qui n'avaient jamais eu- de
communication avec l'Europe ? Il n'y a donc point de
crime unique dans lHistoire ?
Autant vaudrait-il approuver la conduite de cet An-
glais qui, pour se soustraire à la juste vengeance des Ca-
raïbes , qu'il avait cherché à enlever sur le Continent
d'Amérique , pour en faire des esclaves, s'était jeté dans
un bois, où. il fut rencontré par une jeune Indienne qui
lui sauva la vie, et qu'il vendit à sen retour à la Bar-
Lade , après que celle-ci lui eut donné son cœur avec
l34 SUR LA. CONSTITUTION
tous les sentimens et tous les trésors de l'amour. Malheur
a celui que l'indignité de cette action ne fait pas frémir
d'horreur et de pitié ; la nature Ta formé , non pas pour
l'esclavage des Nègres , mais pour la tyrannie de leurs
maîtres. Cet homme aura vécu sans commisération, il
n'aura jamais pleuré, jamais il ne sera pleuré... (Ray nal).
Autant vaudrait-il donner son assentiment à la conduite
de ce Crctssus dans le jugement , où Clodius était accusé
d'avoir, à la faveur d'un déguisement, déshonoré la femme
de César } après avoir violé la sainteté d'un sacrifice cé-
lébré pour le salut du peuple romain, d'un sacrifice dont
non seulement les hommes étaient exclus , mais où l'on
voilait même les peintures de tous les animaux mâles ;
de ce Crassus qui, pour purger Clodius de son adultère,
gagna les juges à prix d'argent, et par les faveurs de
quelques dames , et de quelques jeunes gens de qualité ,
dont ils avaient exigé la jouissance , en sus de leur sa-
laire. (Cicer. Epis t. ad Altic , îib. I, Epis t. 1 6, traduction
de l'abbé Mangault. )
Je craindrais d'abuser de la patience du lecteur, si j'en
treprenais de relever tous les paradoxes dont M. Paw a
semé la description qu'il a faite de la maladie véné-
rienne , de la dégénération dans toutes les espèces ani-
males des hommes et des femmes de l'Amérique ; de
leur surabondance laiteuse ; de la facilité et de \apromp-*
iitude avec laquelle les Américaines accouchaient; enfin,
de leur stérilité , parce qu'il est visible que cet écrivain
cherche par des sophismes affreux: à faire briller son
esprit aux dépens de la vérité et de la raison ; qu'il re-
jette tout ce qui ne s'accorde pas avec son désir et sa
manière de penser : que par une prévention qui n'a point
d'exemple j il s'est efforcé de dégrader, sans exception,
DES PREMIERS A.MERICA1KS. l35
toutes les races d'Américains , à qui il a refusé jusqu'à la
faculté, jusqu'au plaisir de penser, de concevoir ses rai-
sonnemens scientifiques, sublimes, lumineux et profonds;
quoiqu'il prétende les avoir justifiés de ses imputations
grossières , en disant : « Qu'on avait exagéré le nombre
« dCAntropophages qu'on a trouvés au TsTou v eau-Monde ;
« que Pizarre est un voleur ; Cortez un brigand ; Vasco-
«c Nunnez un monstre infâme, digne du dernier supplice;
« que les Indiens pleurèrent la mort de Christophe Co-
ta lomb ; et qu'ils trouvèrent dans Ovanâo , son succès-
a seur , le tyran le plus féroce , le plus dénaturé de tous
« les Castillans qui passèrent en Amérique. » Que ré«*
pondre à une justification semblable ? Se taire est le
parti le plus sage.
Pour se venger de son peu de succès contre l'Amé-
rique, il accuse , page i56 du 2e. volume , Antonio de
Solis j dans son Histoire de la Conquête du Mexique ,
« de n'avoir tâcbé que de briller par l'éclat des pensées
« et des images gigantesques, par la pompe de la nar-
k ration , et d'avoir indignement sacrifié la vérité de
« l'Histoire aux vains agrémens d'un style ampoulé. »
Si M. Paw n'avait pas fait abnégation de toute pu-
deur , il se fût abstenu de reprocher à Solis d'avoir in-
dignement sacrifié la vérité de l'Histoire, afin d'écarter
de l'esprit du lecteur , Vidée de l'accuser de ce reproche
qu'il s'est fait gloire de mériter à chaque chapitre de son
ouvrage , sans avoir la triste certitude que son génie aura
réussi à nuire à un pays au-dessus de ses éloges, au-des-
sus de sa médisance. Quant à son jugement sur l'ouvrage
de M. Solis, il est bien différent de celui de Voltaire ;
qui prétend dans ses notes à la suite de la Henriade ,
« Que c'est un ouvrage excellent , et que le poënae épi»
i 36 Sur la constitution
k que de X Araucaria de dom Alonzo d'Ercilla ( dont
« fâ. Paw parle peu favorablement à la page i58 du
« ie. volume ) , est célèbre par quelques beautés parti-
« ticulières qui y brillent , aussi bien que par la singu-
« ïarité du sujet. »
Cet auteur, qui prétend qu'un poème épique en prose
est une monstruosité, eût pensé peut-être différemment,
s'il eût lu le discours de Ramsej , et le jugement de
quelques autres écrivains instruits , qui ne font pas dif-
ficulté de regarder Télémaque comme un poème épique
comparable à V Iliade et à V Enéide.
Si le poème épique, intitulé le Mexique conquis ; si la
Colombiade; si le poème de Jumonville, et l'Araucana
d' Alonzo, n'ont pas eu toute la célébrité qu'on devait
en attendre , il ne faut pas en chercher la cause dans la
nature du sujet, connue l'a avancé M. Paw , mais bien
dans la difficulté inséparable de ces sortes d'ouvrages.
ISAlzire, de Voltaire; la tragédie de Fcrnand-Cortez,
de Piron; l'opéra de Fernand-Cortez, de MM.Esmenard,
de Jouy et Spontini , prouvent que l'Amérique , ses pro-
ductions et ses habilans. sont faits pour fournir des chef-
d'oeuvres au théâtre, indépendamment des sujets variés
qu:ils offrent à l'Histoire , à la Poésie épique, et aux trois
règnes de la Nature. Leslncas de Marmontel, et l'Atala de
M. de Chateaubriand, sont deux autres preuves convain-
cantes delà fraîcheur du coloris, et de l'élégance du
style que la prose acquiert lorsqu'elle sait traiter l'Amé-
rique comme elle doit l'être.
Quoiqu'il en dise , la Défense et la Conquête du
Mexique ; la réception de Cortcz dans le palais de Mo-
îézuma; la mort déplorable de cet empereur , triste vic-
time de sacoiiiiance, celle du brave Guatimozin expirant
DES PREMIERS AMÉRICAINS. \Zf
paisiblement sur un brasier ardent; Yinvasion du Pérou ;
la mauvaise foi de Pizarre ; V empressement de l'Inca Ata-
baliba à écouter les augustes vérités de la religion chré-
tienne ; la célèbre bataille , ou pour mieux dire , le lâche
assassinat de Caxamalca , qui décida du sort de l'empire
du Pérou ; le viol des 5,ooo Américaines qui s'étaient
mises sous la protection de leurs vainqueurs ; Vaffreuse
condition delà sœur d'Atabaliba, réduite à servir de mai-
tresse à l'usurpateur Pizarre ; la rançon exliorbitante d'A-
tabaliba, sa fin tragique et cruelle, sont des sujets dignes
du génie d'un Homère , d'un Virgile , ou d'un Voltaire.
Ces sujets , je pense , valent bien ceux de Patrocle
et d'Automédon ( au o,.e liv.de l'Iliade ) , mettant trois
gigots de mouton dans une marmite , allumant et souf-
flant le feu, et préparant le dîner avec Achille ; celui de
la princesse Nausica , fille d'Alcinoùs, roi des Phéacicns,
qui, suivi de toutes ses femmes, va laver ses robes et
celles du roi et de la reine; la Fable (dans l'Enéide )
des Harpies enlevant le dîner du héros de ce poème;
les prédictions de Céléno; la surprise du petit Ascagne ,
qui s'écrie : que les Troycns ont mangé leurs assiettes ;
la métamorphose des vaisseaux d'Enée en Nymphes, etc.
La guerre de Troyes était légitime ; le Troyen Paris
l'avait provoquée, en enlevant et en refusant de restituer
Hélène. Rien , au contraire , ne saurait justifier la con-
quête du Mexique , celle du Pérou , encore moins le
meurtre infâme des monarques et des sujets de ces deux
vastes contrées ; enfin la guerre de Troyes était de peu
de conséquence , puisqu'il ne s'agissait que de détruire
une ville qui se refusait à un acte de justice ; tandis
que la conquête de l'Amérique a été faite contre le droit
des gens et des nations, parce qu'elle devait assurer ?
l38 SUE LÀ CONSTITUTION
aux vainqueurs , non pas des ruines et des décombres
comme Troyes , mais l'empire de la moitié du monde
Connu ; des trésors et des productions , qu'on cher-
cherait vainement dans les trois autres parties du globe.
Si M. Paw , au lieu d'exhaler injustement sa bile
contre un peuple et un pays qu'il n'a jamais connu, eût
voulu prouver à ses lecteurs qu'il était doué d'un esprit
sage et judicieux, qui ne précipite ni son admiration ,
ni sa censure ; il eut cherché à imiter ces prudcns Seno-
nois qui, étant saisis d'abord d'une crainte respectueuse,
à l'aspect imposant des sénateurs de Rome, qu'ils pre-
naient pour des Dieux , voulurent , avant de leur rendre
les honneurs divins , examiner à fond leur nature ;
s'il se fût apitoyé sur la situation affreuse de ces
infortunés Américains , il n'eût pas flétri aussi légère-
ment ce peuple et ce pays, où l'Européen va chercher le
bonheur lorsqu'il ne peut le trouver dans le sien; et il
eût reconnu un intérêt digne de l'épopée et de la tragé-
die , dans la conquête du Mexique par Cortez , parce
qu'il eut affaire à des peuples belliqueux, qu'il fut exposé
aux plus affreux dangers , qu'il ne s'en tira que par des
prodiges de valeur, de constance et de sagesse , quoiqu'il
fût cruel plus dune fois.
Prétendre fixer les causes de la constitution des pre-
miers Américains , et vouloir , par des moyens con-
tradictoires , expliquer pourquoi leurs corps étaient
dégarnis de poils , c'est une entreprise dont on pourrait
dire ce que Pline disait de ceux qui veulent comprendre
la nature de Dieu. « furor et profecto furor. » Cette
présomption est digne de celle de Leuvenhœk , qui
composait l'épi derme de l'homme avec des écailles à
charnières ., ignorant, comme l'observe M. Paw , que
DES PREMIERS AMERICAINS. l$g
ces écailles et ces charnières n'existent pas dans la nature ;
elle peut aller de pair avec celle de Maupertuis , qui
voulait, comme dit Voltaire , « creuser un trou au centre
« de la terre pour voir le feu central ; disséquer les
« Patagons pour connaître la nature de l'âme ; enduire
« les malades de poix - résine pour les empêcher de
« transpirer , et exalter sou âme pour prédire l'avenir. »
J'ignore quel motif a pu engager cet écrivain à avancer
que les Américains n'ont naturellement ni poil , ni
barbe sur le reste du corps ; car presque tous les In-
diens des environs de Mexico portent des moustaches,
et les Mexicains, surtout ceux de la race Aztèque , ont
plus de barbe que d'autres Indigènes de 1* Amérique
méridionale. Des voyageurs modernes ont aussi retrouvé
ces moustaches chez leshabitansde la côte nord-ouest de
l'Amérique. Quoique les Indiens de la Zône-Torride
aient généralement peu de barbe ; cette barbe cepen-
dant augmente lorsqu'ils se rasent. M. Humboldt et
d'autres voyageurs en ont vu des exemples dans les
missions des capucins de Caripe , où les sacristains In-
diens désirent ressembler aux moines leurs maîtres.
Si M. Paw , au lieu de se perdre en longs commen-
taires insignifians sur le peu de barbe et de poils des
habitans du Nouveau-Monde ,' se fût donné la peine
d'examiner la chevelure des Américains ; il y eût vu la
raison qui les empêchait d'avoir autant de barbe ; il
l'eût trouvée infiniment plus fournie \ plus forte et plus
longue que celle des Européens; il y eût vu une nouvelle
preuve de cette bonté divine , à ne pas couvrir d'autant
de poil le menton et le corps des Indiens occidentaux ,
dont la tête est surchargée d'une immense quantité de
cheveux. C'est par suite de cette même raison 7 que les
1Ï0 SUR LA CONSTITUTION
femmes , en Europe , qui ont une chevelure mieux
garnie et plus longue que celle des hommes, ne sauraient
avoir autant de barbe et de poils qu'eux ; que les Chinois
et les Orientaux sont plus chevelus que barbus ; et que
les Africains , qui ont pour chevelure une espèce de
matelas eu laine, épaisse et crépue , sont plus imberbes
et moins velus que les Européens. La chevelure , sous
les tropiques , garantit de l'ardeur du soleil la partie
la plus essentielle de 1 homme ; dans les pôles-nords ,
la barbe et les poils contribuent , avec les cheveux ., à
la préserver des rigueurs du froid , comme chez les
femmes l'épaisseur de l'épiderme et de la chevelure. Au
surplus , ce corps velu , qui représente plutôt la beauté
d'un ours ou d'un orang-outang que celle de rhonime ,
est si peu du goût des Européens , qu'ils ne sont jamais
plus aises que lorsqu'ils peuvent se débarrasser de cette
barbe incommode , et cacher leurs membres velus sous
d'amples vêtemens.
On peut dire à cette occasion , avec un auteur connu ,
que les systèmes sont plutôt un jeu d'esprit qu'un moyen
de connaître la nature. Ils ont été utiles, en ce qu'ils
ont porté l'esprit humain , par l'intérêt de l'amour-pro-
pre , à faire de grands efforts dans la recherche et la
combinaison des faits , en voulant les faire concorder
avec telle ou telle opinion ; mais il n'y a que la con-
naissance des faits qui fasse la véritable science de
1 homme : les causes premières , sont un secret pour
lui , et ce secret qui n'intéresse que sa vanité, est heu-
reusement inutile à son bonheur.
Toutes les exagérations qu'il plaira à M. Paw de dé-
biter contre le nouvel hémisphère 3 n'empêcheront pas
les gens sagrs de regarder la découverte de l'Amérique
DES PREMIERS AMERICAINS. ]^I
et le passage aux Indes par le Cap de bonne-Espérance ,
comme les événemens les plus intéressans pour l'espèce
humaine , puisqu'ils ont fourni un vaste champ aux
Lettres , aux Arts , à l'imagination , à l'industrie , à
l'activité et au commerce. Cependant ils seraient plus
intéressans encore , si l'on pouvait réussir à trouver le
passage dans la mer Pacifique, par le nord-ouest de l'A-
mérique ; ne pouvant pas le faire par le nord-est de
l'Europe , parce que cette communication abrégerait
presque des deux tiers les voyages de la Chine et du
Japon , par la route du Cap de Bonne- Espérance.
Je ne sais , s'il ne serait pas plus avantageux , vu les
tempêtes qu'on essuie, et les dangers que l'on rencontre
dans les mers du nord , de se frayer le passage par la
mer Caraïbe au lac de Nicaragua , et dans le golfe de
Papayago , comme je l'ai dit à l'article des Lacs. Cette
route abrégerait considérablement la longueur des voya-
ges d'Europe aux Grandes-Indes*par la voie actuelle. La
facilité que les nations commerçantes 1 à leur retour des
Grandes-Indes, trouveraient à charger leurs vaisseaux
au passage de Nicaragua , des riches productions du
Nouveau-Monde , doiu ce me semblé , les déterminer
a exécuter, de concert, une entreprise aussi utile.
Si Christophe Colomb etVasco de Gama,versla fin
du quinzième siècle , ont fait à la grandeur de Venise
des blessures que le temps n'a jamais pu fermer, qu'ils
étaient loin aussi de prévoir tous les maux qu'ils
causeraient un jour aux pieux plus belles , aux deux plus
fertiles portions du globe , l'Asie et l'Amérique ! Quant
à cette dernière , elle gémira toujours d'avoir connu
les Européens. A quel prix n'a-t-elle pas acheté les pré-
tendues lumières qu ils y ont apportées? Quelques con-^
l42 SUR LA CONSTITUTION, ETC.
naissances en agriculture , quelques progrès dans l'in^
dustrie, quelques plantes , que'ques animaux, quelques
usages plus propres à corrompre les mœurs qu'à les
épurer, valaient-ils les millions d'hommes qui ont péri
dans les conquêtes, et qui expiraient journellement sous
la fatigue , dans les travaux périlleux des mines ! Peu à
peu l'Amérique fut dépeuplée ; afin d'y recueillir les
trésors que venait y chercher l'avidité européenne il
fallut y transporter des Nègres et même des Européens.
La cupidité, et des raisons de toute espèce, engagèrent
en outre des hommes de tous les pays à s'y établir
volontairement. C'est ainsi que l'Europe perdit une partie
de ses habitans.
Un pays qui a eu, et qui a encoreune aussi grande
influence sur l'Europe, mérite bien qu'on cherche à
le connaître aussi parfaitement que possible. Pre-
nons sous les yeux la carte de l'Amérique ; embar-
quons-nous en idée , et après avoir suivi Colomb et
les premiers conquérans dans leurs premières décou-
vertes ; après avoir parcouru les productions étonnantes
des trois règnes de la nature , arrêtons-nous un moment
à examiner les habitans de ce pays , leurs mœurs, leur
religion et l'état de civilisation dans lequel ils étaient lors
de la découverte du Nouveau-Monde.
LIVRE CINQUIÈME,
CHAPITRE DEUXIÈME.
Mœurs , Usages et Religions des Américains.
JLiORSQUE les Espagnols débarquèrent dans les Antilles,
ils les trouvèrent habitées par les Caraïbes. Ces peuples
cultivaient le maïs, le manioc , la banane , les patates ,
les giramons , plusieurs espèces de pois et légumes , du
pourpier , des callebasses, etc. Ils vivaient du produit
de leur chasse et de leur pêche; leur sobriété diminuait
leurs besoins ; ils étaient tous égaux. Quand il s'agissait de
marcher contre l'ennemi, ils donnaient le commandement
de l'armée à un père de famille , dont Pautorité cessait
avec la guerre. Ce chef, avant de recevoir un pareil
honneur , devait s'être acquis quelque gloire militaire ;
il fallait surtout qu'il se distinguât de ses concitoyens
par une supériorité dans les forces du corps et par beau-
coup d'éloquence ; leur courage était intrépide : on les
voyait s'exposer sans crainte sur une mer orageuse, dans
des barques qui avaient ordinairement quarante-deux
pieds de long sur sept de large, qu'ils faisaient mouvoir
à force de rames , l'usage des voiles leur étant peu
connu.
Le Caraïbe est sociable , sensible aux bons procédés ;
mais la moindre injure excite sa fureur, et la vengeance
l44 MŒURS, USAGES ETRELIOIOff
suit de près l'offense. S'il tue l'agresseur, et que ce der-
nier n'ait point de parens, la querelle est terminée; dans
le cas contraire les parens ou les amis du défunt se font
un devoir de venger sa mort. Le meurtrier , pour ne pas
perpétuer la querelle , e§t obligé de quitter la Tribu ;
c'est pour cette raison que les parens du défunt exami-
nent toujours son corps , pour s'assurer si sa mort a été
naturelle.
Avant d'enterrer leurs morts, ils les enduisent d'une
couleur rouge à l'huile , et les déposent ensuite dans des
fosses de sept pieds de profondeur , de sorte que le ca-
davre s'y tienne debout ; ils ensevelissent avec eux, leurs
arcs, leurs flèches , leurs massues et leurs couteaux.
Le Caraïbe est d'ordinaire , grand , bienfait et vigou-
reux ; il regarde comme un trait de beauté d'avoir le
front plat. Pour lui donner cette forme de bonne heure ,
il presse la tête des enfans entre deux planches. Ces peu-
ples vont nus, à l'exception d'un petit tablier garni de
plumes, que portent les deux sexes ; ils se peignent le
corps en rouge ; leur tête est ornée d'un bonnet ou d'une
couronne de grandes plumes ; leurs principaux ornemens
consistent en petits os , en coquillages , en perles de
verre , et en pierres de toutes couleurs , qu'ils s'atta^-
thent aux oreilles , à la partie supérieure et inférieure
du bras. Les femmes portent en outre , autour du col et
des jambes , des cordons , dans lesquels sont enfilés des
perles. La plus grande parure des hommes, est de larges
plaques de cuivre en forme de croissans et de soleils }
enchâssés dans des bois précieux. Pour se donner un air
guerrier , ils se peignent la figure avec des raies rouges et
noires; un turban de plumes rouges sert à distinguer les
différcns chefs de la nation. Xes hommes ont ordinaire-
DES AMERICAINS, t45
ment une ceinture , à laquelle est attaché mi grand cou-
teau; à leur col est suspendue une petite flûte , dont ils
accompagnent leurs tamtams ou tambours. Leur triom-
phe, dans ta musique, est d'imiter léchant des oiseaux-
ils sout très-adroits à lancer des flèches , et -manient
la massue avec beaucoup de dextérité. Leurs guerres
sont terribles ; ils mangent une partie de leurs prison-
niers , dans les premiers transports de la victoire ;
ensuite ils font grâce au reste , ils épargnent toujours Leg
femmes et les enfans.
Ils trafiquent avec le Européens, des corbeilles
qu'ils font très - artistement , des perroquets, de la
volaille , des ananas, des moules et autres coquillages,
contre des couteaux , des haches , des fusils , des pisto-
lets, des sabres, de la toile, des perles de verre , et
surtout de Teau-de-vie. Ils aiment l'argent qui brille, et
surtout la monnaie qui occupe le plus de place ; s'il
survient un mal-entendu entre les vendeurs et les ache-
teurs , il est quelquefois prudent d'emporter les mar-
chandises , afin de leur ôter l'envie de s'en emparer : car
alors , ils ne manquent pas de dire , qu'ils font comme
les Européens , qu'ils accusent d'avoir introduit parmi
eux le vol dont ils n'avaient aucune idée. Malgré cela ,
on aperçoit en eux un sentiment naturel pour îe
juste et l'injuste , qui fait que souvent ils mettent
dans leurs procédés plus de bonne foi que les nations
civilisées.
Leurs maisons ont soixante pieds de long sur cin-
quante de large. Ce sont des poteaux plantés en terre ,
réunis par des lattes , et couverts de feuilles de palmiers ;
la cuisine forme toujours une pièce à part. A l'une des
extrémités de la chambre où habite la famille , on aJU-
TOME 2, 10
l46 MŒURS, USAGES ET KELICION
lume le feu, autour duquel les hommes se rassemblent
pour fumer du tabac ; ils exercent l'hospitalité envers
tous les étrangers indistinctement; ils ne mettent point
de sel dans leurs alimens ; mais ils les assaisonnent avec
du miel ou du sucre , du piment, du citron et du poivre
du pays. Il n'y a que les écrevisses qu'ils font cuire à
l'eau; autrement tout est grillé ou rôti. Quand ils rôtissent
une volaille , ils rattachent à une broche de bois plantée
en terre ; pour les grandes pièces de viande , ils les
met tent sur un brasier ardent, sans penser à rôter les
plumes ni les entrailles. Les hommes mangent les pre-
miers, et sont servis par les femmes , qui desservent
ensuite, et vont manger les restes dans la cuisine avec
leurs enfans.
Quelques-uns de ces demi-sauvages ont embrassé le
Christianisme, les autres adorent le Soleil et la Lune
sans culte public, ni temples, ni cérémonies quelconques ;
ils regardent leur Etre-Suprême comme parfaitement
heureux , et par conséquent , comme ne devant pas
s'embarrasser des hommes qui se tourmentent mal-à-
propos j au lieu de borner leurs des rs. Dans quelques en-
droits ils adoptent de bons et de mauvais génies ; alors
ils ont des prêtres qui sont en même temps devins.
Chacun d'eux a son dieu particulier , qui l'inspire , et
dont il vend les révélations.
Des Brésiliens.
Les Brésiliens, qui se sont soustraits au joug des Euro-
péens , se couvrent , comme leurs ancêtres , de peaux
d'animaux crues ou tannées ; d'autres se peignent le
corps , n'ont autour des reins qu'une pièce d'étoife garnie
DES AMÉRICAINS* l4j
de plumes. Quelques tribus regardent le nez plat tomme
un trait de beauté ; aussi ont-elles le soin de Tapplatir
un peu aux enfans , quand ils naissent. Elles se parent
de plumes, dont elles font des ceintures et des bonnets»
Les Brésiliens ont des beures fixes pour manger, et
d'autres pour boire ; car ils ne font jamais , ou que rare-
ment, l'un et l'autre dans le même repas. Quand deux
Brésiliens se battent, jamais un tiers ne s'en mêle ; y en
a-t-il un de tué , les parens sont obligés de le venger, et
de poursuivre le vainqueur,, jusqu'à ce qu'ils l'aient
atteint, et que l'injure soit réparée. Pour éviter ce mal-
heur, les familles examinent les raisons de l'un et de
l'autre adversaire , avant de les laisser battre.
Ces Indiens , dont la vengeance est terrible , exercent
cependant l'hospitalité. Ils n'ont d'autres armes que des
massues de bois dur , des arcs et des flèches. Les femmes
suivent l'armée et portent les munitions de bouche et de
guerre. Celui qui a tué le plus d'ennemis, est reconnu
pour chef. Leur musique militaire consiste en des espèces
de cors et de flûtes d'os , dont ils tirent des sons , tantôt
variés , tantôt confus. Comme leur principal but est de
faire des prisonniers , ils attaquent ordinairement de
nuit, pour surprendre leur ennemi : s'ils combattent le
jour , en rase campagne , c'est avec une fureur qui va
jusqu'à la rage. Ils ne mangent pas les morts, mais quel-
quefois certains prisonniers , dont ils ont juré la mort,
Quand ceux-ci sont trop maigres , ilsJ.es conservent pour
les engraisser. Pendant ce temps-là , on leur permet
d'aller à la chasse , à la pêche , parce que ces exercices
sont favorables à la santé ; mais toujours on les surveille
de près. Ces prisonniers sont partagés entre toutes les
familles : quand l'un est assez gras , ils invitent tous les
l48 MŒURS, USAGES ET RELIGION
amis et les voisins , et la fête commence. On danse , on
chante , on boit : le prisonnier même prend part à ces
plaisirs , quoiqu'ils lui annoncent sa fin prochaine. Après
cela on le promène dans plusieurs villages , exposés aux
insultes de tout le monde ; on lui permet néanmoins de
se venger à coups de pierre : pour lors , on l'assomme à
coups de massues. On lave le corps , on le dépèce , on arrose
les petits enfans de son sang , en leur faisant jurer de se
faire tuer plutôt que de se laisser prendre; après quoi Ton
fait rôtir Ja victime, et on la mange. Sa tête est conservée
comme un trophée de la victoire : on fait des flûtes de
ses plus grands os; et le vainqueur reçoit les dents, dont
il se fait un collier. Ceux qui ont pris plusieurs prison-
niers, se font, en signe d'honneur, des incisions dans la
chair. Si les prisonniers, pendant leur captivité , par-
viennent à plaire à des femmes, et à les épouser; ou s'ils
intéressent en leur faveur quelques guerriers , on les
aggrège à la tribu. Avant d'obtenir cette grâce , ils su-
bissent quelques épreuves pour savoir s'ils sont dignes
de ce bienfait. Il existe différentes tribus chez lesquelles
ces atrocités ne s'exercent pas ; il semble même qu'elles
soient le résidât de leur haine contre les Portugais.
On remarque dans ces peuples une indifférence éton-
nante pour la mort ; ils souffrent la douleur avec un cou-
rage héroïque. Dès qu'ils sont en paix, toutes distinctions
de rang cessent: les vieillards seuls y sont considérés, ils
aident les jeunes gens de leurs conseils ; la moindre
insulte qu'on leur fait , est punie très-sévèrement.
Les Brésiliens n'ont en général que des idées confuses
de religion , mais ils n'en sont pas moins superstitieux :
ils croient au bon et mauvais génie. Ils ont des sorciers
pour prêtres, et des charlatans pour médecins, qui abu-
DES iMERlfiAINÎ. I$9
sent de leur crédulité : ces derniers joignent Part de la
devination à la médecine. Ces sauvages croient , par
exemple , que l'oiseau lugubre , qui pousse des cris lamen-
tables , et des soupirs plus plaintifs que ceux de la tour-
terelle, est un messager de leurs païens défunts, qui ré-
clame leurs bons offices. Lorsqu'il commence son ra-
mage, ils prêtent une attention religieuse pendant tout
le temps qu'il cliante : malheur à celui qui les trouble-
rait dans cet instant de recueillement ! On pourrait con-
clure de là qu'ils ont quelque idée de la vie future.
Parmi les autres peuples du Brésil , on compte les
Cariges ; ce sont les plus policés : ils sont vêtus d'étoffes
de peaux de bêtes , ornées de colifichets, et le disputent
en blancheur avec les Européens. On leur a toujours
trouvé beaucoup de bonne foi dans le commerce ; mais la
crainte de l'esclavage , pour lequel ils se voient quelque-
fois enlevés par les Portugais, les empêche d'aller à Saint-
Vincent , seconde ville de la première Capitainerie du
Brésil. Les Cariges sont hospitaliers , cultivateurs et
guerriers. Ils ont des bourgs , des villes , des temples ,
des prêtres , des médecins ; ils croient à un grand génie
dont le pouvoir s'étend sur tout , mais dont la trop
grande bonté tolère un autre génie puissant , qui ne
s'attache qu'à nuire sourdement à tous ses plans. Ils vi-
vent de fruits , de légumes et de la chair de leurs
bestiaux.
Les Portugais en cherchant à asservir les Mameïus du
Brésil , en ont fait des ennemis implacables dans leur
haine et dans leur vengeance : s'ils rencontrent un Por-
tugais à l'écart , ils ne manquent pas d'en faire un de ces
horribles festins qui font frémir la nature. Dans la Ca-
pitainerie du Saint-Esprit , on ne compte que vingt mille
l50 ÏIÛEUR5, USAGES IT RËLÏ6Ï0N
Indiens convertis : on les appelait autrefois Margageats .
Ils ont été long-temps les ennemis mortels des Por-
tugais , mais s'élant apprivoisés par degrés, ils ont fait
avec eux des alliances que le temps a confirmées. D'au-
tres Indiens , plus enfouoés dans les terres , ne veulent
point de réconcilia ion. Ils s'abstiennent de chair hu-
maine , et sont idolâtres.
Dans la Capitainerie de Porto Securo, le voisinage de
certains peuples cruels et barbares , ne permet pas de
cultiver ce pavs. Les Molopaques occupent , au-delà du
fleuve Paraïba , une vasie contrée : ils ressemblent aux
Allemands pour la taille. Cette nation se couvre le corps,
et laisse croître sa barbe. Les mœurs de ce peuple n'ont
rien qui blesse l'honnêteté naturelle. Us ont des villes
environnées d'un mur de solives , dont les intervalles
sont remplis de terres ; des églises ; des idées assez rai-
sonnables sur l'Etre-Suprême. Leurs femmes sont belles,
spirituelles ,et ne souffrent jamais debadinage indécent :
elles portent leurs cheveux très-longs. Toute la nation a
des heures réglées pour les repas ; elle ainie la propreté:
les mœurs et les usages n'y sentent pas la barbarie ; on
les accuse d'oublier quelquefois leur caractère pacifique,
pour satisfaire leur vengeance.
Aux environs du fleuve Paraïba, habite un autre peuple ,
qui â toujours conservé beaucoup d'affection pour les
Français : il déteste les Portugais , et se montre toujours
disposé à entrer en guerre contre eux. Il adore un bon et
un mauvais génie.
Dans la vaste région qu'arrose le fleuve des Ama-
zones , on trouve plus de cent cinquante nations , dont
les habitations sont si proches l'une de l'autre , que du
dernier bourgs on entend couper le bois de la peuplade
DES AMERICAINS. 1SI
voisine. La religion de tous ces peuples est presque la
même. Quand ils sont prêts à marcher pour la guerre ,
ils élèvent à la proue de leurs canots l'idole dont ils
attendent la victoire ; et en partant pour la pêche 3 ils
arborent celle qui préside aux fleuves et aux lacs.
Ces naturels, ainsi que les Gallibls , sont bien faits;
grands et robustes ; ils sont si attachés à leur manière de
vivre , que l'exemple et les efforts des Européens n'ont
jamais pu les en faire changer. Chaque citoyen est libre ;
caries chefs, dans leurs bourgades, n'ont aucune autorité
sur leurs propriétés ni sur leurs personnes ; ils se bornent
à donner des conseils , à maintenir l'union , et à com-
mander le peuple pendant la guerre. On accuse les Gal-
libis de s'abstenir avec peine de manger leurs prison-
niers.
De toutes les nations qui habitent les bords de l'Ama-
zone , les Omagues sont les plus raisonnables et les mieux
policés. Ils ont la coutume , avant de se mettre à table ,
de présenter une seringue à chaque convive , comme
dans plusieurs villes d'Europe , on apporte de l'eau pour
se laver les mains avant le repas , ou du café après le
dîner. La forme de ces seringues est celle d'une poire
creuse , percée d'un petit trou à la pointe , et dans
laquelle ils adaptent une canule. Ils les remplissent
deau ; lorsqu'on les presse , elles font l'effet des serin-
gues ordinaires. Ce meuble est fort en honneur chez ces
Indiens; il annonce qu'on fera bonne chère, et qu'il
convient de lui faire une place.
' Les Portugais ont poussé la calomnie jusqu'à dire
que les Omagues engraissent leurs prisonniers pour les
manger. Jamais il ne sest mangé , encore moins vendu
chez eux , de chair humaine. Ils tuent , dans leur fêtes ,
3^2 MâSUÏlS» USAGES ET RELIGION
les prisonniers qui ont une grande réputation de bra-
voure. Aussitôt qu'ils leur ont coupé la tête , la pen-
dent en triomphe dans leurs maisons , et jettent les
corps dans le fleuve. Il n'y a point aujourd'hui d'an-
tropophages sur les bords du Maragnon ; mais il en
reste encore , dit-on , dans les terres , surtout vers le
nord.
Les Topinamboux étaient originaires de "Fernambouc 5
ils aimèrent mieux, après la conquête de leur pays,
renoncer à leurs terres , que de vivre sous le gouvernement
des Portugais ; ils se dirigèrent du côté du Pérou ,
où ils furent maltraités par les Espagnols , et descen-
dirent le fleuve des Amazones jusqu'à la grande île de
Maragna , dont ils occupent maintenant une partie, et
les Portugais l'autre. Les Topinamboux sont braves ,
spirituels , guerriers , très-attachés aux Français , avec
lesquels ils ont été en relation 5 mais ils détestent les
Portugais.
Les Barbades , les Oragnates , les Typayes , vivent
les uns errans dans les forêts , les autres se réunissant
dans des villages en nombre considérable. Ils sont redou-
tables dans la guerre. Il y a dans l'intérieur des terres
plusieurs peuples Nomades , auxquels on envoie des
Missionnaires pour les convertir. Les Uctaques sont ,
dit-on , plus sauvages que les autres ; ils ne souffrent
pas d'étrangers ; ce n'est qu'à cent pas de distance
qu'on peut traiter avec eux. Les mauvais procédés des
Portugais leur ont inspiré cette méfiance.
Les Otiomaques , hab.'tans des bords del'Orénoque et
du Meta, se nourrissent de poisson qu'ils tuent à coups
de flèches avec une adresse admirable. Quand ces deux
fleuves sont débordés , ils mangent , pendant deux ou
DES AMÉRICAINS. l53
trois mois des lézards, de la racine de fougère, et
avalent' une quantité prodigieuse de terre glaise , qu'ils
font cuire en forme déboules; ils partagent ce goût
avec les Nègres de Guinée , qui mangent une terre
jaunâtre qu'ils appellent caouac ; avec les habitans de?
l'île de Java , entre Sourabaja et Samarang, qui
mangent des gâteaux de glaise rougeâtre , qu'ils appellent
Tanaampo.
Les Mapuires % les Guamos , les Solivas , les Acha-
ques , les Caribes , les Araucas , les Caveres , qui habi-
tent le long de l'Orénoque , sont hospitaliers, guerriers
superstitieux et vindicatifs. Les Missionnaires ont tenté
plusieurs fois de les convertir au Christianisme, et n'ont
pu y réussir.
Des Amazones.
L'existence des Amazones de l'Asie et de l'Afrique ,
dont on a publié tant de -prouesses , ayant été soutenue
et niée , il n'est pas étonnant qu'il se soit élevé les mô-
mes doutes au sujet des Amazones de l'Amérique. Ce-
pendant on sait que les Vierges sacrées du Pérou avaient
préféré s'opposer au penchant de la nature , et à rendre
ainsi inutiles , les plus précieux dons de cette mère bien-
faisante , pour ensevelir avec elles une suite de géné-
rations. Mêla rapporte que les Lemniennes , ayant formé
le projet de se gouverner elles-mêmes , assassinèrent
leurs maris pour régner en souveraines dans l'île de
Lemnos, et vendirent Hypsipyle à des pirates, pour avoir
soustrait son père à la mort. (Diction, de Lloyd , au mot
Hjpnpjle, ou dans l'Archipel de Dapper. p. ni. de l'Edit.
orig. Holland. Art. Lemnos)
I 54 MŒTJRS, USAGES ET. RELIGION
Sans m'arrêtera tout ce que Schmidel , Orellanct ,
Acona , Barazy i le comte de Carli et tan/ d'autres , ont
écrit pour prouver l'existence des Amazones-Américai-
nes ; je vais exposer les rapports de divers savans et voya-
geurs. M. de la Condamine nous appvend ( dans les Mé-
moires de l'Académie des Sciences de Paris 1745.) ,
« qu'ayant demandé aux Indiens des diverses nations,
« qu'il rencontra le long du fleuve des Amazones, s'ils
« avaient connaissance de quelques femmes guerrières ,
« si elles étaient réellement séparées de toute société
« avec les hommes , et ne se laissaient voir qu'une seule
« fois par an; tous lui avaient répondu unanimement
c< que cela était vrai ; qu'ils avaient su de leurs ancê-
« très, que cette république de femmes était dans l'inté-
¥ rieur de leur pays-, qu'à leur retour elles s'étaient re-
« tirées au Noifl, par le Fleuve-Noir , ou un autre qui se
« décharge de ces côtés dans le Maragnon. »
Sur ce qu'un Indien de S.Joachim d'CXmaga , lui avait
dit qu'il trouverait facilement, à Coari, un vieillard dont
le père avait connu ces femmes, M. de la Condamine
s'y rendit avec ses compagnons de voyage. Cet Indien
était mort et avait laissé un fils âgé de soixante-dix ans ,
qui était alors chef du village. Cet homme lui assura
oue son aïeul avait réellement vu et connu les Amazones
à l'embouchure du fleuve Cuchivara ; qu'elles venaient
de Cajame qui se décharge dans le Maragnon , entre
Tese et Coari ; que cet aïeul avait eu des relations par-
ticulières avec quatre d entre elles , dont une avait un
enfant à la mamelle; qu'il savait le nomade chacune
d'elles , et quand elles se retirèrent de Cuchivara ,
qu'elles avaient passé le grand fleuve et avaient pris la
route de la Rivière Noire.
DES AMERICAINS." 1 55
Les informations que M. de la Condamine eut depuis
Coari 3 furent d'accord avec les précédentes; il apprit
en outre que les Amazones faisaient usage de certaines
pierres vertes , qu'on appellait pierres des Amazones , et
que ces guerrières femelles se nommaient Çougnqn ,
Tains e , Couima , ou femmes sans mari. Un Indien de
Mortigura, mission voisine du Para , lui offrit de le
conduire à un fleuve par lequel il pourrait approcher
du pays habité par ces femmes. Mais un autre Indien
le prévint que pour arriver à l'habitation de ces femmes,
il fallait , depuis le fleuve Irijo , traverser une forêt
de plusieurs jours de chemin , et des montagnes vers
l'ouest.
Enfin, M. de la Condamine rencontra un vieux soldat
de Cayenne , qui avait été de l'expédition entreprise en
17.26 , pour découvrir l'intérieur du pays. Ce soldat lui
dit qu'il avait pénétré jusqu'aux Amanes , nation à lon-
gues oreilles, et fixée aux sources de VOyapoc; qu'ayant
vu les femmes parées de certaines pierres vertes, il avait
demandé à quelques-unes d'elles, d'où, elles avaient eu
ces pierres , qu'elles lui avaient répondu des Couima ou
femmes sans mari.
Ainsi , les notices qu'eut M. de la Condamine, furent
constantes, et s'accordèrent parfaitement avec celles
qu'avaient eues en 1726, Dom Diegue Portalès, et
D. François Toralva , gouverneurs de Venezula. Il
semble, d'après tout ce que M. de la Condamine apprit
sur le pays, que ce devait être dans les montagnes de la
Guyane , où , ni les Portugais , ni les Français de Cayenne ,
n'ont pas encore pénétré. Cependant M. de la Conda-
mine ne dit pas si ces Amazones y subsistent encore
actuellement.
l56 MŒURS, USAGES ET RELIGION
Eus tache , d'après Denjs Perigète , nous apprend que
les anciennes femmes de l'île de Man (homme) sur les
côtes d'Angleterre, s'étaient approprié l'île de l'Homme,
et n'allaient sur la grande que pour être fécondes.
Gonzale Pizarre assura à Oviedo, que dans son voyage
de Quit >, pour découvrir le Canelier, ses gens et lui,
avaient été obligés de combattre contre des femmes
armées, commandées par une reine; qu'elles se lais-
saient voir de temps en temps par des hommes; qu'elles
rendaient les màlcs à leurs pères, et ne gardaient que
les filles parmi elles : qu'on les avait nommées Amazones ,
quoiqu'elles eussent leurs deux seins, et que le nom en
était resté au fleuve.
M. Paw , d'après son système négatif, prétend qu'O-
rellana seul est l'auteur de cette fable , et que jamais
on n'avait entendu parler avant lui , ( en 1^43 ) de ces
guerrières. J'ai déjà fait voir combien l'auteur des recher-
ches sur les Américains était peu familier avec la
Chronologie , en voici d'autres preuves. La relation que
Nugno. de Gusman envoya à Charles V, est datée du 8
juillet i53o : elle dit que les femmes sont regardées
comme des déesses; qu'on les dit plus blanches que les
autres femmes de ces contrées , qu'elles sont armées
d'arcs , de flèches , de rondaches , etc.
Ace récit antérieur à celui d'Orellana, j'ajouterai le
rapport de Pierre Martyr , membre du Conseil des Indes,
sous Charles V, comme sous Philippe, qui a écrit son
sommaire d'après l'histoire du moine qui a accompagné
Cortez , et qui connaissait très-bien la langue mexicaine.
Il dit : « Que des femmes sans hommes , habitaient l'île
« de Matitjna; qu'elles se défendaient avec des armes;
« qu'elles ne recevaient de commandement que d'elles-
DES AMERICAINS. l57
« mêmes; et qu'il leur avait douué à cette occasion le
« nom d' Amazones »
Alphonse Ul/oa, qui était page à la Cour de Ferdi-
nand et dTsabelle , lors du premier et du deuxième
voyage de Christophe Colomb; qui l'avait accompagne à
son troisième voyage , qui avait eu en main les journaux
de cet amiral, et avait écrit les histoires de Colomb • dit
dans le premier chapitre: « Que plusieurs Espagnols ayant
« mis pied à terre dans l'Ile de Quado-Zupa, ils y
« aperçurent nombre de femmes armées d'arcs , de
« flèches, ornées de panaches ; que la reine ayant été
« prise , elle fit entendre à Colomb que l'île était ha-
« bitée par des femmes; qu'il se trouvait accidentel-
« lement parmi elles quatre hommes d'une île voisine,
k qui, en certain temps de l'année, venaient coucher
« avec elles. »
On voit que , dès le commencement de la conquête ,
les, Espagnols les ont combattues ; c'est aussi pour cette
raison que le cacique Agaria avertit Orellana de se tenir
en garde contre ces femmes , qu'il nommait Konia
Pujara , femmes sans maris.
Améric Vespuce, dans la Relation de son premier
Voyage , parle de ces femmes guerrières ; il s'exprime
ainsi : « Les femmes , dans quelques contrées, se servent
« aussi de ces arcs. »
M. de la Condamine , au sujet de ces Amazones 1
dit : « Peut-on supposer que des Sauvages des contrées
« très-éloignées se soient accordés à imagines, sans au-
« cun fondement le même fait ; que cette prétendue
k fable se soit répandue à plus de mille cinq cents lieues
] 58 MCEDKS, USAGES ET RELIGION
« de distance , et qu'elle ait été si uniformément adoptée
« à Maynas , au Para , à Cajenne , à Venezuela ; parmi
« tant de nations qui ne s'entendent pas, et qui n'ont
« aucune communication? »
Il est possible que cette société ne subsiste plus au-
jourd'hui ; mais les objections de M. Paw sont bien
puériles, quand on songe qu'aucun bistorien ( excepté
Diodore de Sicile ) n'a rapporté que ces Amazones exer-
çassent un empire sur une population d'hommes.
Des Peuples du Paraguay.
Parmi les différens peuples du Paraguay, nous n'en
citerons que quelques-uns. Les Abipons habitent la
Guyane et la province de Rio de la Plata. C'est une
tribu guerrière qui met en campagne six mille hommes
de cavalerie , armés de lances de douze pieds de long ,
garnies de pointes de fer. Les hommes sont bien faits, et
les femmes ne sont pas beaucoup plus basanées que les
Espagnoles. Ces peuples sont idolâtres.
Les Mocobs , les Aucas et les Tobas , guerriers par
caractère , habitent au nord-ouest des Abipons ; ils sont
armés de longues lances ferrées , de flèches garnies de
fer. Les Indiens de l'Amérique méridionale , vers le
détroit de Magellan , sont indépendans , ainsi que le.i
Puelches du désert de Comarca ; les Moluches , les Té-
huels , qu'on peut appeler les Tartanes de l'Amérique
méridionale.
Les Manacicas sont plus industrieux ; ils vivent sous
un gouvernement qui approche beaucoup de celui des
Insulaires de l'océan Pacifique , dent ils ont aussi les
DES AMERICAINS. li>g
manières. Cette nation a tous les caractères qui distin-
guent les peuples policés.
Les Guaranis , qui habitent la rive Orientale du fleuve
de l'Uraguay, ont accueilli favorablement les Mission-
naires : beaucoup d'entre eux , se sont soumis à l'Evangile,
mais ils conservent leur indépendance et leur esprit
guerrier. Ceux qui sont à Fembouchure de l'Orénoque ,
n'ont jamais été domptés. Perchés, durant la saison des
pluies , sur des arbes , où. , ils tendent avec art, des nattes
tissues avec la nervure des feuilles du Maurltia , ils vi-
vent en paix des fruits de cet arbre, et de ceux des pal-
miers à éveittail. C'est sur cette couche humide, que les
femmes allument le feu nécessaire aux besoins du mé-
nage. Le voyageur qui navigue sur l'Orénoque pendant la
nuit, voit avec surprise des flammes sortir à une très-
grande hauteur, du milieu de ces arbres.
Les ^Chiriguanes , qui habitent sur les bords du Pilico-
Mayo , sont ennemis irréconciliables des Chrétiens , et
toujours en guerre avec les Espagnols. Ils descendent des
Guaranis qui n'ont pas embrassé le Christianisme. Ils
sont armés d'arcs, de flèches , de poignards , se couvrent
le corps de peaux de tigres, de plumes , et croient à un
bon génie et à un mauvais qu'ils invoquent plus souvent
pour se le rendre pus propice.
Les Chiquites sont moins féroces et plus disposés à
recevoir les lumières de l'Evangile. Ils cultivent de vastes
champs , et s'habillent d<| peaux apprêtées, ou d'étoffes
qu'ils font eux-mêmes.
Les Missions du Paraguay sont environnées d'Ido-
lâtres. Les plus obstinés sont les Guenoas , les Charuas
montrent moins de résistance; ils sont plus laborieux,
et n ont aucune communication avec les Espagnols. Dès
1 6o M CE UIIS, USAGES ET RELIGION
la fin du dernier siècle , on comptait dans le pays des
Moxes huit à neuf peuplades chrétiennes. Le père Ba-
raze étant parvenu jusqu'à la terre des Baures , il y fut
massacré au milieu des travaux apostoliques.
La nation des Manacicas est environnée de peuples
libres , mais farouches.
Les Ticharos sont barbares; mais les Mammelus , ainsi
nommés, pour exprimer apparemment leur ressem-
blance avec les anciens brigands d'Egypte , sont les plus
redoutables pour les Missionnaires, les Chrétiens, et les
Infidèles eux-mêmes. La douceur du climat, la fertilité
de la terre , qui fournit toutes les commodités delà vie,
servent encore à entretenir les Mammelus dans l'indé-
pendance. On prétend que, dans l'espace d'un siècle, ils
ont détruit ou fait esclaves près de deux millions d'in-
dividus, et qu'ils ont répandu la terreur et la mort dans
plus de mille lieues de pays , jusqu'au fleuve des Ama-
zones.
Il y a , dans l'intérieur du royaume de la Plata , de
nombreuses peuplades d'Indiens. Ceux du Nord , dans
le Tucuman , habitent des lieux marécageux, et se nour-
rissent de poisson ; ceux du Midi sont nomades et chas-
seurs. Quelques tribus se sont retirées dans des ca-
vernes souterraines. Leurs mœurs sont plus ou moins
barbares , suivant leurs rapports avec les Européens : on
leur envoie de temps en temps des Missionnaires, pour
tâcher de les convertir au Christianisme.
Nous avons déjà vu qu'on évaluait à soixante mille
hommes, le nombre des Indiens nomades ou agricul-
teurs , qui habitentlcs plaines qui entourent Buenos-Ajres.
Ce sont autant de cavaliers } qu'on peut regarder cpmme
DES AMERICAINS* l6i
comme les Tartares de l'Amérique méridionale. Il
sont joueurs de profession, mais francs au jeu, hospita-
liers , généreux.
. Des Patagons.
Ce peuple , d'une stature remarquable , et d'une force
non moins étonnante, n'est pas assez connu , pour que je
fasse ici la dénomination de toutes les tribus qui le
composent. Je me contenterai seulement de citer tous
les témoins respectables, qui ont certifié la taille élevée
des Patagons.
Suivant Magellan , ils paraissaient avoir six pieds et
demi ; et parmi eux, il s'en trouvait un qui était si grand»
que les Espagnols ne lui allaient qu'à la ceinture. Six de
ces Patagons mangeaient comme vingt Espagnols.
Pigafetta parle de ces hommes extraordinaires.
Vers Pan 1592, le chevalier Cavendish atteste avoir
vu deux cadavres de Patagons qui avaient quatorze pal-
mes de long (la palme était de 93, 97 lignes, ancienne
mesure ). Il mesura la trace du pied d'un de ces sau-
vages , elle se trouva être quatre fois plus longue qu'une
des siennes. Enfin, trois de ses matelots manquèrent d'être
tués par les quartiers de rochers qu'un géant leur lança*
Tous les voyageurs du seizième siècle ont parlé de
l'existence des géans du Cercle Antarctique, comme d'une
vérité reconnue.
Sarmiento dit que l'Indien, que ses gens avaient pris ,
était géant entre les autres géans, et ressemblait à un
Cyclope; que ses compatriotes étaient hauts de trois
aunes ( Voy. Purchas ), gros et forts à proportion.
L'Anglais Hawkins assure que les Patagons sont si
hauts de taille , qu'on leur donne le nom de Géans.
Tome 2, 11
î62 MŒURS, USAGES ET RELIGION
L'amiral Hollandais, Olivier de Noort, dit : qu'il a eu à
sou bord quatre Sauvages et quatre filles ;que l'un d'eux,
qui avait appris le hollandais , lui avait assuré que, dans
l'intérieur de laPatagonie, il y avait un£ nation nommée
Tiremenen , dont les individus ont dix à douze pieds de
hauteur. En se rapelant que soixante-dix pieds d'Ams-
terdam font soixante-un pieds de France \ les dix ou
onze pieds se réduisent à huit ou neuf français.
Le vice-amiral Sèbald de Veerl déclare en avoir tué
quatre.
Parce que quelques navigateurs du dix-septième siècle,
entre autres, ÏVood et Narboroug , prétendent n'avoir vu
au détroit de Magellan , que des hommes de petite
taille, est-ce une raison pour que Pigafetla ,Ha\vkins et
Knivet, soient des imposteurs ? On n'a jamais prétendu
que tous les peuples de la pointe de l'Amérique méri-
dionale eussent une taille colossale.
En 1704, les capitaines Harington de Saint-Mâlo , et
Carman de Marseille , virent une fois sept Géans dans
une baye de Magellan ; la seconde fois six , et la troi-
sième fois, une troupe de deux cents hommes, parmi
lesquels il y avait des Géans , et des Sauvages d'une taille
ordinaire.
Le judicieux Frezier, qui fit exprès, en 17 12, le voyage
de la mer du Sud , termine ainsi sa relation : « On peut
« croire sans légèreté qu'il y a, dans cette partie de l'A-
ec mérique , une nation d'hommes d'une taille très-supé-
« rieure à la nôtre. »
Shelvock , et d'autres capitaines moins connus , rap-
portent la même chose.
Le célèbre Amiral Biron dit : « Leur grandeur était si
« extraordinaire , que même assis^ ils étaient presque
DES AMERICAINS. l63
« aussi hauts que l'amiral cl ebou1:. Leur taille moyenne
w parut être de huit pieds , et la plus haute de neuf pierls
« et plus. La stature des fe. -mes est aussi étonnante
« que celle des hommes. On remaroue dans les enfans,
« les mêmes proportions. » Il est bon d'observer que
le pied anglais a un pouce de iroi:»s que le pied
français. Ainsi, huit pieds se réduisent à sept pieds
quatre pouces. Le Géant mexicain que M. Humboldt a
vu, avait sept pieds un pouce français.
M. Duclos-Gujot , lieutenant de frégate . et M. de la.
GiVat/û/ûw , commandant une flotte du roi de France , en.
1766 , après avoir séjourné quelque temps parmi les
Patagons, disent que le moins grand avait au moins
cinq pieds sept pouces de hauteur $ que leur carrure était
proportionnée à leur taille.
Il paraît donc prouvé que les Patagons , depuis trois
siècles , ont conservé une taille considérablement plus
grande que celle d'aucune autre race humaine. Voilà
qui ne s'accorde pas avec le système de désorganisation
dans les facultés morales et physiques des Américains ,
comme l'avance le détracteur de l'Amérique.
M. Paw , en refusant dadmettre en Amérique , des
liommes d'une taille haute et bien proportionnée, s'é-
lève contre le témoignage des voyageurs qui assurent
les avoir vus dans les Patagons , parce que l'amiral Ansony
qui a dirigé sa route à plus de soixante lieues au-dessous
du détroit de Magellan, et qui n'a fait que toucher au.
fort de Saint-Julien , situé au-dessus de cette cote orien-
tale de l'Amérique, sans s'y arrêter dit : qu'il n'a rien
vu, pas même des arbres sur la côte.(Voy. le chap. vr
du Ier. liv. de son Voyage ).
Parce que Narberough a observé la même chose lors-
11 *
l64 MŒURS, USAGES ET RELIGION
qu'il vint reconnaître cette côte, en 1670 , par ordre de
Charles II, roi d'Angleterre ; parce que Adanson n'a pas
vu les îles des Papjs ou Falkland, peut-on en conclure
que nombre de voyageurs n'ont pas vu ces hommes à
haute taille ? Certainement non, puisque depuis 1764,
il s'est formé dans leur pays , des établissemens fran-
çais /anglais et espagnols, et que la fameuse dispute
qui est survenue en 1770 , entre les Colons et les Pata-
gous, a confirmé l'existence de ces Géans.
L'Equipage du JVager, vaisseau de l'amiral Anson ,
dans son naufrage en 1740, s'étant sauvé dans l'embou-
chure du détroit de Magellan , y vit des hommes d'une
haute taille , qui avaient un drapeau blanc et des che-
vaux.
L'amiral Blron , qui était arrivé le 21 décembre 1764
à l'entrée du détroit de Magellan, dit , dans la relation
qu'il a présentée à l'amirauté d'Angleterre : « qu'il a vu
« une troupe de 5 00 Américains avec des chevaux et
« un drapeau blanc ; qu'il leur a fait quelques présens ,
v qu'un de ses officiers , nommé Comming, qui avait
« près de six pieds anglais de haut, paraissait un pygmée
x à côté du Patagon , auquel il offrit du tabac à fumer. »
L'existence des Patagons a été certifiée parmi les Espa-
gnols, par Magellan, Sarmiento, Nodal ; parmi les Anglais,
par Cavendiôh, Hawkins^Knivetj Biron ;parmiles Français,
par les équipages des vaisseaux le Marseille, le Sl.-Mâlo,
par M. de Bougainville ; parmi les Hollandais t par Sc~-
bald , Noort7 Lemaire , Spilberg.
Quand M. Paw objecte que personne n'a jamais eu à
sa disposition un de ces individus., cela prouve son igno-
rance , puisque Magellan en prit deux, dont l'un fut
baptisé avant de mourir ; que Pigafetla avait appris beau-
DES AMÉRICAINS. l6à
coup de termes de leur langue ; que Knivet dit en avoir
vu un au Brésil _, qui avait été pris au port St.-Julien,
et qui avait déjà treize palmes, quoiqu'il fut jeune ;
qu' Olivier Noort avait appris des habitans du port Désiré,
qu'il y avait dans 1 intérieur une nation de géans bien
plus grands qu'eux , appelés Tireménens.
M. Turner se trouvait à la cour de Londres en 1610,
lorsqu'on mesura l'os de la cuisse d'un Patagon, qui
prouva la taille gigantesque de cette nation.
M. de Commerson, naturaliste éclairé , qui accompa-
gna M. Bougainville, dit en avoir vu à la baie de Boucaut,
qui avait six pieds quatre pouces, pied de roi.
Vespuce , dans la lettre qu'il adressa à Laurent de Mé-
dicis pour lui rendre compte de son second voyage , au
sujet de ce qui lui arriva au golfe de Parias, dans une de
ces îles qu'il nomme Yîle des Géans , dans la relation in-
titulée second voyage , dit: « Nous trouvâmes douze
« cabanes , où il n'y avait que sept femmes de haute
« taille , dont la moindre avait un empan et demi déplus
« que moi. Nous vîmes trente-six hommes d'une si haute
« taille , qu'étant à genou , ils me surpassaient lorsque
k j'étais debout. Enfin, ils étaient d'une stature gigan-
k tesque, tant à l'égard de la taille , que des autres pro-
« portions. » Or, Vespuce a connu ces géans avant d'ar-
river à Venezuela : conséquemment il a connu: les Pata-
gons avant tout autre navigateur , c'est ce que personne
n'a observé dans ses rapports. Voilà M. Paw confondu
par le témoin même qu'il respecte.
Les commandans de vaisseaux TVallis et Carteret, qui
se séparèrent au détroit Magellan, en 1766, ont vul'un
et l'autre les Patagons. Cartejet en a fait une relation
l66 MŒURS, USAGES ET RELIGIOTÎ
très-circonstanciée, qu'on a publiée dans le tom. LX
des Transactions j hilosophiques.
M. de Bougainville , parti de Saint-Mâlo en 1765, avec
les frégates 1 Aigle et l'Etoile , rapporte: « que M. de
« Saint-Simon, capitaine d'infanterie, né au Canada, ayant
« débarqué au cap Georges, avec les autres Français
«c qui étaient dans la chaloupe, ils restèrent pendant
«•deux jours au milieu de SooPatagons, parmi lesquels
« il y avait des femmes et des enfans ; que la chaloupe
« étant retournée à bord avec un pavillon blanc , ou
« fît alliance avec eux ;
« Que dans' la baie de possession, les Français trai-
« tèrent amicalement avec les Patagons , qu'ils avaient
tt des moustaches sous le nez, que le moindre avait cinq
« pieds dix pouces , et six pieds ; qu'ils avaient une
« énorme carrure, une grosse tète, des membres épais,
« robus es , bien nourris, leurs nerfs tendus , leur chair
« ferme et soutenue ; qu'il n'y avait pas de femme ,1'au-
« tre partie de la peuplade étant plus loin. »
Il y avait chez M. Darboulin, fermier-général, un ha-
billement et des armes de ces hommes extraordinaires ,
que M. de la Giraudais , commandant de la frégate VÊ-
ioile , avait rapportés avec lui.
Acosta assure qu'aucune histoire n'a été plus répan-
due parmi les peuples du Pérou et les autres nations
américaines, que celle des invasions et des anciennes
guerres de ces géans ; et aucune chose n'a été prouvée
par plus de témoins, que cette race gigantesque, depuis
Verpuce jusqu'àByron, Wallis,Carteretet Bougainville,
les derniers voyageurs les plus judicieux et les plus
éclairés.
M. Cook, en transportant MM* Banks et Solander à
DES AMÉRICAINS» 167
Taïti, en 1769, pour observer le passage de Vénus, tra-
versa par le détroit de Lemaire , et non par celui de
Magellan. Cependant, étant descendus à terre, ils entrè-
rent dans une cabane où il y avait une petite famille ,
dont les hommes avaient cinq pieds huit pouces. Ils dif-
féraient des Patagons , dont le détroit de Magellan les sé-
pare, tant par les habits et*les usages, que par la langue,
et ils n'avaient pas de drapeau blanc.
J'accorderai sans difficulté a l'auteur des Mémoires
sur les Américains, que les grands os qu'on trouve dans
le Nord et le Sud de l'Amérique, sont une partie de
ceux de grands animaux; mais il est certain que l'autre
partie doit être des os de ces géans qu'on ne supposera
pas sans doute immortels. Au reste, M. D. Prenetty
a encore mieux prouvé l'existence des Patagons , pages
82-123.
Cette énergie de la nature n'est pas bornée en Amé-
rique, aux contrées du Sud. Oviedo dit, dans son som-
maire , que les Jugules , au nord de la Terre - Ferme ,
étaient généralement plus hauts que ne sont les Alle-
mands. C'est aussi ce que confirme Âlvaro-Nugnez , en
parlant des habitans de la Floride.
Pamphile Narvaez dit : « Tous les Indiens que nous
« vîmes dans la Floride, jusqu'aux Apalaches, sont ar-
ec chers, hauts de taille, et paraissent autant de géans. C'est
k une nation singulièrement bien faite , bien découplée,
«c d'une très-grande force, et très-leste. Leurs arcs sont
« de la grosseur du bras , et ont de onze à douze pau-
« mes de long, portant jusquà deux cents pas. Jamais
« ces gens ne manquent leur coup. a
Gumilla , qui a demeuré tant d'années parmi les peu-
ples de l'Orénoque , dit, Tom. 1. pag. io3': « Chez les
l68 MŒURS), tTSÀGES ET RELÏGÏOX
y> Ottomaques , les hommes sont grands et replets.
» Chez les nations Cjrara , Ajrïca , Saliva ; et chez
» les Caraïbes , on trouve un grand nombre d'Indiens
» dune tadle haute , élégante et bien proportionnée.
Je crois donc pouvoir conclure que , comme il Y a des
peuples d'un ou deux pieds plus bas que les Européens ,
il est possible qu'il s'en troifve qui les surpasse de la
même mesure ; de sorte que l'on se trouve lîxé dans le
moyen terme de ces deux extrêmes , où la nature peut
faire avancer ou rétrograder la taille et l'espèce hu-
maine.
Dans la terre Magellanique , quelques-unes des peu-
plades qui habitent du côté du Paraguay , de Buénos-
Ayres , et du Chili , se sont un peu civilisées ; mais on
n'a jamais pu communiquer librement avec les Patagons
du midi , qui ont voué une guerre à mort aux Espagnols.
Les Pécherais se sont conservé la possession de l'Ile
de Feu , et n'ont rien perdu de leurs moeurs agrestes,
ni de leurs superstitions.
Peuples du Chili.
' Les Moluches habitent la fertile et riante contrée entre
la rivière Biobio , et celle de Valdivia.
Les Cunchi demeurent depuis Valàivia jusqu'au Golfe
de Gujaleca.
Les Huiliches résident depuis l'Archipel de Choiios ,
jusques vers le Golfe de Pennas.
La taille de ces peuples est grande dans les parties des
montagnes , et moyenne vers les côtes. Leurs traits sont
assez réguliers, et leur teint n'est pas basané. Ils exercent
l'agriculture , récoltent des fruits , font du cidre , pos-
DES -AMÉRICAINS* 1%
sèdent des troupeaux immenses de Chevaux , de Bœufs,
de Guanacos , et de Vigognes. Leur religion approche
beaucoup de celle des Péruviens. Ils forment souvent un
corps de cavalerie de dix mille hommes , qui agissent
comme autant de Tartares , lorsqu'on les provoque.
Les Araucanes forment une tribu redoutable , ainsi
que les Cuinches. Ils habitent au sud de la rivière Bibio.
Ils ont attiré dans leur confédération quelques tribus
Tuelches , habitans de la plaine. Celles des montagnes ,
s'appellent Serranos : elles s'étendent jusqu'au détroit de
Magellan. Le missionnaire Falkner prétend qu'un Cacique
de ce peuple, avec lequel il était lié , avait sept pieds et
quelques pouces.
Ces Indiens sont Nomades , et changent souvent d'ha-
bitation. Ils sont presque toujours à cheval , et se nour-
rissent de racine, de lait et de la chair de leurs troupeaux.
Ils ressemblent aux Arabes et aux Tartares d'Asie. Plu-
sieurs de ces hordes sont encore en guerre avec les Espa-
gnols : lorsque Tune est vaincue , elle abandonne le pays,
et revient au bout de quelque temps , avec de nouvelles
forces , et une nouvelle fureur. Souvent elles forment des
armées , dont le nombre monte de quinze à vingt mille
hommes. Les Espagnols , voyant qu'ils perdaient beaucoup
de monde dans de pareilles expéditions , ont été forcés
de diminuer leurs vexations , pour ne plus être exposés»
à de semblables défaites. La douceur a obtenu de ces peu-
ples, ce que la rigueur n'aurait jamais pu faire : ils sont
devenus plus traitables , et ont reçu des Missionnaires
chez eux.
Les Tuelches à pied errent dans les Pampas : ils re-
connaissent un bon et un mauvais génie.
La demeure des Argueles , ou des Césares , n'est pas
If© BICETTUSj US ACES ET RELICIOS
encore bien connue. De toutes les contrées du Nouveau-
Monde , c'est le Chili qui a fait la plus longue résistance:
la guerre dura dix ans sans interruption, et avec un achar-
nement incroyable. Almagro la commença en i535.
Valdivia, lui ayants uccédé, en 1 541, il surprit les habi-
t'ans qui étaient occupés à leur récolte , et massacra ceux
qui tombèrent sous sa main. Un vieux guerrier , furieux
de voir ses compagnons mis en déroute par ces étrangers > ,
qu'il avait battus plusieurs lois, rassemble ses frères d'armes,
en forme treize compagnies de mille hommes chacune,
les met en colonnes par échelon , et marche à l'ennemi ,
après avoir ordonné à la première , en cas qu'elle fut
repoussée, d'aller se rai lier sous la protection de la dernièrej
à la deuxième, et aux autres colonnes, d'imiter la même
manœuvre. Ses ordres ayant été exécutés avec précision,
les Espagnols, après avoir défoncé tous les corps les uns
après les autres , se trouvèrent avoir à combattre encore
la même armée. Valdivia et ses gens, épuisés de fatigues,
voulurent se retirer vers un défilé ; on les prévint , ils se
virent attaqués de tous les côtés : leur armée fut taillée
en pièce, et Valdivia fait prisonnier. Le vieux capitaine
Indien lui fit couler dans la bouche de l'or, en lui di-
sant : abreuve-toi de ce mêlai dont tu es si avide, les Indiens
ne s'en tinrent p^s là : ils entrèrent dans le Pérou , pil-
lèrent les villes, ravagèrent les établi ssemeus Européens,
emmenèrent leurs femmes , commirent les cruautés qu'ils
avaient vu commettre aux Espagnols. Cette conduite
mal-adroite augmenta le nombre de leurs ennemis :
ils furent obligés, à leur tour, de se retirer dans
les montagnes; après une longue guerre et beau-
coup de sang répandu , ils furent vaincus par les for-
ées nombreuses accourues du Pérou : les Espagnols^
DBS AMÉRICAIN S. 171
malgré ce succès , n ont jamais pu soumettre entière-
ment le Chili.
Des Péruviens.
Les peuples du Pérou avaient reconnu pour fondateurs
de leur société civile , Ynca Manco-Capac , et sa sœur et
femme Coja Mamma OEllo Huaco. Ynca Capac , signifie
Grand-Seigneur ; et Coja Mamma , Impératrice-Mère :
ces titres passèrent à leurs descendans.
Selon la tradition de ces peuples , ces deux illustres
personnages étaient nés du Soleil , peu de temps après le
déluge , dans l'île du Lac Titica, à huit cents lieues de
Cuzco. Le Soleil , leur père , en leur apprenant comme
ils devaient s'y prendre pour rendre les hommes heureux 7
leur ordonna d'établir le siège d'un Empire dans l'endroit
où la verge d'or , qu'il leur remit, s'enfoncerait en terre
d'un seul coup. Ils se mirent donc en route : quand ils
arrivèrent aHuana-Cauti, la verge s'étant enfoncée dans
la terre, ils choisirent ce lieu pour le exécuter les ordres
de leur père : ensuite ils se séparèrent pour aller chercher,
chacun de leur côté, des hommes en assez grand nombre
pour fonder une ville. Ils revinrent bientôt avec beaucoup
de monde , et bâtirent Cuzco , qu'ils divisèrent en deux
parties. L'une fut nommée Huanan-Cuzco , la haute
Cuzco ; l'autre Hurin-Cuzco , la basse Cuzco. lisse réglè-
rent sur cette division pour les autres villes de l'empire-
Manco apprit aux peuples à bâtir des maisons ; à faire
des charrues, des bêches et autres instrumens aratoires;
à labourer , semer , recueillir les grains , les légumes
nécessaires , et à faire les armes offensives et défensives.
Il leur enseigna une religion fort simple : les premiers
usages qu'ils pratiquèrent leur firent sentir de quelle
I72 MOEURS, USAGES ET RELICIOW
importance il était d'obéir aux lois ; il leur donna des
leçons sur la propagation et les avantages des troupeaux.
Coya Mamma apprit aux femmes à filer la laine et le
coton 5 à tisser, et à faire des habits pour leurs maris et
leurs enians; à conduire une famille, et enfin à faire tout
ce qui regarde le ménage.
Les premières limites de ce royaume furent fixées , du
côté orientai , au fleuve Paucartampu ; à l'Occident , le
fleuve Apurimac lui servit de frontière ; et vers le Midi
le Quequisana borna son étendue. Cet espace de terrein
renfermait , dit-on , plus de cent bourgades , dont les
inoindre s étaient composées de cent maisons. Mais la
tradition générale est que plusieurs nations se réunirent
sous les ordres de Manco-Capac ; savoir : celles de Masca ,
à.' Unie qui ex. de Papri , du côte de l'Occident ; quatre
autres du côté du Nord, , connues sous le nom de Majrrù,
Cancu , Chinchapucuyn , Rimactampu ; et du côté du Midi^
dix - sept autres comprises sous la dénomination
RAyarmaca.
!Les simples Incas avaient les cheveux coupés à diffé-
rens étages, de la longueur de deux ou trois doigts : leurs
oreilles étaient percées d'un large trou , dans lequel ils
attachaient de longs pendans, qui leur tombaient jusqu'à
la ceinture. L'ornement de la tête consistait en une
bande de couleur noire , avec des plumes droites.
Les femmes des Incas , nées du sang royal , étaient
toujours distinguées de celles des simples Incas : on les
appelait P allas. Les femmes des simples Incas avaient
le titre de Mammacunes , (Dames). Palla , signifie sang
royal. Les filles des Incas étaient consacrées au Soleil ,
non à l'Empereur , pour demeurer Vierges et cloîtrées
loutc leur vie. Les Pallas que l'Empereur prenait pour
DES AMÉRICAINS. Ij3
maîtresses , tenaient le premier rang après 1* Coja , et
leurs fils étaient habiles à succéder au trône , si l'Impé-
ratrice morrait sans enfans. Il n'en était pas de même
de ceux qui étaient nés des filles de Princes ou de Caci-
ques. La différence de la parure distinguait les degrés
de la première , de la seconde et de la troisième
noblesse.
La gloire de ce sage Gouvernement , était : que la
maxime fondamentale des Souverains devait obliger même
les sujets à être heureux. L'empire du Pérou fut le seul
de la terre qui parvint à un but si digne de l'humanité.
Quant aux moyens que les souverains employèreni pour
y arriver, (voyez les lettres sur l'Amérique, par
M. J.-R. Carli, depuis la page 202 jusqu'à 254 du
deuxième volume.)
A l'époque de la conquête du Pérou , la noblesse
européenne ne savait ni lire ni écrire , tandis que
celle du Pérou était instruite.
Les noms des empereurs Romains retentissent tou-
jours à nos oreilles ; si les uns ont été justes , les autres
étaient atroces; ceux qui n'ont pas fait de mal, l'ont
laissé faire à leurs femmes et à leurs favoris.
c Libertina ferens , nuptarum queimproba facta,
c Nonfaciendonocens, sed patiendofuit.
(Ausone de Claude).
L'Histoire ne fait ce reproche à aucun Inca.
Cet écrivain paraît avoir ignoré que les Péruviens
avaient su apprivoiser et former en troupeaux nombreux
les Lamas, les Pachos , ou Alpaques , les Vigognes , ces
espèces de Chameaux et de Chèvres, dont la laine dif-
fère des espèces analogues des Anciens-Continens.
Pour faire respecter les lois, on les publiait au nom du
2 74 ttCEtTfiS; USAGES ET RELIGION
premier législateur, dont le souvenir était toujours cher
au peuple. C'est à tort qu'on a cru pouvoir comparer au
gouvernement des Incas , si toutefois ou le peut , le gou-
vernement d'Angleterre , sous le roi Alfred ; car les
Francs, les Fisigoths, les Gotlis, avaient le même système.
Les Saxons l'avaient eu chez eux , avant de passer
en Angleterre. Les coutumes de Bourges et àC Anjou ,
parlent même de divisions par seplaines et par quintes.
D'ailleurs le système d'Alfred réglait, il est vrai , Tordre
civil parmi le peuple; mais il laissait subsister tous les
défauts , que les Incas avaient évités ; leur gouverne-
ment était Le vrai système d'une famille , où le père
distribuait le travail à ses eufans , sans leur rien aban-
donner en propre. La religion , loin d'y avoir la prépon-
dérance, n'en faisait la base que comme subordonnée
aux besoins de l'empire. Une loi inviolable avait rendu
l'empire héréditaire; c'était toujours l'aîné qui succé-
dait ; l'héritier devait épouser sa sœur de père et de
mère : la deuxième classe était celle des Caciques et
des nobles de l'empire. Au Mexique , le souverain était
électif, les biens y étaient autant de propriétés; l'ambi-
tieux pouvait aspirer au trône. Le despotisme du temps
de Motézuma était le seul effet de l'ambition ; aussi le
peuple était opprimé , esclave et mécontent : outre cela,
la religion était sanguinaire. Les Incas , au contraire ,
souverains et chefs d'une religion simple, et humaiue ,
étaient chéris de leurs peuples , dont ils prévenaient les
besoins. La religion se trouvait fondue dans le respect
qu'ils avaient pour leur souverain. La religion des Péru-
viens étaitcelle de l'amour et de la bienfaisance. Les plus
éclairés de la nation reconnaissaient un Etre-Suprême ,
un esprit créateur , arbitre de tous les éyenemens.
DES AMÉRICAINS* 1^5
Los Impératrices et les Empereurs ne portaient pas
d'autres habits que ceux que les vierges du grand monas-
tère de Cuzco avaient faits. L'habillement de FEmpe-
reur était fort simple; il avait la tête ceinte dune ban-
delette large d'un pouce , qui faisait plusieurs tours ;
elle était bordée d une espèce de ruban et de franges
de diverses couleurs ; cette frange était fixée à chaque
côté des tempes, et surmontée de plumes; c'est ce quon
appelait le Llautu ou frange impériale ; une espèce de
chemise appelée Uncy. lui tombait jusqu'aux genoux ; il
mettait par-dessus un manteau de même longueur.,
nommé Racolla ; un ruban large de quatre doigts tom-
bait de l'épaule gauche en écharpe vers le côté droit, au
bout duquel pendait une bourse carrée où était le Çoca,
plante qu'il mâchait , comme les Orientaux le bétel*
sa chaussure était une semelle qu'on fixait au pied avec
des cordons , comme les sandales des Romains. Les
étendards de l'Empereur portaient la figure de l'Iris , ou
arc-en-ciel.
Outre les vierges qui vivaient dans la retraite , plu-
sieurs filles dlncas renonçaient aussi au mariage , et
faisaient vœu de virginité , ce qui leur attirait beaucoup
de respect , et les faisait appeler , par excellence ,
Oello.
L'usage voulait qu'on n'allât jamais rendre visite à un
supérieur sans lui porter quelque présent. Lorsque l'Em-
pereur faisait ses visites dans les provinces , on ne se
prosternait devant lui , on ne lui baisait la main qu'en
lui présentant l'hommage de quelque ouvrage d'or ou
d'argent, de pierres précieuses , de bois rares, ou de
quelques animaux sauvages pour sa ménagerie. L'or et
i'argeut , si abondans dans ce pays rempli de raines ?
IjÔ MŒURS, USACES ET RELIGION
étaient devenus un simple objet de dévotion et d'hom-
mage ; et la législation des Incas , un amour sans bornes ,
un respect, qui allait jusqu'à l'adoration.
Les mariages étaient célébrés par des fêtes. L'Empe-
reur faisait lui-même , et avec beaucoup d'appareil, la
cérémonie du mariage des Incas. Lorsque le jeune Inca
avait atteint l'âge de vingt-quatre ans ,' fixé par la loi , il
épousait sa sœur, s'il en avait une , ou bien sa plus pro-
che parente , qui ne devait pas avoir moins de dix-huit
ans. La cérémonie se faisait dans le temple du Soleil, à
Cuzco. Tous les deux ans l'Empereur rassemblait, dans
le même temps, tous les jeunes garçons et toutes les
jeunes filles nubiles du sang royal , s'asseyait au milieu
d'eux, choisissait ceux qui se convenaient , joignait leurs
mains , leur faisait promettre une fidélité réciproque,
leur donnait sa bénédiction , et les renvoyait à leurs pa-
reils. Les nouveaux mariés se rendaient dans la maison
du père de l'époux, où se célébraient les noces, qui du-
raient huit jours; de cette manière la famille royale ne
contractait jamais d'alliance étrangère , mais llnca seul
épousait sa sœur, on consacrait vingt jours aux réjouis-
sances pour ses noces.
Les gouverneurs , après lui , étaient chargés de marier
les individus du peuple. Après les épousailles publiques,
le père de famille célébrait des noces particulières chez
lui ; les plaisirs duraient trois jours. Il y avait des fêtes
lorsqu'il s'agissait de couper les cheveux , pour le se-
vrage , pour le baptême du premier né de l'Empereur,
et de même à proportion pour les autres sujets de
l'Etat. La lutte, la course de la jeunesse, étaient aussi
des jours de fête. L'agriculture était honorée par des
DES AMERICAINS. 1 J,?
jours de fêtes ; cependant les fêtes les plus solennelles
étaient celles de la Religion et du Soleil.
La cérémonie des Ramis ou fêtes du Soleil , commen-
çait par des offrandes eu statues d'or , d'argent , ou
éméraudes, turquoises, etc. Le sacrifice consistait en un
cancu ou pain béni , et Vaca ou liqueur sacrée , dont les
prêtres et les Incas buvaient une partie ; après quoi les
danses commençaient.
Mais les fêtes majeures étaient celles des Equinoxes.
Ils avaient trouvé le moyen de marquer ces deux points
du cours du soleil avec une colonne parfaitement tra-
vaillée , enrichie d'or , d'émeraudes , de turquoises , et
placée au milieu de la place du temple. Un cercle, dont
elle faisait le centre , s'y trouvait partagé par un, dia-
mètre qui s'étendait du point de l'Orient à celui de
l'Occident; au moyen de l'ombre de cette colonne, que
les prêtres observaient au lever et au coucher du soleil,
ils saisissaient le moment de l'équinoxe , et vérifiaient
leur observation à midi , lorsque l'ombre du gnomon ou
de la colonne tombait sur le méridien.
Aussitôt on ornait cette colonne de fleurs , d'herbes
aromatiques : on plaçait dessus un trône d'or pour servir
de siège au Soleil , où l'on disait qu'il se reposait.
On avait élevé de pareilles colonnes dans les villes
situées près de la ligne Equinoxiale , entre autres , à
Quito. Celles où le §oleil tombait perpendiculairement
à midi , sans jeter aucune ombre , étaient beaucoup
plus révérées par le même principe.
L'Espagnol Sébastien Beîalcazarût détruire et enterrer
les colonnes de Quito , et de toutes les autres villes. La fête
du renouvellement du feu, celle des œufs depaques , etc. ,
se célébraient aussi tous les ans.
* TOME 2. 12
I78 M Œ U II S , USAGES ET RELIGION
Dans les fêtes où il y avait des danses , de la mu-
sique j les instrumens variaient avec la province. Ceux
de Colla se servaient particulièrement d'une flûte com-
posée de cinq brins de roseau, de grosseur et de longueur
différentes. Lorsqu'ils jouaient à deux , le second cor ré-
pondait parfaitement en proportion de quinte plus basse.
Ils jouaient aussi de la flûte simple , qui n'avait que
quatre ou cinq tons ; cet instrument était celui des amans.
Cette flûte était consacrée aux airs et aux chansons
d'amour.
Les trompes étaient des instrumens militaires , de
même que les tambours ; ils servaient aussi aux danses.
L'on a conservé quelques-unes des hymnes que ces peu-
ples chantaient dans ces occasions : elles rappèlent, d'une
manière touchante , la douceur des mœurs et le génie
de cette nation. Les Péruviens jouaient des comédies
pendant ces fêtes, ils les aimaient par préférence, tandis
qu'a Tlascala on préférait la tragédie. On peut voir dans
Garcilasso quelques pièces anacréontiques de poésie pé-
ruvienne.
Rien n'est plus intéressant que le détail de ces peuples.
Au printemps on cultivait les champs en commun , et
chaque père de famille recevait un terrein proportionné
au nombre de sa famille ; les villes avaient des magasins
où chacun portait sa contribution en nature. Les armes
et les habits militaires étaient conservés dans des arse-
naux. Il ne paraît pas qu'il y eût une classe particulière
d'artisans ; chacun faisait lui-même tous les ouvrages
dont il avait besoin , ou se procurait chez un autre ce qui
lui manquait.
On ne voyait jamais les Péruviennes dans les rues ?
«ans filer , cordonner la laine ou le coton. Elles île sa
DES A MB RI C AI N S» î^fj
rendaient aucune visite sans avoir leur ouvrage avec elles.
Blas Faleras dit que si les Espagnols avaient élevé
•leurs enfans aux professions de leurs pères , suivant la
sage institution des Incas , le Pérou, aurait été plus flo-
rissant qu il ne l'est actuellement (en i56o ). Je défie le
philosophe Paw de montrer un Code de lois , un plan
de gouvernement plus exact dans toutes ses parties , et
de ressorts aussi actifs et aussi bien enchaînés que ceux
de la législation des Incas.
Les Péruviens avaient quelques connaissances en géo-
métrie , en astronomie , en peinture et en architecture.
Sans le "fcours du fer, ils savaient tailler, travailler les
pierres et construire d'immenses édifices ; ils se servaient
de cuivre pour la fabrication de leurs instrumens ; leur
vaisselle était de terre cuite. Ils soignaient l'éducation de
la jeunesse ; les écjles publiques n'étaient point confiées
aux prêtres ; ceux-ci étaient entièrement restreints aux
fonctions du culte.
Au milieu de la ville de Cuzco , les Péruviens avaient
ménagé une grande place , d'où sortaient quatre belles
rues qui représentaient les quatre coins du monde. Il j
avait des quartiers assignés pour chaque province de
l'empire : on y adorait le Soleil dans un temple somp-
tueux , lambrissé d'or et de pierres précieuses , où l'on
voyait , comme en trophées , les idoles des peuples que
les Incas avaient éclairés et soumis. La figure du Soleil
était telle que nos peintres la représentent, mais d'une
grandeur monstrueuse , et d'or massif. Vis-à-vis de ce
temple il y en avait quatre autres qui offraient les mêmes
richesses. Le premier était consacré à la Lune ; Le
deuxième à l'étoile de Vénus : le troisième au Tonnerre .
le quatrième à i'iVrc-eu-cieJ. Une salle voisine, revêtue
*8o MŒURS, CSAGKS ET RELIGION
de lames d'or , servait aux conférences des prêtres. Les
provinces cherchaient à se distinguer par leur magni-
ficence. Les rues de Cuzco étaient ornées d'un grand
nombre de palais et d'édifices royaux , dont l'or et l'ar-
gent étaient la principale décoration; on y voit encore
les restes d'une fameuse forteresse , que les Incas avaient
élevée pour leur sûreté ; ils l'avaient environnée d'un
rempart , pour fermer tous les passages extérieurs, et so
conserver en même temps une communication libre
avec leurs sujets par des voûtes souterraines qui condui-
saient à trois autres forts , où ils entretenaient une nom-
breuse garnison. Les murs étaient d'une hauteur extraor-
dinaire , composés de pierres bien taillées et plus remar-
quables encore par leur grosseur. (Le Voyageur français ,
pag. 87 , tome XII. )
On trouvait dans tout le Pérou des grands chemins et
des chaussées qui facilitaient les relations d'une province
à l'autre. Cinq cents lieues de montagnes coupées par des
rochers, des vallées, des précipices, des torrens sur-
montés de ponts de cordes de lianes , offrent encore un
chemin commode , depuis la province de Quito jusqu'à
l'extrémtié du royaume. On y voyait des routes de deux
et trois cents lieues ; des pierres millières indiquaient
aux voyageurs la situation des lieux et des auberges pour
se reposer.
Les Péruviens n'enterraient pas leurs morts , mais
ils les mettaient dans de grands tombeaux murés ,
dune hauteur et d'une longueur considérables. On
les appelait Guacas. On en trouve encore dans plu-
sieurs endroits. Dans ces tombeaux de pierre que les
Péruviens consacraient à la postérité , et qui formaient
des collines artificielles de soixante pieds de hauteur sur
DES AMÉRICAINS. l8ï
cent de longeur; ils ensevelissaient le défunt , avec ses
meubles , ses pincettes , dont la plupart était d'or.
D'après les renseigneraens que les personnes qui
avaient résidé long-temps dans le Pérou, avaient donnés
à M. le comte J. R. Carli , sur les édifices , les ouvrages
des Incas , les canaux , les grandes routes , les ruines
qui restent encore des forteresses , des palais , des aque-
ducs , etc. ; d'après le récit d'un savant ex-jésuite ,
entre autres , né à Lima , qui a demeuré plusieurs an-
nées à Cuzco , et qui a confirmé à M. le comte J. R.
Carli la vérité de ce que les relations ont appris à ce
sujet , M. Carli s'exprime ainsi : « Il m'a assuré qu'on
« voyait encore des canaux construits sur la pente des
« montagnes , soutenus par des digues élevées , avec
« une espèce d'argile si solide, que cela forme actuelle-
« ment un massif d'une dureté égale à celle de la pierre.
« Il y a quelques années qu'un tremblement de terre
« y fit une rupture. Les Espagnols essayèrent de réparer
a le dommage ; mais ils ne purent retrouver cet argile ,
■ ni former un ciment analogue , quoiqu'ils fissent
k de très -grandes dépenses pour rétablir la "digue. »
Examinons les villes , dit M. Carli. Caxas était une
ville médiocre ; Guacamba paraissait plus importante :
ony voyait un fort présentant une enceinte de pierres de
taille ; deux escaliers de pierre y conduisaient à deux
appartemens.
Caxamalca avait aussi un fort auquel on montait par
un escalier de pierre. François Xérès , un des capitaines ?
lors de la conquête , dit : « Qu'il y avait deux mille mai-
« sons dans cette ville et bien bâties ; les murs en étaient
« épais et hauts de dix-neuf pieds ; il en a décrit la
« principale 5 elle représentait plusieurs appartemens ?
3 82 MŒURS, USACES ET RELIGIOS
« tout faits de pierres de taille et bien travaillées: le toit
« en était de bois et de paille. La maison qu'habitait
« jltnliualpa , dans la ville de Caxamalca, était partagée
« en quatre appartemeus ou corps-de-logis. Dans Tin-
te térieur était une cour où il y avait un bain d'eau chaude
« et d'eau froide, qu'y amenait un aqueduc. Le bassin
« du bain était en pierre. L'appartement du jour avait
« un balcon sur un jardin , et près de là une chambre
« à coucher, dont- la fenêtre donnait sur la^cour. Les
« murs avaient pour enduit une espèce de bitume ronge
« très-brillant: la charpente était peinte de la même coû-
te leur ; T autre appartement, qui était de front, présentait
te quatre voûtes rondes ; mai» par leur ensemble, elles
te se trouvaient toutes réunies en une, elles jetaient en-
« duites d'un crépi blanc comme neige. »
Cette relation dément formellement ceux qui soutien-
nent que les maisons des Péruviens n'avaient pas do
fenêtres. Les maisons des parties méridionales de l'Espa-
gne n'en ont pas ; à peine en aperçoit-on aux maisons des
Romains , découvertes à Pompeia.
Chinca était une autre ville au milieu d'un pays habité par
des pâtres qui y gardaient de nombreux troupeaux de vi-
gognes. Le temple du Soleil se trouvait à Pachacamac.
te II y avait des maisons de deux étages comme en Es-
rc pagne ; et les ruines des édifices prouvent que ce
t< pays était habité depuis long-temps. »
Cuzco avait le nom de capitale du royaume. L'or que
le général Chili chuchima livra aux Espagnols par ordre
d'Atalmalpa, fut enregistré dans les actes par un notaire.
3?;zarre décrit cette ville comme très-grande , bien bâtie?
avec un beau pavé dans les mes. Les Espagnols y trouvè-
rent un palais bien construit , carré , orné de lames on
DES AMÉRICAINS. 1 83
plaques cTor, Une autre maison leur présenta d'aussi
riches orne mens; dans la première ils enlevèrent six
cents lames d'or , dont chacune pesait cinq cents castil-
lans ; la seconde leur fournit un aussi grand nombre de
lames , de la valeur de deux cents castillans.
Cet or en lames , joint à une grande quantité
d'argent, arriva à Caxamalca le i3 juin i533. Les
lames d'or avaient trois ou quatre palmes de long. Il y
avait des trous qui montraient qu'elles avaient été déta-
chées des murs où on les avait enchâssées. Ce fut le jour
de la Saint- Jacques qu'on acheva la fonte de l'or et de
l'argent de ce butin. L'or montait , de fin , à la valeur
d'un million , trois cent quatre-vingt-six mille cinq
cent trente-neuf castillans ; l'argent pesait cinquante-un
mille marcs. ,
Les Espagnols comptèrent trente villes de Caxamalca
à Cuzco. L'auteur dit : que les Espagnols fondaient
tous les jours pour la valeur de cinquante à soixante mille
castillans d'or, penda?it que les Américains qvl fondaient pour
la valeur de quatre-vingt mille : car,ajoute-t-il, il y a parm1
ces gens , d'habiles orfèvres et d'habiles fondeurs. Pizarre
s'empara enfin de Cuzco , le i5 novembre i53o,; mais
la ville avait été presque toute réduite en cendres , par
Quizquiz , partisan de Chilichuchima , que les Espagnols
avaient fait brûler vif après les avoir servis.
Les divers mathématiciens Français et Espagnols, qui,
après ces ravages , passèrent dans ces contrées deux cent
de trente ans et plus , pour mesurer un degré du méridien ,
observèrent que le flanc du château de Cannar, avait plus
cent pieds de long ; le mur en était encore haut de plus
de six pieds , épais de trois , formé de couches parallèles
de pierres parfaitement unies entre elles. A la partie an-
l84 MCËTTRS, USAGES ET RELIGION
térieure elles sont un peu convexes en dehors , formant
à l'extérieur comme une espèce de rustique. Les pierres
étaient de la classe du granit ; ils virent dans l'épaisseur
des jambages et des portes, des cannelures courbes creu-
sées régulièrement, et que le plus habile sculpteur,
selon M. de la Condamme serait à peine en état d'imiter
( Voy. à ce sujet le Mémoire qu'il a mis dans ceux de
l'Académie de Berlin. en 1746, pag. 143. ) j il y donne
la vue et le plan de ce château , que les Incas avaient
bâti pour contenir les habitans de Cannar. On y remar-
que des terre-pleins, des terrasses , des corps-de-garde.
Du côté du nord , où la forteresse est escarpée ; la terrasse
qui soutientle terre-plein, a pour base une seconde terrasse
de six pieds et de quinze à seize pieds de haut , etc.
(On les voit dans le tome XIII de la Collection des
Voyages de Prévost , Edit. de Paris ). Il y donne aussi
d'autres détails curieux , que l'auteur devait passer sous
slence,dans le plan de ses lettres, mais qui convainquent
de faux le s assertions de M. Paw.
Qu'on consulte les détails de D. Ulloa , dans son
Voyage historique de l'Amérique.
Le temple de Caïambé , qui est chez les Candies ,
province méridionale du Pérou , n'excite pas moins
l'admiration par ses restes dégradés. L'or et l'argent j
étaient prodigués.
Qu'on se figure à Cuzco une grande enceinte , dans
l'intérieur de laquelle les Péruviens avaient élevé six
vastes édifices. Le temple du Soleil était le premier ; il
faisait face à l'Orient. Le comble avait une forme
quadrangulaire , qui représentait une pyramide tron-
quée à certaine hauteur. Il était de bois , couvert en
paille ; on voyait intérieurement , sur la muraille qui
DES lMÉRICÀINSi l85
faisait face à l'entrée , l'image d'or du Soleil , avec des
rayons et une face humaine , telle que les peintres la
représentent. De l'un et de l'autre côté , étaient placés ,
selon l'ordre des années, les corps embaumés des Empe-
reurs précédens , tous assis sur des trônes d'or , le visage
tourné vers la terre , excepté celui de l'Inca Huagna-
Capac , qui , à cause de ses grandes actions et de ses
éminentes vertus, avait été jugé digne de fixer le Soleil.
Acosta dit avoir vu plusieurs de ces corps qui étaient si
bien embaumés , qu'ils s'étaient conservés au point de
présenter la fraîcheur d'un corps vivant: toutes les parties
intérieures et les portes du temple n'offraient au specta-
teur que des plaques d'or , dont le haut était couronné
tout autour d'un feston d'or de la grandeur et de la
largeur d'environ deux coudées. L'enceinte où était ce
temple , présentait aussi à son extrémité supérieure , un
feston dor semblable, que les Espagnols conservèrent;
mais par la suite ils en firent un limbe d'or, qui existait
encore en i56o, lorsque ce temple servit à l'établisse-
ment d'un couvent de Dominicains.
Les autres édifices de cette enceinte avaient aussi la
même forme extérieure. Le plus proche du temple du
Soleil était dédié à la Lune , sa sœur et sa femme. Il était
revêtu en argent , représentant une face de femme de
même métal. On la nommait Mamma-quilla , ou mère
étoile. De l'un et de l'autre côtés on plaçait les corps em-
baumés àes Impératrices. Mamma-oello seule regardait
la lune , ayant eu l'avantage d'être la femme de l'Inca
Huagna-Capac.
L'édifice voisin était consacré à l'étoile de Vénus , nom-
mée Chasca au Pérou , c'est-à-dire 3 l'étoile à cheveux
longs et crépus. On la révérait particulièrement comme
l86 MŒURS, USAGES ET RELIGION
la messagère du Soleil, que tantôt elle précédait, et
tantôt elle suivait.
On n y avait pas moins de vénération pour les autres
Astres dont on formait même la cour de la lnne. Voilà
pourquoi le comble de cet édifice était couvert d'argent,
avec des étoiles d'ur. Les Péruviens connaissaient quinze
planètes : il est à présumer qu'ils connaissaient aussi les
lunettes longues-vues.
Il y avait près de ce Temple un autre édifice dédié
au Tonneire, à l'Eclair et à la Foudre. On les connaissait
sous le nom commun de Illapa. On les regardait comme
les ministres de la vengeance divine. C'est ce qui fit
croire aux Espagnols que c'était l'emblème de la Tri-
nité. Cet édifice était garni de plaques d'or.
Le cinquième édifice était dédié à 1" 'Arc -en -Ciel ,
' comme une émanation du Soleil ; ils avaient repré-
senté la figure avec des plaques d'or, d'argent de diverses
couleurs.
Enfin le sixième édifice était destiné au serv.ee du
Grand Prêtre , et de tous ceux qui avaient quelques
fonctions à remplir dans le Temple. La famille des
Incas fournissait ces ministres. L'édifice ne servait que
comme salle , où ils se réunissa:cnt ; mais non pour man-
ger, ni coucher. On nommait le grand-prêtre, Fillacumu,
ou devin sacré.
Il y avait, à côté du Temple du Soleil, des appartc-
mens où se tenaient les Prêtres qui servaient tour-a-
tour", par semaine , ou par quartier de lune. Les femmes
étaient exclues de l'entrée de ce Temple ; et les prê-
tres ne devaient pas approcher de celui des femmes,
pendant leur semaine de service. Dans chacune des quatre
faces qni regardaient la grande enceinte, il y avait une
DES ■ AH ÉRIC AIN S. l8/
niche ( ou tabernacle ) ornée d'or et de pierres précieuses:
telles que des émeraudes , des turquoises , etc. C'était-là
que l'empereur se plaçait selon Tordre des fêtes , et l'ob-
jet auquel elles se rapportaient.
Les murs des Temples à l'usage de la famille royale
et des vierges, étaient couverts intérieurement de pla-
ques d'or , d'argent , ornées de pierres précieuses. Tous
les vases des vierges et deslncas, étaient de ces matières.
Les Péruviens , pour les soustraire à leurs oppresseurs ,
ont jeté dans les lacs tout ce qu'ils ont pu ôterdes Tem-
ples et des autres maisons.
Le temple le plus riche était celui du lac de Titica ,
où, selon les Indiens, Manco-Capac était né. Ils y por-
taient tous les ans une grande quantité d'or et de pier-
reries. Outre les plaques qui garnissaient les murs , et
nombre de vases , de statues , d'arbres artificiels , même
avec leurs fruits tout en or ; on y déposait les lingots
qu'ils appelaient Mitmac : ces riches trésors furent jetés
dans le Lac. Ce qu'ils purent emporter de Cuzco , fut
pareillement jeté dans le lac de la vallée à'Orco, à six
lieues de cette capitale , ainsi c[ue la fameuse chaîue d'or
de trois cent cinquante pas , de la grosseur d'un pouce ,
qui servait à croiser les danseurs , que l'Inca Huagna-
Capac avait fait faire pour les danses et les fêtes qu'il
donna à la naissance de son fils aîné Huercar.
L'auteur de la relation dit : qu'entre tous les vases
qu'Atalmalpa fit apporter aux Espagnols , avant sa mort,
il se trouva une statue de berger avec des moutons , le
tout eu or, parfaitement travaillé. François Xérès écrivit
la relation cm on envoya à la Cour , signée de François
Pizarre , Aharo Riclielmi, Antoine Navarro , et de Garcia
de Saltego , en date du 1 5 juillet i534- « C'était une chose
l83 JICEURS* USAGES ET RBLIGIOU
« vraiment curieuse , dit-il , que cette maison consacrée
« à la fonte , remplie d'une si grande quantité d'or en
« lingots , de hait à dix livres pesant ; en vaisseaux , pots ,
« bassins et autres pièces de diverses formes , qui ser-
« vaient à ces princes et aux seigneurs. Il y avait entre
« autres quatre grands moutons (des Lamas) d'or le plu*
« fin, et dix ou douze statues de femmes , de la grandeur
« des femmes de ce pays. L'or en était très-pur; et elles
« étaient aussi belles que si elles eussent été vivantes :
« on en a trouvé aussi en argent , de la niême hauteur. »
Cet écrivain avait déjà dit auparavant qu'on avait
apporte de Cuzco plus de cinq cents plaques d'or , dont
la moindre pesait quatre à cinq cents livres ; mais il s'en
trouva aussi de dix à douze livres. Le même auteur
parle, en outre , d'une fontaine dor, très artistement tra-
vaillée , et dont la forme et l'ouvrage étonnaient encore
plus que la quantité de sa matière ; d'une chaise d'or,
du poids de dix-huit raille pesos , (onze cent vingt-
cinq livres pesant, à seize onces par livre) ; des pailles
cf or massif, avec des épis dont elles étaient surmontées,
absolument telles qu'on les voyait Groître dans les
champs. Garcilasso nous a donné la description de ces
ouvrages.
M. Paw n'en croit rien , mais la relation de Xérès est
infiniment plus vraie que les rêveries de cet auteur ; car
ces ouvrages ont été admirés par d'autres peuples que les
Espagnols.
M. de la Condamine décrit dans les mémoires de
Berlin , quelques petites idoles , dont il avait fait l'acqui-
sition, et dans lesquelles l'art et la délicatesse se faisaient
remarquer au premier coup d'œil. Il parle aussi d'un
vase de trois pouces de diamèttre , et d'environ tieuf
DES AMÉRICAINS. 1S9
pouces de haut , si mince , que l'épaisseur n'égalait pas
celle de deux feuilles de papier. Dans les curiosités qu'il
envoyait à Paris , mais qui ont péri en mer, il y avait
des vaisseaux de terres avec des figures , faits de ma-
nière que l'eau en sortait en sifflant.
Dom Ultoa et d'autres nous ont donné des figures de
haches , de houes ou marres , de miroirs , d'épingles , de
marteaux , de vases. On connaît la figure d'or de l'homme
accroupi sur une base , les genoux un peu élevés , tenant
d'une main un oiseau , et de l'autre un vase : le tout fort
bien exécuté. Les vases étaient faits avec des figures ,
dans le goût étrusque , et dune terre, qu'on ne peut
plus trouver : ils avaient un ou deux anses , avec des
figures d hommes en relief.
Frézier a fait graver quelques vases assez curieux.
Ils sont analogues à ceux qu'on a rapportés ces der-
nières années du Pérou. Le comte Carli et plusieurs
personnes les ont vus, ainsi que d'autres curiosités en
terre de différentes couleurs , en cuivre ; et une petite
momie en or. Quant aux épingles d'argent , elles étaient
très-longues, la tête en était faite en forme décroissant.
L'on se rappelle encore de la petite camisolle de fille ,
trouvée dans un tombeau, dont le fond était un cane-
vas très-bien fait , semblable à ceux sur lesquels les fem-
mes européennes travaillent en gros ou petits points, avec
de la laine ou de la soie. L'ouvrage était en belle laine
dun rouge très-vif, mêlé de noir.
Il résulte de tous ces faits , que M. Paw s'est gros-
sièrement trompé en jugeant les Péruviens comme
il l'a fait. Xérès nous dit que , daus le dénombre-
ment des choses qu'on apporta de Cuzco , il y avait
un bloc d'or sur lequel on pouvait s'asseoir; il pe-
39O MŒUJIS, USAGES ET RELIGION
sait deux cents livres. En outre de grandes fontaines
avec leurs canules, par où Peau tombait dans un petit
lac ou bassin tenant au corps de ces fontaines : divers
oiseaux et plusieurs figures d'hommes y puisaient de
l'eau , le tout en or.
Le Temple du Soleil à Cuzco regardait l'Orient, tous
les murs en étaient couverts de plaques d'or. Il y avait dans
le Temple Pachacamœc ( ville que les Espagnols disent
avoir été plus grande que Rome), une idole de bois con-
sacrée, dans une chapelle au pied de laquelle étaient
déposés les hommages des gens religieux. C'étaient des
émeraudes enchâssées dans de l'or. Il n'y avait que le
gardien de la chapelle qui pût y entrer.
Plzarre parle du cadavre du père d'Atahualpa , placé
dans une chambre particulière, et assis sur une chaise
d'or , tenant un bâton d'or à la main , et auquel on avait
destiné une femme, ayant le visage couvert d'un masque
d'or , avec un éventail à la main, pour le garantir de
la poussière et des mouches. Cette femme , selon lui , ne
pouvait entrer que nus pieds dans cette chambre.
Xérès dit que le premier présent qu'Atahualpa fit
à Pizarre., fut une fontaine en pierre., faite en forme de
deux tours , et qui versait à boire. M. de la Condamine
a admiré la patience et l'industrie avec laquelle ils tra-
vaillaient le marbre. Ce qui létonna le plus, ce fut de
voir des têtes d'animaux sculptées parmi les ornemens
des murs de granit; les oreilles en étaient même percées,
et il en pendait des anneaux faits du même morceau.
M. de la Condamine dit que le plus habile sculpteur eu-
ropéen , avec des instrumens en fer ou acier, aurait
. peine à imiter les cannelures courbes et meulières des '
DES AMERICAINS. 1Q1
portes de la forteresse de Cannar. ( Pour ample infor-
mation , voyez Clavigero. )
M. le comte Carli assure avoir vu à Strasbourg , en
1760 , chez le père Lefevre , Jésuite, un très-ancien
éventail du Mexique , fait d'une toile aussi fine que la
plus belle mousseline connue 5 que sur cette toile étaient
représentées nombre de figures formant une pareille
mosaïque ; qu'il n'a jamais rien vu de si beau , tant pour
l'art avec lequel les couleurs naturelles et éclatantes des
plumes étaient nuancées , que pour la beauté du dessin ,
et qu'il ne croit pas qu'aucun ouvrier en Europe fut en
état d'en faire autant , car ces plumes n'étaient que lé
duvet du bel oiseau Clncon. (Quant aux émeraudes dont
parle l'auteur , voyez Bergman , Manuel minéralogique
français, pag. i33.)
François Corréal , qui mesura pour ainsi dire pied à
pied le Pérou , en 1760 , a décrit tout ce qu'il a aperçu
des restes des édifices des Incas. Ceux du temple du Soleil
Tomebamba , étaient de pierres noires et vertes, c'est-à-
dire, dune espèce de jaspes : les portes étaient ornées de
figures d'oiseaux , de quadrupèdes , et d'autres animaux
avec des têtes imaginaires , mais sculptées avec un art
infini.
M. de la Condamine avoue , k qu'il ne conçoit pas
» comment les mêmes Indiens ont pu arrondir et polir
» les émeraudes , et les percer de deux trous coniques
» diamétralement opposés sur un axe commun , telles
» qu'on en trouve encore aujourd'hui au Pérou. »
Le palais de Latacunga , destiné aujourd'hui à être
une retraite de moines , a également mérité l'attention
à'Ulloa le mathématicien : s'il n'a pas cet -air de gran-
deur, de magnificence des anciens édifices de la Grèce
I92 MŒURS, USAGES ET AELIGIOS
et de Rome , cependant on ne peut s'empêcher de con-
venir qu'il se présente avec un certain air de noblesse ,
qui frappe au premier aspect.
Que l'on considère ensuite cette quantité de forteresses ,
de fortifications , que les Incas ont fait faire en tant de
lieux , dans les vallées ,'les montagnes , les plaines; qu'on
réfléchisse sur les ruines sans nombre d'édifices autrefois
si considérables, que les mathématiciens ont obser-
vées dans l'espace de quatre cents lieues de Quito h
Cuzeo , et qu'ils ont examinées en partie ; on conviendra
qu'il fallait de l'art , de ^industrie , des combinaisons
supérieures aux prétendus barbares de M. Paw , pour
tailler ou polir, assortir, arranger ces masses de pierres ,
qui sont un vrai granit , et que tout l'art de nos jours
n'assemblerait pas plus parfaitement.
Parmi les restes d'anciens édifices qu'on aperçoit de
nos jours dans toute cette contrée , et que les Indiens ap-
pellent Jnca pirca , muraille des Incas , on doit remar-
quer les grands chemins qui subsistent encore aujour-
d'hui, et qui n'ont été détruits qu'en partie par les Es-
pagnols; ces Canaux, parle moyen desquelsils amenaient
l'eau des sources les plus éloignées, pour arroser leur
pays situé dans la Zone Torride, entre l'Equateur et le
Tropique du Capricorne : il y en avait un qui se portait
à plus de i5o lieues le long des montagnes du Sud au
Nord , traversant la province de Quechua, pour arroser
les Pâturages.
Je me rappelle, dit Garcilasso \ liv. V , « un canal
« dont la structure me parut merveilleuse lorsque je
« l'examinai attentivement, et il faut avouer que ces chef-
ce d'oeuvres étonnent l'imagination; il est impossible de
« les décrire. Malgré, cela les Espagnols n'ont pas su en
DES AMÉRICAIN Se ig3
« prévenir la ruine ; il semble même qu'ils les aient vu
« dépérir avec plaisir. Les canaux destinés aux arrose-
xc mens du maïs ont eu le même sort ; il y en a plus
« des deux-tiers de détruits , et ce qui en reste ne sub-
« siste que par la nécessité absolue où Ton a été de les
« réparer. »
Après cet aveu, fait au milieu de PEspagne , que doit-
on penser des Espagnols à cette époque ? Frézier, qui
a vu ces ouvrages , avoue que ces Indiens devaient eu-
tendre parfaitement Part du nivellement , pour faire des
travaux qui embarrasseraient nombre d'Européens. On
voit aussi par ce détail, qu'ils connaissaient les écluses.
L'eau des canaux se distribuait à des heures fixes , et
sans préférence, dans la proportion requise ; et quicon-
que manquait d'arroser le champ où il devait semer son
maïs , en était dépouillé comme oisif : ce qui était parmi
ces gens la plus grande de toutes les punitions.
François Corréal nous apprend qu'outre ces canaux ,
les Péruviens faisaient des citernes et des réservoirs d'eau-,
il vante surtout celui qu'il vit en ce genre à C.irangua.
Les mathématiciens français et espagnols ont examiné
les ruines des canaux , et ceux qui subsistaient : ce qui
met hors de doute leur réalité.
Quant aux professions des Péruviens, et à l'instruc-
tion de leurs enfans , Acosta dit lui-même : a Les en-
ce fans étaient instruits de bonne heure , de tout ce qui
ce était nécessaire pour les commodités de la vie. Quoi-
ce qu'il n'y eut pas d'ouvriers dont la profession fut des-
ce tinée au public , ces Indiens n'en exerçaient pas moins
ce les talens nécessaires à l'usage de leurs familles. On
« voyait chez eux des orfèvres, des peintres : des tein-
tome 2. i3
lo4 M CE U R £, USAGES KT RELIGION
« turiers, des potiers de terre, des espèces de luthiers ,
« des maçons , des tisserands, etc. »
Les Espagnols ont été étonnés de Fart et de l'habileté
avec lesquels les Péruviens fondaient l'or , et en sépa-
raient l'argent , même beaucoup mieux qu'eux ; ils
avaient un autre art, qu'on ignore absolument; c'était
celui de donner au cuivre la trempe de l'acier. Ils
appelaient le cuivre an/a; ils en faisaient tous leurs
ustensiles et instrumens d'agriculture , des couteaux , des
épingles , des peignes , des marteaux , et ce qu'il y a de
plus étonnant , des miroirs parfaitement polis.
Les ouvriers faisaient trois qualités de laine ; l'infé-
rieure servait aux vêtemens du peuple , on l'appelait
anasca; la seconde qualité , ou la campi , était plus fine ,
et se teignait de diverses couleurs ; ils en faisaient , dit
Garcilasso , des draps d'une qualité égale à celle des
draps de Flandres ; on les réservait pour les seigneurs.
La troisième qualité ou la campo , qui était superfîne ,
s'employait pour les habits de la famille royale.
On travaillait le coton avec le même soin, et on lui
donnait des couleurs d'une sol dite qu'on n'a pas encore
pu trouver en Europe. L'auteur de la relation mentionnée
ci-devant , dit en parlant du butin que les Espagnols
firent dans les magasins de Caxamalca , « les nôtres
a prirent tout ce qu'ils voulurent; malgré cela les mai-
« sons demeurèrent si pleines, qu'il ne paraissait pas
« qu'on y eût touché : mais les habits étaient ce qu'il y
« avait de meilleur. La plupart étaient faits d'une laine
« très-fiue et délicate ; les autres étaient de coton de
« diverses couleurs et bien fines. »
Cent cinquante ans après la conquête, c'est-à-dire ,
lorsque Çorréal était en Amérique , les Sa^uanches (dans
DÉS AMÉRICAINS. 1 $5
le pays desquels est Ja'ên , ville capitale , au pied des
Cordillières ) avaient conservé leur ancienne industrie , et
faisaient encore d'assez belles tapisseries , et des broderies
qui ne le cédaient pas aux plus belles de Y Europe. Ces
ouvrages étaient auparavant destinés aux Incas. François
Xérès assure que « parmi les présens qu'Atahualpa fit à
« Pizarre, il y avait des habits d'une étoffe très-fine,
« de laine des plus curieuses à voir , qu'on prenait
a pour de la scie; sur ces habits on avait attaché nombre
« de figures et d'ouvrages en or , appliqués en lames ,
a et avec beaucoup de goût.
« Quatre-vingt-dix Indiens , chargés d'or , furent en-
« voyés en même temps de Cuzco au camp des Espa-
ce gnols. Le capitaine sur-intendant de la fonte des
« métaux l'a assuré, en disant: je l' atteste ; car pétais
a gardien de la maison de l'or, et je le vis fondre. Il y avait
« plus de quatre-vingt-dix plaques de ce métal. On trouva
« dans cette maison voisine de Cuzco, plus de deux- cents
« grands bassins d'argent qui faisaient un poids de cent
« cinquante mille marcs , et un monticule d'or massif
« de la hauteur d'un homme. Pizarre fit la distribution
« d'une partie de l'or , et en réserva cent mille pesos
« pour la cour , consistant en quinze grands bassins ,
« quatre urnes , tenant chacune deux sceaux d'eau , et
« autres ustensiles. Chaque fantassin de sa troupe eut
« quatre mille huit cents pesant d'or , ou sept mille deux
« cent huit sequins, et les cavaliers le double. Il n'y eut
« peut-être que Tamas Kouli-Kan , qui ait réuni une
« aussi grande quantité d'or, lorsqu'il envahit les contrées
« du Grand Mogol. »
Pizarre n'eut pas plutôt fait périr Atahualpa, qu'il plaça
sur le trôneundes fils de Hucsear, heureusement échappé
i3 *
]û6 MŒCRS, USAGES Et RELÏGÏOK
des mains d'Atahualpa. Culiclmcliima , général d'Ata-
hualpa , fît aussi apporter chez les Espagnols une bien
plus grande quantité d'or en différens vaisseaux. Le quint
de cette partie seul , destiné pour la Cour d'Espagne 9
montait à plus de 180,000 pesos d'or. Ainsi, en sup-
posant que cette distribution fut exacte, il devait y avoir
plus de 720,000 pesos d'or.
Le Gouvernement du Pérou était celui d'un père. Les
Incas avaient soin qu'il n'y eût qu'une religion , une loi ,
une même discipline et une même langue. Malheureu-
sement l'ambition porta Huayna-Capac à la conquête de
Quito ; ce fut le sujet de la division de ses fils, et la cause
principale de la ruine de ce beau pays. Le secrétaire
même de Pizarre, assure que sans ces circonstances 7
jamais les Espagnols n'auraient pu s'en rendre maîtres.
L'armée ordinaire des Incas était de 40,000 hommes
bien d sciplinés. Ils étaient habillés et pourvus de tout, des
magasins communs ; il y avait un officier par chaque di-
zaine, c'était ordinairement unlnca. Il resta dix mille Incas
sur le champ de bataille dans la dernière action qu il y
eut entre Atahualpa et Huescar , lorsque ce dernier fut
pris par Atahualpa.
Quant aux Quipos du Pérou , et aux livres mexicains^
tjue M. Paw a regardés avec tant de mépris , parce qu'il
n'y a aperçu ni proportion , ni règle de perspective , et
n'a pu comprendre rien de ce qu'a cru lire le traduc-
teur espagnol dans le seul monument que l'évêque Sama-
ruga avait épargné; l'on sait que les Quipos étaient unfais-
ceau de cordons de plusieurs couleurs, où l'on faisait un
certain nombre de noeuds ; que le nombre et la position
de ces nœuds servaient à conserver la tradition des faits
historiques, à marquer l'état de la population ; la quan-
DES AMÉRICAINS. 197
tité des tributs, etc., que chaque ville, village ou ha-
bitation devait payer.
Parce que M. Paw n'a pas compris que ces signes et
leur arrangement , qui étaient de pure convention, pou-
vaient bien représenter tout ce qu'ils étaient convenus de
représenter, il en conclut, « qu'on ne doit pas ajouter
h foi a tout ce qu'on a rapporté de la signification de
« ces cordons, » lors même qu'il en avait journellement
des preuves chez les Européens , qui, pour se rappeler
de quelque chose , mettent quelquefois un petit morceau
de papier blanc dans leurs tabatières ; quelquefois une
épingle à leur manche , eu font un nœud à leur mou-
choir. Acosia, qui s'en fit expliquer plusieurs , dit qu'ils
retraçaient, par ces cordons, les idées des lois, des cé^
rémonies, des calculs, et conservaient le souvenir des
moindres circonstances.
Les officiers ou archivistes des Quipos publics , se
nommaient Quippa-Camayu. C'étaient les Incas Amanti
ou lettrés qui en transmettaient la science et l'enseignaient
dans leurs écoles. Les Espagnols restèrent daps le plus
grand étonne ment lorsqu'ils virent la facilité avec la-
quelle ces Indiens calculaient une somme quelconque ,
avec des grains de maïs , ou de petites pierres qu'ils
arrangeaient par divers compartimens.
Xérès nous apprend, dans la Relation envoyée à
Charles V , que les Espagnols ayant pris la route de
Caxamalca , un Cacique avertit secrètement Pizarre.
qu'Atahualpa était campé près de cette ville avec cin-
quaute mille hommes; que Pizarre , n'ayant pas grande
confiance au rapport de l'Indien , voulut cependant s'en
assurer , en voyant leur manière de compter j qu'il vit
qu'ils comptaient depuis un jusqu'à dix, de dix à. cent.
11)8 MOEURS, USAGES ET *ELIGIOÏ«
de dix fois cent à mille , et que par cinquante fois ce
dernier nombre , ils avaient désigné celui de l'armée
d'Atahualpa , tel que le Cacique l'avait dit. ( Voyez les
dénominations des Mémoires du Mexique , par Herrerciy
La'él , et l'Histoire générale des Voyages.)
Il est démontré que leur manière de nombrer et de
calculer , était la série des dizaines , comme en Europe
et dans les anciens Continens; et M. Paw a voulu, sans
rougir, en imposer à toute l'Europe, lorsqu'il a rangé
ces peuples policés parmi les autres barbares , qui, dans
l'Ancien et le Nouveau-Monde , ne savent pas compter
au-delà de leurs doigts.
Pour ce qui regarde l'astronomie , Garcilasso et d'au-
tres écrivains rssurent que les Péruviens réglaient leur
relgion, leurs fêtes, leurs sacrifices annuels sur les
joints des solstices et des équinoxes ; c'est un fait sur
lequel tous les écrivains s'accordent à dire qu'ils con-
naissaient aussi les Pléiades , et qu'ils leurs avaient élevé
un temple , comme aux autres Astérismes.
M. de la Condamine rapporte qu'ils distinguaient très-
bien les Hyades ; que les peuples de Panuco et ceux de
de la contrée qu'on appelle actuellement la Nouvelle-
Angleterre , connaissaient les sept Etoiles du pôle
Arctique. Ce qui confirme l'observation de la Conda-
mine ; c'est qu'ils les appellaient Mosk et Pankunnaw ;
c'est-à-dire , Ours , comme les Européens le nomment
aussi. Acosia et Garcilasso nous apprennent qu'il y avait
seize tours à Cuzco, qui servaient à fixer et à rectifier
les points des solstices.
Lorsque la nation Péruvienne , revenue de sa stu-
peur , prit les armes sous la conduite de Manco-Capac,
et assiégea ses oppresseurs dans Cuzco , elle leur enleva
DES AMERICAINS. 1 9$
leurs armes et leurs chevaux , dont elle fit usage ; elle
assiégea dans les formes la ville de Lima , que les Espa-
gnols venaient de bâtir, et s'empara de Cuzco , qui fut
reprise par Almagro enfin par les Pizarres en i536. Ces
preuves de valeur et de courage , que cette nation montra
et montre encore contre ces usurpateurs , réfutent assez
puissamment les inculpations de lâche ,. de vile , que lui
prodigue M. Paw. Ce fut à la prise de Cuzco que le fer ,
le feu et le carnage dévastèrent ces contrées , que les
cruels conquérans se disputaient les uns aux autres ,
pour n'y voir enfin que des ruines et les derniers de ses
habitans ; comme jadis les Romains, lorsqu'ils aban-
donnèrent soixante villes de la Grèce au pillage.
Le butin ne faisait que passer d'une main dans l'autre.
Xa moitié du palais des Vierges sacrées , devint la proie
de Pierre de Barca , et l'autre moitié fut abandonnée au
licencié de Gama. L'image d'or du Soleil, qui était dans
le temple , et en occupait au fond toute la largeur ,
échut à Maneco Serra de Lequicano. Comme il était
grand joueur , il la perdit dans une nuit ; c'est ce qui
fit dire à Acosta : « que le Soleil avait été joué avant
« d'être levé. »
La petite vérole ne parut sur ce Continent, qu'en en-
tassant les morts sur les morts. Mais , si les villes mêmes
que les Espagnols avaient augmentées et peuplées , telles
que Valladolid , Loyola ou Cumbinama , qui étaient
devenues si fameuses , si opulentes; si Macas , Séville
d'or , et tant 'd'autres , ne sont plus aujourd'hui, selon
M. de la Condamine même , après un siècle, que de
petits hameaux d'Indiens , ou de Métis transférés dans
leurs premières habitations ; que pouvait-il donc s'atten-
200 MŒURS, TTSieES ET RîLltfïOH
dre à voir après deux cents ans de servitude , de persé-
cution , de changement dans le système civil et religieux ,
et dans les races de ce peuple? Oui , tout y a changé de
face, tout y paraît nouveau, si l'on en excepte ces
restes d'anciens palais , où l'avidité de l'or n'a pas fait
porter la main : autrement ils auraient disparu. Qu'il
considère ce que la Grèce devint en si peu de temps,
sous les Turcs , et il cessera d'être étonné du changement
qui s'est opéré dans le Pérou ?
Les Américains n'étaient pas si stupides que M. de la
Condamine veut bien le croire. Il a oublié , sans doute,
qu'un Indien du Pérou a fait des tableaux qui ont été
admirés même à Rome ; que le jeune Inca Garcilasso,
lié huit ans après la conquête , a composé l'histoire des
Incas , qu'il a assaisonnée d'une critique aussi sage qu'é-
clairée , qu'aucun autre l'eut fait de son temps , et dont
le sujet na élé mieux traité par personne; ces deux faits
prouvent évidemment que la nature n'était pas plus
ingrate pour cette nation que pour celles de l'hémisphère
européen , et que l'espèce humaine pouvait y devenir,
en peu de temps , ce qu'était toute l'Europe , si l'on
avait cherché à éclairer l'Amérique au lieu de la dé-
vaster. Aussi les Espagnols ont , dans les peuplades qui
habitent vers les Cordillières , des ennemis irréconci-
liables , qui inondent les habitations, lorsqu'on y pense
le moins , surprennent les villages, pillent, massacrent,
incendient tout, et se retirent avant qu'on ait pu marcher
contre eux. Peu d'années avant la paix de Versailles,
les Péruviens , sous les ordres de Tupac-Amaru , fils du
Cacique de Tongasuca , après avoir combattu pendant
deux .ans pour, rétablir au Cuzco l'ancien empire des
DES AMERICAINS. 201
ïncas, virent échouer leurs projets par la perte de la
bataille qui eut lieu dans la province de Tinta. Si la
victoire eut secondé leurs efforts, c'en était fait de la
domination Espagnole.
Des habitons de la Terre-Ferme. — Je ne m'éten-
drai pas sur les naturels de la Terre-Ferme , puisque
leurs mœurs , leurs usages et leur religion , ne diffé-
raient pas de celles des nations qui les avoisinaieut ,
et que j'ai déjà parlé de quelques-unes de leurs peuplades 5
je terminerai cet article par faire observer que les Sau-
vages de la province de Popaj'an, sont agiles , vigoureux,
rusés , courageux et guerriers ; qu'ils harcèlent souvent
les Espagnols, et n'ont jamais voulu se soumettre à eux;
qu'ils sont gouvernés par un chef particulier ; que les
Indiens Bravos inquiètent souvent quelques-uns des
bailliages de Popayan; qu'ils s'efforcent d'entretenir cette
haine dans l'esprit de leurs enfans , en rappelant sans
cesse l'époque de la conquête de leur pays, et les cruautés
de leurs conquérans.
Quant aux Indiens du Guyaquil , leurs relations
commerciales avec les Européens, sont une preuve de
leur civilisation , qui dément encore les assertions de
l'auteur des Mémoires sur les Américains.
Des Mexicains. — À l'époque où le Mexique fut atta-
qué par les Européens, ce vaste pays renfermait plusieurs
états très-bien organisés : on y voyaitungrandnombrede
villes et de hameaux , dont la plupart existent encore , où
régnait une police exacte. Il était gouverné ; depuis cent
trente ans, par des souverains qui faisaientleur résidence
dans la vil le de 7 yenochfiltan , aujourd'hui Mexico. Le sys-
tème était féoda^l'empire monarchique, mais non hérédi-
202 MŒURS, USAGES ET RELIGION
taire. Lorsqu'il s'agissait de nommer un Empereur , un
hiérophante commençait par annoncer la volonté de Dieu
à ce sujet. Alors six électeurs nommaientiEmpereur. Deux
d'entre eux étaient toujours les princes de Tezcuco, ou
à'Alcohuacan et de Tacuba. Il y avait aussi un prince du
sang royal • néanmoins l'éiection devait toujours tomher
sur une personne de la famille des Acamapitzin : c'est
dans elle que la couronne demeura jusqu'à la destruction
de l'empire du Mexique.
Herrera rapporte : (dec. II. L.M.) « qu'il y avait trente
» familles qui tenaient le premier rang dans l'Etat ; et
» que chacune d'elles possédait jusqu'à cent mille vas-
» saux : que la seconde classe était composée de plus
» de trois mille familles , ayant un nomhre plus ou
» moins considérable de vassaux. Les vassaux étaient des
» serfs attachés à la glèbe, et les propriétaires ou maîtres
» avaient droit de vie et de mort sur eux. Les propriétés y
» étaient distinguées en Allodiales , en héréditaires et
» en éventuelles : celles-ci dépendaient des charges de
» l'empire , et l'on n'en jouissait qu'autant qu'on occupait
» ces charges.
» Les prêtres étaient chargés de l'éducation de la
» jeunesse : le témoignage qu'ils rendaient de leurs
» élèves , décidait si l'on devait les inscrire sur le rôle
» des nobles , ou sur celui des roturiers : le seul mérite
» personnel faisait la distinction de la noblesse, sans
» avoir égard aux ayeux.
» Plusieurs des loix fondamentales prononçaient la
» peine de mort sur certains crimes. Violer les principes
» religieux ; offenser la personne du souverain , voler ,
» tuer , étaient des crimes qu'on punissait du dernier
DES AMÉRICAINS. 9C<3
» supplice. Sfrquelqu'un était surpris cueillant des fruits ,
» ou arracliant du grain dans le champ d'autrui , il deve-
» nait l'esclave de celui à qui appartenait le terrein. »
Cortez proteste à Charles V: « que les Mexicains
» avaient autant de respect pour les lois , que les Espagnols
» sur le Continent d'Europe , que leur vie était à-peu-près
» réglée de même. » Quant à la magnificence de Moté-
zuma , « le conquérant déclare ne savoir par où commencer
» pour la dépeindre ; il dit qu'il est impossible de trouver
» un prince barbare plus riche et plus puissant : son em-
» pire est aussi grand que celui de l'Espagne. »
Cet état était divisé en plusieurs seigneuries. Les fils
des grands ne pouvaient pas quitter la cour ; et tous les
ans , les seigneurs étaient obligés de venir rendre hommage
au souverain. Chaque province était assujettie à un tribut;
(voyez à ce sujet Clavigero.) Il fait surtout remarquer
que les provinces de Quaubitlau , Tebuillojocan , fournis-
saient huit mille nattes ; et celle de Quaubnahuac , seize
mille feuilles de grand papier , outre les autres tributs ;
quelques nobles en étaient exceptés, mais ils étaient obli-
gés d'aller à la guerre , avec un certain nombre de vassaux.
Tout ce qui entrait dans les villes devait payer à l'Em-
pereur un tribut , qui consistait en une portion , qu'on
détachait pour sa personne , tant en commestibles , qu'en
ouvrages et en espèces. Il y avait dans tout l'empire des
Postes , moyennant lesquelles la cour était à portée de
savoir en peu de temps ce qui se passait dans les province!
les plus éloignées , et de pourvoir à tout.
Il y avait cinrj cents nobles , qui faisaient pendant toute
la journée le service dans l'antichambre du prince : ils
mangeaient aux tables de la cour ; leurs domestiques
occupaient les cours et leurs portiques. On ne pouvait
2oi MŒURS, eslGES ET REIICIOK
entrer au palais que nus pieds , et Ion* ne paraissait
jamais devant l'Empereur qu'en inclinant la tête , et en
baissant les yeux. Ce Prince ne sortait que dans une
litière, portée par des gentilshommes, qui marchaient alors
pieds nus : un coureur , armé de trois verges , le pré-
cédait. Ensuite marchaient les serviteurs, les nobles qui
étaient-de service, puis les princes. Le cérémonial était
si multiplié, si varié, que Corlez dit : « Jamais on ne
« vit rien de semblable chez les Sultans , ou autres
« princes Asiatiques. »
Les marchés étaient abondamment fournis; les obliga-
tions , l'ordre des contrats bien réglés. Il y avait dans la
grande place de Tenochfiflan un hôtel où siégeait une cour
judiciaire, composée de dix magistrats, par devant lesquels
on rendait compte des obligations qu'on venait de con-
tracter : ils avaient en sous-ordre des bas officiers , tels
que les commissaires européens , qui faisaient leur ronde
pour examiner les mesures , s'informer du prix des mar-
chandises et des denrées , des échanges ou des achats, ,
de manière que personne ne fut trompé. Quelques his-
toriens parlent aussi d'autres tribunaux destinés à diffé-
rentes circonstances ou rapports ci vils, aux cas criminels,
àl'économie, aux finances, etc. Le souverain, dit Herrera,
ne pouvait pas prononcer sur une affaire importante,
sans l'avis du Grand-Prêtre , et l'approbation du Conseil ;
comme \apaix , la guerre et Y emploi des revenus publics.
L'Empereur du Mexique et les seigneurs avaient des
jardins où ils cultivaient des plantes médicinales pour
l'utilité publique; ils ont été, peut-être, les modèles
de ceux qu'on trouve aujourd'hui en Europe , puisqu'ils
^ont bien antérieurs à ceux-ci.
DES AMÉRICAINS. 2o5
L'établissement des postes et des courriers de dis-
tance en distance , dont l'usage était général au Pérou
et au Mexique , n'était pas encore introduit en Europe
depuis les diverses irruptions des Barbares qui avaient
renversé l'Empire Romain.
Ce n'est que dans le dix-huitième siècle, ou un peu
auparavant, qu'on s'est occupé en Europe d hôpitaux
militaires pour les soldats invalides. Motezuma, dernier
Roi du Mexique , en avait déjà fait construire un dans
la ville de Coltivacan , où tous les infirmes-, non-seule-
ment militaires , mais même citoyens , étaient pourvus
de tout ce qui leur était nécessaire.
C'est à la table de Motezuma, que les Espagnols,
surpris de voir du feu dans des réchauds d'argent , pour
tenir les plats chauds pendant l'hiver , ont appris à
l'Europe l'usage d'un pareil ustensile.
C'est du Pérou que l'Europe a appris à faire des
fourneaux , dans lesquels on entretient le feu latérale-
ment , et sur la bouche desquels on pose les vaisseaux
où doit cuire le man0^r.
Voilà ces hommes que nombre d'Espagnols hési-
taient de compter dans l'espèce humaine ! ces hommes
que l'Espagne n'a jugés que sur les détails d'un moine
de Cordoue , nommé Thomas. Ce fait est prouvé par
Gomara , qui cite les détails de ce moine.
Les Mexicains avaient aussi des études domestiques
pour se faire suer. Ils entendaient, comme les Péruviens ,
l'art des voûtes , quoique M. Paw l'ait nié contre toute
vérité.
Les rapports des mathématiciens, la Condamine et
Bouguer ne laissent aucun doute sur .l'habileté des Amé-
ricains à travailler le marbre et le granit.
Lorsque Cortez , de retour à Madrid , épousa Jeanne
3o6 MCEtJIlS, USAGES ET RELIGION
de Lunica , fille du comte d'Anguillara , il lui donna
entr'autres présens cincr émeraudes travaillées par les
Américains , qui furent estimées cent mille sequins. La
première était taillée en forme de rose ; les pétales en
étaient parfaitement formés : la deuxième avait la forme
d'un cornichon ou cornet : la troisième représentait un
poisson, dont les jeux étaient faits en or: la quatrième
était en cloche , elle avait pour battant une grosse perle
©blongue: la cinquième avait la forme d'une petite coupe ,
avec un pied d'or ; il en pendait cinq chaînettes dor,
dont les bouts étaient réunis par le moyen d'une perle,
qui tenait lieu de bouton.
Entre autres choses que l'Europe ignorait alors , c'était
l'art de filer le poil de lièvre ou de lapin. Les Européens
ont cherché aies imiter, mais ils n'ont jamais pu atteindre
la perfection de leur travail.
Cortez , dans la relation qu'il envoya à Charles V ,
dit: « qu'il avait eu plusieurs fois en présent, de Moté-
â znma , nombre d'habits de soie , et particulièrement
« cinq mille , la dernière fois , pour tous ceux qui étaient
k avec lui. »
L'art de la teinture avait été poussé en Amérique , et
l'est même encore à la Terre-Eerme , à un plus haut
degré qu'il ne l'est actuellement même en Europe , malgré
toutes les connaissances chymiques des Européens ; car
une lessive un peu forte déteint les étoffes , ou les
ternit.
Les Mexicains ont été les plus habiles dans la culture
du nopal où vit la cochenille , à conserver et à placer
les petits nids sur la plante , à en faire la récolle, et à les
employer dans la teinture.
L'Europe eut appris de l'Amérique l'art de donner
DES AMERICAINS. 207
au cuivre une trempe aussi dure que celle de l'acier r et
d'en faire d'excellentes haches , et autres instrumens
tranchans ; de le polir ainsi que l'argent , l'ohsidienne et
la gallinace , de manière à réfléchir les images des
objets , si les Espagnols n'avaient pas été aussi barbares.
Ils mêlaient l'or au cuivre , et donnaient à cette com-
position une trempe assez dure , pour en faire des bêches,
des rasoirs , etc.
Il est certain que les mathématiciens ci-dessus n'ont
jamais pu comprendre comment ces peuples étaient par-
venus à faire des statues d'or et d'argent , toutes d'un
seul jet; vuides en dedans , minces et déliées , telle que
cette espèce de momie , à laquelle on ne voyait aucune
espèce de soudure. Les clochettes d'or et d'argent étaient
très-communes dans ce Continent.
On a admiré des plats à huit faces , chacune d'un
métal différent , alternativement d'or et d'argent , sans
aucune soudure ; des poissons jetés en fonte , dont les
écails étaient mêlées d'or et d'argent ; des perroquets ,
qui remuaient la tête , la langue et les ailes ; des singes ?
qui faisaient divers exercices , tels que de filer au fuseau .
de manger des pommes , etc. Ces Indiens entendaient
parfaitement l'art d'émailler , qu'a tant cherché Palissy ,
et celui de mettre en œuvre des pierres précieuses. (Foui-
plus grands détails , voyez Herrera , Gage ou Prévost ,
tom. 12 , pag. 434).
Dans les premiers présens que Motézuma envova à
Cortez, il y avait un casque de lames d'or, entouré de
sonnettes , orné d'émeraudes par le haut , avec des pa-
naches de grandes plumes , au bout desquelles pendaient
des mailles d'or. (T.)
Clavigero confirme tous les détails de l'auteur, et dit
2oS MŒURS, USAGES IT HELÏGIOfl
en outre : « que les Mexicains payaient ce qu'ils ache-»
taient avec des noix de cacao , de l'or en pièces , et de
la poudre d'or dont on remplissait plus ou moins de
fois , des plumes d'oies. Ils avaient aussi des pièces de
cuivre , auxquelles on donnait une certaine forme , et de
petites toiles de coton, (tom. 1 1 , page i65 ).
Mexicains. — Il y avait au Mexique une idole con-
sacrée au dieu des marchands. Cette idole /renfermée
dans un temple , était assise sur un monceau d'or et
d'argent , ornée de plumes les plus rares , et d'autres
marchandises. Elle avait un corps de forme humain
avec une tète d'oiseau, et tenait une faucille à la main.
Acosta et Herrera l'ont décrite. Les Mexicains appe-
laient ce dieu du commerce Tacateuctli. Il avait ses
temples , ses fêtes et ses sacrifices.
Leurs radeaux ou baises étaient composés de 5 , y
ou o, sulives , jointes par des liens de béjuque , et des
soliveaux qui croisaient en travers sur chaque bout.
Elles étaient si fortement attachées les unes aux autres,
qu'elles résistaient aux plus impétueuses vagues : la
plus grosse faisait une petite avance sur la poupe. On
y attachait les premières des deux côtés , et les autres
ensuite , la grosse et maîtresse pièce du bâtiment. Au-
dessus était une espèce de tillac , ou de revêtissement
fait de petites planches de cannes et couvert d'un toit à
deux faces : au lieu de mât , il y avait deux perches
posées l'une et l'autre de chaque bord , et qui en s'éle-
vant se réunissaient par le haut , soutenait une vergue
attachée par le milieu , et qui tendait la voile , qu'on
fixait par le bas selon le besoin ; les grandes portaient
ordinairement jusqu'à 5oo quintaux de marchandises ,
sans que la proximité de l'eau y causât le moindre
Î)ES A MER ICAÎTSf S?___ 20<
Hommage. L'eau qui battait entre les solives n'y péné-
trait point 5 parce que tout le corps de l'édifice suivait
le mouvement et le cours de Peau , etc.
Elles pouvaient voguer et louvoyer dans un vent
Contraire, aussi bien que le meilleur vaisseau à quille;
mais ce n'était pas à l'aide d'un gouvernait. Ils avaient
des planches de 3 à l\ aunes de long sur une di mi-
aune de large, qui se nommaienl£7/#/"e.s, et qiiMs arran-
geaient verticalement à là poupe entré les solives de la
baise : ils enfonçaient lès unes dans l'eau , et ils en
retiraient un peu les autres. Par ce moyen , les baises
s'éloignaient , arrivaient ou gagnaient le vent. Elles'
reviraient de bord, et se maintenaient à la cape , suivant
la manœuvre qu'ils voulaient faire : invention jusqu'à
présent inconnue dans les manœuvres des bâtiniens de
l'Europe (D. Ulloa).;
Les Mexicains avaient des signes graphiques pour
représenter sur des toiles de coton , sur des écorces ou
des feuilles d'arbres, lés choses dont ils voulaient dési-
gner les rapports, et cela d'une manière infaillible , vu
l'usage général qu'on faisait de ces signes. Qu'importe,
après tout, si l'auteur des Pvtcherches sur les Américains
n'a pas aperçu ce clair obscur dont l'expression signi-
ficative était si familière à ces peuples?
Comment a - t - il pu se flatter de décréditer la
traduction espagnole, en disant que les Espagnols
n'entendaient pas le mexicain , ni les Mexicains l'espa-
gnol , lorsque Cortez avait avec lui des interprètes des
deux sexes ( entre autres la belle 3Iarina ou Amazili^) 9
qui tous avaient appris l'espagnol; que Cortez et les
siens , et particulièrement Anguillara , avaient appris
le mexicain ?
TOJYl. 2v têç.
5110 MOEURS, USAGES ET RELIGION
M. Paw a oublié, comme à son ordinaire, que Cortec
écrivait à Charles V : ce Ces peuples ont certains carac-
» tères et des figures sur le papier qu'ils comprennent
33 parfaitement. 3> Il a oublié l'affaire de ces deux sei-
gneurs du Mexique , au sujet des limites d'un terrain ,
qui fut portée au tribunal du licencié Zuaro. ce Les
33 pièces, dit Oviedo , n'étaient qu'une peinture ou des
3) signes, des espèces de chiffres, des caractères, des
33 figures , qui exposaient aussi bien le fait qu'on aurait
n jamais pu le détailler avec une de nos écritures quel-
3) conques. 3>
Il aurait dû se rappeler que , sur le refus que fit
Cortez d'évacuer les Etats de Montézuma , les ambassa-
deurs expédièrent des gens à la cour, quoique Tenoch-
tillan fût à 180 lieues, et qu'au grand étonnement des
Espagnols, ces ambassadeurs reçurent une réponse aux
informations qu'ils avaient données à l'empereur j qu©
Montézuma, en envoyantde nouveauxprésens, avait dé-
claré qu'il ne permettrait pas que des troupes étrangères
entrassent dans ses Etats. Comment eût-il été possible ,
par de simples signes , de faire connaître l'intention de
Cortez et de Montézuma à une si grande distance? Ces
faits, assurés par Cortez , prouvent qu'outre les figures,
qui ne représentaient que les objets sensibles , il y en
avait aussi de convention , pour marquer précisément
les idées : ce qui est le second pas vers la perfection
des caractères qui servent à exprimer les sons et les
paroles.
Il y a dans la bibliothèque de Vienne des papiers
mexicains : quelques-uns semblent être relatifs à des
faits militaires.
Les Mexicains reconnaissaient certainement un Créa-
DES AMERICAIN Si' «âll
teur suprême , un Dieu conservateur de l'Univers ; ils
l'appelaient Teut ou Teot , comme les Egyptiens et les
Grecs. La religion , du temps de la conquête , était un
culte monstrueux et horrible. Le sacerdoce et l'empire
étaient divisés 5 le chef de la religion ou le sacerdoce
formait un corps indépendant de l'empire : aussi agis-
sait-il avec des vues tout-à-fait différentes de l'intérêt de
l'Etat: son autorité redoutable était fondée sur la cré-
dulité des peuples et sur leur pusillanimité. Les prêtres
mexicains s'appelaient papi , comme 1 atteste Ovieclo^
1. xx de son Histoire générale des Indes. Chez les Grecs
modernes , papa signifie père ou prêtre $ le chef de l'Eglise
romaine a le même nom : il avait le même sens chez
les Romains et les Grecs.
Les prêtres du Mexique avaient un extérieur
grave, imposant, et leur conduite était exemplaire.
Ceux d'entre eux qui manquaient à l'honneur et à la
chasteté étaient punis de mort. Ils apprenaient aux
peuples les usages, les coutumes : leurs habits étaient
de longues robes noires 3 ils avaient les cheveux épars ?
et les mains teintes de sang 5 ils ne les lavaient jamais 5
ils étaient partagés en deux classes, celle des sacrifica-
teurs et celle des prêtres.
Les habitans de l'Amérique septentrionale distin*
gnaientdu soleil, le Créateur de l'Univers. Ils appelaient
celui-ci Isnez, et le soleil suroë. Les Mexicains appe-
laient l'âme antenotal. La doctrine des Incas était d'ac-
cord avec celle de ce vieux insulaire qui disait à Colomb ,
<c qu'après la mort, le^ bons et les mauvais seraient
» traités d'après la conduite qu'ils auraient tenue. r>
L'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme étaient la
base de la religion de ces peuples qu'on appelle sauvages,
14*
iil2 MOEUltSj USAGES ET RELIGIO»
dont quelques Espagnols mirent l'espèce en problème^
pour les assassiner sans pitié. Le sang qui fume encore
depuis les conciles de Constance et de Bàle , prouve
que , de tous les peuples , les plus cruels sont ceux qui
croyaient connaître le vrai Djeu , et qui s'en disaient
les adorateurs. Quand le chef d'une religion ou d'un
sacerdoce foule un empereur (^ Henri) aux pieds, et
lui dit, comme un Ilildchrand , qui était alors pape,
« qu'un souverain pontife est fait pour écraser le lion
3) et le dragon • :» que doit-on attendre de ceux qui
sont à ses ordres ?
La religion barbare du Mexique, qui immolait tant
de victimes 5 celle de Mploch , de Cartilage , de Tyr, de
Marseille . n'ont pas fait périr tant d'innocens que la
page des faux chrétiens, qui n'arrosèrent que de sang
les autels d'un Dieu de paix et de bonté. Ces peuples-
croyaient à un être tout-puissant, créateur et premier
moteur de l'univers. Ils l'appelaient Io Canna ou Gna*
maonocon; il avait, suivant eux, une mère , à laquelle
ils donnaient cinq noms : Attabeira, Mamona , Cuaca-
rapita, Litlla , Evimazoa ; ils étaient anssi enclins à la
Superstition , à la magie. On voyait leurs dieux repré-
sentés avec des figures humaines, ayant une queue et
des yeux de serpens 5 ou c'était une figure de femme y
accompagnée de deux génies à ses côtés, qui présidaient
à la grêle et aux tempêtes.
Dans le Yucatan, c'était une figure de lion. La ma-
tière en était d'or, d'argent , de bois , de pierre. Les
Yucatains lui immolaient les fils et les filles d'autrui f
mais jamais ceux de leur famille. Avant les Incas . les-
Canches adoraient un lion 5 ceux de Colla, un mouton;
blanc, auquel ils immolaient des agneaux ; les Indiens-
DES AMÉRICAINS. 21 3
de Panuco rendaient un culte particulier à Pnape, dont
ils avaient la figure dans le temple , dans les places ,
où l'on vo) ait des images en relief représentant la copu-
lation de diverses manières. Ou révérait aussi à Tlcs-
cala le symbole de la génération, ou Vénus , mère des
Amours. Cependant le culte du soleil , de la lune et des
astres , était le plus général en Amérique.
C'est d'après les relations des témoins oculaires, qui
n'ont que trop bien connu le danger qu'ils ont couru
pour obtenir la vicroirej c'est sur le témoignage irréfra-
gable de CorteZ) des capitaines Julien Alderete , Alphonse
de Grado , Bernardin, Vasquez de Léon , Tapia^ et
envoyé à Cbarles V, que je vais donner une description
abrégée de Tenochtillan , aujourd'lmi IMexico , que
Cortez et ses compagnons ne nomment jamais qu'avec
l'épilliète de fameuse, de grande. Tout autre que M. Paw
peuuil en douter, si sur-tout il se donne la peine de
considérer que 220,000 hommes , pendant soixante-cinq^
jours, l'assiégèrent en règle , sous la direction des Eu-
ropéens , qui foudroyaient par terre et par mer, avec
leurs canons et leurs arquebuses , tout ce qui s'offrait à
leurs coups, et portaient au loin un genre de mort in-
connu jusqu'alors dans ce continent. Des moyens sem-
blables font nécessairement supposer que cette ville
devait être telle que Cortez et ses compagnons d'armes
l'appelaient.
Mexico y comme Venise, était bâtie au milieu des
eaux. Elle avait o, milles de circuit 5 trois grandes chaus-
sées, outre l'aqueduc, l'unissaient au continent. La
plus courte avait un mille de long 5 une autre avait
4 milles et demi; la troisième était de 6 milles de lou-
£,y!e-ur. Ces deux dernières traversaient tout le !ac2 e%
2l4 MOEURS, USAGES ET RELIGION
venaient se réunir an centre tle la ville 5 elles étaient
fort élevées, laites en pierres, et pavées de grosses brigues
sur trente pas de large environ, bordées de maisons et
munies de tours : selon Cor lez même, huit hommes à
clie val pouvaient y marcher de front. Les ponts, faits
de poutres et de planches, avaient dix pas de large , se
levaient et se baissaient au besoin.
Sur l'une des quatre chaussées s'étendait un aque-
duc double : un de ces canaux transmettait l'eau à la
ville 5 l'antre restait toujours vide, et ne servait que
lorsqu'il fallait nettoyer le premier, ou y faire des ré-
parations. Cet aqueduc, selon Cortez , avait deux pas
de large , et était de la hauteur d'un homme. Divers
canaux partaient de là pour fournir de Peau dans tous
les quartiers de la ville , tant pour l'usage du public que
celui des particuliers.
Il y avait plusieurs places dans cette ville. La plus
étendue était plus grande que celle de Salamanque 5
elle avait même trois fois plus d'espace, si l'on en croit
l'auteur de la relation qui suit celle de Cortez : tout le
contour présentait des portiques 5 on la nommait Tla-
telolco : c'était là que les marchés se tenaient tous les
cinq jours 5 mais 011 y trafiquait tous les jours. Les té-
moins oculaires s'accordent à dire qu'on y voyait tous
les jours de 20 à 9.5, 000 âmes, et qu'il y en avait le
double le jour des marchés. D'un côté, l'on vendaitde
l'or, des pierres précieuses enchâssées dans l'or, arran-
gées artistement en forme d'oiseaux ou d'autres ani-
maux ; de l'autre, on vendait des plumes, des panaches
de toutes couleurs. Ailleurs , on exposait les pierres
•pour faire des couteaux, des épées : choses merveilleuses,,
dit Fauteur, e£ do?it on 71e peut se former f idée, Ensuite^
DES AMERICAINS. 2l5
on voyait les marchands d'étoffes ou de toiles , d'habits
de différentes sortes pour les hommes , les femmes 3 des
souliers de cuirs passés , soit de cerf, soit d'autres ani-
maux. Pins loin , étaient placés ceux qui vendaient les
ornemens pour hommes et pour femmes : ces ornemens
étaient faits en cheveux. Après eux, on rencontrait les
marchands de coton. Dans d'autres quartiers , dit Cor-
tez, se vendait la chaux, les pierres, les briques crues
ou cuites , les bois façonnés ou bruts. Ailleurs , on allait
acheter des oiseaux, des poules, des perdrix, des tour-
terelles, des pigeons, des canards, des étourneaux, des
lièvres , des cerfs , des lapins. Un quartier était destiné
aux herbes , fruits , cerises , prunes ( ces prunes ressem-
blent parfaitement à celles d'Espagne). On y voyait aussi
des pommes, des raisins et autres fruits , du miel 5 en
outre, on vendait aussi du fil enécheveauxde différentes
couleurs , dans un quartier semblable à la rue où. l'on
vend les soies à Grenade, mais en plus grande quantité.
Cortez compte aussi parmi les marchandises, des peaux
de cerfs parfaitement passées, avec le poil et sans poil,
blanches ou teintes de différentes couleurs. Il y avait
un endroit où l'on vendait du pain et une espèce de vin .
Il fait encore mention de couleurs à l'usage des peintres:
il y en avait de toutes sortes, comme en Espagne; enfin,
l'on vendait des vaisseaux de terre, de grandes et de pe-
tites jarres, des pots, des flacons ou bouteilles, une quan-
tité de différentes vaisselles ; des nattes de plusieurs
sortes, tant pour les lits, que pour tapisser les chambres
et les salles. La mesure commune du prix des choses, ou
l'espèce numéraire, était des noix de cacao-
La largeur des rues, percées de canaux comme à
"Venise 5 la magnificence des édifices , non-seulement
iil^ MOEURS, USAGES ET RKLI6IÛS
•des temples et des palais de l'empereur , mais même dû
tous les grands et les nobles de l'empire , répondaient à
cette abondance de toutes les choses nécessaires à la
■yie. Montézuma avait plusieurs palais dans la ville et
dehors; les premiers, dit Cortez à Charles V, ce sont
:> si grands, si merveilleux , qu'il me semble impossible
}> de vous eu raconter l'étendue 5 je dirai seulement
y qu'il n'y a rien de semblable en Espagne. » Tous
les écrivains de ces. temps- là s'accordent à décrire ces
palais comme très-vastes. L'auteur de la relation
en parle ainsi : ce J'entrai plusieurs fois dans la mai?
» son d'un grand seigneur, uniquement pour la voir}
» et toutes les fois j'y ai tant marché, que je ma
» suis trouvé fatigué : je ne finissais jamais de la
» voir. 3)
Cortez assure que ces palais étaient beaucoup mieux
construits qu'on ne le croirait , ou mieux qu'il ne
peut le dire 5 et il ajoute : ce Ce que je dis à Votre
» Majesté est la vérité pure. 5) Il ajoute , en décrivant ces
palais j quM y avait de quoi loger deux grands princes
avec leur cour. Il compte dix pêcheries en eau douce et
salée dans le jardin, au tour desquelles on voyait de grands
logemens ornés de jaspe , habilement travaillés. C étaife
là que Montézuma avait des volières remplies d'oiseaux
les plus rares. Dans un autre palais , il y avait des
oiseaux de proie et des bêtes fauves. Suivant Cortez,
cet édifice était formé d'un large péristiîe , pavé de
marbre précieux en forme d'échiquier. Il y avait des
pièces particulières pour chaque espèce d'oiseaux ,
fiepuis le plus petit jusqu'à l'aigle. Ailleurs, on voyait
fies loges pour le,s lions % les figres, les renards, les
thaïs iio.iry et antres quadrupèdes . qui y és-aunten
DES AMERICAINS* 21 J
grand nombre. Moiitézuma poussa le luxe jusqu'à faire
une collection de monstres marins et de figures con;
tre faites. Trois cents hommes faisaient le service de
chaque palais. Les grands et les nobles étaient pro*
porliomiément aussi magnifiques dans leurs palais.
L'auteur de la relation déjà citée dit : ce \\ y avait
?> et il y a encore dans cette ville, nombre de bonnes
a) et belles maisons si grandes, et avec tant de cham-
y> bres , d'appartemens, de jardins élevés et dans le
?) bas , que c'était nue chose merveilleuse à voir. »
Cortez trouva à se loger, lui , 6oo Espagnols et
6400 Indjens de sa suite , dans une des maisons de
Montézuma. Il décrit un jardin d'un prince royal ? où
il y avait un belveder contenant différentes salles ,
des galeries couvertes, une pêcherie carrée faite en.
pierre , et entourée d'un bâtiment pavé en belles bri-
ques , où pouvaient marcher quatre hommes de front :
chacun des côtés était long de /(oo pas , et l'on des-
cendait dans la pièce d'eau par 4 degrés. Il y avait des
jardins flottans sur l'eau , iormés sur des radeaux ,
qu'on poussait où l'on voulait. Ces jardins n'étaient
pas seulement un objet de plaisir et de délices, on y
trouvait aussi des plantes, des fruits, qu'on cultivait
i
avec soin.
Voilà donc les cabanes de Mexico , e\ comme Mon té,-
jeuma était cabane ! î ! Quand ou peut, après ^5o ans f
venir dire, cela peut être, cela n'est pas vrai, ce sent
des fables , des mensonges , et se contenter des ces as-
sertions, pour détruire les relations de (tuteurs ocu-
laires qui rendaient compte de tout à leur souverain }
pn ne doit pas être surpris que M. l'abbé Çroizier aï£
21 8 MOEURS, USAGES ET RELIGION
i
dit ; ce M. Paw n'est pas un écrivain sincère 5 il de-
s> nature les faits pour en abuser. »
Les observations faites sur l'histoire générale de la
Chine , par M. JD es /1 ai/ traies , prouvent encore que
M. Paw s'appuie sans réflexion de l'abbé Renaudot ,
et sans avoir examiné les vraies sources de l'histoire de
la Chine , ce qui montre le cas que l'on doit faire
de ses recherches.
En niant et en dénaturant tout, cet auteur n'a pu
s'imaginer que les gens sages lui accorderaient plus
de confiance qu'aux hommes revêtus d'un caractère
public, qui ont conquis l'Amérique d'après les ordres
et la commission de leur souverain 5 qui en ont en-
voyé des journaux très - circonstanciés à leurs cours
respectives, et qui, au milieu de gens envieux , tur-
bulens, séditieux , pouvaient s'attendre à une disgrâce
sans ressource , s'ils en avaient imposé, dans leurs
relations. Ainsi , l'on doit regarder les assertions de
cet écrivain , au moins comme très-hasardées, si elles
11e sont pas extravagantes.
Ou convient , avec lui , que le peuple était au
Mexique, comme en Europe et dans le reste de la terre,
logé dans des cabanes 5 mais la moyenne classe de la
société l'était dans des logemens plus commodes : il
n'y avait que les grands et les nobles , qui pussent éle-
ver de vastes édifices et des palais.
Tous les écrivains disent que les temples, particu-
lièrement celui où résidaient les prêtres , le grand
prêtre, et où l'on tenait une maison d'éducation pour
la jeune noblesse, étaient ceints de hautes murailles, et
aussi grands qu'une ville. Il y avait quatre portes juin-
DES AMERICAINS. ai9
cipales, sur chacune desquelles était une espèce de
forteresse remplie d'armes , qui formait comme un
arsenal. Dix mille hommes y tenaient garnison. C était
«n même temps la garde du souverain. La cour elait
entourée de grands salons , qui pouvaient contenir
chacun 1000 hommes. On comptait , dans l'intérieur
du circuit ? plus de vingt tours ou pyramides , au haut
desquelles étaient placées les idoles. La principale était
la plus élevée.
Ramusio a donné le dessin de ces tours. Cinq étages
ou plans solides en faisaient la division 7 et l'on y mon-
tait par un escalier pratiqué dans un des côtés , dont
chaque partie avait 18 à 20 degrés d'un étage à l'autre.
Sur le dernier plan 5 s'élevaient deux tourelles en forme
de clochers, aussi bien construites que les autres. On
voyait beaucoup de tours semblables dans la ville ? eu
partie consacrées au culte religieux , en partie formant
autant de forts , ou destinées à la sépulture des grands
semneurs.
Indépendamment de Mexico } il y avait nombre de
villes dans cet empire , et dans toute cette immense
étendue de pays qu'on appelle actuellement la Nou-
velle-Espagne , la. Galice , la Biscaye ? etc. Les bourgs ,
les villages y étaient très-nombreux. Cortez a fait le
dénombrement des maisons de Tiascala et de tout
l'Etat: il assure qu'elles passaient i5o5ooo5 que les
vallées , les plaines et les collines étaient parfaitement
cultivées.
Tiascala , selon Cortez , était plus grande et plus forte
que Grenade, ce Jl y avait des édifices aussi beaux et
n peut-être plus riches : elle était plus peuplée que ne
5) l'était Grenade 7 lorsque les Espagnols enlevèrent
Q2.Q MOEURS, USAGES ET RELIGION
*> celîe-ci aux Maures, j> Or, on comptait 60 mille mai-
sons à Grenade , lorsque Ferdinand et Isabelle en
firent la conquête le 6 janvier 1491 5 en prenant cinq
personnes par maison , il se serait trouvé 3oo,ooo âmes
à Grenade. Qu'on juge maintenant de la population
de Tlascala.
Lorsque les Tlascalans rtaient en face de l'ennemi ,
ils décochaient une flèche où était gravé le nom de
leurs deux anciens héros. Ils devaient mourir ou la
r'avoir , pour n'être pas déshonorés. On ne doit pas être
surpris que l'empereur du Mexique n'ait jamais pu
soumettre ces peuples 5 mais on doit l'être de la ma-
nière dont M. Paw en a parlé.
Outre Tlascala , il y avait deux autres républiques ,
Curctecal et Guezecingo *, elles avaient suivi le plan de
celle de Tlascala. L'auteur de la relation faite du
temps même de Cortez , nous apprend que Curetecal
était gouvernée par vingt-cinq des principaux du pays,
à Ja tête desquels était un vieillard.
Cholula était de la même grandeur que Tlascala:
on y comptait 26,000 maisons. Sou gouvernement
«tait aussi républicain, ce C'est une très-belle ville ,
n disait Cortez , et j'assure sincèrement à Votre Majesté,
■» que , regardant du haut d'une tour fort élevée, je
?> comptais quatre cents tours dans la ville. r>
L'auteur de la relation dit que cette ville ressemblait
en partie à Grenade, en partie à Ségovie. Il mentionne
une troisième ville , semblable , dit-d , à Burgos^ c est
flucccatzinco. Il y en avait plusieurs autres sur le lac
de Mexico.
On comptait , entre autres villes, Iztapalapa, où il
y avait i5?ooo maisons. Le seigneur de celte ville avait
fcfeS AMÉRtCAfNS; è'&i
des palais aussi grands ( quoique non encore achevés )
dit Cortez , que ceux qu'on peut trouver dans toute
l'Espagne 5 ils étaient bien bâtis : les matériaux étaient
du bois , des pierres*
Cortez décrit ensuite la grande place du marché dé
Tlascala , et la compare à celle de Mexico* On y voyait
en abondance du pain , des volailles, etc.
Pierre cC Aharédo , envoyé par Cortez pour con-
quérir le pays vers la mer du Sud $ dit , dans sa rela-
tion datée de Saint-Jacques, le 2.8 juillet i5a8 : ce Que
3) Votre Altesse me croie , ce pays est habité plus coin-
» modément et par des peuples plus nombreux que
« tout ce que Votre Majesté a gouverné jusqu'ici, tf
Il décrit, entre autres villes, lapalan , qu'il assure avoir
été aussi grande que Mexico. On y voit de vastes édi-
fices, construits solidement à pierres et à chaux, et
dont le haut est terminé par une terrasse»
Pierre Godry nous a aussi donné la description de
Camula , de ses fortifications, de ses bastions, de ses
palissades , etc.
Nuguo de Gusman^ qui succéda à Cortez en i528>
apprenant que Ferdinand Ramirez allait au Mexique
pour lui succéder, partit avec une armée pour se rendre
diez les Chichimèques et dans la Nouvelle - Galice ,
afin de se faire, auprès de l'empereur, un mérite de
quelques nouvelles conquêtes. Dans la relation qu'il a
donnée de divers pays, il décrit la ville d'Amec, de
Tuliacan, lieu fort, dit-il , où il y a de maguifîques
édifices y de vastes palais, et autres maisons semblables
à celles de Mexico. Les cours des palais sont très-
spacieuses, et l'on y voit de belles fontaines de bonne
eau* Après avoir passé d' Atacla , au fleuve qu'on nomme
2.22 MOEURS, USAGES ET RELIGION
actuellement le Saint Esprit , il fut attaqué par une
troupe de soldats indiens , couverts de beaux habits ?
ornés de panaclies , et ayant des carquois d'un très-
joli travail. L'attaque de cette troupe fut très-régulière,
et la victoire long-temps disputée. Il écrivait, en date
du 8 juillet i53o , è? Om.itla.7i , dans le Méchoacan.
Le moine ISIarc de Nice^ envoyé par Antoine Men-
doza , gouverneur du Mexique, écrivit en i53q des
choses étonnantes des pays qu'il avait vus , dans le
royaume de Cévola. Mendoze , n'ayant point de con-
fiance en ce qu'il lui marquait , expédia François
Vasquez le 22 avril i5^.o. Masquez fit la relation qu'on
envoya à la cour, et démentit le moine, quoique
M. Paw prétende ce que les Espagnols ne faisaient
:» pas , ou ne voulaient pas faire de faux rapports. »
Vasquez, dans la description qu'il fait des villes de cette
province, dit : <c J'y ai vu des maisons de trois et de
quatre étages , où il y avait de bons logemens , des
chambres et des cours fort belles 5 d'autres chambres
sous terre , faites en briques, destinées à être habitées
l'hiver, à la manière des stubes des Allemands \ 3>
c'est-à-dire garnies d'un poêle fait en four , et qu'on
allume hors de l'appartement.
Le cacique de Yucatan avait un bouclier couvert de
plumes, au milieu duquel était un écusson d'or.
Les peuples de Camula avaient des boucliers nommés
pavois , qui se pliaient et se mettaient sous le bras
comme un parasol. Ils les étendaient pour s'en couvrir
lorsqu'il était nécessaire. Parmi les présens que reçut
Grijalva , il y avait des genouillères , des jambiers , faits
de bois , couverts d'une lame d'or.
Outre les armes et les boucliers dont se servaient les
DES AMÉRICAINS. ft^3>
Mexicains , ils portaient une saie faite de coton piqué,
de l'épaisseur d'un doigt et demi 5 ils mettaient par-
dessus une chemisette unie. Ils avaient des caleçons
qui s'attachaient par derrière. Ces caleçons étaient faits
de grosse toile garnie de plumes de diverses couleurs.
Les officiers et les gens de marque avaient des saies
faites en réseau , dont les mailles étaient d'or et d'ar-
gent doré. Ils mettaient par dessus une chemisette de
plumes, de sorte que ni les flèches, ni les javelots,
ni une épée ne pouvaient les percer aisément. Ils
avaient sur la tête un cimier avec des figures de lions ,
de tigres , de serpens. Ce casque , qui était de bois ,
était recouvert de lames d'or, erïrichies de pierreries .
et leur garantissait la tête et le visage. Leurs rondaches
étaient faites en roseaux jointes ensemble avec de gros
fils de coton , qui en formaient un tissu. Au milieu
il y avait un plumage d'or massif. Ces rondaches
étaient ornées de plumes , et ne pouvaient être percées
que par une forte arbalêtre. Nugno de Gusman fait
aussi mention de boucliers semblables , couverts de
cuirs de vache , chez les peuples du fleuve du Saint-Esprit.
On voit sept couteaux ou rasoirs de pierre , parmi
les instrumens tranchans que reçut Grijalva. Les épées
des Mexicains étaient de bois, mais garnies d'un filet
tranchant de pierre qui coupait comme un rasoir. Leurs
instrumens tranchans étaient si bien affilés, que les
sacrificateurs ouvraient sans peine la poitrine des vic-
times toutes vivantes. Ils se servaient de frondes , de
sarbacanes. Parmi celles dont Montézuma fit présent
à Cortez , il y en avait cinq destinées pour la chasse :
elles étaient ornées d'or et peintes avec des couleurs
parfaites.
âî*4 MOEURS, USAGES ET RELIGION
Est -il possible que tant de gouverneurs, de capi-
taines , vivant au milieu d'amis ou d'ennemis , aieuf
tous conspiré ensemble pour tromper , abuser leur
souverain par des relations fausses , imaginaires y
qu'on pouvait démentir à chaque instant ? Pour con-
naître de quelle nature étaient les fortifications, lents
formes et ce qui en reste encore , j'engage le lecteur à
"voir le tome premier, livre Ief, et livre VIIe de l'ou-
vrage de M. Clavigero , sur le Mexique.
Ramusio , après avoir lu ces relations, que les mi-
nistres mêmes des souverains avaient communiquées y
les lit imprimer traduites en italien , non après un
siècle , mais quinze ans après , dans un temps où plu-
sieurs des auteurs existaient encore , et pouvaient ré-
clamer contre l'abus qu'on aurait fait de leurs noms
et de leurs expressions, si les relations imprimées eh
traduction ou en original n'avaient pas été d'accord
avec le texte envoyé à la cour d'Espagne. C'est à ces
Mémoires qu'on doit recourir , et non aux chimères dé
M. l'aw , qui ne comprend pas comment les ravages
étranges , causés dans ces provinces par la petite vérole
et par les Espagnols , ont pu les rendre désertes et sans
culture.
Oviedo n'a pu se faire illusion sur la furie de ses com-
pagnons : quelque intéressé qu'il fût à la dissimuler, il
a plusieurs fois déclamé contre ces barbares, et plaint
le malheur de ces infortunés Américains.
Corréales ne s'est pas exprimé avec moins d'énergie
contre les Espagnols de sou temps.
Barthëlemi de Las Cazas , qui passa en Amérique avec
Colomb . et resta plus de quarante ans dans ce pays ,
où il fut faitévèque deChiapa, et q.ui fut témoin oculaire-
DES AMÉRICAINS. 225
de tout ce que faisaient les Espagnols , s'exprime ainsi
clans l'article 12 de la relation qu'il envoya, en \S^>
à Charles V, intitulée : La "Liberté demandée par l'es-
clave Indien suppliant. « Nous autres Indiens , ô séré-
» nissime Seigneur! quand nous disons à Votre Ma-
■» jesté que les Espagnols ont détruit sept royaumes plus
3î grands que l'Espagne , nous voulons que vous sachiez
3> que nous les avions vus aussi remplis d'habitans qu'une
y> ruche l'est d'abeilles 5 au lieu qu'actuellement ils sont
n tons déserts , par le carnage que les Espagnols ont
3> fait des citadins et des habitans des campagnes . etc. »
Dans un autre endroit, il dit : ce Nous mettrons clai-
» rement sous les yeux de Votre Majesté , que les Espa-
» gnols , dans l'espace de 40 ans , ont anéanti plus de
3> douze millions de vassaux à Votre Majesté. :»
L'abbé Clavigero , en terminant V Histoire de la Con-
quête du Mexique , déclare que ce fut par ordre de Cortez
qu'on pendit l'empereur, les rois de Tezcuco et deTla-
copan ; que les Mexicains et toutes les nations qui con-
tribuèrent à leur ruine , restèrent (au mépris du chris-
tianisme et des lois humaines du roi catholique) aban-
donnés à la plus affreuse misère , à l'oppression, à la
haine non - seulement des Espagnols , mais à celle
des plus vils nègres de l'Afrique, et de leurs infâmes
descendans.
Voici un aperçu des monumens que M. Humboldt ?
en 1802 , a trouvés dans le Mexique ; M. Paw dirat-il
que ce savant en a exagéré les dimensions, ou qu'un
enthousiasme mal placé lui a fait prendre des huttes
pour des édifices imposans ?
Le premier Téocalli , dit M. Humboldt, autour du-
quel les Aztèques , en i3:io , construisirent la ville de
TOM. II. j5
2.2.6 MOEURS, U S A 6 E S ET RÉLlGlOW
Mexico 5 étaitde bois , tel que le plus ancien temple grec,
celui d'Apollon à Delphes, décrit par Pausanias. L'édi-
fice en pierre dont Cortez et Bernai Diaz admirèrent
l'ordonnance , avait été construit par le roi Ahuitzotl ,
l'année î/j&ôj c'était un monument pyramidal, situé
au milieu d'une Vaste enceinte de murailles, et élevé de
3y mètres. On y distinguait 5 assises ou étages, comme
dans plusieurs pyramides de Sakharah , sur-tout dans
celle de Mcïdoum , en Egypte. Le Téocalli de Tenoch-
tillan , exactement orienté comme toutes les pyramides
égyptiennes , asiatiques et mexicaines , avait 07 mètres
de base j il formait une pyramide si tronquée , que , vu
de loin , le monument paraissait un cube énorme , sur
la cime duquel s'élevaient de petits autels couverts de
coupoles construites en bois. La pointe par laquelle se
terminaient ces coupoles , était élevée de 5z[ mètres au-
dessus de la base de l'édifice , ou du pavé de l'enceinte.
On voit, d'après ces détails , que le Téocalli avait une
grande analogie avec le monument antique de Baby-
lone, que Strabon nomme le Mausolée de Bélus , et qui
n'était qu'une pyramide dédiée à Jupiter.
Tous les édifices consacrés aux divinités mexicaines
formaient des pyramides tronquées. Les grands monu-
mens de Teotihuacan > de Cholula et de Vapantla , qui se
sont conservés jusqu'à nos jours, confirment cette idée:
ils indiquent ce qu'ont été les temples moins considé-
rables , construits dans les villes de Tenochtitlan et de
Tezcuco.
Peu de nations, observe M. Humboldt, ont remué
de plus grandes masses que les Mexicains. Lorsqu'on a
pavé récemment autour de la cathédrale, on a trouvé
des pierres sculptées, jusqu'à 12 mètres de profondeur.
BBS AMERICAINS.' 227
La pierre calendaire et celle des sacrifices , exposées à
Ja vue du public sur la grande place, ont jusqu'à 10
mètres cubes. La statue colossale de Teoyaomiqui ,
chargée d'hiéroglyphes , et couchée dans un des vesti-
bules de l'université , a a mètres de long sur 3 de large.
En fouillant vis-à-vis de 1a chapelle du Sagrario , on a
trouvé, parmi une immense quantité d'idoles apparte-
nant au Téocalli, une roche sculptée, qui avait y mètres
de long, 6 de large et 3 de haut. On a travaillé en vain
pour la retirer.
Le Téocalli était déjà en ruines quelques années après
le siège de Tenochtitlan (Mexico), qui, comme celui
de Troye , finit par une destruction presque totale de
la ville. Dans le livre de la municipalité, commencé le
8 mars 1624 ( trois ans après le siège ), il y est parlé de
la place où avait été le grand temple. C'est sur le chemin,
qui mène à Tanepantla et auxAkuakuetes , où l'on peut
marcher pendant plus d'une heure entre les ruines de
l'ancienne ville. On y reconnaît , ainsi que sur la route
de Tacuba et tflztapalapan , combien Mexico, rebâtie
par Cortez , est plus petite que l'était Tenochtitlan sous
le dernier des Montézuma.
L'énorme grandeur du marché de Tlatelolco , dont
on reconnaît encore les limites, prouve combien la po-
pulation de l'ancienne ville doit avoir été considérable.
Les Indiens montrent sur cette place une élévation en-
tourée de murs : c'est la même qui formait un des
théâtres mexicains , et sur laquelle Cortez , peu débours
avant la fin du siège, avait établi la fameuse catapulte
dont l'aspect imposait aux assiégés , sans que la machine
pût agir, à cause de la maladresse des artilleurs. Cette
i5*
SiS MOEURS, USAGES ET EELIGIOW
élévation est comprise aujourd'hui dans le porche de la
chapelle de San-Iago.
La digue de Moutézuma Ier, qui a plus de douze milla
toises de long et vingt de large, en partie élevée dans
le lac de Tezcuco , consistait en un mur de pierre et
d'argile, fraisé de chaque côté d'une rangée de palis-
sades. On en voit encore les restes considérables dans
les plaines de San-Laznro. Cette digue fut agrandie
et réparée après la grande inondation de l'année 1488,
causée par l'imprudence du roi Ahuitzotl, qui avait fait
conduire les sources abondantes de Huitzilopochco au
lac de Tezcuco.
Les Aztèques avaient ainsi construit les digues de
Tlahua , de JSlcxicaltzingo , et V Albaradon qui se pro-
longe depuis Iztapalapan à Tapeyacac , et dont les
ruines, dans leur état actuel , sont encore très-utiles à.
la ville de Mexico. Les Espagnols ont continué à suivre
le système et le modèle des digues indiennes, jusqu'au
dix septième siècle : preuve qu'ils n'étaient pas aussi
iguotans que l'a supposé le véridique M. Paw.
L'aqueduc de la ville de Tezcuco était la plus grande
et la plus belle construction que les indigènes eussent
faite en ce genre.
En général , dit M. Humboldt , comment ne pas
admirer l'industrie et l'activité qu'ont déployées les an-
ciens Mexicains et Péruviens dans l'irrigation des terres
arides ! Dans la partie maritime du Pérou ? j'ai vu des
restes de murs sur lesquels on conduisait Peau par un
espace de plus de 5 à 6 mille mètres, depuis le pied de
la Cordillière jusqu'aux côtes. Les conquérans du sei-
zième siècle ont détruit ces aqueducs 5 et cette partie du
DES AMÉRICAINS. 2<SO,
Pérou , comme la Perse ? est redevenue un désert im-
mense, dénué de végétation. Telle est la civilisation que
les Européens ont portée chez des peuples qu'ils se sont
plus à nommer barbares.
Le système de démolition que Cortez , secondé de
5o,ooo Indiens , avait adopté , est cause que Ton ne
rencontre pas à Mexico ces grands restes de construction
que l'on voit au Pérou , dans les environs de Cuscoet de
Guamachuco 5 à Pachacamac, près de Lima, ou à
Mansiche , près de Truxilio ; dans la province de Quito,
au Cannar et au Cayo 5 au Mexique , près de Mitla et de
Cholula, dans les intendances d'Oaxaco et de Puebla.
( Essai pol. sur le royaume de la Nouvel le- Espagne.*)
On peut compter parmi les faibles restes des antiquités
mexicaines qui intéressent le voyageur instruit , soit
dans l'enceinte de la ville de Mexico, soit dans ses en-
virons , les ruines des digues et des aqueducs aztèques j
la pierre dite des sacrifices , ornée d'un relief qui repré-
sente le triomphe d'un roi mexicain 5 le grand monu-
ment calendaire , exposé avec le précédent, à la Plaza-
Mayor 5 la statue colossale de la déesse Téo.yaomiqui ,
couchée sur le dos dans une des galeries de l'Université^
et habituellement couverte de 3 ou 4 pouces de terre 5
les manuscrits ou tableaux hiéroglyphiques des Aztèques,
peints sur du papier d'agave, sur des peaux de cerf et
des toiles de coton , collection précieuse , attestant dans
chaque figure l'imagination égarée d'un peuple qui se
plaisait à voir offrir le cœur palpitant des victimes hu-
maines à des idoles gigantesques et monstrueuses : les
fondemens du palais des rois d ) Alcohuacan , à T'ezcuco y
le relief colossal tracé sur la face occidentale du rocher
2.DO MOEURS, USAGES ET R Ê L I G I O Ht
porphyritique appelé le Penolde /os Banos , et plusieurs
autres objets.
Les seuls monumens anciens qui , dans la vallée mexi-
caine , peuvent imposer par leurgrandeur et leur masse,
aux yeux des Européens, sont les restes des deux pyra-
mides de San- Juan de Téotihuacan , situées au nord-est
du lac de Tezcuco, consacrées au Soleil et à la Lune ,
appelées par les indigènes Tonatiuh-ltzaqual (Maison
du Soleil), et 3Ieztli-Itzaqua/ (Maison de la Lune). La
première pyramide , qui est la plus australe , a , dans
son état actuel , 645 pieds de long, et 171 pieds d'élé-
vation perpendiculaire 5 la seconde pyramide , celle de
la Lune, est de 3o pieds plus basse, et sa base est beau-
coup moins grande. Ces monumens, attribués aux
Toltèques , d'après le récit des premiers voyageurs ,
et d'après la forme qu'ils présentent encore , ont servi
Je modèle aux Téocallis Aztèques. Un escalier, cons-
truit en grandes pierres de taille, conduisait jadis à leur
cime , où se trouvaient des statues couvertes de lames
d'or très-minces. Chacune des quatre assises principales
était divisée en petits gradins d'un mètre de haut, dont
on distingue encore les arêtes. Ces gradins sont couverts
de fragmens d'obsidiennes, qui sans doute étaient les
instrumens tranchans avec lesquels , dans leurs sacri-
fices barbares, les prêtres Toltèques et Aztèques ou-
vraient la poitrine aux victimes humaines.
Il est impossible de parler avec certitude de leur
structure intérieure , puisque , ni les pyramides de
Téotihuacan, ni celle de Cholula , n'ont pas été per-
cées diamétralement. Ce qui est très-remarquable,
c'est que tout à l'entour des maisons du soleil et de la
DES AMÉRICAINS. SOI
lune , de Teotihuacan , on trouve un groupe , j'ose dire
un système de pyramides , qui ont à peine o. à 10 mè-
tres d'élévation. Cesmonumens, dont il y a plusieurs
centaines , sont disposés dans des rues très-larges, qui
suivent exactement la direction des parallèles et des
méridiens, et qui aboutissent aux quatre faces des deux
grandes pyramides. Les petites pyramides sont plus
fréquentes vers le côté austral de la lune que vers le
temple du soleil : aussi étaient-elîes , d'après la tradi-
tion du pays , dédiées aux étoiles. Il paraît assez cer-
tain qu'elles servaient de sépulture aux chefs des tribus.
Toute cette plaine porta jadis , dans les langues aztè-
que et Tchèque, le nom de Micoatl , ou chemin des
morts.
Un autre monument ancien , très-digne de l'atten-
tion des voyageurs , c'est le retranchement militaire de
Xcohicalco , situé au sud sud-ouest de la ville de Cuer-
navaca j près de Tetcôlama , appartenant à la paroisse
de Zochetepèque. C'est une colline isolée, de 117 mè-
tres d'élévation, entourée de fossés, et divisée à main
d'hommes , en cinq assises ou terrasses , qui sont revê-
tues de maçonnerie. Le tout forme une pyramide tron-
quée , dont les quatre faces sont exactement orientées
selon les quatre points cardinaux. Les pierres de por-
phyre à base balsatique sont d'une coupe très régulière,
et ornées de figures hiéroglyphiques , parmi lesquelles
on distingue des crocodiles jetant de l'eau 5 et ce qui
est très-curieux , des hommes assis les jambes croisées ,
à la manière asiatique. La plate-forme de ce monument
extraordinaire a près de neuf mille mètres carrés, et
présente les ruines d'un petit édifice carré , qui servît
sans doute de dernière retraite aux assiégés.
232 MOEURS, USAGES ET REEIGIOîST
Le* palais de Montézuma ressemblait aune ville asia-
tique environnée de murs. Il était composé d'un grand
nombre de maisons spacieuses, mais très-peu élevées 5
elles occupaient tout le terrain contenu aujourd'hui
entre 1' 'Empedradillo , la grande rue de Tacuha et le cou-
vent de la Ti\>fessa. Lorsque Cortez fit sa première en-
trée dans Tenochtitlan , le 8 novembre i5io, , il logea
avec 7,000 hommes dans le palais du roi d'Axajacatl ,
dont la vaste enceinte contenait plusieurs édifices.
C'est là qu'il soutint , avec les Tlascalans , l'assaut des
Mexicains: c'est là que périt le malheureux Montézuma,
des suites d'une blessure qu'il avait reçue en haran-
guant le peuple.
Dans les ruines de Mansiche , au Pérou, chaque ha-
bitation d'un seigneur y formait un quartier séparé,
dans lequel on distinguait des cours , des rues , des
murailles et des fossés. Tel était-alors le genre de cons-
truction américaine , et non pas les huttes que M. Paw
a ridiculement imaginées.
Un petit pont près de Banavista a conservé le nom
de Saut d'Alvaredo , en mémoire du saut prodigieux
que fit le valeureux Pedro de Alvaredo , lorsque, dans
la fameuse nuit mélancolique du ier juillet i520, la
digue de Tlacopan ayant été coupée en plusieurs en-
droits par les Mexicains , les Espagnols se retirèrent de
la ville sur les montagnes de Tepejacac.
On montre aux étrangers le pont du Clerigo , près
de la Plaza Mayor de Tlatelolco , comme l'endroit
mémorable où fut pris jadis le dernier roi aztèque
Quauhtemozin , qu'on a depuis nommé Guatimozin ,
neveu de son prédécesseur Cuitlahuatzin f et gendre de
MoutézumalL
DES AMERICAINS. 233
Il paraît , d'après les recherches de M. Humholdt ,
que le jeune roi tomba , le 3i août 1 52 1, dans un grand
bassin d'eau , où il fut pris par Garci-Holguin.
C'est sur la colline de Tepeyacac, au pied de laquelle
est construit le riche sanctuaire dédié à la Sainte-Vierge
de la Guadeloupe , que se trouvait jadis le temple de la
Cérès mexicaine, appelée Tonantzini^ notre mère), on
Centeotl ( déesse du maïs ), ou Tzinteotl ( déesse géné-
ratrice. )
Parmi les ruines d'édifices aztèques et mexicains
remarquables par leur ordonnance et l'élégance de
leurs ornemens , on admire les murs du palais de
'Mitla, décorés de grecques et de labyrinthes, formés
en mosaïque de petites pierres porphyritiques. On y re-
connaît le même dessin que l'on admire sur les vases
faussement nommés étrusques, ou dans la frise du vieux
temple du .De/A? redicolus , près delagrotte de la nymphe
Egéiïe, à Rome. L'on ne peut s'empêcher d'être frappé
de la grande analogie qu'offrent les ornemens du pa-
lais de Mitla avec ceux employés par les Grecs et les
Romains.
Le vdlage de JSlitla s'appelait jadis Miguitlan , mot
qui , en langue mexicaine, désigne un lieu sombre,
un lieu de tristesse. En effet , le palais de Mitla , dont
on ignore l'ancienneté , était , selon la tradition des
indigènes, et comme le manifeste aussi la distribution
de toutes ses parties , un palais construit au-dessus des
tombeaux des rois. C'était un édifice dans lequel le
souverain se retirait pour quelque temps , lors de la
mort d'un fils , d'une épouse , ou d'une mère.
Le palais , ou plutôt les tombeaux de Mitla , forment
trois édifices , placés symétriquement dans un site ex-
a34 MOEURS, USAGES ET RELIGION
trêmement romantique, L^édifice principal est le mieux
conservé 5 il a près de 4° niètres «le long 5 un. escalier
pratiqué dans un puits conduit à un appartement
souterrain , qui a 27 mètres de long et 8 de large. Cet
appartement lugubre , destiné aux tombeaux , est cou-
vert des mêmes grecques que ceux qui ornent les murs
extérieurs de l'édifice.
Ce qui distingue les ruines de Mitla de tous les autres
restes de l'architecture mexicaine , ce sont six colonnes
de porphyre , placées au milieu d'une vaste salle , et
soutenant le plafond. Ces colonnes ? presque les seules
trouvées dans le nouveau continent , manifestent l'en-
fance de l'art : elles n'ont ni bases ni chapiteaux 5 011
n'y remarque qu'un simple rétrécissement à la partie su-
périeure. Leur hauteur totale est de 5 mètres 3 cependant
le fût en est d'une seule pièce de porphyre amphibohque 5
des décombres amoncelés pendant des siècles cachent
ces colonnes à plus d'un tiers de leur hauteur. En les
découvrant, M. Martin a trouvé que cette hauteur est
é«ale à 6 diamètres ou à 12 modules. Il en résulterait
une ordonnance qui serait encore moins légère que
celle de l'ordre toscan , si le diamètre inférieur des co-
lonnes de Mitla n'était pas à leur diamètre supérieur
en raison de 3 à 2.
La distribution des appartemens , dans l'intérieur
de cet édifice singulier , offre des rapports frappans avec
celle que l'on remarque dans les monumens de la haute
Egypte , figurés par M. Denon et par les savans qui
composent l'institut du Caire. M. de Laguna a trouvé
dans les ruines de Mitla , des peintures curieuses, re-
présentant des trophées de guerre et des sacrifices.
Le plateau de la Puebla offre des vestiges remar-
DES AMÉRICAINS. 235
quables delà plus ancienne civilisation mexicaine. Les
fortifications de Tlascala sont d'une construction pos-
térieure à celle de la grande pyramide de Cholula. Ce
monument curieux consiste en quatre assises 5 il n'a
dans son état actuel que 170 pieds d'élévation perpen-
diculaire, sur 1290 de largeur horizontale à sa base. Ses
côtés sont très-exactement orientés, d'après la direction.
des méridiens et des parallèles 5 et il est construit, d'a-
près le percement fait , il y a peu d'années , du côté du
nord, de couches de briques qui alternent avec des cou-
ches d'argile. La plate-forme delà pyramide tronquée de
Cholula a une surface de i3,ooo pieds carrés. Au mi-
lieu s'élève une église dédiée à JV Totre Uame-de-los-
remedios , qui est entourée de cyprès , et dans laquelle
la messe est célébrée tous les malins par un ecclésias^
tique de race indienne , dont le séjour habituel est sur
la cime de ce monument. C'est de cette plate-forme
que l'on jouit d'une vue délicieuse et imposante , sur le
■volcan de la Puebla , sur le pic (TOrizaba , et sur la
petite Coi dil hère de JSfîatlacuye , qui sépara jadis le ter-
ritoire des Cholulains , de celui des républicains Tlas-
calans. »
La pyramide ou le téocalli de Cholula a exactement
la même hauteur que le Tonatiu/i Itzaqual deTheoiihua.-
can. Elle est de 10 pieds plus élevée que le Mycerinus ,
ou la troisième des grandes pyramides égyptiennes du
groupe de Djyzeh. Quant à la longueur apparente de
sa base , elle excède celle de tous les édifices de ce genre
que les voyageurs ont trouvés dans l'ancien continent:
cette base est presque double de celle de la grande py-
ramide de Chéops, Pour se faire une idée de la masse
considérable de ce monument mexicain . par la com-
236 MOEURSj USAGES ET KEIICIÔK
paraison d'objets plus connus , qu'on s'imagine un
carré quatre fois plus grand que la place Vendôme ,
couvert d'un monceau de briques , qui s'élève à la
double hauteur du Louvre.
On ignore l'ancienne hauteur de ce monument ex-
traordinaire. Dans son état actuel , la longueur de sa
base est à sa hauteur perpendiculaire comme 8 à 1 ,
tandis que dans les trois grandes pyramides de Djyzeh,
cette proportion se trouve comme 1 6/10 et 1 7/10 à 1 ,
à peu-près comme 8 à 5.
PYRAMIDES EN PIERRES DE DJTZEH.
Hauteur
Longueur de la base.
CHEOPS.
448 pieds.
728 pieds.
CEPHUEN.
398 pieds.
655 pieds.
MTCERINCS,
162 pieds.
58o pieds.
PYRAMIDES EN BRIQUES.
A cinq assises en Egypte,
près de Sakbarra ......
Hauteur, ï5o pieds
Long, de la base , 210 pi.
A quatre assises an Mexique.
TEOTrHCACAN.
17 1 pieds
645 pieds
CHOLULA.
172 pieds.
i355 p»eds.
La plus grande de toutes les pyramides égyptiennes ?
celle HAsychis , dont la base a 800 pieds de longueur,
n'est pas en pierres 5 mais en briques. La cathédrale àa
DES AMÉRICAINS. 23y
Strasbourg est de 8 pieds ; la croix de Saint-Pierre de
Rome de 41 pieds plus basse que le CAe'ops.
Ces édifices qu'on peut encore mesurer de nos jours ,
attestent le génie des Mexicains , et démontrent avec
quelle impudence M. Paw s'est joué de la crédulité des
Européens qui ont eu la faiblesse de croire aux men-
songes méprisables qui fourmillent dans son ouvrage.
Il existe au Mexique des pyramides à plusieurs étages
dans les forêts de Papantla , à une petite élévation au-
dessus du niveau de l'Océan , sur les plateaux de Cho-
lula et de Théotihuacan , à des hauteurs qui surpas-
sent celles des passages des Alpes.
On découvre encore du côté occidental , yis-à-vis du
Cerro de Tecaxete et de Zapoteca , deux masses par-
faitement prismatiques. L'une de ces masses porte au-
jourd'hui le nom N Alcosac , ou d1 Istenenetl : l'autre
celui de Cerro de la Cruz : la dernière est construite en
pisé , et n'est élevée que de 5o pieds.
La pyramide de Papantla n'est point construite en
briques ou en argile mêlée de cailloux , et revêtue d'un
mur d'amygdaloïde , comme les pyramides de Cholula
et de Teotihuacan 5 les seuls matériaux qui y ont été
employés sont d'immenses pierres de taille porphyri-
tiques : on distingue du mortier dans les joints. L'édi-
fice est cependant moins remarquable par sa grandeur
que par son ordonnance , par le poli des pierres et par
la grande régularité de leur coupe. La base de la pyra-
mide est exactement carrée de chaque côté . ayant
80 pieds de long , et la hauteur perpendiculaire 70. Ce
monument, comme tous les téocallis mexicains, se
compose de plusieurs assises : on en distingue encore
six , et l'on croit que la septième est cachée par la yé-
û38 MOEURS, USAGES ET RELIGIO*
gétation qui couvre tout le flanc de la pyramide. Urt
grand escalier de Sj gradins mène à la cime tronquée
du téocalli , à l'endroit où se faisait le sacrifice des
victimes humaines 5 un petit escalier se trouve à côté
du grand. Le revêtement des assises est orné d'hiéro-
glyphes , dans lesquels on reconnaît des serpens et des
crocodiles sculptés en relief. Chaque assise offre un
grand nombre de niches carrées et symétriquement
distribuées. Dans le premier étage , on en compte de
chaque coté , i\ j dans le second, 20; dans le troi-
sième , 16 5 le nombre de niches est de 366 , dans le
corps de la pyramide , et de 12 dans l'escalier , que l'on
distingue vers l'est, ce qui fait 3y8 niches , que l'on
croit faire allusion au système caîendaire des Mexi-
cains , dont l'année commune était composée de dix-
huit mois de 20 jours chaque : il en résultait 36o jours,,
auxquels ils ajoutaient les 5 jours complémentaires ap-
pelés NérnontemL L'intercalation se faisait tous les 5a
ans , ce qui donne 36o + 5 + 1S — 3^8, signes simples
ou composés , des jours du calendrier civil qu'on
nomma Compohualilhuitl , ou Tonalpohualli , pour le
distinguer du Comilhuit-la-P ohuallittli , ou du calen-
drier usité par les prêtres, pour indiquer le retour des
sacrifices.
Au nord du présidio d1 Horcasitas , de l'intendance
de la Sonora, on trouve , au milieu d'une vaste plaine ,
à une lieue de distance de la rive méridionale du Rio
Gila , la Casa grande , édifice élevé par les Atzèques ,
vers la fin du douzième siècle , et dont les ruines oc-
cupent un terrain de près d'une lieue carrée. La grande
maison est exactement orientée d'après les quatre point»
cardinaux , ayant du nord au sud i36 mètres de long r
dès AMÙicAiss.' a3p
et de l'est à l'ouest 84 mètres de large. Elle est cons-
truite en torchis (tapia ). Les piles sont d'une grandeur
inégale , mais symétriquement placées 5 les rnurs ont
12 décimètres d'épaisseur. On reconnaît que cet édi-
fice avait trois étages et une terrasse 5 "escalier était à
l'extérieur , et probablement de bois. Ce même genre
de construction se trouve dans tous les villages des In-
diens indépendans du Moqui ,. à Pouest du Nouveau-
Mexique. On reconnaît dans la Casa grande cinq
pièces, dont chacune a 8 mètres, 3 de long 5 3 mètres,
3 de large 5 et 3 mètres , 5 de haut. Une muraille in-
terrompue par de grosses tours , ceint l'édifice prin-
cipal , et paraît lui avoir servi de défense. On voit
encore les vestiges du canal artificiel qui y conduisait
les eaux du Rio Gila. Toute la plaine environnante est
couverte de cruches , de pots de terre cassés , joliment
peints en blanc , en ronge et en bleu. On trouve aussi
parmi ces débris de faïence mexicaine , des pièces d'ob-
sidienne (itztli), phénomène assez curieux, parce qu'il
prouve que les Atzèques avaient passé par quelque
contrée septentrionale inconnue, qui recèle cette sub-
stance volcanique, et que ce n'est pas l'abondance
d'obsidienne que renferme la Nouvelle-Espagne, qui
ait fait naître l'idée des rasoirs et des armes d'Itztli.
Il ne faut pas confondre les ruines de cette ville du
Gila, centre d'une ancienne civilisation des peuples
américains , avec les Casas grandes de la Nouvelle-Bis-
caye , situées entre le présidio de Janos et celui de San
Buenaventura. Ces dernières sont désignées par les in-
digènes , comme la troisième demeure des Aztèques.
Dans le pays des JMoquis , à l'est du Nouveau-
Mexique , le P. Garées trouva , en 1773 ? une ville in-
2^0 MOEURS, USAGES ET RELIGÏOS
dienne avec deux grandes places , des maisons à plu-
sieurs étages , et des rues bien alignées et parallèles les
unes aux autres. Le peuple s'assemblait tous les soirs
sur les terrasses qui forment le toit des maisons. La
construction des édifices du Moqui est la même que
celle des Casas grandes , au bord du Rio Gila.
On rencontre le long de TObio , du Mississipi , et
jusque dans le Kentuck , quantité de forteresses et de
petites pyramides en forme de mausolées.
Dans toutes les grandes villes ô? Anahuac , les or-
fèvres mexicains, sur-tout ceux àiAzcapozalco et de
Cholula , fabriquaient des vases d'or avec tant d'habi-
leté , que les Espagnols , lors de leur premier séjour à
Tenochtitlan , ne pouvaient se lasser de les admirer ,
et que Cortez , dans sa première lettre à l'empereur
Charles-Quint , dit : <c Ou me présenta des ouvrages
n d'orfèvrerie et de bijouterie si précieux , que , ne
5> voulant pas les laisser fondre , j'en séparai pour plus
3> de cent mille ducats pour les offrir à votre Altesse
yj impériale. Ces objets étaient de la plus grande beauté,
}> et je doute qu'aucun autre prince de la terre en ait
» jamais possédé de semblables. Afin que votre Altesse
» ne puisse croire que j'avance des choses fabuleuses,
» j'ajoute que tout ce que produisent la terre et l'océan,
» et dontle roi Moutézuma pouvait avoir connaissance,
» il l'avait fait imiter en or et en argent, en pierres
5> fines, -et en plumes d'oiseaux, et le tout dans une
3) perfection si grande , que l'on croyait voir les objets
» mêmes , etc. »
Il serait difficile d'accuser d'exagération le général
espagnol , quand on considère que l'empereur Char-
les Y pouvait juger par ses propres yeux de la
DES AMERICAINS.* Z^L
perfection ou de l'imperfection des objets qui lui furent
envoyés.
C'est depuis un petit nombre d'années seulement 9
dit M. Humboldt , que par un système d'économie
que l'on peut appeler barbare, on a fondu des ouvrages
précieux de l'ancienne orfèvrerie des Muyscas^ dans le
royaume de la Nouvelle-Grenade, des Péruviens et des
habitans de Quito, qui prouvaient que plusieurs peuples
de ce continent étaient parvenus à un degré de civilisa-
tion bien supérieur à celui qu'on leur attribue.
Les peuples Aztèques tiraient, avant la conquête, le
plomb et l'étain , des filons de Tascoy au nord de Chil-
pasingo et d1 Izmiquilpan ,• le cinabre, l'ocre jaune qui
servaient de couleur aux peintres, leur étaient fournis par
les mines de Chilapan. Comme le vrai fer natif, auquel
on ne peut pas attribuer une origine météorique , et
qui est constamment mêlé de plomb et de cuivre , est
infiniment rare dans toutes les parties du globe , il ne
faut donc pas s'étonner, comme M. Paw , qu'au com-
mencement de la civilisation les Américains , comme
la plupart des autres peuples , aient construit leurs ar-
mes , leurs haches , leurs ciseaux et leurs outils, avec
le cuivre tiré des montagnes de Zacatollan et de Co-
huixco) puisqu'il remplaçait jusqu'à un certain point
le fer et l'acier.
Les Indiens de la Nouvelle-Espagne, se soulèvent
de temps à autre : les émeutes les plus considérables
ont éclaté en i5^6 , en 1601, en 1609, en 1624?
en 1692.
Dans la province è? Honduras , les Mosquitos , peuple
composé de 3o,ooo hommes, n'ont jamais été soumis
aux Espagnols. Us ont un gouvernement entièrement
om. 2. 16
342 MOEURS, USAGES ET RELIGION
républicain , et ne reconnaissent de chef que lors-
qu'ils vont à la guerre. Ennemis jurés des Espagnols ,
ils font esclaves ceux de cette nation que quelque
accident jette sur leurs côtes.
Dans la province de Yucatan , quelques tribus in-
diennes ont conservé leur indépendance dans la partie
méridionale de ce terrain mon tu eux, que l'épaisseur
des forêts et la force de la végétation rendent presque
inaccessible.
Les Indiens nomades , connus sous le nom d?Àpa»
c/ies , de Dlescaleros , de Rlimbrenos , de dimanches ,
blutas , de Moruis , de Chichimèqucs , de Taouaiazes 9
& A codâmes ^ de Cocoyamcs et de Faraones , font une
guerre perpétuelle aux habitans espagnols des pro-
vincias internas du Nouveau-Mexique.
Californiens. — Les Indiens libres de la Californie
se divisent en peuplades séparées l'une de l'autre 5
elles ne parlent point la même langue. Certaines d'entre
elles soignent les bestiaux 5 d'autres pèchent ou sont
errantes , d'autres sont fixées au sol. Ces Indiens ne
sont pas féroces de caractère. A mesure que les mis-
sionnaires pénètrent parmi eux , ils en convertissent
une certaine quantité, qu'ils s'efforcent de civiliser.
Les indigènes du canal de Santa-Barbara qu'on dé-
couvrit en 1760, construisaient de grandes maisons
de forme pyramidale , et rapprochées les unes des
autres. Bons et hospitaliers ? ils offraient aux Espagnols
des vases artistement tissés de tiges de joncs. Le
dedans de ces paniers était enduit d'une couche d'as-
phalte, qui les rendait impénétrables à l'eau et aux
liqueurs fermentées qu'ils pouvaient contenir.
Les tribus de la Nouvelle-Albion marchent souvent
DES AMERICAINS.1 2<|3
armées de poignards , de fusils et de pistolets , qu'ils
achètent des Européens et particulièrement des Russes
leurs voisins. Quoiqu'ils soient d'un naturel assez
doux, ou n'ose pas se fier à eux, parce qu'ils sont
rusés et vindicatifs.
Florides. — Les peuplades qui habitent la Floride
et les pays voisins > sont les Mulcoguges , les Siminoles y
les Tschirokois , les Tschikasaks , les Creeks ou Kricks
et les Hiesan. Chacun de ces peuples peut fournir
5 à 6000 guerriers 5 ils sont justes , bienfaisans , mais
ils se méfient des Européens , parce que ceux-ci les
trompent quand ils le peuvent. Leur vengeance est
terrible quand ils se croient offensés : ils ont cependant
adopté plusieurs de leurs usages. Ainsi que les autres
peuples de la Floride , ils sont hospitaliers, braves •
fiers, courageux, bien faits. La couleur de leur peau
est olivâtre , tirant sur le rouge à cause du vermillon
et de l'huile dont ils se frottent le corps. Les deux
sexes se peignent le visage , ornent leurs têtes de plumes 7
et portent pour vêtement des étoffes, des peaux de
chevreuil tannées , et des manteaux recouverts en
plumes de diverses couleurs. Leur joie s'exprime par le
chant et la danse. Ils ont pour instrumens des tam-
bours , des crécelles , des flûtes de roseau , et des courges
arrangées en forme de guitare. Leurs fêtés nationales
sont consacrées à la chasse et à l'agriculture. La prin-
cipale se célèbre au mois d'août après la moisson : la
cérémonie consiste à remercier le ciel 5 après quoi , ils
brûlent leurs vieux meubles et dansent autour du feu.
Le rez-de-chaussée de leurs maisons sert presque en
entier de magasin pour leurs provisions. Le maître
reçoit et régale ses convives sur le toit, qui est plat, et
16*
244 MOEURS, USAGES ET AELIGIOîC
auquel conduit un escalier en bois. Des deux côtés il
y a des chambres où ils couchent et se réfugient dans
le mauvais temps. Dans le milieu est la salle du con-
seil. Chaque village a des champs, qu'on cultive en
commun. A la moisson , chacun reçoit une étendue
de terrain et recueille ce qui s'y trouve. Outre cela , il
y a un magasin général pour les besoins de ceux dont
les provisions sont finies. Les hommes vont à la chasse
et à la pêche 5 les femmes soignent le ménage et s'oc-
cupent de fixer et de préparer les étoffes. Les Micos, ou
chefs de paix , sont les premiers magistrats : on les
choisit parmi ceux qui se distinguent par leur éloquence
et leur sagesse. Après eux? le chef de l'armée a le plus
d'autorité.
Les Florides adorent en général le soleil et la lune.
Ils leur sacrifient des fruits et quelques parties des
animaux qu'ils tuent. Ils jettent ces offrandes dans le
feu ? et prononcent en même temps des prières. Ils
avaient autrefois des temples , qu'ils ont laissé tomber
en ruine depuis que les Européens les ont profanés.
Quelques-uns d'entre eux ont adopté la religion chré-
tienne : les autres vont faire leurs prières et leurs of-
frandes dans les cavernes qui se trouvent dans les
montagnes. Ils font esclaves les prisonniers qui tom-
bent entre leurs mains. Ceux qui s'allient à la nation ?
soit par le mariage , soit par l'adoption , en deviennent
membres , et jouissent des mêmes prérogatives que leurs
vainqueurs. Quand un de leurs chefs meurt, le village
pleure sa mort et jeûne pendant trois jours 5 ses femmes
se coupent les cheveux et les répandent sur sa tombe 7
où est exposé le vase dans lequel il buvait. On brûle
sa cabane , ses armes , ses meubles ? et tout ce dont il
DES AMÉHICA1N3. 24^
s'est servi. Ils inspirent aux jeunes garçons un courage
guerrier , et les laissent assister aux assemblées pu-
bliques quand ils sont dans l'adolescence.
Louisianois. — Sur la côte méridionale du Mississipi
on rencontre les Craques , les Akausiens , les Naqui-
toches. En pénétrant dans l'intérieur de la Louisiane ,
on arrive chez les Akansas , qui ont la peau blanche
comme celle des Européens. Ils s'occupent particuliè-
rement du labourage , et élèvent une grande partie de
bestiaux.
Les Natchèz formaient autrefois un peuple redou-
table , gouverné par un chef suprême 5 nommé le Grand
Soleil^ ayant sous ses ordres des nobles appelés Soleils.
Dans les guerres désastreuses qu'ils ont eues avec les
Français , le Grand Soleil avec une grande quantité
d'autres soleils ayant été pris et conduits à la Loui-
siane, cette nation, dont le territoire s'étendait à douze
journées du nord au sud , et à quinze de l'est à l'ouest,
s'est trouvée réduite au point de ne plus donner de
grandes inquiétudes aux Français. Comme leurs usages
ne différaient guère de ceux des autres habitans de la
Louisiane , je les comprendrai avec ceux des Alliba-
mons y des Taskikis, des Outachepas , des Tonicas , des
JtCaouytaSy des Abekas^ des Talapouches, des Conchakis ,
des Pakanas.
Ces peuples peuvent mettre sous les armes de 2,5 à
3o,ooo guerriers. Ce sont des hommes d'une belle
taille. Ils élèvent durement leurs enfans , les font bai-
gner et nager dans l'hiver dès la pointe du jour. Us
disent aux j.eunes gens, qu'ils ne doivent jamais avoir
peur de l'eau j qu'on n'est pas homme , quand on
pleure lorsqu'on est mis au cadre ou brûlé vif. Avant
2-46 MOEURS, USAGES ET RELIGION
de les admettre au nombre des guerriers , ils leur font
des scarifications aux cuisses, à la poitrine , sur le dos }
les frappent à grands coups de collier de cuir en forme
de bretelle : s'ils supportent ces épreuves sans le
moindre signe de faiblesse, on les reçoit parmi les!
guerriers.
Les Louisianois sont fort affables ainsi que leurs
femmes, dont la plupart sont très-belles. Lorsqu'on
arrive chez eux y ils viennent vous recevoir à l'endroit
du débarquement, en vous donnant la main, et en
vous présentant le calumet, qui est une longue pipe
ornée de sculpture et de peinture. Lorsque vous avez
fumé, ils vous demandent le sujet de votre voyage , et
si vous comptez rester parmi eux. Si vous dites qu'oui,
ils vous offrent pour femme une jeune fille , afin de
vous fortifier davantage dans votre résolution. Après
cela, ils vous apportent de îa sagamite , composée de
maïs concassé qui a bouilli dans l'eau avec delà viande
de chevreuil, du pain fait avec de la farine de maïs cuit
sous la cendre, des poulets d'inde rôtis, des grillades
de chevreuil , d'ours $ des beignets frits dans l'huile de
noix, des châtaigne? cuites dans la graisse d'ours , des
langues de chevreuil, des œufs de poule et de tortue.
La cérémonie du mariage est comme suit : le futur
époux apporte des présens en pelleteries et en vivres
à la cabane du père-de sa prétendue 5 les présens agréés ,
les époux sont unis de suite. On fait un festin auquel
le village est ''envié 5 après le repas, on danse, on
chante les exploits de guerre des ancêtres du marié 5 le
lendemain , le plus ancien présente la nouvelle mariée
aux païens de son mari.
Les femmes adultères sont fustigées avec des ba»
DES AMÉRICAINS. ^4/
guettes, etleuis séducteurs éprouvent le même châti-
ment. On leur coupe les cheveux et on leur dit : ce Vous
pouvez vous marier ensemble, si cela vous convient. :»
Le séducteur est obligé de changer de village. Si c'est
une femme qui débauche le mari d'une autre, les
femmes vont trouver la coupable, la battent avec des
bâtons longs comme le bras , et finiraient par la tuer ,
si les jeunes gens n'arrachaient pas les bâtons des
mains de ces furieuses. Quand un mari quitte sa femme
par rapport à son caractère, elle est obligée de rester
veuve un an, avant de pouvoir convoler en secondes
noces.
Pour la mort d'un grand chef de la nation , le deuil
consiste à ne point se peigner ni se baigner. Les hommes
se barbouillent tout le corps avec du noir de fumée ,
' qu'ils délaient dans de l'huile d'ours , et renoncent à
toutes sortes de divertissemens.
Lorsqu'une femme perd son mari , elle est obligée de
porter le deuil un an , et de renoncer à toute parure»
Ils enterrent leurs morts assis , parce que, disent-ils,
l'homme est droit et a la tète tournée vers le ciel, sa
demeure. Ils lui donnent un calumet et du tabac à
fumer, pour qu'ils fassent leur paix avec les gens de
l'autre monde. Si c'est un guerrier, on l'enterre avec
ses armes , qui consistent en un fusil, de la poudre,
des balles, un carquois garni de flèches, un arc, un
casse-tète , soit massue ou hache. On lui donne aussi
un miroir, du vermillon , pour faire toilette aux pays
des âmes.
Lorsqu'un homme se détruit par désespoir ou dans
une maladie , il est privé de la sépulture , et jeté dans
la rivière . parce qu:il passe alors pour un lâche»
248 MOEURS, USAGES ET RELIGIO»
Quand un Allibamon est pris , il compose ainsi sa
chanson de mort. « Je ne crains ni la mort, ni le feu 5
3> faites -moi bien souffrir, parce que ma mort sera
y> bien vengée par ma nation. »
La croyance de ces peuples est que , s'ils n'ont point
pris la femme d'autrui ( ce qui est un crime capital à
leurs yeux ) , s'ils n'ont volé ni tué personne pendant
leur vie , ils iront après leur mort dans un pays extrê-
mement fertile, où ils ne manqueront ni de femmes ,
ni d'endroits propres à la chasse , où tout leur deviendra
facile; que si , au contraire, ils ont fait les fous, s'ils se
sont moqués du grand esprit, ils iront après leur mort
dans un pays ingrat, rempli d'épines et de ronces ?
où il n'y a ni chasse ni femmes.
Ce rapport du capitaine Bossu dément encore tout
ce que M. Paw a débité sur la constitution de ces
peuples et leur indifférence pour les femmes.
Le pays des Kaouytas est situé entre la Caroline
et la Floride orientale, à l'est de la rivière Mobile. Ils
n'ont jamais été conquis par les Espagnols , auxquels
ils ont voué une haine éternelle.
Les Collapissas et les Ouanchas habitent au-dessus
de la Nouvelle-Orléans 5 ils tuent les crocodiles, en
enfonçant leurs bras armés d'un morceau de bois dur,
ou de fer pointu par les deux bouts, dans la gueule
béante de l'amphibie , lorsqu'il s'avance pour les dé-
vorer. Ces peuples sont guerriers et entreprenans, aussi
leur nation a-t-elle considérablement souffert de leurs
guerres.
Les Chactas peuvent mettre sur pied 5 à 6000 guer-
riers. Les Chactas aiment la guerre , ils se battent
avec beaucoup de sang-froid. Il y a des femmes qui
DES AMÉRICAINS. 2.^$
portent une telle amitié à leurs maris, qu'elles les
suivent à la guerre. Elles se tiennent à côté d'eux dans
les combats , avec un carquois garni de flèches , et les
encouragent en leur criant continuellement qu'ils ne
doivent pas redouter les ennemis, qu'il faut mourir
en véritables hommes.
Lorsque les Chacias vont en guerre , ils consultent
leur manitou , c'est le chef qui le porte j ils l'exposent
toujours du côté où ils doivent marcher à l'ennemi 5
des guerriers font sentinelle autour : ils ont tant de
vénération pour lui, qu'ils ne mangent point que le
chef ne lui ait donné la première part. Tant que la
guerre dure , le chef est exactement obéi 5 mais dès qu'ils
sont de retour, ils n'ont de considération pour lui ,
qu'autant qu'il est libéral de ce qu'il possède. C'est un
usage établi parmi eux, que lorsque le chef d'un parti
a fait du butin sur l'ennemi , il doit les distribuer aux
guerriers et aux parens de ceux qui ont été tués dans
les combats, pour essuyer , disent-ils , leurs larmes. Le
chef ne se réserve pour lui que l'honneur d'être le
vengeur de la nation.
Sous leurs toits de roseaux ils bravent la mollesse ;
Leur arc et leur carquois sont leur seule richesse.
(Poème de Jumonville par M. Thomas.)
Si le chef d'un parti de Chactas ne réussit pas dans
la guerre qu'il a entreprise , il est obligé de descendre
au rang de simple guerrier. Ce peuple compte pour
rien la victoire , quand elle est achetée au prix du sang
de leurs parens et de leurs amis : aussi les chefs de par-
tis n'attaquent-ils l'ennemi que lorsqu'ils sont sûrs de
vaincre , soit par le nombre, soit par l'avantage et la
position des lieux 5 mais comme leurs adversaires ont
a5o MOEURS, USAGES ET RELIGION
la même ruse , et qu'ils savent aussi bien qu'eux éviter
les pièges qu'on peut leur tendre , c'est aux plus lins à
l'emporter. Pour cet effet , ils ne marchent que la nuit;
s'ils ne sont pas découverts , ils attaquent au point du
jour. Celui qui marche le premier, porte quelquefois
devant lui un buisson fort touffu , et comme ils le sui-
vent tous à la file , le dernier efface les traces du pre-
mier, et arrange les feuilles ou la terre, sur laquelle
ils passent , de manière qu'il ne reste aucun vestige
qui puisse les déceler. Les principales choses qui ser-
vent à les faire découvrir de leurs ennemis , sont la fu-
mée de leurs feux , qu'ils sentent de ior^ loin , et leurs
pistes , qu'ils distinguent d'une manière presqu'in-
croyable. M. le Bossu rapporte qu'un sauvage lui mon-
tra , dans un endroit où il n'avait rien aperçu , l'em-
preinte des pieds de Français , de sauvages et de nègres
qui avaient passé , et le temps qu'il y avait, ce J'avoue ,
s* dit-il , que cette connaissance me parut tenir du pro-
33 dige. On peut dire que les sauvages , lorsqu'ils s'ap-
3> pliquenfc à une seule chose , y excellent. L'art de la
y> guerre, chez eux , consiste dans la vigilance , l'at^
d> tention à éviter les surprises , et à prendre l'ennemi
3) au dépourvu , la patience et la force pour supporter
» la faim , la soif, l'intempérie des saisons , les travaux
33 et les fatigues inséparables de la guerre. 3>
Celui qui a tué un ennemi , porte en trophée la che-
velure du mort y s'en fait piquer ou calquer la marque
sur le corps, puis en prend le deuil, qui dure une lune t
pendant ce temps-là il ne peut se peigner, en sorte que
si la tète lui démange , il ne lui est permis de se gratter
qu'avec une petite baguette ; qu'il s'attache exprès au»
poignet.
\
DES AMÉRICAINS. S5l
Les Chactas n'ont aucun souci pour l'avenir , quoi-
qu'ils croient à l'immortalité Je l'âme. Ils ont une
grande vénération pour leurs morts , et ne les enter-
rent pas. Lorsqu'un Chactas est expiré, on expose
son cadavre dans une bière faite d'écorce de cyprès ,
et posée sur quatre fourches d'environ i5 pieds de
haut. Quand les vers ont consumé les chairs , toute
la famille s'assemble ; le désosseur démembre le sque-
lette : il en arrache les muscles, les nerfs et les tendons
qui peuvent en être restés, puis il les enterre, et dépose
les os dans un coffre , après en avoir vermillonné la.
tête. Les parens pleurent pendant toute la cérémonie ,
qui est suivie d'un repas , qu'on donne aux amis qui
sont venus faire leurs complimens de condoléance ,
ensuite on porte les reliques du défunt au cime-
tière commun , dans l'endroit où sont déposées celles
de ses ancêtres. Pendant qu'on fait ces cérémonies lu-
gubres , on observe un morne silence 5 on n'y chante ,
ni ne danse 5 chacun se retire en pleurant.
Dans îes premiers jours de novembre, ils célèbrent
une grande fête , qu'ils appellent la fête des morts ou
des âmes. Chaque famille alors se rassemble au cime-
tière commun, et y visite, en pleurant, les coffres fu-
nèbres de ses parens 5 et quand elles sont de retour ,
elles font un grand festin.
Les sauvages , en général , ont beaucoup de vénéra-
tion pour leurs médecins ou devins. Ces médecins
guérissent parfaitement la morsure des serpens à son-
nettes et des animaux venimeux, les coups de feu ,
les blessures de flèches. Ils commencent par sucer la
plaie du malade , et en crachent le sang , ce qu'on ap-
pelle en France , guérir du secret. Ils ne se servent
25a MOEURS, USAGES ET RELIGION
dans leurs pansemens , ni de charpie, ni de pluma-
ceaux , mais de la poudre d'une racine qu'ils souf-
flent dans la plaie , pour la faire suppurer , et d'une
autre poudre qui la fait sécher et cicatriser. Ils garan-
tissent les plaies de la gangrène, en les bassinant avec
une décoction de certaines racines qu'ils connaissent.
Lorsqu'au retour d'une guerre ou d'une chasse , ils
sont excédés de fatigues, ils se restaurent en se faisant
suer dans une étuve, ou cabane ronde en forme de four,
située au milieu du village. Ces étuves sont entretenues
par un alekxi , ou médecin public. Ils font bouillir
pour cet effet, dans l'étuve, toutes sortes d'herbes mé-
dicinales et odoriférantes, dont les esprits et les sels,
enlevés avec la vapeur de l'eau y entrent par la respi-
ration et les pores , dans le corps du malade , qui re-
couvre ses forces abattues. Ce remède est excellent pour
calmer et dissiper toutes sortes de douleurs 5 aussi ne
Toit-on chez eux ni goutte , ni gravelle et autres in-
firmités auxquelles on est sujet en Europe. On n'y voit
point de gros ventres , comme en Hollande et en An-
gleterre , ni de grosses tumeurs à la gorge appelées
goitres.
Les Chactas sont tiès-alertes et très-adroits. Les
hommes et les femmes jouent à un jeu semblable à la
longue paume. Le but est éloigné de 60 pas, et désigné
par deux grandes perches , entre lesquelles il faut faire
passer le balle. La partie est ordinairement en seize ^
ils sont 40 contre 4.0 , de difiérens villages , et tiennent
chacun en main une raquette longue de 2 pieds. Elle
est à-peu-près de la même forme que celles de France,
faite de bois de châtaignier, et garnie de peau de che-
vreuil. La raquette des femmes diffère de celle des
DES AMÉRICAINS.' â53
hommes, en ce qu'elle est recourbée ; un vieillard jetta
en l'air, au milieu du jeu , la balle ou ballon , fait de
peaux de chevreuil roulées les unes sur les autres. Les
joueurs courent pour l'attraper arec leurs raquettes 5 ils
se poussent, se culbutent les uns sur les autres. Celui
qui a l'adresse d'attraper la balle , la renvoie à ceux de
son parti , et réciproquement ceux du parti opposé :
ils y mettent tant d'ardeur , qu'il y a quelquefois
des épaules de démises. Ces joueurs ne se fâchent ja-
mais. Les paris sont considérables 5 les femmes pa-
rient contre d'autres femmes ; elles courent les unes
contre les autres, avec une grande vitesse, et se colet-
tent comme des hommes , étant aussi légèrement vê-
tues qu'eux , à l'exception d'une petite ceinture qu'elles
portent au milieu du corps. Elles ne se mettent du
rouge qu'aux joues seulement , et du vermillon sur les
cheveux, au lieu de poudre.
Les enfans s'exercent à tirer de l'arc : on les prend
par les sentimens , sans les battre. Ils tuent de petits
oiseaux , en soufflant d'une sarbacane de 7 pieds de
long, une petite flèche garnie de bourre de chardon.
Presque toutes les assemblées des Chactas se tiennent
pendant la nuit. Ils traitent avec le dernier mépris
celui qui leur manque de parole. Quand les femmes
sont enceintes, leurs maris î>'abstiennent de sel , et ne
mangent point de cochon , de peur de faire tort à leurs
enfans 5 les femmes vont accoucher dans les bois, sans
recevoir aucun secours de personne. Aussitôt qu'elles
sont délivrées , elles lavent elles-mêmes leurs enfans 9
leur appliquent sur le front une motte de terre , pour
leur aplatir le front , et à mesure qu'ils prennent des
forces , elles augmentent la charge. C'est une beauté
û54 MOEURS, USAGES ET RELIGIOïf
parmi ces peuples d'avoir le devant de la tête platJ
Elles n'emmaillottent point leurs enfans , et ne les ga~
rottent point dans des linges avec des bandes ; elles
ne les sèvrent que lorsqu'ils se dégoûtent du sein ma-
ternel , et elles les couchent dans des berceaux, de ma-
nière qu'ils aient la tête de 3 ou 4 doigts plus basse
que l'estomac : c'est pour- cette raison que l'on ne
voit jamais, parmi les sauvages, ni tortus, ni bossus.
Quand les sauvagesses se sont bien purifiées , elles
retournent à la cabane. Elles n'ont pas la liberté de
corriger les garçons , elles n'ont d'autorité que sur les
filles. Si une mère s'avisait de frapper un garçon , elle
recevrait de vives réprimandes , et serait frappée à son
tour; mais si son petit garçon lui manque, elle le
porte à un vieillard ? qui lui fait une mercuriale, puis
lui jette de l'eau sur le corps.
Quand une femme fait plusieurs infidélités , on la
condamne alors à passer par la prairie . c'est-à-dire, que
tous les jeunes gens, et quelquefois les vieillards, satis-
font sur elle leur brutalité tour à tour. Celui qui est
assez méprisable, après cette punition, pour la prendre
pour sa femme, est méprisé comme elle.
Les Tchikachas ne sont pas aussi nombreux que
les Chactas , mais ils sont plus intrépides et plus re-
doutables. Ils ont jusqu'à six mille guerriers en cam-
pagne. Toutes les nations du Nord et du Sud, et même
les Français, leur ont fait la guerre, sans avoir ja-
mais pu les chasser de leurs terres , qui sont les plus
belles et les plus fertiles du continent. Ces peuples sont
grands, bien faits, et d'une bravoure sans égale. Les
Tchikachas montent très-bien à cheval ; ils laissent
aux femmes le soin de cultiver et d'ensemencer les
DES AMÉRICAINS. ^55
terres. Le sexe est beau et très-propre. Lorsqu'un Tchi-
kachas a tué un chevreuil , il plante une perche pour
faire connaître que ce gibier a un maître; de retour au
lo^is , il dit à sa femme l'endroit où il est : elle va le
chercher, le dépouille et le sert à son mari. Les femmes
ne mangent point avec les hommes ; ils ont l7air de n'y
pas faire attention , cependant ils les aiment plus qua
toute autre nation. A l'égard de l'adultère , les Tchi-
kachas se connectent de fustiger les deux coupables
qui ont été pris en flagrant délit , en les faisant courir
nus au milieu d i village j après quoi le mari répudie
sa femme.
Les Cherokees , les Chactaws , les Shawanoes , leâ-
JDelawares de la rive orientale du Mississipi j les CaddoSj
les Coshattees, les Tauka^'kes et les Comanches , peuples
guerriers, à demi civilisés, ont marché le 22 août 18 17,
avec six pièces de canon servies par des Européens et
des Indiens qui entendent ce service , pour réduire les
Osages qui leur enlèvent continuellement leurs chevaux,
et tuent leurs petites troupes de chasseurs. Les Osages,
accoutumés à tout braver , se sont construit des forts ,
dans lesquels ils se proposent de se retirer après la ba-
taille qui a dû avoir lieu entre les rivières d'Ouchitta et
d'Akansas , dans un endroit nommé the six bulls ( les
six taureaux), proche de la ligne des limites. Ces peuples
peuvent mettre sur pied une trentaine de mille hommes,
taut cavalerie qu'infanterie , armés de fusils et de ca-
nons.
Les Attal-apas , ce nom parmi les peuples de l'Amé-
rique signifie mangeurs d'hommes. Quand ils prennent
un ennemi auquel ils en veulent , ils font entr'eux un
grand régal de sa chair. Ils vivent ordinairement de
2-56 MOEURS, USAGES ET RELIGIOtf
poisson , et boivent de la cassine ; ils parlent aussi par
signes , et font de longues conversations pantomimes.
Les Attakapas sont armés d'arcs et de flèches extrême-
ment grandes : ils cultivent le maïs et d'autres végétaux
comme les peuples de l'Amérique Septentrionale. Les
Espagnols du Nouveau -Mexique n'ont jamais pu Jes
soumettre. Ils ont eu, dans des circonstances pressantes,
jusqu'à 12 mille combattans.
M. De Belle-Isle s'étant égaré dans les bois avec plu-
sieurs autres Français qui moururent de faim, erra
quelque temps, jusqu'à ce qu'enfin il rencontra un
parti de ces sauvages qui faisaient boucaner de la chair
humaine et du poisson. Ils s'avancèrent vers cet officier,
qu'ils prirent pour un spectre , tant il avait maigri. Ils
lui présentèrent de la chair humaine 5 mais il préféra
du poisson. Quand il l'eut mangé, ils le conduisirent
à leur village, où il eut le bonheur d'être l'esclave d'une
femme veuve déjà sur le retour. M. De Belle-Isle étant
parvenu à captiver sa patrone , elle l'adopta. Il fut dès
ce moment mis en liberté , et réputé homme de la na-
tion , où. il resta environ deux ans , que des députés
d'une nation qui apportait le calumet de paix aux At-
takapas , le ramenèrent au Biloxis , qui était alors le
chef-lieu de la Louisiane. M. de Bienville, gouverneur
de cette colonie , pour reconnaître le bon traitement
que les Attakapas avaient fait à M. de Belle-Isle, envoya
un présent à cette nation, et en adressa un autre
à la veuve qui avait adopté et protégé M. de Belle-
Isle.
Ces peuples, qui ne s'attendaient point à la générosité
du gouverneur, lui envoyèrent des députés pour le re-
mercier et faire alliance avec les Français. La patrone
i)ES AM^RÎC AIISTS. '±5j
de M. de Belle-Isle y était en personne. Le chef de la
députation adressa à M. de Bienville le discours sui-
vant, dontM. de Belle-Lsle fut l'interprète. ccMcm pèrej
<c le blanc que tu vois ici , est ta chair et ton sang 3 il
« nous avait été uni par adoption. Ses frères sont morts
te de faitn 5 s'ils eussent été rencontrés plus tût par nv.
et nation , ils vivraient encore , et auraient joui des
« mêmes prérogatives. 33
L'hospitalité que les Attakapas exercèrent envers
M. de Belle-lsle , fait voir , dit M. le Bossu, que l'on
rie doit regarder leur cruauté que comme un défaut
d'éducation , et que la nature les a rendus susceptibles
d'humanité.
M. de Bienville leur fit promettre de renoncer à leui:
horrible coutume. Ils le lui promirent , tinrent parole^
et depuis Cette époque ils ont toujours traité humaine-
tnent les Français;
Les grossiers hanitans de ces lointains rivages,
Formés par nos leçons , instruits par nos usages \
Dans Véeole des arts et de l'humanité ,
De leurs sauvages mœurs corrigent l'âprete.
Leur cœur simple et naïf, dans sa férocité,
Respecte des Français la sage autorité.
Le Français bienfaisant console leur misère ,
Les aime en citoyen et les gouverne en père.
( Poème de Jumonvîlle.)
Canadiens et autres peuples du Nord. — Les Indiens
qui habitent le sud du Canada et la partie de l'ouest 1
sont les Pouteouatemis y les Sakis , les Malhominys ?
les Nadouesses . (Ies Missouris , les Panis , les Ouëne-
begons , les Puants ? les Ouiagamis y les Renards les
2.58 MOEURS, USAGES ET HELIGIOÎT
Maskoutechs , les JMlamis , les Killabons , les Illinois 1
les Sioux , les Nadouags , les Ayoës , etc.
Les Pouteouaternis , les Illinois, les Outagamis ,
et les Miamis, sont doux, affables, caressans , fidèles ;
ils dédaignent les autres Indiens. Leur taille haute et
dégagée , leur esprit et leur bon sens, les font générale-
nient respecter; aussi se sont-ils rendus les arbitres de
toutes les nations qui les avoiainent.
Les Sakys , quoique habitant souvent les mêmes
villages que les Pouteouaternis , ont le caractère et les»
mœurs bien différens. Ils sont mutins , voleurs , men-
teurs j mais ils aiment le travail, et sont fort bons chas-
seurs.
Les Malhominis sont bons , braves gens et grand»
guerriers , mais avares et très-intéressés. La pêche est
leur principale occupation.
Les Illinois habitent à l orient , près du Mississipi.
Ils sont parfois larrons , mutins , séditieux , ce qui les
rend ennemis de presque tous leurs voisins , qui ne sa-
vent comment s'en venger, parce qu'ils sont bons sol-
dats, guerriers fins et rusés j ils ne connaissent point
le danger. Du reste , ils sont humains, actifs, indus-
trieux, et vivent de l'agriculture.
Un peu vers le nord, on trouve les Sioux , peuple
nomade, très-nombreux j et en allant vers l'Occident,
les Missouris.
Les Puants , aujourd'hui les Menomonies , habitent
les bords de la Baie-Verte. Ils sont traîtres , voleurs,
parjures, sans mœurs. Autrefois, ils ne souffraient point
qu'un étranger pénétrât chez eux , et faisaient bouillir
dans des chaudières ceux qu'ils attrapaient. Aujouf-
ÊfeS AMERICAIN Si aS
tThui , ils sont en-ans et peu nombreux, parce qu'ils
sont en horreur chez toutes les nations
Autour du lac Huron , habitent les Ilurons , qui
composent cinq nations connues sons le nom de Séné*
céens f à' ] Abanaqaiens , à'Ottogames , à* ÀtaVees , de
Saquiens. Vers l'est du Canada, sont les Cf/ippe-ways ,
les Nansovakatous , les Sauteurs , les Missi - Sakis , les
-Amikoucst. Ces différens peuples, qui sont les pins doux,
1rs plus civilisés du Canada, font leur séjour ordinaire
à Michillimakinac , fort à 060 lieues de Québec :
c'est là que se rassemblent les Européens qui veulent
faire la traite avec les sauvages, qui s'y rendent de
toutes parts pour la vente de leurs pelleteries.
Autour du lac Népicing , vivent les Népicîngs , les
gens de la Loutre, les Cynagos , les Kikakoi:s , les
Algonkins, les Outaouaks. Les sauvages sont redevables
«le l'invention des canots d'écorce de bouleau , aux
JSfépicings , qui ne le cèdent en rien aux Hurons, aux
Outaouaks , pour les mœurs et le caractère. Ils sont
généreux et humains, mais fiers et bons guerriers , insi-<
ïiuansetsagesdans toutes leurs entreprises. Comme eux,
ils sont subies , prévoyans , craignant la misère , pen-
sant toujours à l'avenir et à leur famille ; bien différens
en cela des Missi Sakis, et des gens de la Loutre, qui,
quoique habitant le même pays , imitent les sauvages
du nord , sans toutefois en avoir la férocité.
Les Missi-Sakis sont les moins sociables de toutes
les nations: ils sont dédaigneux, fiers, pleins d'orgueil,
msolens et moins courageux que les autres peuplades.
Les gens de la Loutre sont bruts et vrais misan-
thropes 5 ils se cachent dans le creux des rochers iuacces-
17*
2^0 MOEURS, USAGES ET IlELfOÏOft'
sibles. Ils ne Tont à la chasse que lorsque la faim tes
presse.
Les sauteurs passent pour la nation la plus leste £
ils atteignent les cerfs à la course ; ils regardent comme
un jeu , de se précipiter avec un petit canot d'éoorce ,
dans les bouillons des cascades les plus élevées du Nia-
gara.
Les Iroquois , appelés aujourd'hui les Mokawks du
Canada, habitent les bords du lac Ontario. Ils forment
cinq nations connues sous le nom & Anatoques, de Tso-
nontouans , à^Onoyouts , tfAgniés , et de Coyogoans. Ils
n'ont jamais voulu reconnaître d'autre souverain que
Dieu seul. Ils passent pour les plus lins et les plus in-
trépides guerriers. Sans cesse en course sur leurs voisins^
leurs succès militaires leur ont donné une grande
supériorité sur toutes les autres nations, et leur font
tenir le premier rang depuis plusieurs siècles.
Les montagues et les rochers du nord sont occupés
par les Monsonis , les Ahissiniboëls 5 les Otanlabis ,
les Ivlichacondibis , les Chichigoueks , etc. : ils sont er-
rans , grossiers, sanguinaires , vivent de chasse, d&
pêche, souvent même d'herbes et d'écorce d'arbres.
Les Chépéouans habitent le pays qui s'étend depuis
la source de la rivière de la Paix, se prolonge jusqu'aux
eaux de la Columbia, qu'elle suit jusqu'à la latitude de
5a degrés , 2 min. nord. Là, les Chépéouans sont bor-
nés par le territoire des Athnas ou Tchiens , peuples
très-peu connus. Les Chépéouans sont errans et toujours
en guerre avec les Eskimaux. Ils sont jaloux de leurs
femmes, et les forcent à tirer des traîneaux portant
2-00 livres pesant*
T)ES AMERICAINS.
26l
Il y a aussi d'antres Indiens nommés les Indiens-
esclaves , les Indiens Côte-dt-chien, les Indiens-lièvres :
on ignore leurs mœurs , lenr.s usages et leur religion.
L,asKnds ou Christinaux sont d'une stature médiocre,
bien proportionnés, d'une extrême agilité*, ils ont les
yeux noirs, perçans, très-expressifs, et d'une physio-
nomie agréable et ouverte } ils se peignent le visage de
diverses couleurs, et portent des habits ornés, avec
goût 5 mais pour chasser, ils préfèrent souvent, malgré
le froid, courir presque nus. Leurs femmes sont les
plus jolies de celles de l'Amérique septentrionale: leur
taille est bien proportionnée , et la régularité de leurs
traits serait louée chez les peuples de l'Europe les plus
délicats. Ces sauvages sont doux, bienveillans, probes ,
généreux et hospitaliers.
Les Eskimaux et les Groënlandais , peuples chas-
seurs et pêcheurs, sont vindicatifs quand on les irrite,
et courageux quand 011 les attaque. Paisibles par carac-
tère, ils s'occupent plus de chercher leur existence que
les moyens de quereller leurs voisins.
ce Les sauvages du Canada sont en général d'une
» taille haute et svelte * ils sont bien faits, bien pro-
3> portionnés , lestes , adroits , robustes et d'un fort tem-
3> pérament. On en rencontre rarement de difformes.
r> On a vu des sauvages de cent douze et de cent
3> vingt ans : il n'est pas rare de voir chez eux des
» vieillards de cent ans.?) Lequel croire de M. le che-
valier Grasset Saint- Sauveur, ci-devant vice -consul
en Hongrie, qui a résidé dix ans dans l'Amérique
septentrionale, ou de M. Paw , qui n'a jamais vu ce
pays ni aucun de ses habitons?
ce Les Canadiens ont les dents superbes, le ne?
202 MOEURS, USAGES ET RELIGION
3) aquilin , les yeux grands, beaux, bien fendus et
» noirs 5 les traits de leur \isage sont larges et bien
» prononcés j leur extérieur annonce ce qu'on doit en
» attendre; leur port est majestueux, et leur marche
» fière et imposante : leur peau blanche estcomme celle
o) des Européens 5 mais ils la rendent basanée par
» leur nudité, le grand air, leurs fatigues, les fric-
:» tions d'huiles, de graisses, de sucs d'herbes et de
» vermillon , dont ils font usage. Ils s'arrachent la
3) barbe et toute efiiorescence de poils sur foutes les
3> parties du corps, comme messéantes, et ne conse.^-
» vent que les cheveux, les cils et les sourcils. *>
Les femmes sont bien faites, bien proportionnées et
fort jolies: elles ont les yeux brillans et superbes, les
dents très-blanches et la bouche fort petite 5 leur gorge
est saillante, bien placée et parfaitement arrondie 5
lenr respiration est douce et suave, etc., etc. Les far-
deaux énormes qu'elles portent parfois, et l'habitude
qu'elles ont de s'asseoir sur leurs talons, leur font
perdre à la longue l'élégance des formes, et leur dou-
aient un air voûté et déhanché, (pag. i5, Tahleauoc
Cosmographiques de P Améritjue j par M. le chevalier
Grasset, etc.)
L'habillement. de ces diverses nations est, à peu de
chose près, comme celui des autres Indiens dont j'ai
parlé. Celles qui sont voisines des Européens ont
adopté plusieurs de leurs coutumes, de leurs vices, et
l'usage pernicieux des liqueurs fortes qui ont porté
une altération sensible dans leur caractère. Le cœur
de ces Indiens est encore plein des cruautés exercées
envers eux et leurs voisins, par les premiers conqué-
rant qui sont venus envahir leur pays 5 ils tournent
T>ES AMERICAINS.1 263
constamment contre eux tontes les ressources de leur
politique; et par une suite de ce principe, ils ne font
point de quartier à l'Européen qu'ils font prisonnier.
Mais depuis qu'ils trafiquent avec les Anglais, les
Américains et antres peuples, ils vendent leurs pri-
sonniers 5 ceux qui ne le sont pas deviennent esclaves,
à l'exception de quelques-uns , qui sont condamnés à
être brûlés vifs. Ils écorchent les ennemis tués, en
conservent les peaux comme un trophée.
Leur religion (dit le professeur Schaefer), consiste
dans de bons et de mauvais génies. Ils s'imaginent
que chajne homme qui sait manier l'arc, a une
divinité tutelaire. T .s sacrifient aux mauvais génies -
des plantes et des animaux , pour les apaiser et se les
rendre plus favorables 5 ils sont persuadés de l'existence
de l'homme après sa mort: croient aux songes, et les
regardent comme des révélations. Sans avoir de culte
public , ils ont des prêtres qui se disent inspirés , et qui
leur servent de médecins. Plusieurs Indiens ont été
convertis au christianisme; mais ils sont loin de con-
naître l'esprit de cette religion: ils se contentent de
réciter quelques prières et dlobserver certaines cérémo-
nies.
Dans les maladies , qui sont très-rares parmi ces
peuples, à cause de leur vie active et de leur sobriété 9
ils souffrent avec une patience incroyable 5 si le méde-
cin abandonne le malade, tout le monde le quitte , et
il meurt sans secours*, alors il fait préparer le dernier
repas, et prend congé de sa famille et de ses amis.
Il y a do, peuplades qui tuent leurs malades quand
ils sont incurables , pour les délivrer de leurs douleurs,
Chez d'autres, si une femme meurt en couches, on.
a&4 MOEURS, USAGES ET REUGïOS
enterre l'enfant avec elle , parce qu'ils penseiit qu'ayanf
perdu sa nourrice , il ne peut pas vivre.
Ils ont un grand respect pour les morts. Ils décorent
le cadavre de ses plus beaux vêtemens , et le déposent
dans son tombeau avec beaucoup de cérémonies. Dans
ces occasions , la famille donne un grand festin auquel
elle n'assiste pas ; elle se cache au fond de la cabane g
se coupe les cheveux et se couvre la tête. Les hommes
n osent point pleurer leurs femmes 5 mais celles-ci por-
tent , pendant un 911, le deui! de leurs maris.
Si la vue d'un Européen ou d'un ennemi quelçon-;
que leur inspire la méfiauce, et quelquefois la rage %
il n'en est pas <\e même entr'enxj ils se prêtent mu-
tuellement secours, se partagent le boire, le manger^
et risquent leur vie pour leur défense réciproque, Les
pères et mères élèvent leurs enfans à la dure ? à la pv\%
,vation :, mais ils ne les frappent jamais.
En général, le caractère et les mœurs des Indiens,
4u Canada est un mélange de férocité et de douceur»
L'hospitalité est en vénération chez eux* quiconque
oserait violer ce lien sacré, serait puni du dernier
supplice. Ils ont l'esprit vif. ingénieux, la répartie
prompte , et font leurs discours sans s'y être préparés ^
lascifs sans bornes , ils ne «ardent aucune mesure dans
le commerce des femmes.
La danse et le chant sont les principaux plaisirs de
leurs fêtes : il y en a qui durent quatre jours et quatre
nuits , pendant lequel temps aucun des convives n'ose
se livrer au sommeil 5 ils aiment aussi passionnément
le jeu d'osselets, de paume , dont nous avons parlé , la
course , la lutte.
Les sauva ses du Canada ne sont asservis à au eu 11$
s3
^
^
^
n:
DES AMÉRICAINS. 2-65
Subordination civile ou militaire ] chaque famille se
choisit un chef particulier qui préside en son nom aux
grandes assemblées 5 le coupable trouve un tribunal
çuns sortir de la maison paternelle 5 ses parens le li-
vrent à la famille de ceux qui ont reçu l'injure , et qui ,-
pour l'ordinaire, lui font subir la peine due à son
crime. Ces sentences domestiques sont confirmées;
(l'avance parle grand chef civil de la nation (ou juge-
de-paix).
Le grand chef de guerre, qui est la seconde di-
gnité, détermine ordinairement tout ce qui a trait
aux chasses 5 il décide de la guerre et de la paix. Déjà
fameux par ses exploits militaires, il marche toujours
à la tête des guerriers 5 il leur donne l'exemple d'un
vrai courage et d'une intrépidité sans bornes. Ces deux
chefs ne prononcent jamais en souverains 5 ils n'oiat
que le droit de parler Ces premiers dans les grandes
assemblées, et de proposer leur avis de cette manière:
ce Je pense que telle chose est utile. 3) Par cette mé-*
thode , ce que le commandement aurait de révoltant
pour des esprits aussi indéperidans , est remplacé par
une sorte d'autorité persuasive , qui^ à peu de chose
près, a l'eftet d'un ordre absolu.
Ils ont \me mémoire si fidèle, qu'ils se rappellent
toute leur vie un chemin où ils amont passé, \mtl
lieu qu'ils auront vu, un discours qu'ils auront pro-?
non ce dans une de leuis assemblées publiques. La
mousse des arbres , le mouvement du soleil , des étoiles,»
les dirigent à travers les forets les plus épaisses. Us
connaissent si bien leur pays, qu*ils en tracent, avee
la plus grande exactitude, la carte sur le sable j ils se
communiquent leurs idées par certaines peintures hiw-.
2.66 MOEU3S, USAGES ET REEIGIOTT
roglyphiques : ainsi , lorsqu'ils sont en course , ils dé-
pouillent de leur écorce les arbres qui se trouvent sur
leur chemin , et peignent sur le tronc certains signes,
pour informer leurs partis dispersés, de la route qu'ils
doivent prendre pour les rejoindre.
Lorsque la guerre est déclarée , on choisit un chefj
il est obligé de jeûner pendant plusieurs jours sans
proférer une parole 5 puis , il assemble les troupes et
les harangue 5 après quoi, on le lave , on lui peint le
corps , on l'habille en guerrier avec les marques dis—
tmctives de sou grade; ensuite, on entonne le chant
funèbre, qui est suivi d'un festin général} une hache
teinte de sang est envoyée à l'ennemi, et tient lieu de
manifeste.
Parmi leurs armes, on remarque le Tomahawk ,
espèce de petite hache, qui a une pointe de fer de 6
pouces du côté opposé à la hache ; le manche est
creux, et sert de pipe en y adaptant un foyer. Ils se
couvrent d'un casque de bois, de brassards , de cuis-
sards, et portent des boucliers de cuirs, des fusils et
des sabres: une écorce d'arbre sur lequel on a gravé
les armes de la nation, et qu'on attache au bout d'un
bâton , forme l'étendard et sert de ralliement.
C'est toujours une nation neutre qui se charge des
négociations de paix. Dans ce cas , les députés se pré-
sentent aux deux armées, en dansant avec le calumet,
ou la pipe de paix , qui est orné de plumes de diverses
couleurs. Si l'on s'arrange , on enterre la hache qui a
servi de déclaration de guerre. Les députés présentent
aux chefs le -wampum , ceinture composée de plusieurs
cordons enfilés dans des moules, et ils fument tour-à-
tour dans le calumet.
DES AMÉRICAINS. Û&7
La course Je l'allumette souffrée est la manière
dont les Iroquois sollicitent les faveurs d'une femme.
Pour cet effet , ils vont avec un morceau de bois souf-
fre et allumé, trouver leur maîtresse lorsqu'elle est
couchée-, si elle souffle le tison , l'amant jette son
flambeau et se précipite dans les bras de celle qu'il
adore 5 si elle ne souffle point la lumière , i'Iroquois se
retire en silence.
La cérémonie du mariage se fait ainsi :. Les deux
futurs se placent debout sur une natte, tenant chacun
le bout d'un bâton de 4 pieds de long $ un vieillard ,
placé entre eux deux, leur fait un discours sur les de-
voirs qu'ils ont à remplir. Aussitôt qu'il a fini, ils
cassent le bâton: les parens et les amis dansent, ensuite
se régalent, et le nouveau marié emmène sa femme
chez lui.
Leurs principales chasses sont contre les ours et les
élans. La chasse aux ours dure depuis le mois de novem-
bre jusqu'au mois d'avril. Quand un chasseur en a tué
une certaine quantité, il est mis au nombre des guer-
riers renommés, et on fait en son honneur un festin du
plus grand ours. Il y a peu de tribus qui aient exacte-
ment le même îdiômej ils n'ont pour converser et trans-
mettre leurs idées, qu'une écriture hiéroglyphique y
qui est très-difficile à deviner pour celui qui n'en a pas
la clé. Toutes ces nations occupent un vaste pays;
mais elles se trouvent resserrées à mesure que les Amé-
ricains s'étendent. Un jour viendra, sans doute, où
elles achèteront la civilisation au prix de leur liberté*
%>68 RESISTANCE DES PREMIERS AMERICAIKS,
CHAPITRE III.
Sur la résistance des premiers Américains , lors
de l invasion de leur pays.
On attribue assez généralement la première décou»
Terre de l'Amérique à Christophe Colomb 5 mais
comme il est maintenant universellement reçu que le
Groenland fait partie de ce vaste continent, on doit
alors en faire remonter la découverte à la première
visite du Groenland par les Norwégiens. La notice
de la mer Baltique nous apprend qu'un prince ou roi
îiorwégieu , nommé Eric , s'était établi dans le Groen-
land, vers l'an 900 , et que son troisième fils , nommé
Tovftain f homme très-courageux , se rendit célèbre par
une navigation hardie en Vineland , pays qui long-
temps après resta encore inhabité, et qui. suivant
Torjeus et Pontopidan y n'est autre chose que Terre-
jNeuve.
Quoi qu'il eu soit, Colomb ne doit pas être dépouille
de la moindre partie de sa gloire, puisque Behaini , le
géographe le plus instruit de son temps , démontre
qu'on n'avait pas fait de découvertes antérieures sur la
route suivie par ce grand homme.
La découverte et la conquête de l'Amérique sont
deux événeruens extraordinaires, qui ont été le résul-
tat de deux causes assez communes, , l'ignorance et la
surprise. Un simple roseau d'une espèce étrangère jeté
gur les côies occidentales des Açores, avait fait con«*
dure à Christophe Colomb qu'il devait exister d'autres
tOitS T5E L'itfVÀSiOtf RË LEUIt PAYS. 20<J
terres à l'occident. Quoique Colomb se fut trompé des
deux tiers dans son calcul, sur la distance entre l'Eu-
rope et l'Asie par l'ouest , puisqu'il supposait que le
continent de la Chine et des Indes orientales s'éten-
dait à travers cet océan, jusqu'à 1660 lieues 2,/3 du
continent d'Europe, et que, d'après le calcul de Maiïnj
qui avait placé la Chine i5 heures E. du Portugal , il
avait conclu qu'il ne devait pas rester plus de neui
heures entre l'Europe et la Chine, en faisant voile à
l'est, si cet espace était totalement d'eau , et que ce
trajet devait être fort court. Le hasard cependant le fie
heureusement rencontrer juste , relativement au conti-
nent de l'Amérique, qui lui abrégea les deux tiers de
sa route, et lui sauva la vie et celle de ses équipages.
Cependant , la douce fraîcheur de l'air du soir , la.
pureté éthérée du firmament, les émanations balsa-
miques des fleurs que la brise de terre lui apportait,
prolongèrent long -temps son erreur, en lui faisant
croire que ce nouvel Eden était la prolongation de la
côte d'Asie. UOrénoque lui parut un des quatre fleuves
qui sortaient du paradis terrestre pour arroser etparta*
ger cette terre nouvellement décorée de fleurs.
C'est ainsi qu'en 1600 , dans son voyage aux Indes-
Orientales, Cabrai, amiral portugais, découvrit le
Brésil. Cette découverte, faite sans dessein, montre
qu'indépendamment de la sagacité de Colomb , l'Amé-
rique n'aurait pu rester long-temps inconnue. Vingt-
six ans s'étaient à peine écoulés depuis le premier
voyage de Christophe , qu'on ne soupçonnait pas
l'existence des empires du JSlexique et du Pérou. La
conquête du premier fut entreprise par Corl-cz, en i5to?
e! terminée en 1 52 1; celle du second éfcaj: fut commencés
Û7° RÉSISTANCE DES PREMIERS AMERICAINS,
par Pizarre, en i53o, et en dix années il fut divisé
entre ceux qui l'avaient accompagné.
Corttz, après avoir débarqué sur le continent d'Amé-
rique, alla deux fois à Mexico : la première, comme
ambassadeur de Charles V 5 la seconde, comme ennemi.
Après deux combats sanglans qu'il livra auxTlascalans,
il fit la paix avec eux, et parvint à se concilier l'amitié
de ces républicains, toujours en guerre avec Montezuma.
Par suite de cette paix, ils lui donnèrent une escorte
de 6000 hommes, avec lesquels il chercha à se soustraire
de la dépendance de JDidasco Velasco , gouverneur de
Cube, dont il avait obtenu le caractère de conducteur
et de commandant dans cette entreprise. Il s'empressa
en conséquence de faire allianceavec les caciques de Zam-
poaa/a, ceux de la nation des Totonaches , de Chiachuit-
zla , tous mécontens de Montezuma , et il en reçut le
serment de fidélité. Peu à peu il sut profiler du nombre
infini de mécontens qui haïssaient cet empereur.
Ce fut avec ce renfort considérable de soldats améri-
cains, soutenus de 5oo fantassins européens bien aimés,
et i5 cavaliers, qu'il entra dans les provinces de Monte-
zuma, ensuite dans le Témistilian ou Ténochtitlan ,
le 8 novembre i5ip. L'empereur le reçut avec les plus
grands honneurs, lui fit de riches présens, le logea avec
tout son cortège , et le traita splendidement.
La vue de tant de richesses excita la cupidité des Es-
pagnols 5 ils occasionnèrent quelques mécontentemens.
Qitaîpupoca , général mexicain, pour détourner l'orage
qui menaçait son pays , marcha sur la'Vera-Cruz, que
Cortez venait de fonder. Celui-ci prit ce prétexte pour
faire la guerre à Montezuma. L'empereur, qui ne dédi-
rait que de vivre en paix avec ces étrangers . désavoua
loïis ïtfp. l'invasion de leur PAYS. 2/1
îa conduite de Qualpnpoca, que trop de zèle avait porté
à l'entreprise sur la Vera Cruz. Cortez exigea pour pré-
liminaire de paix la remise du général mexicain. Il ne
l'eut pas plulôt en* son pouvoir, qu'il le lit brûler vif.
Il profita ensuite de la confiance de Montézuma pour
le tenir prisonnier dans son palais.
Cortez se voyant obligé de marcher contre Isarvaez ,
qui s'avançait sur Mexico , de la part de Velasco , avec
800 fantassins et 60 cavaliers pour l'arrêter , il laissa l»
commandement de la ville à Alvaredo , qui forma le
dessein de massacrer tout le peuple, tandis qu'il était
à se réjouir paisiblement un des jouis solennels dans le
grand préau du temple. Les Mexicains, furieux d'une
pareille perfidie , brûlèrent les barques des Espagnols ,
et les assiégèrent dans leur logement. Montézuma ayant
été tué au moment qu'il haranguait le peuple, les
Mexicains nommèrent Çhietlavacca pour son successeur.
Cortezj après avoir vaincu Narvaez, apprenant la situa-
tion critique clans laquelle les Espagnols se trouvaient,
marcha sur Mexico avec 1000 fantassins esoagnoïs •
100 cavaliers et 20,000 Tlascalans. Après plusieurs en-
gagemens, il se vit contraint de capituler. Le nouvel
empereur fut assez généreux pour le laisser partir 5 mais
le peuple le molesta dans sa fuite. Il perdit i5o fantas-
sins , 46 cavaliers , outre les Espagnols de sa suite , efc'
plus de 4000 Indiens auxiliaires. Cortez en avoue plus
de 2000, parmi lesquels étaient ceux de Cholula , tous
les prisonniers , les esclaves qui étaient dans l'armée.
Ce général perdit aussi une partie de ses trésors et de
son artillerie.
Cortez se réfugia chez ses alliés de Tlascala: et avec
le secours de i2o?ooo Indiens qu'il parvint à rassem-
&^2 RESISTANCE t>ES PREMIERS AMÉRICAINS j
oler, il se rendit maître de Guacacula. Pendant ce
temps là , il envoya demander de nouveaux soldats à
Saint-Domingue , fit construire 12 briganthis et autres
taâtimens nécessaires à l'attaque en forme qu'il proje-
tait contre Mexico. Le 8 décembre delà même année,
il vit, dans la revue qu'il fit de sa troupe , qu'il avait
encore 55o fantassins, 140 cavaliers , o pièces de cam-
pagne, outre les soldats auxiliaires auxquels s'étaient
joints 20,000 hommes de Te.rsaïco , et 4°>ooo de CalcOh
II fait sur-tout l'éloge des soldats tiascalans , qui étaient
au nombre de plus de 5o,ooo. Il dit : ce Que les capi-
y> taines Tlascatecal avaient de valeureux combattans$
r> tous propres à la guerre, que leur discipline allait de
» pair avecrcelle deï> Espagnols, m
Toute celte grande armée , qui s'accroissait encore
à chaque instant par la réunion des peuples voisins , fut
partagée en trois divisions , outre celle que commandait
Cortez. Il donna à Pierre d'x^lvaredo 3o cavaliers, 18
arbalétriers et fusiliers, 5o fantassins et 25, 000 Tiasca-
lans pour attaquer Tlaconan , et s'avancer delà sur Té-
nochtitlan. 11 chargea Christophe d'Olid d'attaquer du
coté de Cujocan à la tète de sa division , qui était com-
posée de 33 cavaliers, de 18 arbalétriers et fusiliers j
160 fantassins armés d'épées, de rondaches comme
les premiers, et de 25, 000 Indiens 5 enfin, Gonzalve
Sandoval , exécuteur major, fut mis à la tête de 24 ca-
valiers, 4 fusiliers , i3 arbalétriers et 3o,ooo Indiens
pour se porter du côté è.'îztapalapat Cortez avait le reste
de son armée, et plus de 80,000 Indiens , auxquels le
seigneur de Tersaïco joignit un de ses généraux à la
tête de 3o,ooo soldats. Ses troupes furent suivies de
ao^ooo hommes, et, dit Cortez, d'un nombre inhui
LORS DE L'INVASION DE LEUR PAYS. 273
tPautres j tous impatiens de détruire les ennemis puis-
sans des contrées voisines.
Corfez, le 3i mai i5^i , attaqua y>av le lac avec i3
origan lins armés de canons. Un vent considérable qui
survint, le préserva, de son aveu même, d'être vaincu ,
parce qu'il empêcha la flotte des canots mexicains de
tenir ferme. Après bien des efforts il pénétra jusqu'à
la chaussée qui était pavée en briques, rompit l'aque-
duc qui fournissait l'eau à la ville, fit assiéger les ponts
par terre et par eau avec ses brigantins , dont l'artillerie
jouait sans cesse.
Guatimozin , qui avait succédé à l'empereur, frère et
successeur de Montézuma, mort de la petite vérole , dé-
ploya autant de génie que d'activité. Les Mexicains ,
quoique assiégés de quatre côtés, disputèrent le terrain
pied à pied, battirent et repoussèrent à plusieurs re-
prises Cortez et Alvaredo. Enfin, le défaut d'eau , une
partie de la ville qui était déjà écroulée, joints aux
ravages que la mort exerçait partout par l'odeur des
cadavres qui remplissaient les canaux , les rues et les
décombres, déterminèrent les restes de cette nation
courageuse à se sauver dans les montagnes à la faveur
de leurs canots, pour se soustraire au joug des vain-
queurs. Ils jetèrent donc dans le lac , et cachèrent dans
les tombeaux, les trésors qui leur restaient encore. Au
milieu de cette fuite, Garci Holguin, capitaine d'un bri-
gantiu, attaqua par hasard le canot où se trouvait Tem-
pereur. Ce prince fntjpris^ et la guerre finit à l'instant,
le i3 août i5^i , après aii siège de 65 jours, entrepris
par une armée d'environ 2-20,000 hommes. Le butin ne
fût pas aussi considérable que les Espagnols Pavaient
espéré, parce que l'empereur avait fait jeter dans le lac
TOM. 2. xg
2^4 RÉSISTANCE DES PREMIERS AMERICAINS,
la majeure partie des richesses des temples, des palais
et de la ville.
Lorsqu'on amena Guatimozin devant Cortez , il lui
dit : ce J'ai rempli les devoirs d'un roi 5 j'ai défendu mon
d) peuple jusqu'à la dernière extrémité 5 il ne me reste
m plus qu'à mourir. :» Alors mettant la main sur le
poignard de l'Espagnol qui l'avait conduit : ce Prends
:» cette arme , ajouta-t-il, enfonce-la dans mon cœur 5
3) délivre moi d'une vie qui est désormais sans utilité,.
3) et qui ne pourrait durer sans opprobre. r> Ce trait,
digue du plus beau temps de la Grèce et de Rome, ne
put toucher le cœur du barbare Cortez. Il insista pour
savoir de l'empereur dans quelle partie du lac il avait
fait jeter les trésors de Mexico. Guatimozin lui répondit
que ces trésors périraient avec lui. Cortez , ne se possé-
dant plus, ordonna de le brûler avec son favori. Guati-
mozin , grand jusqu'au dernier moment, voyant que
son compagnon de souffrance commençait à céder à la
violence de la douleur, et semblait lui demander la
permission de révéler ce qu'il savait, le fixa d'un œil
de dédain qui le fit rougir de sa faiblesse, et lui dit :
ce Et moi, suis-je sur un lit de roses?» Dans tout ce
que l'histoire a transmis à l'admiration des hommes ,
existe-t-il un mot comparable à celui de ce neveu du
malheureux Montézuma ?
Cortez, maître d'un vaste empire, ne s'en tint pas
là : il poussa la barbarie jusqu'à condamner au sup-
plice soixante princes, cent nobles dans la seule pro-
vince de Pannco. ( Voyez les rapports de Gomara -, de
Dias et d'Herrera. Las Casas prétend qu'il en périt
davantage. )
Cortez , loin de s'attribuer le mérite d'une si grande
lors de l'invasion de leur pays. 275
entreprise, assure que ces Indiens ont fait des actions
de valeur qui auraient honoré les nations les plus belli~
gueuses. Il dit même : ce Qu'ayant été blessé dans une
» défaite, où il eut bien delà peine à se retirer, l'armée
33 d'Alvaredo étant aussi battue d'un autre coté, un
33 capitaine tlascalan , nommé Cliichimetatccle f voyant
x> Alvaredo manquer de courage , résolut de pénétrer
33 seul avec sa troupe dans la ville, et de donner un
33 assaut 5 il laissa sur le pont 4°o de ses archers pour
33 le soutenir en cas qu'il fût repoussé , et s'avança en
33 combattant avec une valeur incroyable 5 mais qu'é tant
33 obligé de céder à une trop forte résistance, il se replia
3> sur sa troupe et regagna son camp. 3>
Cette faible ébauche de l'attaque de Mexico, que l'on
trouve plus détaillée dans le journal de Cortez 5 l'aveu
de ce conquérant qui dit positivement , ce que la prise
33 de cette grande ville réussit moins par le grand nora-
3) bre de combattans, parmi lesquels il se trouvait
3) aussi des sujets de l'empire , que par la hardiesse et
3) l'intrépidité inébranlable que montrèrent les Indiens
3) dans ce siège mémorable , 33 prouvent que les Amé-
ricains n'étaient pas ces hommes vils, lâches, dégra-
dés, rejetés par la nature , comme il a plu à M. Paw
de les peindre dans ses prétendues recherches philoso-
phiques.
Lorsque les deux frères , François et Ferdinand
Pizarre, arrivèrent au Pérou , ce pays, au moment de
la conquête, s'étendait, du côté de la mer du Sud, de-
puis le fleuve des Emeraudes jusqu'au Chili, et du côté
de la terre jusqu'au Popayan 5 comprenant la fameuse
chaîne des Cordillières , qui se prolonge depuis les terres
magellaniques jusqu'au Mexique. Manco-Capac était
276 RÉSISTANCE DES PREMIERS AMERICAINS ,
au Pérou , comme Fohi à la Chine , le premier prince
qui avait réuni ces peuples en société, et leur avait
donné de sa^es lois. Le dernier de ses successeurs fut
Atabahba . selon les Espagnols : mais son vrai nom
était Inca Aiahualpa , prince fier et qui n'avait plus
ce caractère bienfaisant de ses ancêtres. Il était fus
d'Huaynan-Capac , lequel avait parmi ses femmes
l'unique héritière du royaume de Quito 5 mais il avait
en outre un fils de sa légitime épouse, nommé Hucscar,
Ce fils était l'héritier légitime, parce qu'il était né de la
coya ou impératrice , sœur de l'empereur. L'autre , fils
d'une étrangère , n'étant pas du sang des Incas , était ,
par cette raison, rangé dans la classe des bâtards,
comme inhabile à succéder au tiôue. Malgré cela,
Atahualpa prétendit au royaume de Quito , comme hé-
ritier du royaume de sa mère , et alla en prendre pos-
session, se prévalant en outre des dernières dispositions
de son père. Huescar opposa les lois du royaume 5 mais
tout arrangement de venant in utile, on cou rut aux armes.
Aussitôt qu'Atahualpa eut levé l'étendard de la ré-
volte, il prit droit le chemin de Cusco avec son armée,
dans le dessein de se saisir de la personne de l'empereur
légitime, son frère. Le Pérou se divisa aussitôt en deux
partis. Atahualpa vainquit son frère en rase campagne,
et le fit prisonnier. Ce fut dans ces circonstances que
les Pizarres et les Espagnols débarquèrent à Tumbès
avec 35o hommes de pied , jo arquebusiers et fusiliers^
80 cavaliers et de l'artillerie. Il fut accueilli avec bien-
veillance, et trouva un allié dans le cacique.
La nouvelle des succès de Cortez était connue dans
ce pays, et la llenommée avait exagéré la valeur de
ces étrangers. Le cacique de Caxas se déclara pour eux
LORS DE L'INVASION DE LEUR PATS. Q.JJ
l'an i53i. Il fit part à Pizarre de la division qui régnait
dans le Pérou. Les Indiens, pour se lier d'amitié avec
les Espagnols , leur apportèrent des vases et des orne-
rnens d'or et d'argent. Pizarre envoya la majeure partie
de ces présens en Espagne et au Mexique , pour enga-
ger une plus grande partie de ses compatriotes à prendre
part à l'expédition. Pizarre s'avança dans la province
de Couque, où il s'empara de Tangarara , appelé depuis
Saint- Michel. Il s'y arrêta pour prendre les mesures
nécessaires à ses vues , et se concerter plus sûrement
avec ses nouveaux alliés.
Le cacique vovant ces étrangers armés de fusils, von-
lut en savoir Tubage. Un officier espagnol, pour le lui
faire mieux comprendre , ajusta une planche , qu'il
perça. Le bruit et l'effet saisirent les Indiens d'une
telle frayeur, que les uns se laissèrent tomber par terre,
et les autres poussèrent de grands cris. Le chef, plus
résolu, mais gardant un silence d'étonnement , fit
amener un tigre et un lion , et pria l'Espagnol de tirer
une seconde fois. Le coup effraya les animaux jusqu'à
leur ôter leur férocité. Le cacique se tournant alors vers
l'officier , et lui présentant une liqueur du pays, lui dit
d'un air d'admiration : ce Bois, puisque tu fais un bruit
» si terrible î tu ressembles au tonnerre du ciel. j> Après
quoi il fit alliance avec les nouveaux venus.
Sur ces entrefaites , il arriva 8co fantassins espagnols
et 2.00 cavaliers. Pizarre se mit eu route, et s'avança
sans obstacle. Il rencontra les ambassadeurs de Huescar
qui venaient lui ofïnr l'amitié de leur maître. Pizarre
l'accepta , et parvint à lui faire rendre la liberté. Il
n'avait fait encore que peu de chemin , lorsque les am-
bassadeurs d'Âtalmalpa vinrent à sa rencontre avec de
9.^3 RÉSISTANCE DES PREMIERS AMERICAINS ,
îiches présens , lui offrir l'alliance de leur souverain ?
et l'inviter à se rendre auprès de lui. Pizarre accepta
leur invitation , et s'avança sans crainte , ne trouvant
de toutes parts que des alliés. On lui laissa passer tran-
quillement des défilés et des montagnes, où un petit
nombre d'hommes aurait pu arrêter une armée nom-
breuse. La bonne foi de l'Inca fut telle , qu'il lui laissa
prendre possession de ces passages importans.
Pizarre , à son arrivée à Caxamalca, s'empara d'une
grande place environnée d'un rempart de terre , éta-
blit ses troupes dans ce poste avantageux, et envoya
son frère Ferdinand saluer l'Inca, et lui offrir de l'aider
contre ses adversaires qui étaient en grand nombre. Ce
monarque lui fit l'accueil le plus flatteur 5 il se leva de
son trône d'or pour l'embrasser , et deux princesses
d'une beauté ravissante lui présentèrent, ainsi qu'à sa
suite 5 des rafraîchissemens et des liqueurs parfumées.
.Les Indiens ayant remarqué que les chevaux espa-
gnols mâchaient leur frein , ils leur apportèrent de l'or
en abondance, croyant que ces animaux se nourrissaient
de métaux. Les Castillans furent éblouis des richesses
qui s'offraient de toutes parts à leurs yeux. L'Inca ,
après avoir fait apporter, pour eux et pour Pizarre, des
jprésens aussi rares par leur valeur que par leur travail ?
chargea Ferdinand de dire à son frère qu'il irait le voir
le lendemain.
Le rapport que Ferdinand fit des richesses immenses ,
et de la beauté des vierges du soleil qu'il avait vues ,
fit concevoir à Pizarre l'horrible projet de se saisir de
la personne d'Atahualpa. La nouvelle de l'arrivée de
nouveaux renforts d'Espagnols hâta sa détermination,
pn conséquence , il partagea sa cavalerie en trois petits,
LORS DE L'iNVASION DE LEUR PAYS. 279
escadrons, sous le commandement des trois plus témé-
raires de ses officiers, et la plaça derrière le mur des
jardins de PInca; il réunit son infanterie en un seul
corps , ayant en front un rang de chiens , et fit braquer
son artillerie et ses arquebusiers vis-à-vis du chemin
par lequel Pinça devait arrivera Caxamalca.
L'entrée de PInca dans la ville fut des plus pom-
peuses. Il était porté sur une litière découverte, ornée
d'or et d'argent , doublée de plumes. Sa tête était ceinte
d'un diadème éclatant de pierreries. Il était précédé de
400 hommes magnifiquement habillés. Assis lui-même
sur un trône d'or, enrichi de diamans, il était porté
sur les épaules de quatre de ses principaux officiers.
Plus de 3o, 000 hommes étaient à sa suite, et couvraient
la plaine par laquelle il s'avançait. Lorsque Pinça fut
dans la place , il demanda le capitaine espagnol, et
défendit de faire aucun mal à ces étrangers, parce
qu'ils étaient envoyés de la part de JJieiiy candeur éton-s
nante, qui rendit ce prince victime de ces âmes atroces ;
Alors se présenta un moine dominicain , nommé Vin 3
cent de Valverde. Il commença à prêcher PLvanmle
ces gens, qui n'entendaient rien à ses discours. Il pré-
senta un bréviaire. Atahualpa prit le livre dans lequel il
11e comprenait rien, le regarda et le jeta par terre. Le
moine furieux, donne aussitôt le signal du massacre.
Les chrétiens font feu à l'instant avec leurs arquebuses 5
les balles sifflent de toutes parts 5 l'artillerie tonne 5 les
piques , les hallebardes , les épées , se font jour dans
les corps des Péruviens 5 les dogues en étran oient une
partie } les chevaux en écrasent une autre ; la terreur se
répand avec la mort dans cette nation indienne : Aie
prend la fuite , abandonne son prince qui est fait Dri-
280 RÉSISTANCE DÈS PREMIERS AMERICAINS,
sonnier. C'est ainsi que Pizarre Couvrit le chemin cîcr
la conquête fin Pérou. Les Péruviens,, revenus de leur
frayeur , l'attaquèrent avec acharnement le long de sa
route. Cuzco soutint un siège vigoureux 5 cette ville fut
prise et reprise spar les Péruviens. Enhn , le i5 no-
vembre i53o , elle resta au pouvoir des Espagnols , qui ,
après maintes escarmouches , plusieurs batailles san-
glantes et l'arrivée de nouveaux renforts, s'emparèrent
de ce riche pays.
La vue de ces citadelles flottantes et de cette artille-
rie qui vomissaient la foudre et les éclairs; le costume
étrange des Espagnols; leur longue barbe, objet hi-
deux y mais qui était alors de mude en Europe ; cette
cavalerie , dont les chevaux el les cavaliers leur paru-
rent des centaures formidables , comme jadis aux
Grecs , la première fois qu'ils virent des hommes à
cheval ; ces aimes , enfin , qui s'enflammaient à vo-
lonté entre les mains de ces étrangers , avec une déto-
nation et des effets semblables à ceux du tonnerre , leur
firent prendre les Espagnols , d'après \\\\^- ancienne
prophétie de leur pays , pour les entans t\u Soleil
qu'ils adoraient, descendus pour visiler la terre , et
commandant aux éclairs et à la foudre. Telles fuient
les causes qui occasionnèrent la surprise , produisirent
la terreur chez les Américains , les divisèrent d'inté-
rêts , et rendirent plus facile la conquête d\\ Mexique ,
de la Terre-Ferme , du Pérou , du Chili et du Para-
auav, qui ne fut achevée cependant que dans l'espace
de dix-huit à vingt ans , à pa! tir vie i5io , que com-
mencèrent les expéditions du Mexique.
Airîsi les Gaulois jadis , sous la conduite de Bren-
îilîs, au moment de piller le temple de Delphes ? sai-
lors de l'invasion de leur pats, 2,81
sis de teneur à la lueur d'un éclair, suivi d'un coup
de tonnerre , se sauvèrent et furent taillés en pièces.
Les Américains furent frappés d'étonnement à la
vu© de ces objets extraordinaires : ils n'avaient aucune
idée de ces instrumens de mort et de carnage, et leur
premier mouvement peignit à-la-fois leur surprise et
leur admiration. Ils ne se défièrent en aucune façon des
Espagnols , qui employèrent tout ce que la dissimula-
tion , la fourberie et l'inhumanité furent capables de
leur inspirer contre des peuples paisibles , simples ,
confîans f qui ne songèrent à se défendre que lorsque
la trahison de quelques-unes de leurs femmes leur eut
fait apercevoir qu'il ne leur restait plus d'autre choix
que l'esclavage ou la mort.
Sans Marina , ou selon d'autres Amazilli , Cortez
eût-il soumis le Mexique ? Sans la fille du cacique de
Cofaciqui , Ferdinand Soto eût-il dompté la Floride?
Sans quelques femmes américaines, Vasco-Nunnèz et
son année n'auraient-ils pas péri sous les coups des
naturels du Darien? Sans quelques Lonisianoises , les
Français n'auraient-ils pas trouvé leur tombeau à la
Louisiane ? Sans les intrigues de Capillana , sœur de
l'infortuné Atahualpa, Pizarre eût-il conquis le Pérou?
Sans une fille de Haïti , Christophe et son armée ne
seraient-ils pas morts de faim à Saint-Domingue ? Sans
les naturels de la Jamaïque, n'auraient-ils pas éprouvé
le même sort dans cette île ? Sans la reine de Santo-
Domingo , Barthélemi Colomb eût-il osé entreprendre
l'établissement de cette ville et de ses dépendances?...
comme si la générosité devait toujours être la vertu du
malheureux î
Quoi qu'il en soit, il était écrit que ce pays devait
2S2 RESISTA» CE DES PREMIERS AMERICAINS ,
tomber sous les coups et la perfidie des Espagnols ! les
fossés et les redoutes ne l'auraient pas plus garanti que
le large fossé revêtu d'une forte palissade, que Gode-
froy , chef des Scandinaves, tira en 806, entre l'O-
céan et la mer Baltique , aux confins du Holstein
(l'ancienne Chersonèse cimbrique ), pour garantir ses
états de l'invasion de Charlemagne 5 que le retranche-
ment que les empereurs romains, Adrien et Sévère , firent
entre l'Ecosse et l'Angleterre 5 faibles imitations de la
fameuse muraille de la Chine , que les Tartares fràn-«
chissent quand ils veulent.
M. Paw peut-il sans honte traiter de poltronerie la
défense vigoureuse et bien concertée que fit à la Ja-
maïque le cacique , frère de Canaboa , que les Espagnols
retenaient prisonnier 5 celle des Yucatains , des habitans
de Pontoncha , des Tlascalans*, la défense des Jllexi-
cains , au milieu d'une ville à moitié démolie , qui ne
se rendit qu'après un siège de 65 jours, dont presqu'au-
cun ne s'était passé sans des combats sanglans : la fer-
meté de Guatimozin , lorsqu'on l'amena devant Cortezj
la résistance des Péruviens , qui, malgré le guet-à-pens
de Caxamalca, livrèrent plusieurs batailles avant de
laisser enlever Cnzco , qu'ils prirent à plusieurs re-
prises ; les difficultés qu'ils firent éprouver à Pizarre ,
pour sa rentrée dans le Pérou : le siège de Puna , qui
dura six mois 5 enfin , la résistance des Chilieiis ,
pendant dix ans , celle des Florides , des Brésiliens ,
et de quelques autres peuples qui ne sont pas encore
soumis ?
j Pouvait-on s'attendre que ces Indiens , divisés en-
tr'eux , trahis par leurs femmes , eussent pu résister à
ces Espagnols > qui passaient alors pour la meilleur^
LORS DE L'iNVASION DE LEUR PATS. û83
troupe de l'Europe 5 qui étaient armés de fer, de canons,
qui opérèrent sur ces Indiens le même effet qu'ils avaient
opéré jadis sur les Français à la bataille de Cressy ? De-
vait-on présumer que ces Indigènes , entourés de dogues
affamés , qui les mordaient de toutes paris , tandis qu'ils
étaient occupés à se garantir des coups de leurs enne-
mis , et à se dégager de dessous les pieds de leurs che-
vaux fougueux , eussent pu repousser des attaques aussi
multipliées? Non . sans doute : aussi leurs efforts furent-
ils aussi infructueux que ceux de Mithridate , roi de
Pont, que Lucnllus vainquit deux fois dans la seconde
guerre qu'il avait entreprise contre les Romains, qui lui
tuèrent 100,000 hommes dans la seconde bataille, et
n'eurent que cinq Romains de tués 5 que les efforts de
î 00,000 Perses, que 10,000 Athéniens défirent à Ma-
rathon 5 que ceux de Xercès , à la tête de i,5oo,ooo
soldats , sans compter 2,07 galères perses et 120
antres auxiliaires , lorsqu'il fut arrêté au passage des
Thermopyles par 3oo Lacédémoniens, sous les ordres
cîe Léonidas, qui lui tuèrent plus de 20,000 hommes,
et dont la flotte , après avoir été battue à Arminium,
fut heureuse de pouvoir regagner la Perse 5 que tonte la
tactique de Mardonius , à la tête de 000,000 hommes ,
qui ne put l'empêcher d'être défait à Platée par 6000
Athéniens commandés par Pansanias et Aristide 5 que
les efforts d'Artaxercès , après la bataille de Cunaxa ,
dans laquelle périt le jeune Cyrus, lorsque 10,000 Grecs,
sous Xénophon, cernés par les Perses vainqueurs, traver-
sèrent leur pavs, ayant à se défendre sans cesse contre
toute la puissance de la Perse, et qui pénétrèrent enfin
fie la Babylonie jusqu'aux murs de Trébizondej que les
tentatives de cette grande puissance contre Cimon,, qui
2,84 RÉSISTANCE DES PREMIERS AMERICAINS ,
îa vainquit même chez elle 5 qu'Agésilas ,- avec une
poignée de soldats fit trembler dans Suze même j
qu'Alexandre, avec 3o, 000 hommes , peu de vivres,
une caisse militaire de «70 taîens , battit d'abord , sur
le Granique, où il culbuta 100,000 de ses soldats 5 ren-
dit tributaires plusieurs rois d'Asie ; trancha le nœud
gordien 5 soumit la Paphlagonie , le Cappadoce 5 défit
l'armée innombrable de Darius , près de la ville d'Is-
sus 5 le fit prisonnier avec toute sa famille 5 entra dans
la Syrie, la Palestine ; passa en Egypte, où il bâtit
Alexandrie 5 s'avança dans la Lybie , prit T) r ; s'em-
para de toute la Perse , de Babylone, d'Ecbatane , par
suite de la bataille d'Arbelles 5 entra dans l'Hircanie ;
dompta les Parthes , les Bactriens , jusqu'au Tanaïs 5
assujétit tous les peuples jusqu'à l'Indus et le Gange,
ce qui compose actuellement l'empire dtiGrand-Mogol,
et une étendue de pays , depuis la Macédoine , d'en-
viron 4«o mille milles (près de 1 33, 000 lieues un tiers.)
Quand on considère toutes ces vastes conquêtes ,
qu'aucune ville ni forteresse de la Perse , de la Medie
et des autres royaumes conquis par Alexandre, ne lui
opposèrent jamais l'ombre de cette valeur avec laquelle
les Mexicains, avec des armes inégales , se défendu eut
contre les armes et les foudres des Européens, incon-
nues aux Perses et aux Grecs , dont les armes étaient
égales , quel estJ'homme , hormis M. Paw, assez dé-
pourvu de sens , assez ignorant dans l'histoire , pour
dire que toutes les villes conquises par Alexandre n'é-
taient que des cabanes sans population , sans défense ,
et que les Perses et les Mèdes étaient des peuples iVanç
nature dégradée , incultes , barbares, nus, misérables»
vils enfin ?
LOHS DE L'INVASION DE LEUR PATS. 2o5
Voilà cependant comme cet auteur présente le Mexique
et les peuples américains que nous venons de voir si
courageux , en confondant leurs actions avec ce qu'on
a rapporté de quelques hordes qui existent réellement
dans le continent de L'Amérique : comme si à la vue
des Hottentots , de quelques peuples de l'Asie ? et des
Lapons, on devait conclure que tous les peuples de
l'Asie , de l'Afrique et de l'Europe , sont semblables ,
sans culture , sans courage , et dans le même état d'i-
gnorance et de barbarie ! Avec une logique semblable
on peut nier tout ce que l'histoire nous a transmis sur
les Grecs , les Romains , les Egyptiens , les Mèdes ,
qui ont joué, comme d'autres nations, le plus grand,
rôle sur la surface du «lobe.
Il ne sait pas sans doute que la fureur avide des
usurpateurs du Nouveau-Monde, et le caractère paci-
fique de ses habitans, sont une suite de la loi géné-
rale des contraires qui gouvernent le monde , et d'où
résultent toutes les harmonies de la nature, dont
tous les ouvrages ont les besoins de l'homme pour fin 9
comme tous les sentimens de l'homme ont la Divinité
pour principe. C^est l'instinct de la Divinité (comme
l'observe M. Bernardin de Saint-Pierre) qui a rendu
rhomme supérieur aux lois de la nature, et qui, diver-
sement modifié par les passions , porte les peuples de
la liussie a se baigner dans les places de la Neva au
plus fort de l'hiver, ainsi que les peuples du Bengale
dans les eaux du Gange: qui a rendît , sous les mêmes
latitudes , les femmes enclaves aux Philippines, et des-
potiques à l'ile de Formose; les hommes efféminés aux
Moluques et intrépides au Macassar: et qui forme dans
a86 RESISTANCE DES PREMIERS AMERICAINS,
les habitans d'une même ville des tyrans, des citoyens
et des esclaves.
Mais s'il était vrai , comme M. Paw le dit, page i^6
du second volume , qu'à l'exception du combat de Caxa-
malca , les Indiens par-tout ailleurs ne se présentèrent
que par détacbemens et par pelotons , qu'on défit en
détail , quel mérite ont donc eu ces vieilles bandes es-
pagnoles à vaincre, à nombre égal et avec des cuirasses
et des armes en fer, une poignée d'Américains nus,
infirmes, inexpérimentés, munis d'armes eu bois,
n'ayant ni artillerie , ni cavalerie , obligés de se dé-
fendre en outre contre des animaux carnassiers , aux-
quels la cour d'Bspagne payait deux réaux par mois
pour les bons services qu'ils rendaient à la couronne ,
en dévorant ces malheureux Indiens qui aimaient
mieux leur tendre la gorge que de se soumettre à leurs
barbares usurpateurs?
A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.
( Le Cid , tragédie de Corneille. )
Convaincus de l'inutilité de leur résistance contre des
êtres qu'ils regardaient comme des centaures entourés
d'éclairs , qui lançaient le tonnerre à volonté , et à qui
la barbe et les moustaches ajoutaient un nouveau degré
de férocité , les Américains abandonnèrent en grande
partie leurs champs aux vainqueurs , et se retirèrent
dans les montagnes et dans les bois , où, depuis
trois cents ans, ils ne cessent de faire la guerre aux
nations européennes qui se sont établies dans leur
pays. La conduite féroce qu'ont tenue à leur égard cer-
tains de ces peuples soi-disant civilisés, a été suffisante
LORS DE L'iNYASiOîr DE LEITE. PATS. à8^
pour les rendre à jamais ennemis des arts et des
sciences de l'Europe.
Les faibles détachemens qu'ils emploient aujour-
d'hui à combattre les armées européennes, triples en
nombre-, prouvent qu'à cette époque ce fut les armes à
feu , la trahison des femmes et la perfidie des Espa-
gnols , plus que la bravoure , qui avaient vaincu leurs
ancêtres, et que la nature , quoi qu'en dise M. Paw ,
n 'a pas place en Amérique que des enfans dont on n'a
encore pu faire des hommes.
Les Anglais , dans la guerre du Canada , en iy.56 ,
firent la triste expérience du contraire dans leur fort
Edouard, où ils ne purent résister à l'assaut qu'y don-
nèrent les Iroquois , très-inférieurs en nombre à eux 3
et malgré la conquête du Canada parles Anglais,
ceux-ci n'osent pas tirer un coup de fusil hors de leurs
limites , dans la crainte d'encourir la vengeance de ces
sauvages.
Les Anglo-Américains éprouvent journellement qu'il
est plus terrible de se défendre contre de pareils enfans ,
que de combattre contre des hommes, fussent-ils même
aussi braves et aussi vigoureux que M. Paw.
Les Français et les Hollandais s'en sont convaincus
dans la Louisiane et dans la Guyane. Les Portugais
ne sont pas plus tranquilles dans leur Brésil , et les
Espagnols eux-mêmes ont souvent été vaincus par les
Américains du Mexique , du Pérou et du Chili , qu"i!s
n'ont pas encore pu subjuger.
. Eu 1780, Tupac Amara, ayant été proclamé inca
par les Péruviens, il défendit ostensiblement sa dignité
pendant deux ans , à la fiu desquels lui et ses adhérens
furent vaincus et mis à mort.
2o3 RÉSISTANCE DES PREMIERS AMERICAINS ,
Une insurrection semblable eut lieu en Grenade 5
elle fut apaisée à la suite eies négociations ouvertes
entre liis agens du gouvernement et les insurgés. Un
plan de révolution avait été organisé aux Caraccas en
17975 mais il fut découvert au moment où il allait
éclater. Don Espana, un des chefs, fut pendu deux
ans après à la Guira , où il avait eu Timprudence de
retourner. Les Indiens de la Nouvelle Espagne sont
fréquemment en état de révolte: les émeutes les plus
considérables ont eu lieu en i5c;6 , en 1601 , en 1609 ,
en \6"z\ , en 1692 , et finalement pendant la révolu-
tion française.
Ces différens peuples européens, plus sincères que
l'auteur des Mémoires sur les Américains , déposeront
coutre la relation du colonel Bouquet , qui prétend ,
suivant lui, que les Indiens occidentaux n' attaquent leurs
ennemis que lorsqu'ils sont hors d'état de se défendre ,
et qii1 ils ont mis bas les armes.
Je me contenterai , pour toute réponse , de lui citer,
à cet égard, ce qui arriva dans l'île de Saint-Vincent, à
un Fiançais qui voulait montrer à un Caraïbe hoir
un contrat d'acquisition passé avec un Caraïbe rouge.
:» Je ne sais point, lui répliqua le Caraïbe noir , ce
y> que dit ton papier*, mais lis ce qui est écrit sur ma
5) flèche. Tu dois y voir en caractères qui ne mentent
» pas, que si tu ne me donnes pas ce que je te demande^
» j'irai ce soir brûler ton habitation. :»
On ne peut s'empêcher de hausser les épaules, en
lisant, page n3 du second volume de l'ouvrage de
M. Paw, ce que lorsqu'on amena les premiers Américains
n en France, sous la minorité de Charles IX, on ob-
» serva très -bien qu'Us ne firent aucun cas de la per-
LORS DE L'iNVASIÛK DE LEUR PATS. 28©,
Spnne du roi , qu'ils prirent pour un Indien , parce
3) qu'il n'avait pas de barbe ; pendant qu'ils trem-
a> blaient devant les cent-suisses, pourvus d'énormes
x> moustaches j » parce que Ton voit que la préven-
tion nationale ne lui permet pas de laisser ignorer plus
long-temps le pays auquel il appartient.
Il faut être bien peu sincère , pour dire , comme
M. Paw, page 177 du troisième volume , ce qui voudrait
3> se mettre en devoir d'aller subjuguer les sauvages ,
5) qui ont à peine des cabanes , et qui ne paieraient pas
3) les frais qu'il faudrait faire pour les battre ? leur
3) misère profonde les met à l'abri de la servitude 7
■>■> dont leur bravoure ne saurait les garantir 5 d'ailleurs?
3> les Européens ont tant de terrein dans ce pays ,
» que , loin d'en désirer aujourd'hui davantage , ils ne
:» sauraient faire valoir la millième partie de ce qu'ils
» occupent. »
Si cet écrivain avait mieux connu le cœur humain y
et sur-tout les dispositions des Européens et des Anglo-
Américains , il serait convaincu de son erreur , puis-
qu'il ne se passe pas une année , qu'on n'achète ou qu'on,
n'envahisse les terres de ces mêmes Indiens.
N'était-ce pas ce même désir, qui poussa Lopez d'A~
guirre à faire assassiner par les 700 Espagnols partis
de Cuzco , en i56o, leur commandant Pedro d?Orsnay
parce qu'il voulait les empêcher de commettre sans
raison de nouveaux forfaits sur les Indigènes : aussi
le ciel ne laissa point leur crime impuni. Arrivés près
du fleuve des Amazones, ils furent tous massacrés par
les naturels du pays , qu'ils avaient pillés. Sans doute
il eut réussi , s'il avait eu avec lui des Paw garnis de
moustaches.
TOM. 2.. IO
2.CJO RESISTANCE DES PREMIERS AMERICAINS,
L'auteur des Recherches sur les Américains peut - il
appeler lâcheté la ruse et la surprise qu'ils emploient
dans leurs guerres ; le change qu'ils donnent à leurs
ennemis , par des marches , des coulre-marches et àes
manœuvres quelquefois très-savantes ? Ignore-t-il que
les Européens se font gloire de surprendre leurs enne-
mis ? Quand on est si supérieur à des marmousets .
doit-on craindre leur vengeance? Cependant, ces mêmes
eufans dont on n'a encore pu faire des hommes , ont
souvent fait pâlir et reculer d'effroi les troupes anglaises
et autres , dans les bois.
Que M. Paw soit effrayé de voir un corps qui a
perdu sa chevelure et la peau de son crâne , cela est
excusable, s'il n'est pas militaire ; mais qu'il prétende,
pa°e 173 du troisième volume, ce que des soldats Eu-
» ropéens, accoutumés à voir sur Je champ de bataille
s) des milliers dé corps mutilés de mille manières hor-
d> ribles, ne se sauvent que par la crainte qu'ils ont de
» rencontrer un corps , que les Indiens auront mutilé
?) etdécouoéavec leurs scalpels et leurs couteaux à ba-
3) lafres , après en avoir enlevé toute la chevelure avec
» la peau du crâne, » cela n'est pas probable : la vé-
ritable raison est que la guerre que l'on fait avec les
Américains, est une guerre d'extermination, et que le
soldat le plus intrépide redoute, avec raison, d'attaquer
des hommes qui ne demandent jamais quartier 5 qui
n'en font point; qui bravent avec le plus grand calme
possible les supplices les plus horribles , la mort la plus
douloureuse et la plus longue*, qui regardent comme
le plus grand des outrages de s'entendre dire , tu as fui;
et leurs femmes, tu as crié quand tu étais en couche.
Malgré tous les- efforts des Européens, pour sou-
LORS DE L'iNVASION DE LEUR 1»AYS. 20,1
mettre les indigènes de l'Amérique, la presque totalité
des peuples que j'ai nommés, sans compter un nombre
plus considérable encore, qui ne sont pas assez connus
pour en donner des détails , ont maintenu leur liberté,
en dépit des combats , des moyens de séduction , de
religion, ou autres, qu'on a employés pour les diviser
ou les réduire plus sûrement.
Si les indigènes n'ont pas reconquis leur pays , c'est
qu'ils manquent de ressources j c'est parce qu'ils sont
trop divisés d'intérêts j que leurs guerres continuelles
ont éteint une partie considérable de leur popula-
tion, et que la religion, après les avoir désunis entre
eux , est parvenue à ranger un grand nombre de
ces peuples sous le gouvernement européen. Aussi
long-temps que la population de l'Amérique sera faible,
ou plutôt tant qu'ils seront divisés, ce pays restera dans
la dépendance de l'Europe, à moins qu'une révolution
qui doit nécessairement avoir son cours, ne vienne l'af-
franchir de son joug, et lui rendre son rang parmi les
nations. Le moment n'est pas éloigné, où l'Indien hu-
milié marchera de pair avec son oppresseur.
A quoi servit l'intrépidité des Caraïbes contre la dis-
cipline et l'armure des Espagnols , contre les efforts
combinés des Français et des Anglais , sinon à les faire
anéantir, sans pouvoir sauver leur pays ? à quoi servit
la résolution héroïque des insulaires de Saint-Domingue,
qui, pour se soustraire au travail forcé auquel les Espa-
gnols voulaient les assujélir , se réunissaient en i5oo,
par troupe de 5o, pour avaler ensemble le jus vénéneux
de la racine du manioc? enfin , la fumigation du bois
d'à h or/ai que ces mêmes insulaires firent en i5io, pour
empoisonner l'atmosphère sous le vent ? et se délivrer
1 9*
2^2 RÉSISTANCE DES PREMIERS AMERICAINS j
ainsi du joug de leurs cruels vainqueurs j à quoi, dis-je,
servirent ces moyens ? à rien autre, qu'à prouver qu'a-
près avoir combattu inutilement un ennemi qu'ils re-
gardaient comme invincible , ils tentèrent toute espèce
d'expédiens pour s'en débarrasser 5 à prouver encore
qu'ils se montrèrent plus perse vérans que les juifs de
l'Hircanie , qui , s'étant révoltés avec beaucoup d'éclat
pour délivrer leur messie Sabatai Zevi, qu'on avait mis
aux petites maisons à Constantinople, se laissèrent
calmer par une trentaine de dragons envoyés par \&
gouverneur de cette province pour punir ces fanatiques,
qui payèrent 7000 tomans d'amende 5 et que les juif*
d'Allemagne qui laissèrent enlever et mourir en prison ,
à Vienne , leur nouveau messie Langalerie 5 à prouver
finalement que les efforts d'un peuple paisible efc na-
geant dans l'or ne sauraient pas plus résister à des
pbalanges couvertes de fer, que le firent jadis les Perses
contre une poignée de Macédoniens 5 que les 100,000
Husses indisciplinés, conduits par Pierre-le -Grand ,
czar de Moscovie , pour faire le siège de jNferva , que
Charles X.II força dans leurs retranchemens avec oooo
Suédois bien disciplinés, qui tuèrent ou firent noyer
00.000 d'entr'eux , contraignirent 20,000 autres à de-
mander quartier, et le reste à se. rendre prisonniers ou
à se disperser.
Parce que Jllanlius défendit lui seul le Capitule
contre les ôanlois qui étaient venus la nuit pour le
surprendre : parce que Horatius Codes empêcha lui
seul l'armée des Clusiens de passer le pont qui était
sur le Tibre 5 parce que la famille des Fabiens , com-
posée de 000 hommes, défit en plusieurs rencontres
les habitans de la Toscane, qui étaient en guerre contre
LORS DE L'INVASION DE LEUR PATS. 2Q,3
Rome 5 parce que L. Cœditius , ou suivant d'autres ,
Laberius ou Calpurmius Flamma , fit marcher l\oo sol-
dats romains à travers l'armée Carthaginoise , pour
s'emparer d'une hauteur 5 parce que lechevalier Boyard,
dans le royaume de Naples , soutint seul , sur )e petit
pont de bois qui se trouvait sur la rivière de Garilan .,
le choc de 200 cavaliers Espagnols 5 parce que le ma-
réchal Suchet , auquel il restait à peine 5ooo hommes ?
défendit le pont du Var, résista aux attaques pressantes
et réitérées de 20,000 hommes , l'élite de l'armée Au-
trichienne , et que Guillaume le conquérant, bien des
siècles avant lui, avait, avec 6o>ooo Français, conquis
dans une seule bataille l'Angleterre, que les Romains,
les Saxons et les Danois avaient disciplinée, et qui con-
tenait 140 fois plus d'individus que l'armée française;
conclurai-je pour cela, comme M. P.tw , que les Gau-
lois , les Toscans , les Carthaginois , les Espagnols, les
Autrichiens et les Anglais étaient des lâches ?
Peut -il regarder comme une faiblesse et une pusil-
lanimité cette résolution vraiment héroïque que prirent
les malheureux habitans de l'Amérique , sans chef,
sans ressources , d'affamer leurs tyrans aux dépens
même de leur vie , de suspendre toute culture , ds
ravager leurs champs , de détruire les provisions , de
se retirer dans les montagnes , où la faim les enleva
par milliers (sort que les Espagnols auraient éprouvé^
sans les vivres qui leur arrivèrent d'Europe) ; de s-e
laisser égorger par ces nouveaux venus, dévorer par
leurs chiens , brûler par l'inquisition , submerger à la
pêche àes perles , écraser sons le poids énorme des far-
deaux, enfouir vivaus dans les mines; de se pendre, de
s' empoisonner • de s'immoler sur les tombeaux de leurs
294 RÉSISTANCE DES PREMIERS AMÉRICAINS,
souverains, qu'ils ne pouvaient plus défendre; en un mot,
^'essuyer des tourmens horribles, sans en être ébran-
lés , sans laisser échapper un soupir, ni répandre une
larme, plutôt que de se convertir à la religion d'un
François de la Valleviridi, qui, au lieu de leur annon-
cer les maximes d'un Dieu de paix , leur avait présenté
d'une main la Bible soutenue d'un poignard, et éclai-
rée de l'autre avec une torche : de ce moine , qui avait
menacé Atabaliba , leur inca , de mettre ses états à feu
et à sang y s'il n'embrassait pas une doctrine que ni
lui, ni ce prince ne comprenaient ; qui l'avait fait bap-
tiser de vive force , et fait étrangler au poteau où il
était déjà attaché pour être brûlé , après avoir fait as-
sassiner ses sujets dans la plaine de Caxamalca ; plu-
tôt enfin que de vivre avec des monstres , qui ne mar-
chaient que sur les cadavres de leurs pères, qui s'étaient
fait des cœurs de tigres, et dont les mains avides dé-
gouttaient du sang de leurs compatriotes, de celui de
leurs pareils, de leurs frères, de leurs enfans et de leurs
femmes.
Auri sacra James , quid non mortalia peclora cogis ?
{ Enéide de Virgile.)
La soumission passive d'une partie des Indigènes à
la volonté arbitraire des Espagnols est une suite natu-
relle des procédés outrés que ces Européens ont employés
pour détrniie les armées américaines ; de la surprise et
de la terreur que leur avaient occasionnées des hommes
qu'ils croyaient surnaturels et chargés de la vengeance
céleste 5 qui ne se faisaient pas scrupule d'arracher du
sein des Indiennes des enfans à la mamelle, et de les
jeter à leurs dogues pour les repaître ; elle est le résultat
des cruautés qui ont accompagné l'asservissement e
LORS DE L'iNVASIOK DE LEUR PATS. 2C;5
la dissolution des empires du Mexique et du Pérou 5
des travaux insupportables que les conquérans ont exi-
gés de leurs nouveaux sujets, qui dans ce moment four-
nissent 4°î°o° hommes annuellement pour les mines
de chacun des deux empires 5 de l'introduction de la pe-
tite vérole et d'antres maladies inconnues en Amérique
avant l'arrivée des Européens , qui ont tellement ré-
duit la population , que , peu d'années après leur con-
quête, ce qu'on racontait de leur ancien état paraissait
absolument incroyable. Non-seulement ils se ressen-
tent encore de cette dépopulation , mais l'oppression et
l'esclavage ont entièrement changé le caractère de ces
deux nations. Les Mexicains, excepté ceux qui ont cher-
ché un refuge dans des endroits inaccessibles où ils ont
conservé une partie de leur religion et de leurs mœurs ,
vivent parmi les Espagnols , exercent l'agriculture et
tous les arts de l'Europe, sont chrétiens, mais détestent
encore au fond de l'âme une nation qui a ravi la li-
berté à leurs ancêtres et les a traités avec* tant de bar-
barie.
Quant aux Péruviens ,ils étaient autrefois ("dit le pro-
fesseur Shaeffer) le peuple le plus civilisé, le plus cultivé
de l'Amérique. Ils aimaient les arts et possédaient les ver-
tus sociales ; aujourd'hui ils sont ignorans, grossiers ,
sauvages, pusillanimes et paresseux. S'ils montrent
quelquefois de la sagacité et une méchanceté réfléchie ,
ce n'est que lorsqu'il s'agit de tromper leurs oppresseurs.
Tout ce qui intéresse vivement les Européens, honneurs,
l richesses , bien-être , leur est entièrement indifférent.
La nourriture la plus simple leur suffit. Leur plus
grand plaisir est de boire du vin ou des liqueurs fortes;
niais il n'y a que les pères de [famille qui osent se la
2^6 RÉSISTANCE DES PREMIERS AMERICAINS ,
permettre. Us sont tous catholiques, mais en même
temps extrêmement superstitieux. Us sont forcés d'al-
ler à la messe certains jours de la semaine 5 on les pu-
nit s'ils y manquent. Le gouvernement et les moines
sont les deux tyrans de ces malheureux. Quand ces
derniers vont faire la 'quête, ils entrent dans les caba-
nes sans la permission du maître, et prennent ce qui
leur convient. Us sont obligés de travailler sans rece-
voir de salaire, et de fournir au gouvernement certains
objets, comme les mulets , qui servent à l'exploitation
des mines. Les nègres même traitent les Péruviens
avec mépris 5 ceux-ci sont obligés d'endurer ce dernier
affront. (Voyez Cosmographie).
Quelle foule de réflexions ne fait pas naître l'histoire
de cette malheureuse partie du monde ! Ne craignons
pas de le dire , les nations civilisées sont plus barbares
encore que celles que nous appelons sauvages. La phi-
losophie vers la fin du 18e. siècle fit entendre sa voix
en Europe , renversa le trône de la superstition et éleva
le sien sur ses débris. Les mots d'humanité et de liberté
étaient dans toutes les bouches 5 la liberté des opinions
sur-tout fut solennellement proclamée. Pouvait- on
craindre encore que l'intolérance fît répandre le sang ?...
Malheureusement les excès les plus contraires se res-
semblent dans leurs effets. Au 16e. siècle les Européens,
au nom de la religion égorgeaient leurs semblables
dans le Nouveau-Monde 5 au 18e. siècle , ils se massa-
crèrent dans l'Ancien-Monde au nom de la philoso-
phie. Puisque Perreur semble devoir être la partage des
hommes, tant qu'ils donneront dans les excès , préser-
vons-nous donc de l'exagération des principes, quels
311'iU soient 5 et que l'intolérance philosophique } ton*
LORS DE L'INVASION DE LEUR PAYS. 297
aussi bien que l'intolérance religieuse , soient à jamais
regardées comme le fléau de la société. La soumission
passive des Américains au joug de leurs oppresseurs
se conçoit d'autant plus facilement , que nous en avions
une preuve frappante dans les colonies , où des milliers
de nègres , avant la révolution française , tremblaient à
la vue d'un blanc , et , sur son ordre , se seraient préci-
pités, avec l'empressement d'un troupeau de moutons,
dans le précipice le plus affreux.
M. Paw niera- t-il que les Africains soient un peuple
fort , robuste , guerrier et entreprenant? On n'a jamais
pu , avec les armes à feu , exécuter la conquête de l'in-
térieur de l'Afrique, quoique les Européens l'aient tentée
tant de fois et avec tant d'acharnement. Hé bien ! ce
même peuple, secondé, il est vrai, par un soleil brûlant,
que les sables qui composent son territoire rendent en-
core plus ardent , qui a pu déjouer dans son pays tous
les efforts des Européens , a cependant eu la lâcheté de
se vendre , et depuis trois cents ans il est dans les
Antilles sous l'esclavage d'une poignée de créoles blancs!
Ces Américains, si mous, si faibles-, si pusillanimes
et si lâches , ne se sont jamais vendus \ ils vivent libres
dans les forêts , à l'exception de ceux qui , séduits par
les promesses de bonheur qu'on leur annonçait au nom
de l'Evangile , ont consenti à partager les travaux d%
ceux qui les ont trompés.
M. Paw, sur l'autorité de l'espagnol Zarate, prétend,
page 171 du 3e volume, <c Que les Américains étaient:
:» si peu résolus à recevoir les Espagnols, que la plu-
» part des officiers de l'armée de l'empereur du Pérou
» assurèrent qu'ils feraient les Espagnols prisonniers
2^8 RÉSISTANCE DES PREMIERS AMÉRICAINS,'
3) de guerre , et que , s'ils ne voulaient pas se rendre , ou
» les exterminerait. »
Comment l'auteur des Recherclies sur les Américains
n'a-t-il pas eu le bon sens de consulter tous les Mémoires
sur la découverte et la conquête de l'Amérique? Sou
génie pénétrant eût alors découvert que ces prétendus
propos avaient été fabriqués pour donner plus de relief
aux exploits des conquérans. Au reste , pour faire sentir
Ja fausseté de cet Espagnol , je vais donner un extrait
de chaque découverte ou conquête dans le Nouveau-
Monde.
Si nous suivons Colomb dans ses découvertes , nous
voyons lui et ses gens accueillis avec bonté dans 1 île
de Guartahani ? qu'il nomma San-Salvador , parce que
]a découverte de cette île le préserva des excès de son
équipage. Ces peuples lui apportaient toutes les pro-
ductions de leur île 5 ils prenaient les Espagnols sur
leurs épaules , pour les aider à descendre à terre 5 s'ils
s'enfonçaient dans l'intérieur du pays, ils étaient fêtés
et reconduits , chargés de présens , à leurs bâtimens.
A Cuba et à Hispaniola, que les Indiens appelaient
Haïti, et qu'on a depuis nommée Saint-Domingue, les
Espagnols furent reçus avec affabilité. Les Indigènes
qui portaient des ornemens en or en donnèrent à leurs
nouveaux hôtes; ils échangèrent contre des grains de
verre et des grelots ce métal précieux , auquel ils met-
taient peu de prix. Les vivres leur furent prodigués.
Ils fuient traités avec la même bonté à la Jamaïque :
ils furent nourris par les naturels, sur les côtes des-
quels leurs bâtimens étaient échoués, sans l'espoir de
pouvoir les relever et s'en retourner en Europe. En
LORS DE l'iSVASION DE LEUR. PATS. 299
retour, les Espagnols voulurent les forcer, après dix
mois, à leur en donner davantage. Ils cessèrent de
leur en apporter pendant quelques jours, puis ils leur
en fournirent de nouveau.
Balboa, gouverneur de la petite colonie de Santa-
Maria, au Darien, ayant appris d'un jeune cacique
de ce pays , qu'il y avait une contrée où tous les usten-
siles étaient d'or, et qui était à six journées de marche,
il fit ses dispositions pour s'y rendre. Sur ces entre-
faites, il lui arriva de Saint-Domingue un renfort de
190 vétérans robustes, acclimatés au climat de l'Amé-
rique. Balboa se mit en route le ier septembre i5i3,
suivi de 1000 Indiens qui portaient ses provisions, et
d'un certain nombre de ces chiens féroces. Après avoir
passé vingt-sept jours pour traverser l'isthme , il arriva
sur le bord de l'Océan, où Balboa s'avança jusqu'au
milieu des eaux de la mer avec son bouclier et son épée,
et prit possession de cet Océan au nom du roi d'Espa-
gne. Les Indiens ayant appris que ces étrangers cher-
chaientde l'or, ils lui en apportèrent. Quelques caciques
ajoutèrent à ces dons précieux une quantité considé-
rable de perles. Balboa , dont la soif augmentait avec la
richesse, força à main armée plusieurs petits princes
voisins à lui donner de l'or. Les Indiens des côtes de
la mer du Sud lui assurèrent qu'il y avait , à une dis--
tance assez considérable vers l'eut , un riche et puissant
royaume , dont les habitans avaient des animaux ap-
privoisés pour porter leurs fardeaux 5 et ils tracèrent sur
le sable la figure des Lamas du Pérou. Lajalousie de
ses chefs l'empêcha d'y aller.
Hermandex de Cordova étant débarqué avec ses
troupes, le i5 février i5iy, sur la pointe orientale de
«300 RESISTANCE DES PREMIERS AMERICAINS ,
cette péninsule, qu'on appelle Yucatan , les Américains,
qui étaient vêtus d'étoffes de coton à la manière des
nations civilisées , vinrent les recevoir, et les invitèrent
a aller voir leurs habitations, où ils furent reçus avec
de grands témoignages d'amitié. L'indiscrétion des Es-
pagnols ayant occasionné une rixe, Cordova s'éloigna
de cette côte, et se rendit à Campêche, où il fut reçu
avec beaucoup d'hospitalité. Les Indigènes lui firent
des présens en or. Les Espagnols ayant remarqué que
cet or était artistement travaillé , ils eurent recours à ia
force pour s'en procurer d'autre. Les Indiens, indignés
d'un pareil procédé, les attaquèrent vigoureusement,
leur tuèrent 47 hommes, et les forcèrent de s'en retour-
ner à Cuba.
Velasquez , après avoir équipé deux bâtimens , fit
voile pour les Florides. Les habitans , qui n'avaient pas
encore vu de navires , se présentèrent en foule au bord
de la mer : les plus hardis d'entre eux entrèrent dans
leurs vaisseaux , engagèrent les Espagnols à venir visi-
ter leurs cabanes, et leur offrirent tout ce qu'ils avaient
de rare dans leur pays. Velasquez accepta leurs offres 5
et, pour inspirer plus de confiance aux naturels, il les
invita tous à venir le lendemain se régaler à son bord.
Ils y arrivèrent en plus grand nombre que le jour
précédent. On leur servit beaucoup à manger , et sur-
tout force rasades, qui les enivrèrent bientôt. Quand
les Floridiens eurent perdu la raison , la force et la
connaissance , les Espagnols les enchaînèrent tous , les
descendirent à fond de cale, et avant de lever l'ancre ,
ils déchargèrent leurs canons sur les femmes et le3
enfans , qui attendaient sur le rivage le retour de leurs
pères et de leurs époux que les Espagnols jetèrent
«.ORS DE L'iNVASiOK DE LE¥R PATS. 3oL
dans les mines, et condamnèrent à la plus dure ser-
vitude.
Le cruel Velasquez étant retourné dans la Floride,'
les Sauvages le reconnurent , se jetèrent sur sa troupe ,'
dont ils massacrèrent 200 soldats et dispersèrent le reste.
Le ciel dans sa justice permit que la mer engloutît une
partie de son escadre, et que Velasquez ne revînt dans
sa patrie que pour y vivre pauvre, détesté de ses con-
citoyens , dévoré de remords . et mourir dans la plus af-
freuse misère.
Quand Ferdinand Soto débarqua dans la Floride,
le chef des Floridiens lui envoya en ambassade un Es-
pagnol prisonnier, chargé d'offres de paix , et accom-
pagné des premiers de la ville. Bientôt après , la souve-
raine de ce pays , suivie de six femmes , vint trouver
Soto, lui fit présent d'un collier de perles, mit à sa dis-
position un magasin de farine de maïs, fit transporter
son armée dans la capitale de ses Etats , et lui donna
plusieurs naturels pour lui servir de guides. Le désir de
se rendre maître d'un aussi beau pays s'empara de
Soto : il ne mit plus de bornes à son ambition. S\to
avait dans son armée un lévrier de la grande espèce,
nommé Brutus : ce mâtin, après avoir fait de terribles
ravages, fut enfin tué à coups de flèches parles In-
diens, et Soto mourut sans avoir trouvé les trésors qa'il
cherchait.
Grijalva, jeune homme d'un grand mérite, partit,
le 18 avril i5i8, à la tête d'une seconde expédition ,
pour venger Hernandez de Cordova. Les Espagnols en
arrivant attaquèrent subitement les Indiens. Ils les
vainquirent} maisla résistance vigoureuse qu'ils éprou-
vèrent, les convainquit que les habitans de ce pavs
I
O02 RÉSISTANCE DES PREMIERS AMERICAINS .
ne seraient pas faciles à soumettre. Les Espagnols
s'étant rembarques , ils longèrent les côtes, et furent si
frappée de la fertilité des terres et de la beauté des villes
et des villages, où il avait remarqué des tours et des
clochers, que Grijalva prit possession d'avance d'une
région qui était loin d'être en son pouvoir, et l'appela
Nouvelle- Espagne , nom qu'elle a conservé depuis.
Les Espagnols mirent à terre près d'une rivière ap-
pelée par les naturels Tabasco, et de là se rendirent
dans la province de Guaxaca , où ils furent reçus avec
les marques du plus grand respect. On btûlait de l'en-
cens devant eux. Les Indiens échangèrent des bijoux
d'or d'une grande valeur pour quelques bagatelles. Ils
apprirent aux Espagnols qu'ils étaient les sujets d'un
monarque puissant 3 appelé Montézuma.
Grijalva s'étant rendu à Cuba, fit un récit si pom-
peux de ce qu'il avait vu , que Cortez mit à la voile de
Sant-Yago de Cuba, le 3o novembre i5 18. Après avoir
reconnu l'île de Cozumel et la rivière de Tabasco, il
débarqua à Chalchialicuocan , qu'il nomma Saint-Jean
eCUlloa, où il reçut des députés , qui lui offrirent , de la
part du gouverneur, tous les secours dont il aurait
besoin. Cortez ayant fait solliciter la permission de se
rendre au près de l'empereur Montézuma, ce prince, pour
adoucir le refus qu'il fit de le recevoir, eut l'imprudence
de lui envoyer, avec l'ordre de quitter ses Etats, une
quantité prodigieuse d'or et de pierreries. Ces trésors
déterminèrent Cortez à fonder une ville, qu'il nomma
Vera-Cruz. Il se mit ensuite en route pour aller attaquer
l'empereur, dont les ennemis étaient considérables.
Peu de jours avant son départ, il reçut dans son
carnp les envoyés cViui cacique mécontent , qui vint lui
lors de l'invasion de leur pats. 3oj
offrir son alliance , et lui demander sa protection contre
Montézuma. A l'aide de cet allié, il gagna plusieurs
autres caciques , qui lui fournirent 5ooo Indiens, avec
lesquels il marcha sur Tlascala. Après quelques com-
bats, les Tlascalans, informés que ces étrangers ne ve-
naient que pour faire la guerre à l'ennemi commun ,
firent la paix, et lui fournirent 6000 soldats, avec les-
quels il se rendit à Cliolula , où il fut très-bien accueilli.
Il se rendit ensuite devant Mexico pour en faire le
siège avec l'armée formidable dont nous avons parlé.
Pizarre partit de l'Estramadure en i53o j il débarqua
à Tumbez, où les Indigènes l'accueillirent avec bonté.
Tout le long de sa route jusqu'à Caxarualca, il reçut
des offres d'amitié de divers caciques. Les deux com-
pétiteurs au trône, Huescar et Atahualpa, envoyèrent
des ambassadeurs lui demander son alliance. Nous
avons vu de quelle manière il paya tant de confiance et
tant d'hospitalité. Plus de 4000 Péruviens furent vic-
times de la crédulité de leur empereur, qui croyait ,
comme son peuple , n'avoir rien à craindre d'un chré-
tien, encore moins d'un prêtre, qui lui annonçait la
paix et le bonheur, dans le moment qu'au nom de ce
Dieu de paix il méditait sa mort. On trouve encore
dans l'ancien état militaire de ce temps, que le doge
Berccillo gagnait deux réaux par mois pour des services
rendus à la couronne.
C'est cependant cette affaire, honteuse et crimiuelle ,
que M. Paw appelle complaisamment la célèbre bataille
de Caxarualca , qui fut la bataille d'Arbelles pour l'em-
pire du Pérou. L'on peut juger, d'après ces divers rap-
ports, puisés dans les historiens contemporains espa-
gnols, le cas que l'on doit faire de l'écrit de ce Zarate*
3û4 RÉSISTANCE DES PREMIERS AMERICAINS y
intitulé : Histoire de la conquête du Pérou , et sur-tout
de l'ouvrage de M. Paw, qui dit, p. 71 du 1e1' volume ,
que les Pizarres n'avaient que 70 fantassins et 3o ca-
valiers , avec lesquels ils égorgèrent les troupes innom-
brables de l'Inca ; que les fuyards firent tant d'efforts
pour se sauver , qu'ils renversèrent à plat une immense
muraille qui s'opposait à leur déroute , et qu'il leur en
eut coûté bien moins pour culbuter l'ennemi.
Quand on réfléchit sur les maux que les Espagnols
avaient faits aux Américains, et dont les plaies étaient
encore saignantes lors de l'arrivée des Quakers en Penn-
sylvanie , doit-on être étonné que les Indigènes aient
préféré céder à Guillaume Penn des terres qu'ils ne
pouvaient plus espérer de cultiver paisiblement, plutôt
que de s'exposer à les voir envahir par de nouveaux
Européens, qui eussent été, peut-être, plus cruels et
plus féroces que les premiers usurpateurs de l'Amérique.
Cet auteur, cependant, blâme cette conduite, toute sage
qu'elle est. Quoiqu'il en puisse dire , ils tiennent , plus
qu'il ne le pense , à leur pays, et on ne les verra point
le quitter pour en aller établir un autre, fût-il meilleur.
L'attachement des Américains pour leur terre natale,
pour leur liberté et leurs coutumes, est si grand , que
les jouissances de la France n'ont pu décider des Esqui-
maux, des Canadiens, ni des Huions à s'y fixer.
Ils n'avaient qu'un désir, celui de retourner dans leur
patrie.
Les Anglais avaient amené un Esquimaux en Angle-
terre : il commençait déjà à s'accoutumer à leurs
usages, lorsque le hasard lui ayant fait voir de l'huile
de baleine , il demanda à en boire. On lui en donna : il
l'avala avec délices , et pria avec instance de le ramener
LOlfS DE L'INVASION DE LEUR PATS. 3û5
dans sa patrie, où il pourrait se délecter à son aise d'une
boisson aussi délicate. Depuis ce moment il ne cessa
de solliciter son retour, et toujours les larmes aux
yeux.
Onamena, dans le 17e siècle, quelques Groëulandais
à la cour de Copenhague : on les y combla de bienfaits.
Toutes ces attentions furent inutiles 5 en peu de temps
ils y moururent de chagrin. Plusieurs d'entre eux se
noyèrent en voulant retourner en chaloupe dans leur
pays. Les autres avaient vu de sang-froid toutes les
magnificences de la cour de Danemarck. Il y en avait
un qui pleurait toutes les fois qu'il apercevait une
femme portant un enfant dans ses bras. On conjectura
que cet infortuné était père 5 mais on ne s'empressa
point de la rendre à sa famille.
En 1769 j on amena à cette même cour un homme
et une femme du Groenland. Ils témoignèrent tant de
chagrin qu'on fut obligé de les renvoyer.
Cet amour est si fort chez les peuples de l'Amérique,
qu'on n'a jamais pu déterminer les sauvages qui
viennent en mission à Philadelphie, à renoncer à leurs
déserts , pour se fixer dans cette capitale des Etats-Unis.
Le jeune Corn Planteur, âgé de vingt-quatre ans, fils
de ce fameux Corn-Planteur, chef suprême des nations
sauvages coalisées contre les Etats-Unis, que le Con-
grès avait fait élever à ses frais dès sa plus tendre en-
fance, dont il payait toutes les dépenses, tontes les
fantaisies, airna mieux, en 1796, renoncer à tous les
plaisirs et au luxe de Philadelphie , pour retourner dans
les bois avec les Sauvages qui étaient venus en dépura-
tion dans cette ville.
M. Paw accuse le climat du Nouveau -Monde de
Tùfil. 2. 20
3û6 RESISTANCE DES PREMIERS AMERICAINS ,'
dégrader les naturels et même l'Européen ci ni se fixe
dans ce pays 5 que n'a-t-il été témoin de ce qu'ont fait
les États-Unis dans leur querelle avec l'Angleterre 5
il eût changé d'opinion. Ils ont su, avec des forces
inférieures, battre les Anglais sur mer, capturer
leurs frégates , les expulser de leur pays , et se débar-
rasser des fabriques de Manchester et de Birmingham.
Les femmes ont préféré les étoffes grossières fabriquées
par des mains novices, aux élégans tissus des manu-
factures anglaises. Le thé était devenu pour ces peu-
ples un véritable besoin ; hé bien, ils ont mieux aimé
le jeter à la mer, que de le recevoir d'une main enne-
mie. Pour ne pas laisser les Anglais jouir de la
ville de New - York , ils ont mis eux-mêmes le feu à
leurs maisons j les femmes couraient avec des torches
allumées porter la flamme dans les magasins , dans
les chantiers publics, elles s'applaudissaient de leurs
funestes effets : on les entendait crier : ce J'ai vu brû-
» 1er nos maisons , les tyrans ne les auront pas ! 3) Une
d'elles fut désarmée par un officier anglais , au moment
où elle allait se poignarder pour se soustraire à la loi
du vainqueur. La belle et jeune Cadwell , malgré les
instances de son mari pour l'engager à se soustraire
au danger, attendit au contraire les Anglais , entourée
de ses fils en bas âge, et ayant près d'elle une jeune
fille qui tenait dans ses bras son dernier né. Les sol-
dats se présentent , Cadwell s'oppose à leur entrée dans
sa maison. Les soldats, fatigués de tant de résistance,
font feu 5 une balle perce le sein de cette héroïne , sou
sang rejaillit sur ses enfansj elle expire en leur repro-
chant leur lâcheté barbare.
Les femmes de la Caroline , plutôt que de se rendre,
LORS DE L'INVASION DE LEUR PAYS. 3o^
d'après les invitations des Anglais, aux assemblées et
aux fêtes qu'ils donnaient , couraient à bord des vais-
seaux qui renfermaient des prisonniers américains ,
descendaient dans les cachots , parcouraient les pri-
sons en disant à leurs époux, à leurs fils , à leurs
frères, à leurs amis : «Américains, pour qui la fureur
» des tyrans n'est rien et la patrie est tout, sachez
5> préférer la prison à l'infamie , la mort à la servitude I
3) L'Amérique a les yeux fixés sur ses défenseurs
» chéris , martyrs d'une cause agréable à Dieu et
» sacrée pour les hommes, vous recueillerez le fruit de
2) vos maux... la liberté !... l'objet de tous nos vœux. »
Celles qui étaient nées dans l'opulence aimèrent
mieux abandonner leur terre natale, aller dans un©
autre province occupée par les Américains, mendier:
du pain pour elles et leurs enfans , plutôt que de s©
montrer aux fêtes, aux bals que donnèrent les vain-
queurs.
Les dames de Philadelphie formèrent une associa-
tion à laquelle présidait madame ^Washington j elles
vendirent leurs bijoux, firent de grands sacrifices eu
argent, et les répandirent dans les maisons des mal-
heureux. Les citoyens aisés imitèrent avec empresse-
ment un si bel exemple ; ils remirent de fortes sommes
à ces dames, qui les versèrent dans le trésor public
pour récompenser les soldats.
A Baltimore, les négocians fournirent au marquis
de la Fayette l'argent nécessaire pour habiller ses
troupes. Le soir de son arrivée, on donna un bal au-
quel assista ce jeune commandant ; il eut à peine lait
connaître aux dames les besoins de sa troupe , qu'elles
se chargèrent à l'instant de fournir la toile nécessaire ,
24
*
3o8 RÉSISTANCE DES PREMIERS AMÉRICAINS,
et de faire elles-mêmes les chemises pour l'approvision-
nement de l'hôpital.
Depuis que M. Paw a fait imprimer ses diatribes
contre le nouvel hémisphère, l7 Amérique Méridional©
a imité l'exemple de la partie du nord de ce pays.
Cette conduite des habitans du nord et du sud n'an-
nonce pas que l'air de ces contrées en fait dégénérer
les habitans.
L'Europe a admiré le courage avec lequel les mar-
tyrs de la foi ont supporté les souffrances qu'on leur
faisait endurer; peuvent-ils entrer en parallèle avec la
fermeté inébranlable de l'empereur Guatîmosin , à
rester tranquillement étendu sur des charbons ardens ,
plutôt que de découvrir à Cortez la partie du lac où
il avait jeté ses trésors? Comparera- 1- on les per-
sécutions des martyrs de la foi avec les tourmens
effroyables que les sauvages de l'Amérique-Nord fout
essuyer à leurs prisonniers , tourmens dont le récit
seul fait dresser les cheveux? Le courage de ces chré-
tiens approchj-t-il de ce calme étonnant, et de l'indif-
férence sans exemple avec laquelle ces Américains en-
visagent sans effroi, sans inquiétude, l'ombre de la
mort, la mort même j non contcns à'en mépriser les
approches effroyables , ils provoquent leurs bourreaux
pour en augmenter les horreurs , et les narguent sur
ce qu'ils ne peuvent réussir à leur arracher la plus
petite souffrance.
Ce mépris pour les maux provient de la vie dure
qu'ils mènent, et des lois qu'ils se sont faites, de
n'avoir pour guerriers, et sur-tout pour chefs, que
des -hommes capables de marcher les premiers devant-
dès hommes 5 de montrer plus de vigueur, d'intrépi-
LORS DE ^INVASION DE LEUR PAYS. 3o£
dite, de lumières qu'aucun d'eux 5 qui connaissent
d'avance tous les lieux propres à la chasse , à la pêche,
tontes les fontaines 5 qui soient en état de soutenir des
jeûnes longs et vigoureux pendant plusieurs jours 5
de se mesurer avec des bêtes féroces ; de porter des
fardeaux d'une pesanteur énorme 5 de passer la plupart
des nuits en sentinelle à l'entrée du carbet 5 de rester
pendant un temps considérable enterrés jusqu'à la cein-
ture, dans une fourmillière, exposés à des piqûres vives
et sanglantes 5 d'attendre patiemment sous d'épai-j
feuillages, qu'il plaise à la nation de venir les chercher
dans cette retraite obscure pour les rendre au poste
qu'ils fuient, avant de voir leurs compatriotes poser à
leurs pieds tons les arcs, toutes les flèches, et obéir à
leurs lois 5 enfin, de souffrir patiemment que chacun
des assistans leur mette le pied sur la têle , pour leur
faire connaître qu'étant tirés de la poussière par leurs
égaux, ils peuvent les y faire rentrer , s'ils oublient les
devoirs de leur place: en'un mot, un homme capable
de déployer une force de corps et d'âme supérieure aux
dangers, aux peines, aux privations, aux souffrances
de ce monde j une frugalité plus grande que celle de
Curius , géuéral et collègue de Falricius , auquel Pyr-
rhus envoya des députés avec des présens pour le cor-
rompre, et qui leur répondit, en leur présentant les
légumes qu'il venait d'apprêter : Qu'un Romain qui
vit de cette sorte , ne se soucie pas d'avoir de l'or, mais
bien de commander à ceux qui en ont: qui puissent
montrer, non comme Alanlius Torquatus , le collier
d'un ennemi vaincu , mais le plus grand nombre dé
chevelures de leurs ennemis. Voilà d'où leur vient ce
mépris de la vie, et non pas des paradoxes de M. Par?
310 RESISTANCE DES PREMIERS AMERICAINS,
soutenus par des suppositions invraisemblables , inad-
missibles et contre nature.
On ne cite qu'un seul chevalier romain , nommé Cur-
tius , qui, pour rendre l'empire éternel, se précipita
dans un gouffre qu'un tremblement de terre avait fait
dans la place publique de Rome. L'Amérique supé-
rieure, jusque dans les plus petits détails, offre un
peuple entier. Les naturels de la Grenade ont prouvé
qu'ils possédaient tous un dévouement aussi noble ,
puisque , pour ne pas survivre à l'asservissement de
leur pays par les Français , ils aimèrent mieux , en
2.65 1 , se précipiter tout vivans du sommet d'une roche
escarpée dans la mer, plutôt que de vivre avec leurs
usurpateurs. Les Français ont nommé ce roc le Morne
des sauteurs , nom qu'il conserve encore.
Philippe , dans une occasion à-peu-près semblable ,
ayant trouvé, après la bataille de Chéronée^ le bataillon
de héros thébains, appelé la lande sacrée , couchés tous
sur la même ligne, l'estomac percé de plusieurs coups
de piques, et le visage tourné vers l'ennemi, ne put
s'empêcher de verser quelques larmes sur leur sort.
Le climat de l'Amérique , loin de faire dégénérer les
naturels et ceux qui s'y établissent, donne au contraire
un nouvel essor à leur imagination.
Pour prouver à M. Paw à quel point est portée Par-
deur militaire chez les Américains, qu'il parcoure l'his-
toire de leurs faits d'armes avec l'Angleterre-,- et il verra
qu'ils se sont mesurés contre eux avec succès sur mer,
quoiqu'inférieurs en force 5 que, dans la guerre de leur
indépendance, la compagnie des Vieillards , composée
de 00 Allemands établis depuis nombre d'années dan*
LORS DE L'iNVASiON DE LEUR PAYS. 3ll
le Nouveau-Monde , et qui avaient servi leur patrie dans
d'autres royaumes de l'Europe , était commandée par
mi capitaine centenaire qui avait 4° ans de service ,
et s'était trouvé dans 17 batailles , et dont le tambour
était un vieillard, de 84 ans. Au lieu de cocarde, ils
portaient un crêpe noir, pour témoigner leur douleur
de ce que, dans un âge si avancé , il leur était impossi-
ble de défendre comme ils le désiraient, un pays qui
leur avait donné un asile contre l'oppression : ce Cessez
» de vous opposer à ma résolution, disait un vieillard
» de 84 ans! je veux me placer devant un plus jeune
*> que moi 5 je lui sauverai la vie en recevant le coup
:» dont il pourrait être atteint , et qui ravirait à nia
3> patrie un défenseur plus vigoureux. :»
Une Américaine , dans une des expéditions qui
commencèrent la guerre, se trouvait à bord d'un
bateau plat , lorsqu'un boulet emporta la tête d'un sol-
dat qui était à ses côtés. Le sang jaillit sur elle , et
couvrit le visage de l'enfant qu'elle tenait dans ses
bras. La nouvelle lacédémonienne , dans un excès
d'héroïsme, élevant son enfant le plus haut qu'il fut
possible , s'écria : ce Te voilà dignement initié au ser-
:» vice de ton pays , c'est ton engagement que tu viens
» de signer 5 puis, se tournant vers son mari , elle lui
3> dit avec vivacité : Mets le feu au canon , venge la
5) mort de ton camarade. »
Deux jeunes soldats .américains, après avoir déserté
de l'armée , s'en retournèrent à la maison paternelle :
leur père , indigné de cette action , les chargea de
fers et les conduisit au général. Celui-ci ayant été assez
généreux pour leur faire grâce , le père parut si étonné
«Tune telle indulgence , qu'il s'approcha du général , e&
Q12 RÉSISTANCE DES PREMIERS AMERICAINS,
lui dit les larmes aux yeux : ce C'est plus que je n'avais
osé espérer. »
Plus modeste que le roi de Syracuse, qui se fit maître
d'école à Corinthe , et le roi de JMacédoine , greffier à
Rome j AtaJiualpa et Montézuma écoutèrent avec em-
pressement les vérités que les Espagnols avaient voulu
leur apprendre, ils aimèrent mieux céder au sort, que
d'imiter le malheureux Tarquin , qui ne savait que
devenir s'il ne régnait pas , ou ce Venone^ fils de Pliraa*
te , roi des Parthes , qui errait de cour en cour , cher-
chant par-tout des secours, et trouvant par-tout des
affronts, faute de savoir triompher delà fortune.
C'est en vain que M. Paw épuise son esprit pour
flétrir un peuple malheureux, digne d'un meilleur sort:
les Gnatimozin et nombre d'autres héros américains
ont prouvé qu'il n'y avait pas cfe malheurs insurmon-
tables 5 ils ont triomphé du feu , comme Mucius Scévola;
du supplice de la croix , comme P^égulus ; du poison ,
comme Socrate$ du sacrifice deleurs personnes, comme
les deux Décius ; de l'exil , comme Rutilius 5 de la mort
volontaire , comme Caton.
Il ignore ou cherche à se cacher, que l'amour
et l'ambition sont les deux passions qui meuvent le
cœur des Américains ; qu'elles ont formé parmi eux,
comme Platon dans sa république, ou Pélopidas à
Thèbes , des bataillons d'amis , toujours prêts à se dé-
vouer pour la patrie 5 qui savent mourir, et non
gémir, comme un JVLisène ( liv. de VÉne'ide), de
mourir sans gloire , et de n'avoir pas l'espoir d'obtenir
les honneurs de la sépulture 5 qui ne savent pas ce que
c'est que de faire des prières, comme un Palinure, pour
îe même objet 5 ni imiter ce jeune prisonnier de Co-
£0£S DE l/lNVASlOV J3E LEUR. PATS. Si»
rinthe, qui, pour plaire an consul Mummius , qui avait
ordonné à tous les pr'sonniers de cette ville d'écrire
chacun un vers grec, s'empressa d'écrire ce vers d'Ho- ,
mère , Tpts pctx.cepis Aavaoi, qui lui valut la liberté , eelle de
ses païens et de ses arnis. Jl.es Américains, dans de pa-
reils cas , meurent et ne supplient jamais pour la vie.
Tous ceux qui ont lu les diverses relations que les
historiens nous ont laissées sur la résistance opiniâtre
que les Brésiliens , les Chiliens , les Yucatains et autres
peuples de l'Amérique ont faite pour s'opposer à l'en-
vahissement de leur pays, qu'ils ont défendu pied à pied,
conviendront qu'il ne peut y avoir que M. Paw qui
puisse s'oublier jusqu'au point de dire (pag- 17^ du
?)e volume) ce que la barbe seule eût suffi pour faciliter
» la conquête de l'Amérique 5 qu'on a été quarante ans
» au Pérou sans pouvoir, ni par menace, ni par pro-
» messes , engager les Péruviens à ferrer les chevaux ?
» qu'ils avaient d'abord pris pour des moutons 5 qu'ils
:» n'osaient les approcher de cinquante pas, et que plu-
:» sieurs tombaient en faiblesse en les voyant de loin. »
Parmi les cinq causes que Garcilasso assigne comme
ayant facilité la conquête du Pérou . il y en a trois que
je ne saurais admettre 5 les voici :
i°. Q\\Huyna-Capac avait prédit qu'il arriverait un
jour des hommes barbus, dont la religion vaudrait
mieux que celle des Péruviens. -
Cette prédiction eût été impolitique de la part de
l'empereur. En supposant qu'elle lui eût été inspirée en
rêve ou autrement , des raisons d'état devaient la lui
faire taire. Quelle idée, en outre, ce nouveau Cassandre
pouvait-il avoir d'hommes barbus, si son pays n'en
produisait pas, à moins que Ton suppose qu'il ait fait
3l4 RÉSISTANCE DES PREMIERS AMERICAINS^
exterminer des missionnaires européens , débarqués ou
naufragés sur les côtes de son empire , pour s'être per-
mis de prêcher une. doctrine plus épurée que la sienne !
C est une fable que les padres espagnols ont imaginée,
pour sanctionner aux yeux du crédule vulgaire l'usur-
pation de leurs concitoyens.
Ainsi jadis, quand Tarif vint conquérir l'Espagne ?
les habita ns de ce pays lui assurèrent qu'ils avaient
prédit sa venue 5 on en dit autant à Gengis ? à Ta-
merlan et à Mahomet II.
20. La ressemblance que les Péruviens remarquèrent
entre les Espagnols et leur dieu Viracocha.
C'est une chimère qui mérite le plus souverain mé-
pris : c'est vouloir suggérer que les Péruviens imitèrent
tous les faibles , qui flattent les puissans 5 qu'ils firent
comme les juifs ? qui supposèrent des prédictions en
faveur d'un barbare qu'on s'obstine à nommer Cyrus ,
quoique son véritable nom soit Kozrou; en prétendant ,
comme Isaïe ( chap. XLV) , que le Seigneur gratifie
du nom de son Christ, un profane de la religion d»
Zoroastre.
3°. Les armes à feu 3
4°. Les chevaux.
Voilà les seules raisons réelles et positives qu'on
aurait pu et dû citer, ainsi que les dissensions de ce
pays.
5°. Les cruautés d' ] Atabaliba*
Ce prétexte est sans fondement. On n'a jamais cité
une province , un cacique > pas même un seul Indien,
qui s'en soit plaint. Les Espagnols ont inventé et débité
ces faussetés, pour rendre odieuse la mémoire d'un
prince qu'ils ont traité avec tant d'inhumanité.
XORS DE L'iNVASiON DE LEUR PAYS. 3l5
Si l'on admet que les Péruviens -avaient en à se
plaindre de leurs empereurs, l'on peut supposer aussi
qu'ils se sont laissé Vaincre pour se venger d'eux,
comme jadis les Romains se laissèrent battre par les
Volsques pour se venger de la discipline sévère du
consul Appius Claudius , et de son opposition à la pro-
mulgation delà loi agraire.
L'Amérique n'a jamais offert à l'observateur réflé-
chi autant de détrônernens , de mortalités de rois , de
chutes d'états, et de guerres, que l'Europe dans ces
quatre-vingt-deux ans.
Victor- Amédée , roi de Sardaigne , emprisonné par
son fils en 1702. — Mort.
Joseph II, Pierre-Lpopold, empereurs de Germanie.
— Morts.
Catherine II , impératrice de Russie. — Morte.
Pierre III , Jean VI , Paul Ier , empereur de Puissie.
~— Massacrés.
Sélim III , Mustapha IV , sultans de Constantin
nople. — - Etranglés.
Louis XVI , Louis XVII , rois^de France , empri-
sonnés. — Mis cl mort.
Joseph, roi de Portugal. — Idem.
Gustave III, roi de Suède. Idem.
Caroline Matilde } reine de Danemarck. — Exilée
et morte.
Frédéric-Guillaume , roi de Prusse. — Mort.
Christian VII , roi de Danemarck. — Mort.
Pie VI , pape. — Mort prisonnier en France.
Emmanuel IV, roi de Sardaigne. — Abdiqué.
Guillaume V: Stathouder de Hollande. — Déposé.
Si 6 RESISTANCE BES PREMIERS AMERICAINS ,
Stanislas Poniatowsky , roi de Pologne. — Détr&né.
Ferdinand IV , roi de Napîes. — Idem.
Charles IV, Ferdinand VII, rois d'Espagne. — Id.
Gustave IV , roi de Suède. — Idem.
Marie de Portugal.. — Expatriée.
Ferdinand IV, roi de ]Sraples. — Emprisonné en
Sicile par les Anglais.
La reine, son épouse , obligée de se sauver de cette
île , de se cacher à Ténédos , de se réfugier à Vienne ,
où elle y est morte.
Napoléon Bonaparte , déposé et relégué dans Pile
d'Elbe en 1814.
Un grand royaume (la France) , après vingt-quatre
ans de révolution , rendu à ses anciens souverains.
Napoléon Bonaparte , remonté sur le trône de
France en juin 1815 , forcé d'abdiquer le 20 du même
mois , et relégué à Pile Sainte-Hélène.
Louis X VTII replacé sur le trône de France pour la
seconde fois.
Le royaume de Pologne , effacé de îa carte d'Europe ?
rétabli en partie par Bonaparte, confirmé en i8i5 par
Alexandre , empereur de Russie»
Cinq républiques anéanties , Venise^ Gênes^ Lucques^
la Hollande et la Suède ; les deux dernières rétablies en
royaumes.
La république des Etats-Unis affranchie du joug de
l'Angleterre.
François II, empereur d'Allemagne, forcé d'abdi-
quer la couronne impériale des Césars.
Création de huit rois 5 savoir : èHEtrurie , à? Italie , de
Naples j de VFestphalie j de Saxe , de Bavière 5 de Hol~
Z.ORS DE L'iKrVASION- DE LEUR PATS. 3 1 ^7
lande , Je TVirtetnberg^ les quatre premiers détrônés ,
et le cinquième réduit à la moitié de ses Etats.
Guerre de sept ans , guerres d'Amérique, guerre de
révolutions dans la majeure partie de l'Europe 5 etc., etc.
La conquête de l'Amérique est ui\e suite naturelle
des révolutions auxquelles notre globe et ses habitans
sont sujets , et dont les causes sont inconnues aux
faibles humains. Comme il est métapbysiquement im-
possible de voir clairement l'avenir 5 qu'il y a une con-
tradiction formelle à voir ce qui n'est point 5 que le
futur n'existe pas , par conséquent ne peut être vu , 011
ne doit pas non plus s'arrêter à la prétendue prédiction
iï Huyna-Capac , qu'à celle de Joseph Flavien , qui fait
aller Alexandre rendre ses respects à Jérusalem , et
adorer un pontife juif nommé Jaddus , lequel lui avais
autrefois prédit en songe la conquête de la Perse.
Ceux qui, dans la fable de X1 Atlantis , croient recon-
naître des relations obscures d'un grand pays situé à
l'ouest , ou de l'Amérique, verront avec plaisir c»
passage tiré du troisième livre de Diodore de Sicile ,
page i3o , édition de Vvresseling : a Les Atlantes n'ont
3> pas connu les fruits de Cérès , parce qu'ils se sont
55 séparés des autres hommes avant que ces fruits
35 eussent été montrés aux mortels. 5)
Quoi qu'il en soit , s'il y a jamais eu une prédiction
formelle , c'est la découverte de l'Amérique dans Séuèque
le tragique.
Penient annis.
Sœcula seris , quibus Océan us
î^Ln cal a rerurn laxet , et in gens
Paieat Tellus elc.
S'exalter -sur une conquête semblable, c'est sanc-
3l8 RÉSISTANCE DES PREMIERS AMERICAINS ?
îionner l'injustice, c'est légitimer la conduite d'Enée j
lorsqu'il vient avec ses dieux fugitifs détrôner Turnus ,
ravir Lavinie pour s'établir en Italie 5 c'est approuver
la conduite de Romulus envers les villages qui bor-
daient le Tibre ; c'est justifier l'enlèvement des Sabinesj
c'est enfin trouver naturelle la barbarie de Moïse en-
vers les habitans des cantons H A mon et de Jaboc.
Quoi qu'en dise M. Paw , la conquête de l'Amérique
est moins étonnante que celles de la Chine et de V l?ide
par une borde de Tartarcs ,• que celles de V Asie et de
i Egypte par les Jllace'do /tiens f dont le pays n'est guèr©
plus étendu qu'une des provinces de l'Espagne 5 que la
conquête de Y Asie , de Y Afrique et de Y Europe ^ par la
viile de Kome; enfin que les ebangemens fiéquens qui
ont eu lieu dans les dynasties de l'Europe en dépit des
lumières de ses habitans. Bref, la conquête de l'Amé-
rique prouve que les Américains étaient moins versés
dans Part sanguinaire de dévaster un pays et d'eu
assassiner systématiquement les habitans $ conséquem-
înent, que cette conquête est moins honorable pour
l'Europe que cet écrivain le suppose , et que cette intré-
pidité qu'il loue avec tant d'emphase n'est qu'un reste
de cette férocité qui distinguait les Huns , les Goths et
les Vandales. Aussi fut il aisé aux conquérais espa-
gnols, dont la soif de l'or semblait allumer la soif du
sang , d'accabler des nations entières qui n'avaient
que leur courage et la justice à leur opposer. Ils firent
partout de vastes déserts.
Que l'auteur des P^echerches sur les Américains réflé-
chisse sur les révolutions des empires > et il cessera
d'être étonné de la conquête de l'Amérique. Que sont
aujourd'hui les Perses, les Grecs, les Rémarins et les
EOES DE I.'iNVASIOsr DE EEUE PATS.' 310
Egyptiens , ce peuple grave et instruit , qui , sous Sésos-
tris, avait acquis toute la terre pour son plaisir? Ils
sont aujourd'hui le peuple le plus mou ? le plus frivole
€t le plus lâche.
»*^**IV%**»* v*****
LIVRE SIXIÈME.
CHAPITRE PREMIER.
Sur la Langue des TPèruviens.
n
JLN 'est-il pas singulier d'entendre M. Paw déclamer
contre une langue qu'il ne connaît pas _, et pronon-
cer avec une assurance peu commune , que les Algon-
kins , les Brésiliens , les Péruviens , les Mexicains ,
n'avaient pas une quantité de termes propres à énoncer
les notions générales ; quoique l'on sache que la langue
des Caraïbes, celle des Péruviens, des Mexicains et
de plusieurs autres nations , sont riches en expres-
sions qui désignent les objets sensibles, et que les
voyageurs et les écrivains se sont accordés à les re-
présenter telles.
Il ne s'était jamais douté que le nombre des
langues que l'on parle encore dans le royaume du
Mexique, est au-delà de vingt, dont quatorze ont
déjà des grammaires et des dictionnaires assez com-
plets. D'après les vocabulaires des sept langues de la
Nouvelle-Espagne, que M. Humboldt possède, ce
savant a été à même de se convaincre que la plu-
part de ces langues sont loin d'être des dialectes d'une
seule , comme quelques auteurs l'ont faussement
avancé-, elles sont au moins aussi différentes les unes
SUR LA LANGUE DES PERUVIENS. 321
des autres, que l'est le grec de l'allemand, ou lé
français du polonais.
« On peut, sans exagération , dit M. Huinboldt,
» porter à plusieurs centaines, la variété d'idiomes que
» parlent les peuples du nouveau continent , pheno-
» mène bien frappant , sur- tout si ou le compare au
a peu de langues qu'offrent l'Asie et l'Europe. »
La langue mexicaine, celle des Aztèques, est la
plus répandue. Elle s'étend aujourd'hui depuis le 3^«
degré, jusqu'au lac de Nicaragua, sur une longueur
de 4oo lieues ; cette langue est moins sonore, niais
presque aussi répandue que celle des Incas. Les Mexi-
cains , pour dire à un curé , « Prêtre vénérable que
je chéris comme mon père, expriment cette phrase
dans le seul mot de nollazomahuizteopixcaLalzin,
composé de 27 lettres. Après la langue mexicaine, ou
aztèque, dont il existe onze grammaires imprimées,
la langue la plus générale, dans la Nouvelle-Espagne y
est celle des Otlomites. Le lecteur qui veut se former
une idée de ces diverses langues , peut se satisfaire
dans le Voyage de M. Humboldt à la Nouvelle-Espagne.
J'observerai à M. Paw, avec M. Bernardin de-St.-
Pierre, qu'aux difficultés que la nature oppose à ces
peuples , comme aux européens , on doit ajouter
celles que les Européens y apportèrent eux-mêmes.
« Je ne parle pas , dit M. Bernardin , ni des méta-
physiciens qui s'expliquent avec des idées abstraites ;
ni des algébristes avec des formules ; ni des géomètres
avec leurs compas; ni des chimistes avec leurs sels;
ni des révolutions que leurs opinions, quoique très-
intolérantes , éprouvent dans chaque siècle -, tenons-
nous-en aux notions les plus constantes et les plus
v Y
TOME 2, 1\
3^2 SUR LA LANGUE DES PERUVIENS.
accréditées. Les Européens , en donnant les noms qui
leur plaisent aux pays dont ils s'emparent et à ceux
où ils s'établissent, défigurent par des noms sans aucun
sens , ceux que les premiers habitans de chaque con-
trée leur avaient donnés, et qui en exprimaient si bien
la nature. »
Les géographes appellent , par exemple, Ville des
Anges, une ville près de celle du Mexique, où les
Espagnols ont souvent répandu le sang des hommes,
mais que les Mexicains nommaient Cuet-lcuc-coupan ,
c'est-à-dire , Couleuvre dans l'eau, parce que, de deux
fontaines qui s'y trouvent , il y en a une qui est ve-
nimeuse ; Mississipi , ce grand fleuve de l'Amérique
septentrionale , que les Sauvages appèlent Mechas-
sipi , le Père des Eaux-, Cordillères , ces hautes mon-
tagnes toujours couvertes de glaces , qui bordent la
mer du sud , et que les Péruviens appelaient , dan&
la langue royale des Incas, rilisuyu , écharpe de neige,
ainsi que d'une infinité d'autres.
Ils ont nommé Yucalan \y cette presqu'île qui a 80
lieues de long , sur 3o de large , et qui est au nord-
est de Guatimala , parce que Ferdinand en ayant de-
mandé le nom aux Indiens, un d'eux, après lui avoir
répondu jucataji , qui veut mre : qui êtes-vous? ajouta
lectei.au, qui signifie , je ne vous entends pa s ; Fer-
dinand la nomma Yucatan.
C'est pour n'avoir pas compris les naturels de Chai-
cliiuhc Liée an , auxquels Juan de Grijalva , en i5i87
reprochait d'immoler des victimes humaines , qu'il nom-
ma UluaYùe où est bàiie la Vera-Crux, parce que
les indigènes lui avaient répondu que c'était par l'or-
dre des rois d'Alcolhua (Mexique ). Paria , le Pérou
SUR LA LANGUE DES PERUVIENS. 32$
et les Péruviens ne doivent leurs noms qu'à des mé-
prises semhlables.
La dénomination de Quayqueries , doit son origine ,
comme l'observe M. Huinboldt, à un simple mal-en-
tendu. Les compagnons de Christophe Colomb, en lon-
geant l'Ile de la Marguerite , où réside encore, sur la
côte septentrionale , la portion la plus noble de la
nation Quayquerie , rencontrèrent quelques indigènes
qui harponnaient des poissons, en lançant un bâton
attaché à une corde et terminé par une pointe ex-
trêmement aiguë ; ils leur demandèrent , en langue
d'Haïti , quel était leur nom. Les Indiens, croyant que
la question des étrangers avait rapport aux harpons
formés du bois dur et pesant du palmier macana7
répondirent Guaike, Guaike, qui signifie bdtonpointu.
Les Espagnols ont formé de ce mot celui de Guay-
queries. Il existe encore aujourd'hui une différence
frappante entre les Guayqueries , tribu de pêcheurs
habiles et civilisés, et ces Guaraouns , sauvages de
l'Orénoque , qui suspendent leurs habitations aux
troncs du palmier moriche.
Les Espagnols expriment , par le mot paramos ,
le mot péruvien pima , qui signifie un endroit mon-
tueux, couvert d'arbres rabougris, exposé aux vents ,
et dans lequel règne perpétuellement un froid hu-
mide. Sous la zone torride , les paramos ont généra-
lement de 1,600 à 2,200 toises de hauteur. Il y tombe
souvent de la neige qui ne reste que quelques heures.
Il ne faut pas, dit M. Humboldt , confondre , comme
les géographes ont fait souvent , les mots de paramos
et de puna avec celui de nevado, en péruvien, rit-
ticapa , montagne qui entre dans les limites des neigea
ai..
3i4 SUR LA LANGUE DES PERUVIENS.
perpétuelles. Ces notions ont un grand intérêt pour
ïa géologie et la géographie des végétaux, parce que,
dans ces contrées où aucune cime n'a été mesurée,
on ne peut se former une idée exacte de la moindre
hauteur à laquelle s'élèvent les Cordillières } en cher-
chant sur les cartes les mots de paramos et nevados
( P oy. son Voyage aux Régi. Equin. du Nouv. Cont.).
J'ajouterai à l'appui de ces observations, la remar-
que de M. Bernardin-de-St. -Pierre. Les géographes,
dit cet écrivain , ont ôté aux ouvrages de la nature ,
leur caractère, et aux nations leurs nionumens. En li-
sant ces anciens noms et leur explication dans Gar-
cilasso de la Pega , dans Thomas Gage , et dans les
premiers voyageurs, on s'imprime dans l'esprit , avec
quelques noms simples , le paysage et l'histoire de
chaque pays , sans comptée le respect attaché à leur
antiquité , qui rend les lieux dont ils parlent encore
plus vénérables.
Les botanistes ont imaginé, pour reconnaître les
plantes , des caractères très-compliqués qui les trom-
pent souvent, quoique tirés de toutes les parties
du règne végétal , ce qui les a empêchés d'exprimer
celui de leur ensemble , de leurs qualités nuisibles ou sa-
lutaires. C'est en examinant la capsule qui conserve
les graines, les aigrettes qui les ressèment , la branche
élastique qui les élance au loin, et non une suite de
graines nues de toutes formes 3 renfermées dans des
bocaux, qu'on peut avoir une idée des variétés de la
germination. Ce n'est pas non plus en voyant une
fleur sèche, décolorée et étendue dans un herbier,
qu'on peut en reconnaître le caractère ; c'est sur le
bord d'un ruisseau , et au milieu des herbes , qu'on
SUR LA LANGUE DES PERUVIENS. 325
admire la lige auguste du lys j le roi des vallées, réflé-
chissant sur le borfl d'un ruisseau , sa corolle pluripé-
tale, plus blanche que l'ivoire; c'est lorsque le zépliir
balance la rose sur sa lige hérissée d'épines, et que
l'aurore a recouverte de ses perles humides cette reine
des fleurs, qu'elle appelle , par son éclat, et par ses par-
fums , la main des amans.
Les naturalistes nous éloignent encore bien davan-
tage de la nature, quand ils veulent nous expliquer,
par des lois uniformes et par la simple action de l'air,
de l'eau et de la chaleur, le développement de tant de
plantes qui naissent sur le même fumier; de formes,
de saveurs, et de parfums si différens. Veulent-ils
en décomposer les principes? Le poison et l'aliment
présentent, dans leurs fourneaux., les mêmes résultats,
sans parier de la multitude de végétaux qui sont restés
inutiles dans de savans laboratoires.
Quoique l'art des Daubentons rende aux ani-
maux une apparence de vie; malgré toute l'indus-
trie qu'on emploie dans nos cabinets pour conserver
leurs formes; leur attitude roide et immobile, leurs
yeux fixes et mornes , leurs poils hérissés , nous disent
que la mort les a frappés. Nos livres sur la nature ,
n'en sont que le roman, et nos cabinets que le tombeau ;
nos traités d'agriculture ne nous montrent plus dans
les champs de Cérès que des sacs de blé; dans les
prairies aimées des Nymphes , que des bottes de foin ;
dans les majestueuses forêts , que des cordes de bois
et des fagots. L'orgueil et l'avarice ont dégradé les
collines charmantes et les fleuves majestueux. L'his-
toire des hommes , si l'un en excepte l'intérêt que la
religion ou l'humanité ont inspiré en leur faveur à
S26 SÛR LA LANGUE DES PÉRUVIENS.
quelques hommes de bien, a été écrite d'après mille
passions. La politique les représente divisés en nobles
ou en vilains; en papistes ou en huguenots; en soldats
ou en esclaves-, le moraliste en avares, en hypocrites,
en débauchés, en orgueilleux; le poète tragique en
tyrans ou opprimés; le comique en bouffons et en ri-
dicules; le médecin en pituiteux , en flegmatiques,
e*n bilieux: par-tout des sujets de dégoût , de haine ou
d> mépris; par-tout on a disséqué l'homme, étonne
ïiousm »iïtrë plus que son cadavre. Ainsi, le plus digne
objet de la création a été dégradé par notre savoir
faire , comme le reste de la nature.
Quoique M. Paw mérite d'être blâmé, pour avoir
hvancé aussi inconsidérément son assertion contre les
langues des peuples de l'Amérique; cependanton pour-
nit, jusqu'à un certain point, l'excuser de n'avoir pas
compris la langue de ces peuples ; puisque les Français
n'entendent plus ia langue àes Gaulois ; et qu'un jour
leurs de -cendans, peut-être, n'entendront plus la leur.
Mais, malgré toute l'indulgence qu'on pourrait em-
ployer pour chercher à excuser la présomption dé-
placée de cet auteur, on trouvera toujours déraisonnable
de blâmer ce qu'on ne connaît pas, et plus déplacé
encore , si l'on avançait que les langues éprouvent les
influences des climats, puisque lalanguedes Romains
a été d'abord barbare, et est devenue à la fin molle et
efféminée ; que celle des liasses , dans le nord de l'Eu-
rope , est fort douce , étant un dialecte du grec , et
que le jargon d< s provinces méridionales de la France
est dur et grossier; ([ue les Lapons qui habitent les
Lords de la mer glaciale, ont un langage qui flatte l'o-
reille , tandis que les Hoîtentots , qui habitent le cli-
SUR LA LANGUI DES PERUVIENS. 3^
mat très-tempéré du cap de Bonne-Espérance , glous-
sent comme des coqs d'iude-, enfin que la langue du
Pérou est pleine de fortes aspirations , et de conson-
nans qui se choquent.
D'après toutes les preuves ci-dessus, que doit-on,
penser d'un écrivain qui affirme au public que les
langues de l'Amérique sont si bornées , si destituées de
mots, qu'il est impossible de rendre, par leur moyen ,
un sens métaphysique ? Dire à. cet écrivain , de par-
courir les Mémoires du lieutenant Henri Timber-
îake , imprimés à Londres en 1766; de lire dans
les Mémoires du baron de la Hontan, le dialogue entre
lui et un naturel du Canada, sur des matières de con-
troverse : il trancherait la diincuL'é comme à son ordi-
naire , en répondant ce que c'est une pièce supposée-, »
lui proposer d'examiner ce que Frezier dit de ces
peuples que nous nommons sauvages , ne serait nulle-
ment de son goût , puisque cela contredirait ses para-
doxes. Ouoi qu'il en soit , je vais soumettre à la déci-
sion du lecteur, la réponse c^Allck.xi-Mingo y caci-
ique Allibamon , fit à M. le Bossu , capitaine des troupes
de marine aux Indes-Orientales. Cet officier lui ayant
dit que s'il persistait à vouloir faire la guerre aux Es-
pagnols de la Floride , il n'avait qu'à commencer par
lui casser la tète : « Ton sang, lui répondit le Cacique,
» m'est aussi cherque le mien- d'ailleurs, jamais les
» Français ne m'ont fait de mal, je suis même prêt à
» me sacrifier pour eux \ tu peux en assurer notre oère
a ( c'est ainsi qu'il appelait le Roi de France ) ; que
» n'ai-je , comme toi, l'étoffe parlante ( le papier)
» pour faire parvenir ma parole ? mais non , je voudrais
:» plutôt que mon cœur eut cent bouches cru'il put en-
828 SUR LA LANGUE DES PERUVIENS.
» tendre ( Nouv. Voy. aux Ind. occid. , pag. 3a ). »
S'il se trouve parmi eux, dit le même capitaine,
quelque tapageur ou perturbateur du repos public,
les vieillards lui parlent ainsi : <r Tu peux partir,
» mais souviens-toi que si tu es tué, tu seras désavoué
» par la nation ; que nous ne te pleurerons point, et
« que nous ne tirerons point vengeance de ta mort. »
Voici une harangue que le capitaine Bossu a en-
tendu faire au chef des Ailiba nions : « Jeunes guer-
h riers , ne vous moquez point du maître de la vie ;
» le ciel est bleu, le soleil sans tache, le temps est
* serein , la terre est blanche ( pour dire que leur pays
» est celui de la paix ) , tout est tranquille sur sa face,
» le sang humain ne doit point y être répandu. Il faut
» prier l'esprit de paix de la conserver pure et sans
■» tache entre les nations qui nous entourent ; nous ne
» devons nous occuper maintenant qu'à faire la guerre
» aux tigres, aux ours et aux chevreuils pour avoir
» leurs peaux, afin de commercer avec les Européens
,» qui nous apporteront nos besoins pour entretenir nos
» femmes et nos en fan s. »
Bencdiet Arnold, général américain, dans la guerre
de l'indépendance des Etats-Unis , après avoir hésité
long-temps entre l'honneur et l'opprobre de trahir son
pays, après avoir essayé, pour se dérober au malheur de
violer ses sermens, de demander as vie à une peuplade
de sauvages, où le sachem d'une tribu illinoise se trou-
vait par hasard, et à cet Indien, si la bourgade dont
il était le chef, recevait des esclaves. Il en reçut cette
réponse : « Tous les hommes qui habitent nos forêts ,
:» tous ceux qui pèchent dans nos lacs, sont libres ; et
» dès qu'un étranger est admis parmi nous, il est
SUR LA LANGUE DES PERUVIENS. 3^9
» compté an rang de nos guerriers. Un guerrier ne
r peut pas être esclave, je ne le suis pas moi-même,
» quoique je sois leur chef, et le moins libre de
» tous. »
Cet Illinois n'aurait pas compris le despotisme
militaire -, mais avouez qu'il ne définissait pas mal
l'autorité des bons rois chez les peuples bien gou-
vernés.
Des Quakers et d'autres sectaires, ayant à leur tête
le docteur Williams , rencontrèrent , dans Rhode-Is-
land , un parti d'Indiens conduits par un vieux et res-
pectable chef nommé Thiema-Derha; Williams lui
raconta comment lui et ses gens avaient été chassés
de leurs foyers. « Tu n'as donc plus ni logement, ni
» feu, ui peau d'ours, lui demanda le vieux chef:
» Non , répondit le pasteur, il ne nous reste plus
jd que Dieu et l'espérance. Eh bien , mon frère , repar-
» tit Tierna , viens avec nous, je t'offre le pain, et
» de la terre où toi et les tiens pourrez vous reposer. »
Peu de temps après, les sauvages lui concédèrent,
vers le fond de la baye de l'ile , quatre milles en lon-
gueur et quatre mille en largeur, que le digne pasteur
partagea en parties, égales avec tous ses compagnons.
On peut dire avec M. le comte François de Neuf-
château :
Il est des orateurs jusques chez les Sauvages ;
Allons du Saint-Laurent visiter les rivages 9
Du grand Meschacebé suivons le vaste cours ;
Là , d'un fils du désert écoutons les discours I
Cita que mot nous étonne -y il charge sa peinture
D'images qu'il dérobe à toute la nature ,
Et qui vont émouvoir au fond do leurs roseaux ,
Ces fleuves qui , pour lui , sont le pore des eaux.
330 SUR LA LANGUE DES PERUVIENS.
Un jeune cacique de Darien, voyant que les EsnagfWs
de la petite colonie de Santa-Maria, qui avaient re-
cueilli beaucoup d'or dans leurs excursions, étaient prêts
à en veniraux mains pour le partage d'une petite quantité
de ce métal, se tourna vers eux et leur dit : « Pour-
» quoi vous quereller pour si peu de chose? Si c'est
» l'amour de l'or qui vous fait abandonner votre pa-
» trie, pour venir troubler la tranquillité des peuples
» qui sont si loin de vous, je vous conduirai dans un
» pays où ce métal, qui parait être le grand objet de
» vos désirs, est si commun que les plus vils us-
» tensiles en sont faits. » Balboa, gouverneur de la
colonie, et ses compagnons d'armes, demandèrent
avec empressement où était cette heureuse contrée.
Le cacique leur donna des informations qui se trouvè-
rent conformes à ce qui concernait le Pérou.
M. de Belle-Isle, dit le capitaine Bossu , page i4,
ayant demandé à manger à un sauvage qui avait fait
boucaner de la chair humaine et du chevreuil pour la
provision du voyage -, il lui donna de la chair humaine
en disant que c'était du chevreuil. Quand M. de Belle-
Isle l'eût mangée , l'Attakapas lui dit : « Tu faisais
a autrefois le difficile , mais présentement tu manges
» de l'homme comme nous. »
Un missionnaire ayant, promis le Paradis à un Ca-
cique, s'il voulait se faire Chrétien. « Mon père, lui
« demanda l'Indien, y a-t-il des Espagnols j mon
» fils , lui répliqua le missionnaire, il ny a que ceux
» qui sont bons et vertueux j en ce cas là, j'y renonce,
» dit l'Indien , car le meilleur n'en vaut rien, »
A ces citations, je joindrai un passage de l'Histoire
naturelle et morale des îles Antilles.
SUR LA LANGUE DES PERUVIENS. 33f
» Quand ils montrent aux Chrétiens une pièce
» d'or , ils disent voilà le dieu des Chrétiens : Pour
» ceci , ils quittent leur pays ; pour ceci, ils viennent
» nous persécuter, nous chasser de nos habitations;
» pour ceci , ils sont toujours dans l'inquiétude et les
« soucis. »
Quand ils voyent un Européen triste et pensif, ils
lui en font doucement la guerre, et lui disent : « Com-
« père ( terme d'amitié ) , tu es bien misérable d'ex-
» poser ta personne à de pénibles voyages , de te lais-
« ser ronger à tant de soucis. La passion des richesses
» te fait endurer toutes ces peines. Tu appréhendes
» continuellement que quelqu'un ne te vole en ton
j> pays ou dans celui-ci , ou que tes marchandises ne
» soient englouties par la mer ; ainsi , tu vieillis en peu
» de temps ; tes cheveux blanchissent-, ton iront se
» ride ; mille incommodités te tourmentent, et , au lieu
» d'être gai et content, ton cœur, rongé par le cha-
j) grin, te fait courir à grande hâte au tombeau. Tu
» viens nous chasser de notre pays, et tu nous oie-
» naces sans cesse de nous ôter le peu qui nous reste;
» que veux-tu donc que devienne le pauvre Caraïbe?
>* Faudra-t-il qu'il aille habiter les mers avec les pois-
» sons? Ta terre est donc bien mauvaise _, puisque
» tu la quittes pour venir prendre la mienne ,ou tu os
» bien de la malice de venir ainsi, de gaieté de cœur ,
» me persécuter. »
A cela, M. Paw répondra, comme il a fait envers
dom Prenetty : « Le critique est bien éloigné d'avoir
» approfondi les choses-, » (on pourrai: , a plus
raison , lui appliquer le même reproche. ) Il
aucun auteur7 et, tandis qu'il pouvait con»uJ
332 SUR LA LANGUE DES PERUVIENS.
cot 7 Laet et tant d'autres historiens respectables, î*
ne fait que compiler César Rochefort, le plus inexact
et le moins estimé de tous les voyageurs qui ont écrit
au siècle passé ( 1660).
A vant de se permettre de reprocher à dom Pre-
netty d'avoir compilé Cé.sar Rochefort , ce qu'il a été-
obligé de faire jbfjur lui fournir des preuves tirées d'au-
teurs connus, il aurait dû se rappeler que les deux
tiers de son ouvrage sont une compilation contradic-
toire. J'ajouterai de plus, que M. Paw, sachant qu'on peut
lui objecter qu'on avait inséré dans les premières édi-
tions de Moréri un extrait de ce même Rochefort, il
a pris les devants en disant « qu'on l'a fait avec plus de
» ménagement et moins de crédulité que dom Pre~
« nelty; que, d'ailleurs , Rochefort ne savait ni latin,
u ni grec; conséquemment , qu'il ne pouvait pas pu-
;» blier des relations sur les Apalachîtes ( peuple de
y> l'Amérique du nord ).
On ne peut plus rien répliquer à de pareils argu-
tnens , encore inoins aux assertions de ce Laet , q ui n'a
jamais été en Amérique-, de ce Laet qui. n'a jamais
rêvé, pas même lorsqu'il nous di!;, dans son Histoire
des Indes Occidentales , «• qu'il y a des espiifcs qui ap-
5) paraissent aux Brésiliens ; mais, ajoute-t-il , ils ne se
» montrent pas aussi souvent que quelques relations
» le donnent à entendre. »
jyiunusculis juxta positis illos spiritus placare ni-
tuntur : rarius autem hi spiritus inîer illos apparent ,
licet multi aliter tradiderint.
J'avoue que dom Prenetty est grandement blâ-
mable de n'avoir pas y comme M. Paw, placé une con-
fiance aveugle dans les écrits d'un historien aussi res-
SUR LA LANGUE DES PERUVIENS. 333
pectable que Laët , parce que la bienséance ne permet
pas de regarder comme des puérilités une assertion
semblable, venant sur-tout d'une autorité aussi recom-
mandable; encore moins de supposer que ce Laët avait
la lièvre quand il nous assure qu'il y a des esprits au
Brésil , et qu'il avait encore la fièvre quand il a cru
et voulu persuader à ses lecteurs que ces êtres se lais-
saient plutôt voir aux sauvages de l'Amérique qu'aux
philosophes de l'Europe.
Ce même Laët et d'autres chroniqueurs , observe
M. Humboldt, en parlant delà fondation delà Nouvelle-
Cadix, ne font mention que de la grande abondance de
lapins, et nullement du P enado de CubagDa, qui ap-
partient à une de ces nombreuses espèces de petits
cerfs américains que les zoologistes ont confondues
pendant long-temps sous le nom vague de cervus
mexicanus. M. Humboldt ne le trouve pas identique
avec la biche des savannes de Cayenne , ou le Gua-
zulti du Paraguay , qui vit également en troupeau ;
sa couleur est brunâtre sur le dos , et blanche sous le
ventre ; il est moucheté comme l'axis. Dans les plaines
du Cari , on trouve une variété toute blanche : c'est
une femelle de la grandeur du chevreuil d'Europe, et
d'une forme extrêmement élégante. Les variétés albines
se trouvent, dans le nouveau Continent, jusques par-
mi les tigres. M. à^Azara a vu un jaguar dont la robe
toute blanche n'offrait, pour ainsi dire , que l'ombre
de quelques taches annulaires.
Quant à Linscot , il ne pouvait pas manquer de con-
venir à M. Paw , puisqu'il appelle les Apalachites , des
barbares sans mœurs comme sans religion, quoiqu'il
fussent réunis en société, qu'ils eussent un gouverne-
334 SUR LA LANGUE DES PERUVIENS.
ment, des lois ., et des prêtres nommés indistinctement
juvas , jonas etjoannas.
En approuvant cette erreur de Linscot, il ignore,
sans doute, qu'avancer que certains peuples n'ont
aucun sentiment de la divinité , c'est la plus grande
des calomnies dont on puisse flétrir une nation ,
parce qu'elle détruit nécessairement, chez elle, l'exis-
tence de toute vertu; et si celte nation en montre
quelques apparences, ce ne peut être que par le plus
grand des vices , qui est l'hypocrisie ; car il ne peut
y avoir de vertu sans religion. D'ailleurs , il n'y a pas
un de ces écrivains inconsidérés qui ne fournisse lui-
même de quoi détruire son imputation; car les uns
avouent que ces mêmes peuples athées rendent, dans
certains jours, hommage à la lune, ou qu'ils se retirent
dans les bois pour y remplir des cérémonies dont ils
dérobent la connaissance aux étrangers. Le père Gobiei/,
entr'autres, dans son Histoire des îles Mariannes,
après avoir affirmé que leurs insulaires ne reconnais-
sent aucune divinité , et qu'ils n'ont pas la moindre
idée de la religion, nous dit immédiatement après ,
qu'ils invoquent leurs morts qu'ils appellent Anilisy
dont ils gardent les crânes dans leurs maisons, et aux«
quels ils attribuent le pouvoir de commander aux élé-
mens, de changer les saisons, et de rendre la santé ;
qu'ils sont persuadés de l'immortalité de l'ame, et
qu'ils reconnaissent un Paradis et un Enfer. Certai-
nement , ces opinions prouvent qu'ils ont des idées de
la divinité.
Christophe Colomb ayant voulu faire des représen-
tations à un vieux Cacique de Saint-Domingue , l'in-
sulaire lui repondit : « Tu nous a -effrayés par ta haï-
SUR LA LANGUE DES PERUVIENS. 335
» diesse, mais souviens-toi que nos âmes ont deux
*) routes après la sortie du corps : Tune est obscure ,
m ténébreuse, c'est celle que prennent lésâmes de ceux
» qui ont molesté les autres hommes; l'autre est claire,
» brillante , et destinée aux âmes de ceux qui ont
» donné la paix et le repos ( vojr. le Sommaire de
y Pierre Martyre ). »
Si je citais l'aventure du père Feuillêe avec cette
vieillelndienneà laquelle ilavaitdit: « Pauvre femme, »
en lui offrant une piastre ; la réponse que cette Indienne
des bords de l'Orénoque, qui venaitd'embrasserle Chris-
tianisme , fit au jésuite Gumilla , qui lui reprochait
d'avoir tué sa fêle en lui coupant l'ombilic trop près du
corps -, les entretiens de Montézuma et de ses officiers;
ceux des prêtres de Mexico avec les Espagnols, qui ne
sont, certes, pas d'un peuple hébété et stupide;
M. Paw, ne sachant que répondre , dirait, pour toute
excuse : « La raison nous avertit de n'ajouter aucune
foi aux hyperboles des écrivains Espagnols, excepté
à l'Histoire de la conquête du Pérou , par un certain
Zarate qui exerça , en 1 544 , la charge de trésorier-
général au Pérou , où il était arrivé treize ans après
qu'on l'eut envahi au nom du roi d'Espagne.
Il est vrai que les pièces que cet administrateur
ordonnançait, qu'il enregistrait; l'argent qu'il perce-
vait, celui qu'il payait aux divers employés de l'admi-
nistration civile et militaire, et les autres occupations
de sa place , ne lui enlevaient pas assez de temps pour
l'empêcher, de son bureau, d'être aussi à portée que
personne de s'instruire dans l'ancien état de cette par-
tie de l'Amérique. Or je demande si M. Paw n'a pas
eu parfaitement raison de s'en rapporter au témoignage
336 SUR LA LANGUE DES PERUVIENS.
de ce Zarate, qui n'est jamais sorti de la ville où son
bureau était, plutôt qu'à celui de Garcilasso de la
Vega , de la famille des Incas , né huit ans après la
conquête , instruit à l'académie de Cusco , qui, tout
en écrivant l'histoire de son pays , faisait ses relevés
sur les lieux qu'il citait; vérifiait, par ce moyen, l'exac-
titude de la traduction indienne , et avait tiré , en
outre, des instructions particulières et fort détaillées ,
d'un de ses oncles maternels, américain d'extraction ,
et qui savait l'espagnol.
En s'efforçant de jeter du ridicule sur les langues
des Américains , on était loin de s'imaginer que
M. Marcel, directeur de l'imprimerie impériale, pré-
senterait au Pape le Pater dans diverses langues de
sauvages de l'Amérique, dont il possède un manuscrit
en langue illinoise , composé par un seul missionnaire,
et qui comprend la Genèse , les évangiles et les hymnes
d*e toute l'année; un catéchisme, une grammaire et un
dictionnaire aussi complet que celui de l'Académie
française (Voy. pag. 333 du Mercure de France, plu-
viôse an XIII.)
é
Quand M. Paw assurait au puhlic que les Améri-
cains manquaient de jugement, de raisonnement ; qu'ils
ne savaient pas émettre leurs pensées d'une manière
uohle et distinguée -, enfin que leur langue était trop
bornée pour rendre aucun sens métaphysique, il avait
sans doute oublié les paroles de Guatimozin, lorsqu'on
l'amena prisonnier devant Cortez; celles qu'il adressa ,
de son brasier, à son favori; les harangues des diverses
nations, qui se trouvent rapportées dans les relations
qu'on nous a données de l'Amérique ; enfin , le dis-
cours qu'Atabaliba , le dernier Jnca du Pérou , avait
SUR LA LANGUE D É S P É R U V I EN S. 337
tenu au moine fiançais de la P allée- Viridi. La findece
prince est trop touchante pour ne pas la rapporter ici.
Dès que ce monarque fut près du quartier des Es-
pagnols , l'aumônier de l'expédition, François de la
Vallée- Viridi , d'autres disent Vincent de Valverde,
s'avança vers lui, un crucifix dans une main , un bré-
viaire dans l'autre , et demanda à lui parler au nom de
son souverain. Là, après lui avoir fait exposer par son
interprète les principaux dogmes de la religion chré-
tienne, le droit qu'avait le Pape de disposer des cou-
ronnes, il lui dit que les successeurs de l'apôtre Pierre,
par l'organe d'Alexandre VI , souverain pontife à
Rome ; avait partagé tous les pays du monde aux rois
chrétiens , à la charge par eux d'en conquérir une por-
tion. Il somma Atahualpa de reconnaître son autorité
et d'embrasser la religion de Jésus-Christ, en lui assu-
rant que s'il s'y soumettait , le roi d'Espagne dom Car-
los lui permettrait de continuer à régner. Atahualpa
ne répondit à tant d'insolence que par ces mots : « Qu'il
» ne comprenait pas comment cePierre ou ses descendans
j> avaient pu donner ce qui ne leur avait jamais ap-
» parteilu; qu'un pareil partage était plutôt un partage
» de brigands , qu'un ordre du Dieu juste et puissant
a qui éclaire l'univers ; que le Pérou appartenait aux
m Péruviens-, qu'il tenait sa couronne de ses pères, et
» qu'il n'y renoncerait pas plus qu'à sa religion. »
François de la Vallée- Viridi signifia à l'Inca, que s'il
persistait à vivre dans l'idolâtrie , il ferait mettre ses
états à feu et à sang. « Sont-ce là , dit l'Inca, les bien-
» laits de cette religion dont tu me vantais la dou-
» ceur -, et l'amour qu'un chrétien porte à son pro-
» chain ? » Obéis et tais-tei , répliqua le moine. Ata-
TOME 2. 2$
338 SUR LA LANGUE DES PERUVIENS,
liualpa perdant alors patience, lui dit: « Cesse , odieux
» brigand, de me prêcher un dieu né et mort.... Celui
» que j'adore est immortel , et le vain pouvoir des hu-
» mains ne saurait s'étendre jusqu'à lui : tu le vois,
» mon dieu est bien supérieur au tien, que tu dis avoir
» été égorgé par les hommes. D'ailleurs , comment
» pourrais-tu me convaincre que tu ne m'en imposes pas
» en me contant tant d'ineffables mystères , dont ni
» moi , ni personne de mon pays , n'a jamais eu la
» moindre connaissance? Où as-tu pris toutes les choses
à extraordinaires que tu viens de me dire? »
Dans ce livre , répondit la Vallée, en lui montrant
son Bréviaire. « Il contient la vérité; la parole de Dieu
» y est gravée, et tout ce que je t'ai annoncé y est
» écrit. C'est à toi de croire , et non de douter. »
L'Inca prit le livre , l'examina attentivement , en
tourna Quelques feuillets, l'approcha de son oreille, et
dit au moine : « J'ai regardé Quipos (c'est ainsi qu'il
>> appela le Bréviaire) , et je n'y ai rien pu voir-, je l'ai
» approché de mes oreilles, et je n'y ai rien pu en-
» tendre-, si la vérité y était écrite, pourquoi Dieu ne
» me ferait-il pas plutôt la grâce d'y pouvoir lire qu'à
» toi, qui n'est qu'un scélérat obscur _, venu de loin
» pour massacrer mon peuple et me ravir mes états ?
» Vas , chétif imposteur , je crois bien te valoir , ajouta
» le monarque, en jetant le livre avec mépris. »
L'événement justifia la prédiction de ce malheureux
prince-, le moine, furieux de ne pouvoir rétorquer les
argumens de ce prince américain, cria de toutes ses
» forces : « Aux armes, Chrétiens, la parole de Dieu
» vient d'être profanée-, frappez, exterminez ces hé-
» rétiejues. » Moyen étrange d'annoncer les maximes
SUR LA LANGUE DES PERUVIENS. 339
d'un Dieu de paix , qui pardonne les offenses ! Le
déprédateur Pizarre , à ce signal, donna l'ordre du
massacre. L'explosion de l'artillerie pétrifia les Péru-
viens 5 ils restèrent un moment consternés et immo-
biles. Les Espagnols n'eurent la peine que de frapper.
Ils exterminèrent tout ce qu'ils rencontrèrent : plus de
quatre mille Péruviens furent égorgés de cette ma-
nière. Pizarre, qui s'était entouré d'une troupe d'élite,
marcha droit à l'Inca. Il enfonça la foule des courtisans
qui l'entouraient , saisit le monarque par le bras , et
l'amena dans son quartier, où il le retint prisonnier.
Pizarre et ses officiers, après avoir violé les vierges
du soleil, parentes d'Atahualpa , et livré les autres
femmes américaines à la brutalité de leurs soldats, se
mirent le lendemain à piller de concert le camp impé-
rial. Ils y trouvèrent une quantité surprenante de vais-
seaux d'or , d'argent , enrichis de pierreries artistement
travaillées ; des tentes fort riches , des habits et de*
meubles d'un prix inestimable.
Le malheureux prince n'eût pas passé quelques jours
parmi ceux qui l'avaient fait prisonnier , qu'il s'aperçut
que l'or était le seul dieu de ces étrangers. Il se flatta
dès-lors , de pouvoir recouvrer sa liberté au moyen,
d'une énorme rançon. Il promit à Pizarre, s'il voulait
hii rendre la liberté et évacuer ses états , de lui donnée
plus d'or qu'il n'aurait jamais osé en espérer, en vases,
en- lingots, en plaques, Pizarre accepta la proposition.
En conséquence , l'inca fit remplir jusqu'à la hauteur
d'un homme , en vases et autres effets d'or , la chambre
où il était détenu-, qui avait 11 pieds de long sur 16 de
large.
De* que les Espagnols surent d'où venait cet or , ils;
U2.
34o SUR LA LANGUE DÏS PERUVIENS.
allèrent le piller dans les temples et les sépulcres qui le
renfermaient, et ils oublièrent la promesse qu'ils avaient
fai.e à l'Inca. Pour mettre le sceau à leur bonne-foi ,
ils jurèrent la mort d'un prince qu'ils avaient prétendu
chîistianiser. Le ciel cependant a vengé en partie ces
malheureux Indiens-, car tous les conquéraus du Pérou
ont fait une fin malheureuse et digne de leurs exploits.
Ferdinand que Pizarre , son frère , avait choisi pour
porter à Charles V ce qui lui appartenait de ces trésors,
étant allé prendre congé de l'Inca : ce prince qui l'ai-
» mait,luidit:» Vous vous réjouissez de retourner dans
» votre patrie, et moi, je vois, au contraire, votre départ
» avec beaucoup de peine, puisqu'il ne me restera plus
» d'ami parmi les Espagnols! Disons- nous donc un
» éternel adieu; car ce peuple cruel ne me laissera pas
» vivre assez long-temps pour me réjouir de votre re-
» tour. » Hélas ! il ne prédit que trop vrai.
Les richesses considérables que les Castillans avaient
aperçues de toutes parts , irritèrent tellement leur cu-
pidité , que cène fut qu'un cri unanime, pour se dé-
faire d'un Monarque dont la mort devait faire, des sol-<
dats autant de Princes. Le hasard servit leur avarice
Almagro venait d'arriver avec des renforts considérables.
Les Espagnols se voyant alors en état de conquérir le
royaume d'Atahualpa., sa mort fut irrévocablement ré-
solue. On établit un conseil : les accusations les plus
absurdes furent portées contre l'infortuné monarque ,
il fut condamné à être brûlé vif.
Quand on lui annonça sa sentence de mort , Ata-
Iiualpa versa quelques larmes, se plaignit de la trahi-
son de ces perfides étrangers qu'il avait toujours traités
4yec tant d'égards , et s'adressant k Pizarre 9 il lui dit :
SUR LÀ LANGUE DES PERUVIENS. 34l
» Seigneur , ne m'aviez-vous pas promis, qu'en payant
» la rançon à laquelle je m'étais engagé , vous me reu-
» driez non-seulement la liberté , mais que vous sor-
» tiriez de mes états ? Devais-je m'attendre qu'une
m promesse si positive diit être suivie d'un arrêt aussi
» cruel. J'en appelle au roi d'Espagne , votre maître ,
» que dans cette occasion je veux bien prendre pour
» mon juge ! Je porterai ma cause au pied de son trône ,
» son arrêt décidera de ma destinée. »
Malheureusement pour Atahuaïpa, la pitié était un
sentiment inconnu au cruel Pizarre et à ses barbares
compagnons. Il ordonna que Inexécution fut faite sur le
champ. Le monarque s'adressa envahi à l'aumônier : il
ne put obtenir que l'assurance d'un adoucissement à
son supplice, s'il embrassait la religion chrétienne. Cet
espoir, et peut-être celui d'un changement à son sort,
lui arracha la demande du baptême. La cérémonie fut
faite , et Atahualpa, au lieu d'être brûlé vif, fut étran-
glé au poteau ou il était déjà attaché.
Ainsi périt le dernier monarque de la plus opulente
contrée de l'univers , que sa douceur, sa bonté et les
charmes de Capillana , dont le farouche Pizarre était
épris , ne purent soustraire à la mort.
« On s'altendrit, dit M. Paw, en lisant la fin tra-
» gique de ce prince infortuné, que les richesses qur-
:» sauvent si souvent le coupable, ne purent sauver,
» malgré son innocence ; il avait malheureusement
» affaire à des soldats , et à des moines. »
Cette sensibilité eut été plus honorable pour cet écri-
vain, s'il eut mis de côté son injuste prévention, et qu'il
eût eu la générosité et la justice de reconnaître que
ce discours de l'Inca, dont un Européen instruit se
I
34a SUR LA LANGUE DES PERUVIENS*
ferait honneur , loin d'annoncer, comme il l'a dit :
« Que les Péruviens passaient leur vie sans penser,
» qu'ils vieillissaient sans sortir de l'enfance dont ijs
:» conservaient les défauts, » caractérise, au con-
traire , comme l'observe très-bien dorn frenelty « un
:» esprit sain, instruit, éclairé, et guidé par une pbi-
» losopliie vraiment naturelle et non subordonnée ,
» comme celle des Européens , aux préjugés del'édu-
» cation; une âme noble, courageuse., un cœur géné-
3j reux, enfin tout ce qu'il faut pour être véritablement
» homme. »
Pour dernière observation , j'ajouterai que cette re-
lation des derniers momens d'Atahualpa , démontre
combien M. Paw a été peu exact dans la sienne , et le
cas que l'on doit faire de ses rapports lorsqu'ils concer-
nent l'Amérique.
Les discours (VAtahualpa , la réponse du cacique
Allibamon Allekxi IVIingo au capitaine Bossu ; la
harangue du chef de cette nation à ses jeunes compa-
triotes , le discours du chef des Atakapas à M. de Bien-
ville , le passage que j'ai cité de l'Histoire naturelle et
morale des îles Antilles , toutes les réponses rapportées
par les écrivains divers de l'Europe ; enfin la tradition
verbale des Cayamos , n'annoncent pas que Gatcilasso
en ail imposé ( comme le prétend M. Paw ) , lorsqu'il
rapporte qu'il y avait ui^e académie a L'uzco , où les
professeurs connus sous le nom & Amantas , se ser-
vaient dans leurs leçons, delà langue sacrée-, ni que
l'idiome vulgaire fut si stérile et si pauvre de mots,
qu'il eut été impossible de traduire le jargon savant
par le jargon populaire -, puisque les historiens con-
viennent que les Péruviens faisaient des ouvrages en
SUR LA RELIGION DES ANCIENS EUROPEENS , elc. 34^
rers et en prose , et que Ton a conservé les hymnes
touchantes qu'ils chaulaient à la fête du soleil. Qu'ont
accorde si l'on peut ces faits avec les contradictions
palpables de M. Paw, qui se heurtent de front- quant
il moi , je reconnais mon insuuisan.ee.
CHAPITRE IL
Sur La Kelhnon des anciens Européens , Péru-
viens y Mexicains , etc.
Passons maintenant à l'examen de la religion des,
continents d'Europe et d'Amérique. Les nations no-^
mades qui erraient dans les vastes plaines qui sont au
nord de l'Europe et de l'Asie , avaient ( suivant Héro-
dote , Meipom. C. 54. ) pour principale divinité, la
Terre 1 dont ils tiraient leur substance pour eux et leurs
troupeaux. Ils lui donnaient pour époux Jupiter ou le
ciel , qui verse dans son sein les pluies qui la fécon-
dent. Dans toute la partie intérieure du nord de
l'Europe et dans sa partie occidentale, les peuples
connus sous le nom générique de Celtes , étaient des
barbares vivant de glands , de fruits sauvages et de
laitage, sans demeures fixes , sans lois, sans arts, tou-
jours en guerre les uns contre les autres , ne connais-
sant que le pillage et les incursions , obéissant aux
chefs qu'ils choisissaient pour les mener au combat et
partager le butin; pratiquant le prétendu droit d'es-
clavage, dominés par des Druides , piètres sanguinaires
imbus d'absurdes superstitions ; rendant ( comme l'ob-
serve très-bien Peloutier, tom. 5 , pag. 53 ) un culte
religieux au Jeu, à Veau, à Yair, à la terre , au soleil.
344 SUR LA RELIGION DES ANCIENS EUROPEENS,
a la lune , aux astres , à la voûte des cieux, aux
arbres et aux fontaines ; immolant des victimes hu-
maines, mangeant leurs prisonniers; rachetant par des
amendes la plupart des délits et le meurtre même; en
un mot, sans lettres et sans commerce.
Daniel Cornid rapporte que les Hongrois profes-
saient une religion assez semblable à celle des Perses ,
qu'ils n'avaient ni temples, ni images; mais qu'ils ado-
raient \efeu comme Dieu, et lui sacrifiaient des hommes.
L'histoire du Bas-Empire, tom. 4 , pag. 323, nous
apprend que les Huns adoraient le ciel et la terre ;
que leur chef prenait le titre de Tan fou, (fils du ciel. ).
Les Francs qui passèrent en Italie, sous la conduite
du roi Theudibert , immolaient ( suivant Procope ,
liv. 2, chap. 25.) les femmes et les enfans des Goths ,
et en jetaient les corps dans le fleuve le Pô , auquel
ils en faisaient offrande , comme des prémices de la
guerre. Quoiqu'ils eussent adopté la nouvelle forme du
culte solaire , ou le christianisme , ils avaient encore
garderies superstitions de l'ancien culte.
Les Illyriens , les Thessaliens , les peuples de Vis-
lande adoraient l'eau et les fleuves , et leur offraient
des victimes.
Agathias rapporte , que les Allemands rendaient
un culte aux arbres , aux bois sacrés , aux collines et
aux fleuves, et leur immolaient des chevaux.
Suivant Procope , les habitans de Thule et tousdes
Scandinaves plaçaient leurs divinités dans le firma-
ment , dans la terre , dans la mer , dans les fontaines ,
dans les eaux courantes. L' Angleterre ajoutait à ce
culte celui des forêts, des pierres et des idoles. On y-
entretenait le feu sacré dans le temple de Minerve,
PÉRUVIENS, MEXICAINS, etc. 345
et l'on immolait des victimes humaines, comme dans
les Gaules : ces deux pays étant malheureusement di-
rigés par des druides barbares.
Lors de la découverte du Nouveau-Monde, les Amé-
ricains , sans jamais avoir eu de communication avec le
reste du globe, avaient une teinture des arts et des
sciences ; ils les cultivaient plus par goût que par
besoin. Leurs bourgades , leurs villes et leurs planta-
tions attestaient les progrès qu'ils avaient faits dans
les arts , dans les sciences et dans la civilisation. Leurs
lumières étaient le fruit de leur génie naturel-, et ils
n'étaient pas redevables, comme les Européens, de
leurs connaissances et de leur civilisation , aux lumières
des Romains et des Grecs , qui les avaient eux-mêmes
empruntées de l'Ethiopie , de l'Egypte , de la Chal-
dée, de la Phénicie , de l'Inde et de la Tartarie.
Les Américains , frappés du spectacle des cieux ,
et des mouvemens réguliers des astres , trompés pafrle
témoignage de leurs sens ,1e seul auquel ils crussent ,
avaient le sentiment de l'existence de Dieu, non pas
en s'élevant à la manière des Newtons et des Socrates ,
par l'harmonie générale de ses ouvrages, mais en s'ar-
rêtant à ceux de ses bienfaits qui les intéressaient
le plus. Ainsi que Y Indien du Bengale -, qui adore le
Gange qui fertilise ses campagnes; le noir Iolof\
l'Océan qui rafraîchit ses rivages ; le Samoïède du
Nord, la Renne qui le nourrit; les îroquois et les
autres peuples du nord de l'Amérique , demandaient
aux esprits des lacs et des forêts , des pêches et des
chasses abondantes; ceux du midi , comme les Péru-
viens, adoraient l'être suprême sous la forme du soleil,
dont les Iucas se disaient fils , parce que cet astre vivi-
346 SUR LA RELIGION DES ANCIENS EUROPEENS ,
fiait et fructifiait la nature entière , et que le cief et
la terre ne leur offraient pas d'emblème plus éclatant
et plus digne de représenter la divinité. Cependant les
plus éclairés de la nation admettaient , comme je l'ai
déjà dit, uu être suprême créateur de toutes choses.
Les sauvages du nord de l'Amérique , répandus dans
les forêts, levaient leurs mains vers le ciel , vers le
soleil et la lune, tandis qu'au Pérou , on avait consacré
les images de ces astres dans de magnifiques temples ,
où l'or brillait de toutes paris , et qu'on avait donné au
culte tout l'appareil du cérémonial le plus.pompeux.
La lune était aussi dans la plus grande vénération
chez les Péruviens, qui lui donnaient le nom de Mère
universeilejils la reconnaissaient pourla mère des Inca?,
comme étant la femme et la sœur du soleil, leur père,;
ils adoraient aussi la belle planète de Vénus, l'astre le
plus brillant après le soleil et la lune. Les météores,
les éclairs, le tonnerre, qu'ils regardaient comme les
exécuteurs de la justice du ciel, avaient aussi leurs
autels. L'arc- en-ciel qui , par ses couleurs brillantes ,
subjugua l'admiration de tous les peuples, Iris, apr
pellée, chez les Giecs, la fille de l'admiration, y avait
aussi sa chapelle. Des vierges du sang royal, espèces de
vestales consacrées au culte du soleil, et renfermées
dans des cloîtres où les hommes ne pouvaient entrer,
fêtaient au nombre de plus de mille dans la seule ville
de Cusco; elles habitaient un vaste monastère près
du temple de TAstre-du-Jour.
Ce culte était certainement plus nob!e et moins
ïidicule que celui des Celtes qui adoraient des imagés
et des statues grossières , ouvrages de leurs mains ;
Que le culte du Koriac, qui dit à son fétiche ? en lui
PERUVIENS, MEXICAINS, etc. 347
immolant des chiens et des rennes : « Reçois nos dons-,
» mais envoie-nous ce que nous attendons de toi ;
Que celui de l'Ostiaque, qui , avant de frapper sa
victime, convient, avec son staorick, des conditions
du sacrifice, et qui, s'il est malheureux dans sa chasse,
frappe sa fétiche de verges, puis se réconcilie avec
elle ;
Que le culte des Nègres, qui vendent, brûlent
ou noyent les leurs quand ils en sont mécontens;
Que celui des habitans du Congo, qui livrent aux
flammes toutes leurs fétiches, lorsqu'elles ne les ga~
rautissent pas de la peste;
Que le culte du £,apon qui brûle le sien lorsque se$
rennes meurent;
Que celui des îles Sandwich dont les habitans sup-
priment les fêtes religieuses lorsque leurs divinités
laissent mourir leur roi ;
Enfin que celui des Napolitains qui, en 1793,
mirent eu jugement Saint-Janvier parce qu'il n'avait
pas repoussé l'aimée française.
On ne reproche qu'aux habitans de la baye d'Hud-
son , de tirer des coups de fu^il à leurs fétiches, lors-
qu'ils croient avoir à s'en plaindre.
Ne pourrait-on pas faire des reproches non moins
fondés à certains peuples civilisés.
Les Mexicains contemplaient le ciel, et lui don-
naient le nom de Créateur et d'Admirable; ils adc^-
raient le soleil, la lune, l'étoile du matin, la tvrrre,
la mer, le tonnerre, les éclairs et tous les météores;
ils avaient des temples , des prêtres, des statues hyé-
rogliphiques appuyées sur le serpent, assez semblable
au Sérapis égyptien; des fêtes, des sacrifices } et tout
348 SUR LA RELIGION DES ANCIENS EUROPEENS ,
l'appareil le plus pompeux du culte. Ils pensaient que
les gens de bien, ceux qui mouraient dans les ba-
tailles, et ceux qui, étant faits prisonniers, étaient
sacrifiés par les ennemis , passaient dans le Soleil, ou
dans un lieu qu'ils appelaient Maison du Soleil.
Les Florides adoraient cet astre dans une vaste
grotte du mont Olamj que la nature semblait avoir
décoré tout exprès de concrétions diverses, agréable-
ment disposées.
Les babitans de l'isthme de Panama n'avaient ni
temple , ni marques extérieures de culte; ils adoraient
le soleil et la lune. Il en était de même des peuples
de la Terre-Ferme ,du Brésil , des Caraïbes , qui recon-
naissaient deux esprits , le bon qui demeure au Ciel ,
et le méchant qui est répandu dans l'air.
Les naturels de Saint-Domingue faisaient des pè-
lerinages à une certaine grotte sacrée d'où ils faisaient
naître le soleil et la lune. Nous avons vu , par la
réponse d'un vieux Cacique de cette île à Chris-
tophe Colomb , qu'ils avaient quelques idées de la
vie à venir.
A l'instar des Troyens et des anciens Grecs , les
prêtres mexicains immolaient par fois des victimes
humaines , et se repaissaient de leur chair plus rare-
ment encore, croyant, par une vengeance aussi dé-
placée , appaiser les mânes de leurs guerriers qui
avaient péri dans les combats , et se concilier , par
cet absurde sacrifice, les mauvais esprits dont ils
avaient tout à craindre.
L'usage des Mexicains, d'engraisser, comme les
Hébreux, -un prisonnier dans le temple , pour en ser-
vir annuellement les membres sauglans aux plus ar-
PÉRUVIENS, MEXICAINS, etc. 34p
dens d'entre leurs dévots, était plutôt, comme- l'ob-
serve M. Paw, « une expiation légale dictée par le
» fanatisme le plus outré , qu'un moyen adopté pour
» sustenter la vie de ces enthousiastes. » L'opinion
commune est que l'on brûlait d'abord le cœur, en-
suite le corps de la victime ; qu'on en gardait le» cen-
dres à part, pour attester qu'on avait rempli les devoirs
de la religion.
Il y a peu de nations auxquelles on ne puisse repro-
cher d'avoir mangé des victimes humaines , et il n'en
n'existe pas une qui n'ait arrosé les autels de la divi-
nité du sang de ses semblables. Les Scythes , les Egyp-
tiens , les Chinois ^ les Indiens ? les Juifs > les Phéni-
ciens, \es Perses , les Grecs y les Carthaginois , les
Romains _, les arabes , les JSègres , les Espagnols 3
les Gaulois , les Bretons ? les Germains , les Suédois ,
et tous les babitans du nord de l'Europe , ont immolé
des hommes avec profusion. Quand ces peuples ont
cessé de manger leurs prisonniers, ils les ont offerts à
leurs dieux. C'est à cette occasion que les Latins ont
imaginé les mots ^hostie , hoste , ( hostie , hoste ou
ennemi) victus oryinctus , ( victime , vaincu , enchaîné,
lié.).
De nos jours, les Bhaltes , qui habitent la côte oc-
cidentale de Sumatra, lient à un poteau et étendent en
forme de croix de Saint-André , les criminels et les
prisonniers ; ils se précipitent sur eux en poussant des
cris affreux , et les expédient sur le champ à coups de
haches et de coufeaux • puis ils arrachent avec fureur
des lambeaux de chair des corps des patiens , les dé-
vorent sur la place après les avoir plongés dans un mé-
lange de jus de cit,ron et d'autres fruits. ( Cette atro-
350 SUR LA RELIGION DES ANCIENS EUROPEENS }
cité s'est faite en 1816 en présence de lord Moira,
gouverneur des Grandes-Indes. )
L'abbé Renaudot rapporte quJau 9e. siècle il y avait
encore des antropophages dans l'empire de la Chine r
et que les Arabes s'accordent à dire que les babitans
des provinces de Xandu et de (Joncha , mangeaient
leurs prisonniers -, les Chinois agiraient certainement
d'une manière plus digne de l'humanité , s'ils en-
voyaient le surplus de leur population établir des co-
lonies plutôt que d'étouffer chaque année 7 dans des
bassins d'eau chaude , plus de trente mille enfans
nouveaux-nés , pour ne pas les nourrir.
C'est par un sentiment de charité aussi déplorable ,
que les Onontagues au Darien , enterrent le jour même
qu'une mère vient d'expirer , les orphelins et orphe-
lines à la mamelle avec le corps de la mère , pour ?
disent-ils , les empêcher de mourir de faim et de
misère.
Si depuis l'amende de 200 sols à laquelle les lois
saliques sous Charlemagne , condamnaient les sorciers
qui mangeaient de la chair humaine , les Européens
ont cessé de manger des hommes , ils ont conservé la
coutume de prier le ciel de les préserver des démons ?
et de payer les prêtres pour les endormir par leurs
prières.
Les Aiakcrpas de la Lou:siane ayant promis dans
leur traité avec les Français de ne plus goûter de chair
humaine, ont mieux tenu leur parole que ne firent
jadis les Carthaginois , qui au mépris de l'engagement
solennel qu'ils avaient signé , de ne plus sacrifier des
enfans à Saturne , s'abandonnèrent de rechef à cette
épouvantable superstition»
PERUVIENS, MEXICAINS, etc. 35l
Combien d'Etats chrétiens en Europe , pourra-
t-on citer , qui puissent se flatter d'avoir observé
leurs traités aussi religieusement que les Atakapas ,
que les Guayqueries de la bande du Nord? Ces der-
niers, dit M. Humboldt, montrent avec orgueil aux
Européens la pointe de la galère , à cause du vaisseau
de Colomb qui était mouillé dans ces parages ; et le
port de Mançanillo , où ils jurèrent aux blancs , pour
la première fois en 1^98, cette amitié qu'ils n'ont ja-
mais trahie et qui leur a fait donner en stjle du palais
le titre de Fièles ( Fidèles ). (Voy. Aux. Reg. Equhu
du Nouv. Contin.)
Il y avait moins d'antropophages au Nouveau-
Monde que bien des personnes se l'imaginent. On n'y
a jamais connu que les Atakapas dont nous avons déjà
parlé , qu'une tribu parmi les Patagons du Midi -
dans le Brésil ; les Barbares , les Oragnates et les
Typayes ; dans la Guyane, les Gallibis et quelques
familles Caraïbes expulsées de leurs îles natales par
les Espagnols, et réfugiées à la côte du Continent,
entre l'Orénoque et le fleuve des Amazones. Ils t&-
gardent les Missionnaires comme des ennemis dange-
reux et opiniâtres, et les Espagnols comme les plus
cruels.
Antoine Biet , supérieur des prêtres Missionnaires
qui passèrent en i652 à Cayenne, a fait un rapport
plus avantageux de leurs mœurs et de leurs manières
de vivre. ( Voy. son Voy. de la Terre équin. , liv. 3
pag. 39o. )
Les Américains avaient encore de commun avec
presque tous les peuples de l'Univers , l'usage sangui-
naire et insensé d'ensevelir des personnes vivantes
352 SUR LA RELIGION DES ANCIENS EUROPEENS ,
avec les corps de leurs caciques ou chefs de famille f
avec cette différence cependant qu'on ne contraignait
pas ces infortunés , qu'ils venaient au contraire se pré-
senter d'eux-mêmes, pour l'honneur d'être enterrés
vivans , puisqu'on était souvent obligé de renvoyer
ceux qui excédaient le nombre prescrit par l'étiquette
de la cour pour les funérailles de Sa Majesté. ( Voyez
l'Histoire des lncas par Garcilasso , imprimée à Paris
en i^44. )
L'usage inhumain d'ensevelir des personnes vivantes
avec les morts , existait en Europe et dans tous les
pays où les Ases ou Scythes asiatiques se sont fixés.
L'Europe n'a été exempte de cette barbarie qu'au temps
de Jules-César.
Cet usage subsiste encore à la côte de Guinée et
dans quelques cantons de Y Asie méridionale ; à la
côte de Coromandel 7 on enterre les femmes vivantes,
et chaque assistant croit exercer un acte d'humanité en
jetant sur elles quelques paniers de sable.
Quant à la bizarrerie qui a rapport au deuil 7 et qui
consiste (chez les Tcharos du Paraguay; les Guaranos
et les Sauvages qui habitent à l'Occident de Parama-
ribo, que les Hollandais nomment Boken) à se couper
une phalange des doigts lorsqu'on perd son mari , sa
femme ou quelqu'un de ses proches; on la retrouve
parmi les CaJ/'res 7 chez ce peuple qui erre à la pointe
méridionale de l'Afrique , et que l'on nomme Hotten-
tots , si connu et si fameux par leurs mœurs et leurs
habitudes bizarres.
L'usage ridicule , mais moins sanguinaire des Bré-
siliens et de quelques peuples du Nord de l'Amérique,
où la femme , dès qu'elle est accouchée , n'a rien de
PÉRUVIENS, MEXICAINS, etc. 353
plus pressée , que d'aller servir son époux qui garde
alors le lit pendant plusieurs jours , est encore en vo-
gue en France même -, c'est ce qu'on appelle dans le
Béarn , faire la couvade. Il est vraisemblable que les
anciens Véaarniens , ou les Béarnais , ont puisé cette
étiquette en Espagne, où elle régnait principalement
du temps de Strabon. ( Mulieres , cum paperunt , suo
loco viros decumbere jubent7 eisque ministrant , liv.
III , p. iy4. ) Il Ta remarquée chez les Celtibériens;
3Iéla et Pline chez les Tibaréniens en Cappadoce • et
Diodore chez les Corses.
Aucun des peuples de l'Amérique n'a jamais in-
sulté les morts. L'Europe moderne nen peut pas
dire autant ; encore moins les anciens Romains , qui
laissèrent pendant trois jours aux Gémonies ( lieu qui
répond à la voirie) , le corps de Séjan , ministre et
favori de Tibère , exposé aux insuites du peuple
(Dion Cassius , in Tib.7 lib. 58 , édit. Reimar. )
Etienne VII arracha de la terre le pape Formose ,
son prédécesseur, lui trancha la tête, et fit jeter son
corps dans le Tibre. Un Concile fit exhumer le ca-
davre de WicklefT pour le maudire à la face de Dieu.
Araound Haschild fit ouvrir les pyramides d'Egypte
pour s'approprier les trésors qu'il supposait qu'on y
avait enfouis. Le révolutionnaire 3Iarat7 en 179^,
passa du Capitole aux Génomies ; du Panthéon de
Paris à l'égoût Montmartre.
On n'accusera pas non plus les Américains, comme
les anciens Mèdes , d'avoir jeté à un certain nombre
de forts dogues, les cadavres de leurs amis, de leurs
pères et de leurs parens ; de les avoir même fait dévo-
rer à l'article de la mort , sous prétexte de les soustraire
tome 2. 23
B 54 SUR LA RELIGION DES ANCIENS EUROPEENS ,
an déshonneur de mourir dans leur lit , ou à celui d'être
enseveli , parce qu'il est connu de tout le monde que les
habitans de l'Amérique, après avoir soigné les person-
nes qui leur sont chères, pendant leur maladie, arrosent
leur tombeaux de leurs larmes ; que les femmes de ces
mêmes Indiens, après leur avoir rendu, ainsi qu'à leurs
en fans , les honneurs delà sépulture, viennent tous les
jours, pendant plusieurs semaines , porter des alimens,
verser de leur sein quelques gouttes de lait sur leurs
tombeaux (Charievoix. Voy. d'Amérique ).
Les naturels du Nouveau-Monde ont tant de res-
pect pour les tombeaux de leurs ancêtres , qu'ils re-
gardent ces monumens comme les titres de possession
de la terre qu'ils habitent. « Ce pays est à nous , di-
» sent-ils , les os de nos pères y reposent, » Quand
ils sont forcés d'en sortir , ils les déterrent en pleu-
rant , et les. emportent avec le plus grand respect
( Histoire des Antilles ).
Les Américains n'ont jamais pratiqué la coutume
barbare d'offrir, sur un bûcher, des victimes humaines
en holocauste. Dans Y Inde 1 on place sur un bûcher,
les veuves qui n'ont point eu d'enfans, -et on les y
brûle avec le corps de leur mari défunt. Les druides ,
chez les Gaulois, les Bretons , et dans le nord de
l'Allemagne, brûlaient les victimes humaines dans des
paniers d'osier. Les prêtres modernes, dans certains
pays d'Europe , en ont fait des auto-dafés , et les
ont brûlés en grande pompe dans les places publiques.
Les liabitans du Nouveau-Monde, n'ont jamais eu
pour passe-temps, des combats de gladiateurs, de tau-
reaux de titres, d'ours ou autres bêtes féroces contre
des humir.es. Ils n'ont jamais imité X. Scilla (jui, le
PERUVIENS, MEXICAINS, étC. 355
premier, fit combattre dans le cirque , des lions eu
liberté (tandis qu'auparavant ils étaient attachés), et
coutre lesquels le roi Bocchus envoya des chasseurs
instruits dans l'art de les percera coups de traits. On
ne leur reprochera pas non plus, lorsqu'un gladiateur
portait la main sur la blessure qu'il avait reçue , quoi-
qu'en se tenant ferme , tandis que son adversaire
tournail les yeux vers les spectateurs pour savoir s'il
devait continuer à combattre • d'avoir fait signe, comme
le peuple romain, que ce n'était rien, et crié qu'ils
ne voulaient pas qu'on intercédât pour le blessé ( *5e-
jièque, sur la Constance ).
Les Américains les plus distingués Bar leur rang,
auraient cru se déshonorer , s'ils étaient descendus
dans l'arène , comme les sénateurs romains , pour y*
combattre en vils gladiateurs. Leurs femmes n'ont
jamais brigué, comme les dames romaines, l'infa-
mie de prendre part à ces combats cruels. Les Péru-
viens étaient incapables de forcer leurs prisonniers à
faire le métier de gladiateurs , comme ceux de ces
odieux vainqueurs du monde, désignés sous les noms
de Scutores y Thraces , JMyrmillones , Hyplomachi ,
Samnites , JEssedarii, qui combattaient dans des chars;
jtietîarii , avec des filets; Laqueariij avec des lacets ;
Andebales , gladiateurs qui combattaient les yeux
fermés-, Dimacchares , avec deux poignards ou épées;
Catervares , prisonniers ou esclaves qui se battaient
en troupe.
Le peuple péruvien ou mexicain n'était pas assez
perverti (lorsqu'il s'agissait de décider de la vie d'un
gladiateur qui avait montré de la faiblesse ou de la
timidité) , pour renverser le pouce (conyerso pollicé)^
a3..
356 SUR LA RELIGION DES ANCIENS EUROPEENS ,
et crier, (recipe ferrum) , reçois le fer. Plus humain
que le peuple de Rome, il eût fait périr celui qui eût
proposé des jeux aussi atroces; il n'eût point joui,
comme la multitude romaine, à la vue des victimes
immolées à ses plaisirs-, il n'eut point demandé à voir
leurs cadavres, pour s'assurer qu'ils étaient véritable-
ment égorgés. Il n'eût pas , comme elle, porté la main
dans leurs blessures, bu de leur sang, sous prétexte
que c'était un remède pour certaines maladies. ( Justi
Lipsii , Saturncdia, lib. n.)
Les empereurs du Pérou et du Mexique savaient
mieux que ceux de Rome, se choisir des amusemens
plus dignes d'eux et de l'humanité. Ils eussent rougi
d'entretenir des gladiateurs nommés Fiscales et Pos-
tularii , qu'on ne faisait paraître, à la prière du peuple,
que par une faveur particulière (Upton, JSotes sur
Arvien, pag. 97 . ) Jamais on ne leur reprochera , comme
à Constantin, d'avoir donné l'odieux spectacle de prin-
ces vaincus , forcés de combattre dans le Cirque, contre
des animaux féroces.
Les Péruviens et les Mexicains n'auraient jamais
imaginé, comme les Romains, de réserver une portion
de l'amphithéâtre ou de l'arène, appelée spoliare , où.
les gladiateurs s'habillaient et se déshabillaient, et où
Ton achevait ceux qui, ayant été grièvement blessés,
étaient jugés incapables de servir aux plaisirs cruels
de ce peuple. (SenÈque. )
D'après ce que l'on connaît de la religion des anciens
Péruviens , on peut avancer que leur culte admettait
le polythéisme, et n'était pas exempt de superstitions,
puisqu'indépendamment de ce dieu immortel , qu'ils
appelaient Pachacamac , et qu'ils adoraient sous l'em-
PÉRUVIENS , MEXICAINS , etc. 35^
blême radieux du Soleil ; ils rendaient leurs hommages
à des divinités subalternes , qui n'étaient vraisembla-
blement que des Saints dans le genre de .ceux des ca-
tholiques romains. Ils avaient, dit-on, un grand res-
pect pour des statues représentant des diables si con-
formes à ceux de l'ancien continent, qu'on s'y serait
mépris. Quoi qu'il en soit , leur religion renfermait ,
peut-être _, moins de contradictions et d'absurdités, que
celle de la plupart des autres peuples.
En adorant dans le Soleil, à l'instar des Perses,
l'image de cet être incompréhensible, la source de la
végétation et de l'existence des êtres de notre pla-
nète , ils étaient plus raisonnables que les Scan-
dinaves, qui s'étaient créé un dieu dans Odin ; que
les Celles et les Gaulois , qui sanctifiaient le gui, et
sacrifiaient au bruit des tambours, des petites filles et
des petits garçons, aux pieds à'IIésus et de Tentâtes ,
leur Jupiter, et à' Ogiiicus , leur Hercule; que les an-
ciens Germains qui adoraient un Jtrmînius , un Irmin-
suls j Frida , déifiaient V elléda , Lablira , Jelia ,
Gauna, lietlo , Siba y TTonda, Fréja , Aurinia , et
tant d'autres femmes et filles-, que les Allemands mo-
dernes, nommés Sioniles , qui révèrent une femme
ou fille , qu'ils honorent du titre de Mère de Sion ;
que les Africains qui se prosternent devant dés" cro-
codiles , des serpens , des fétiches, objets de leur
caprice , de leur crainte et de leur espérance ; des
dieux enfin , qu'on n'ose nommer; que les Égyptiens
qui déifiaient des oiseaux, des vaches , des crocodiles,
des serpens des rats, des insectes, des oignons , qu'ils
écrasaient tous les jours sous leurs pieds ; que les In-
diens orientaux, qui rendent hommage aux éléphans ?
358 SUR LÀ RELIGION DES ANCIENS EUROPEENS ,
et leur grimpent sur le dos, que les autres Indous , qui
n'ont de respect que pour la vache 3 dont ils ont sanc-
tifié la race, et qui permettent aux Européens d'ache-
ter et de manger leur dieu ; que les habit an s du
Gange, qui se laissent dévotement dévorer parleurs
crocodiles: que les Turcs, qui mettraient en pièces
celui qui aurait le malheur de regarder en leur pré-
sence, comme un conte ridicule, qu'Adam ayant été
créé dans ie Paradis, il toussa, et que la salive qui
sortit de sa bouche, fut, par ordre de Dieu, recueillie
par l'ange Gabriel, qui la versa dans le sein de la
sainte Vierge, où elle devint la vertu génératrice dont
J. C. fut conçu 5 enfin , que les Grecs , les Carthagi-
nois , les Koniains et d'autres peuples, qui ne voyaient
dans leurs dieux, que les ennemis du repos, de la
vertu et du bonheur de l'espèce humaine , et qui
crevaient que les dieux ne se mêlaient jamais des
hommes, sinon pour les châtier.
« JXoii esse curœ deis securilatem nostram , esse
ultionem. (Tacite.)
Le Péruvien , en attribuant la révélation à Manco-
Capac , avait cette croyance, de commun avec l'In-
dien, qui prétend que Brama est venu lui révéler le
culte qui lui plaisait; avec le Scandinave , qui en disait
autant du redoutable Odiu ,• avec le Chrétien, qui
croit que sa religion lui a été révélée par Dieu même.
Les AÎUhamons , comme les Chrétiens, ont leurs
Jxogations. ils font à ce sujet une très-grande fête au
mois de juillet, temps de leur récolte. Dans ce jour
solennel qu'ils passent sans manger, ijs allument pour
la médecine ou jonglerie, le feu nouveau-, après quoi,
ils se purgent ; et offrent à leur Manitou les prémices
PÉRUVIENS, MEXICAINS, etc. 35c>
de leurs fruits. Ils achèvent la journée eu danses de
religipn.
A l'équinoxe de mars, le prêtre péruvien , à l'aide
d'un miroir ardent, allumait tous les ans le feu sacré
avec les rayons du soleil, comme les vestales jadis le
rallumaient à Rome, le même joui", les Catholiques
ont adopté la même époque pour renouveler le feu des
lampes de leurs églises. L'on y célébrait anciennement
aussi la fête des Eaux à l'équinoxe de mars; l'église
romaine en a consacré la mémoire, par l'usage de l'eau
bénite qui se fait à la même époque. La fête des tor-
ches s'est perpétuée dans le cierge pascal.
Quelles réflexions n'inspirent pas la femme au ser-
pent, l'Eve des Aztèques, le Dieu de la guerre, la
Déesse de la volupté, le Soleil qui, sous le nom de
Tonattuh, est tantôt l'objet d'un culte, tantôt l'em-
blème du temps? A quelles conjectures ne donne
pas lieu cet oiseau qui rapporte à Coxcox (ou iSoe) le
rameau vert, signe du départ des eaux-, celte colombe
qui distribue des langues aux hommes nés après la
grande inondation j cette pvramide , autre tour de
Babel, qui demeure imparfaite et dont les audacieux
architectes, nouveaux Titans, sont foudroyés parles
dieux; le monument de Cliolula, le baptême des e;,~
fans nouveaux-nés, et plus encore que tout cela, cette
régénération attendue par les Mexicains sur la pro-
messe d'un deleurs législateurs, qui devait, après de
longues années, leur donner de nouvelles lois.
La Pâques des Mexicains , qui consistait à manger
un morceau de gâteau de mais, représentant la staiue
en grand du dieu Vitziliputzi , qu'on avait promenée
et encensée en procession, était moins ridicule que la
36o SUR LA RELIGION DES ANCIENS EUROPEENS ,
Pâques des anciens Gaulois qui , après avoir chanté
dans une forêt de la Beauce, aux environs de Chartres:
« Au gui, au gui, Tan neuf planté, planté, » ava-
laient avec dévotion , après plusieurs cérémonies reli-
gieuses, un morceau de pâte pétrie en forme de pain,
et une gorgée d'eau lustrale.
Cette procession des Mexicains valait Lien celle des
Druides, qui allaient, en grande cérémonie, ramasser
le gui avec beaucoup de respect. Elle prêtait bien
moins à rire, que de voir un Druide à longue barbe,
babillé en blanc, grimper sur un chêne ? sauter de
branche en branche, avec sa faucille d'or, pour couper
le gui , que ses confrères recevaient dans un sac blanc,
avec beaucoup de vénération.
La grande fête du Kamy _, que les Péruviens ,
après le solstice d'été , célébraient au mois de juin,
d'abord par un jeûne de trois jours, et ensuite par toutes
sortes de dévotions et de sacrifices, après avoir obtenu,
à l'aide d'un miroir eoncave, de la grosseur de la moi-
tié d'un orange, extrêmement luisant et poli, le feu
■nouveau du soleil, avec lequel le grand sacrificateur
allumait un peu de charpie faite de coton qui servait
à brûler les victimes et à rôtir les chèvres qui devaient
se manger ce jour-là^ et dont le principal acte de cette
solennité consistait sur-tout à manger le pain sacré ap-
pelé CancUy l'apprêt duquel exigeait beaucoup d'ob-
servances rigoureuses , puisque ce pain ne pouvait
être pétri, cuit et préservé de toute espèce de souil-
lure , que par des vierges dévouées au culte de Pacha-
camac, chargées de préparer aussi les liqueurs desti-
nées à l'usage des ïncas , après l'offrande qui en aurait
été laite sur l'autel, et que les prêtres , après avoir
PÉRUVIENS, MEXICAINS, etc. 36l
légèrement rougi ce pain de quelques gouttes de sang,
qu'ils tiraient, dit-on, du front et du nez des en fans
au-dessus de 5 ans , distribuaient à tous les assistans ,
qui le mangeaient en présence des idoles , des prêtres
et des Incas qui présidaient à cette solemnité, était
pour les Péruviens une communion sous les deux es--
pèces, comme chez les Chrétiens, celle du pain et du
vin.
Cette cérémonie était jdus raisonnable que celle des
peuples du Gévaudau , qui s'assemblaient tous les
ans , pour célébrer, pendant trois jours , la fête du mont
Helanus , dans les eaux duquel ils jetaient leurs of-
frandes, qui consistaient en pain, cire, étoffes, etc.
Les Mexicains et les Péruviens avaient quelques no-
tions de la spiritualité de l'ame; ils croyaient à la
résurrection des corps , mais ils ne prétendaient pas ,
comme les Chrétiens des premiers siècles , que les
dents des morts étaient des substances incorruptibles,
que Dieu se réservait, comme une espèce de graine
ou semence , pour faire régénérer les corps décompo-
sés par la putréfaction.
« Constat dentés incorruptos perenare , qui ut se^
» mina relinentur , Jiuctificantur corporis in resur-
» rectione. » (Tertullien. )
Ils n'avaient pas adopté cet absurde préjugé du
paganisme , qui était cause que les Romains ne brû-
laient pas le corps des enfans morts avant la pousse
des deuts , et qu'ils appelaient pour cela « Minores
« igné rogi. »
Plus sages que les Chrétiens pour la confession , les
Péruviens avaient laissé aux femmes la faculté de se
confesser à une personne de leur sexe. Les hommes
362 SUR LA RELIGION DES ANCIENS EUROPEENS ,
allaient volontairement et publiquement devant le juge
déclarer les fautes qu'ils avaient commises, et dont
personne n'avait connaissance ; mais ils ne se confes-
saient pas, comme le prétend le père Acosta, à des
prêtres nommés Ischusyres , tenant en main une petite
corde , et qui , pour accorder l'absolution au pénitent ,
prononçaient ces paroles : « Dieu m'a donné le pou-
» voir de rompre la cbaine de tes péchés, comme je
i> romps celte corde, » qu'ils cassaient au même ins-
tant par le milieu , ce qui absolvait le confessé. Ces
prêtres, pour les cas graves, ne référaient pas non
plus leurs pénitens à des Ischusvres plus élevés en
dignité.
Quant aux Incas , ils s'étaient soustraits d'un asser-
vissement semblable, en prétendant qu'en qualité de
rois, ils n'avaient de juge compétent que Dieu, et
qu'ils ne pouvaient se confesser qu'au Soleil-, aussi le
grand-pontife de Cuzco absolvait-il toujours d'avance
l'empereur et la famille impériale , lorsqu'ils avaient
envie de faire leur confession au ciel. Quand l'Inca
avait rempli cette formalité, il se baignait dans une
eau courante, et sitôt qu'il en sortait, il disait au
fleuve : « Reçois les pécbés que. j'ai confessés au Soleil,
» et porte-les dans la mer. a
Comme les Chrétiens, les Péruviens célébraient un
grand jubilé à la fin de chaque siècle; et à l'instar des
Juifs, certains peuples de l'Amérique pratiquaient la
circoncision-, mais ils ne s'étaient pas occupés, comme
les Hébreux, à mettre des herbes consacrées dans le
nez des démoniaques, pour en chasser les démons.
S'ils furent coupables, comme les autres peuples de
l'ancien continent ; d'avoir immolé, des hommes à la
péruviens, mexicains, etc. 363
dédicace de leurs temples, on ne leur reprochera pas
du moins d'avoir imité le premier citoyen de Rome ,
qui crut donner un spectacle mémorable, en inven-
tant une nouvelle manière de faire périr les hommes.
Ce n'étoit pas assez qu'ils combattissent les uns contre
les autres, qu'ils se taillassent en pièces, il fallait qu'ils
fussent écrasés sous l'énorme poids des éléphans. C'est
ainsi que Pompée fit la dédicace du temple de Vénus
Victorieuse ,• qu'il la consacra par le spectacle d'un
combat de 20 , ou selon d'autres , de 1 7 éléphans ,
contre des Gélules, qui leur lançaient de loin des jave-
lots.
ce Pompeii quoque altéra consulalu , dedicatione
a Veneris Viclricis } pugnavêre in circo viginii 7 aut ,
3) ut quidain^radunt , xvn, Gœtulis ex adverso ja-
» culaniibus.Si (Pli*., Natur. Hist. , lib. 8, cap. 7,
édit. Hardouin. )
Les Péruviens avaient leurs vestales , comme jadis
les Gaulois, les Bretons, les Suédois, les anciens Ba-
taves, les Germains, les Romains et les Européens
modernes, avec cette différence, que les vestales amé-
ricaines étaient des prêtresses ou des religieuses d'une
autre espèce que celles d'Europe, et qu'elles vivaient
dans le célibat le plus strict. Elles jouissaient d'une si
grande réputation, que les Indiens les consultaient
comme des oracles -, qu'ils labouraient gratuitement
leurs champs , les plantaient et les récoltaient pour
elles.
Cet excès de dévotion annonce une certaine socia-
bilité, une galanterie raffinée. Elle ne s'accorde pas
avec la paresse que M. Paw suppose à ces Indiens ;
avec les outrages qu'il dit k que ces indigènes faisaient
364 SUR LA RELIGION DES ANCIENS EUROPEENS ,
» à leurs épouses, au point de les forcer à se séparer
» de leurs maris , pour habiter des lieux déserts, et
» s'y sustenter de fruits sauvages et de gibier. »
Cette république femelle ne contredit pas non plus
l'existence des Amazones américaines, dont parle la
tradition des Indiens, le jésuite A u?na , le conqué-
rant Orellana y ni celle des autres peuples, certifiée
par Hérodote , Diodore de Sicile , Arien 9 Justin et
Çuint-Curce.
L'instinct moral repoussait du cœur des Américains,
le vice armé d'une autorité sacrée et descendant du
séjour éternel. Ils admiraient la continence de leurs
vestales , mais ils se seraient bien gardés de célébrer ,
comme les Romains et les Grecs , les débauclies d'un
Jupiter; d'adorer i'impudicité d'une jéânus; d'invo-
quer le dieu qui mutilait leurs pè. es. La sainte voix de
la nature l'emportait cbez eux sur cène de pareils
dieux, et il leur eût répugné de reléguer dans le ciel
le crime ave-; \es • oupables.
Les quipos coloriés des Péruviens étaient plus ingé-
nieusement imaginés que les hiéroglyphes monstrueux
des Egyptiens , qu'on a peine à concevoir , malgré
toutes les interprétations qu'on veut leur ^donner. La
langue sacrée du Pérou, le respect qu'ils avaient pour
la vertu , puisqu'ils n'épousaient que des filles vierges y
et qu'ils châtiaient avec la dernière rigueur celles qui
>e prostituaient: enfin le penchant secret et invincible
que les débris de ce peuple conservent , comme les
Hébreux au fond du cœur , pour les institutions reli-
gieuses de leurs ancêtres , démontrent que les Péru-
viens ne passaient pas leur vie sans penser, comme
on l'a dit,, et que leur cuite, à quelques supers-
PÉRUVIENS, MEXICAINS; etc. 365
titions près , n'était pas aussi monstrueux qu'on a bien
voulu le dépeindre. »
Au reste , ils avaient de commun avec tous les peu-
ples du monde d'avoir personnifié de la même façon,
sous lés mêmes emblèmes , des météores, et des catas-
trophes physiques , et comme les Egyptiens , les In-
dous y les Japonais , les Grecs , les IVorvégiens et les
Bretons , cl avoir métamorphosé en géans les phéno-
mènes terrestres et aériens, si toutefois l'abbé Pluche ,
que M. Paw cite page 3i4 du 1er. volume, ne s'est
pas trompé , lorsqu'il prétend que Briarée , mot grec
qui veut dire rohuste , doit signifier le déluge , parce
qu'en hébreu , il signifie la perte de la sérénité /
qu'othus , mot grec qui n'a aucune signification parti-
culière , doit signifier le dérangement des saisons y
parce qu'il a cette signification en hébreu ; que por-
phyrion , autre mot grec qui veut dire porphyre , doit
signifier tremblement de terre , parce qu'il a ce sens
en hébreu ; que le mot grec mimas , qui signifie en
grec imitateur , comédien , doit par suite du même
raisonnement, signifier grande pluie ,* qu'encelade 7
mot grec qui exprime le bruit, signifie selon Pluche,
la fontaine du temps ; qu'ephialtes , mot grec qui si'
gnifie sauteur , oppresseur , incube , ne doit exprimer
qu'un grand amas de nuées , et que deucalion signifie
X abaissement du soleil ^ ce qui, dit Voltaire, est aussi
bien prouvé que les autres acceptions.
Malgré tout , l'on est forcé d'avouer que la religion
des Amantas et des Ischusyres , n'était point surchar-
gée de superstitions, de légendes absurdes , de ces
dogmes qui insultent à la raison et à la nature , et
qu'on ne saurait comprendre. Ils se s'ont contentés d'à-
366 iTAT DES ARTS
dorer un dieu avec tous les sages de la terre , tandî*
qu'en Europe on se partage entre Thomas et Bona-
venlure , entre Calvin et Luther , entre Jansênius et
Mo lin a.
Que de maux les Européens n'ont-ils pas faits au
nom de ce même Dieu, que l'évangile annonce! c'est
lui que chaque nation particulière invoque pour ex-
terminer ses ernemis -, remercie à chaque bataille, et
c'est en son nom enfin , qu'on a détruit les paisibles
Américains.
CHAPITRE III.
JLtat des arts chez les Péruviens et les Mexi-
cains y lors de la découverte de V Amérique.
Que les Européens , à qui leur pays ingrat ne four-
nissait aucune de ces productions riches et précieuses
qu'offrent l'Asie et l'Amérique, aient été poussés par
la cupidité à faire des tentatives pour se les procurer ;
que par suite de la découverte du Nouveau-Monde ,
ils se soient emparés de la moitié Je notre planète ; cela
n'est pas étonnant , quoi qu'en dise M. Paw , puidqr.9
nous avons vu les Assyriens , les Verses , les Grecs , les
Tartares du nord , les Romains f les Sarrasins j les
Goths , les Vandales , etc* leur donner cet exemple ;
mais que l'intérêt et la curiosité n'aient pu engager
les Japonais , les Chinois , les Persans et les Turcs à
voyager en Amérique, cela n'est nullement surpre-
nant , puisque ces peuples possèdent une partie des
trésors du nouvel hémisphère, avec un climat à-peu-
près semblable.
CHE2 LES PERUVIENS ET LES MEXICAINS, etc. 0*67
" M. Paw ignore sans doute que c'est à la misère, à
la gêne, que les Européens sont redevables de leur
industrie et de leur esprit; que l'Espagne est le pays
de l'Europe où l'on trouve le plus de mendians et de
vagabonds; qu'il émigré annuellement de la Galice 7
60 ou 80,000 individus qui vont à Gênes , à Lisbonne ;
et sous le nom de Gallegos , sont . dans ce pays , ce
que sont les Savoyards à Paris. Cependant y a-t-il
rien de plus méprisable que d'entendre un mendiant
espagnol ou portugais , en guenilles , mourant de faim
et couvert de vermine , demander à un autre gueux
comme lui, si sa seigneurie a pris son chocolat? Sans
l'orgueil , la vanité et la prévention, que l'on pourrait
mieux alors apprécier les clioses !
Parce que, sans le fer et le cuivre , on ne peut guè-
res dans les pays du nord de l'Europe cultiver les ter-
res, et que les habitans de cette partie seraient alors
contraints de brouter l'herbe , et de se repaître de
glands , doit-on en conclure que cette règle est sans
exception , même pour la terre de l'Amérique , à la-
quelle le voisinage de la ligne donne une si grande
fertilité ?
Parce que les Chinois , connaissant déjà la castine
et le fer, du temps d' Yao, étaient dans leur âge de fer,
lorsque certains peuples d'occident n'étaient peut-être
encore que dans leur siècle d'or, c'est-à-dire , vivant
de glands de chêne , de mûres de ronces , de noisettes
de coudrier , de cornouilles , d'arbouses , de prunelles
acides , de petites poires sèches , et de quelques
misérables daucus , n'ayant pour tout vêtement
qu'une peau de bête fauve attachée sur l'épaule
avec une épine ; dira-t-on pour cela ? parce que les
368 ÉTAT DES ARTS
Péruviens ne connaissaient pas alors l'art de for-
ger le fer, comme les Européens du i5.« siècle,
« qu'ils étaient dénués d'esprit, d'intelligence; qu'ils
» n'avaient aucune idée des arts et des sciences ; qu'ils
» manquaient de mots nécessaires pour exprimer les
» notions morales et métaphysiques , et que le défaut
» de la monnaie attestait leur peu de progrès dans la
» législation et la police , m lorsque tant d'écrivains
ont prôné leur industrie , leurs arts 7 leur génie , leur
police, leurs lois, leur gouvernement et leur bonheur ?
lorsqu'il est avéré que les Espagnols ont brûlé et détruit
les ouvrages de ce peuple malheureux, croyant par là
justifier leur barbarie-, et que Sumarica , le premier
évêque de Mexico, a fait jeter au feu tous les tableaux
historiques qu'on avait pu déterrer dans le Mexique *
et parce qu'on a eu peine à déchiffrer le seul exem-
plaire qui était échappé des mains de ce prêtre fana-
tique , et qui renfermait l'histoire de tous les rois du
Mexique, dont le premier n'avait commencé à régner,
dit-on, que vers l'an i3c»i , de notre ère vulgaire , doit-
on en conclure que les Mexicains étaient des sauvages
complètement grossiers et ignorans ?
Ainsi les Tartares jadis détruisirent à plusieurs fois,
pendant leurs guerres, les bibliothèques formées par
les savans du Thibet ; ainsi un malheureux empereur
de la Chine ordonna à ses sujets , sous peine de la vie ,
de brûler tous les livres et tous les manuscrits qui
pouvaient servir à éclaircir l'histoire de notre globe. Ce
fut cette même frénésie qui occasionna, sous Jules-
César , l'incendie de la bibliothèque d'Alexandrie.
Ce fut l'intolérance ; du pape Grégoire , qui priva la
chrétienneté d'une partie désoeuvrés de Cicéron , fLe
CHEZ LES PERUVIENS ET LES MEXICAINS, etc. 36g
Tite-Live , de Corneille-Tacite. Ces persécutions
contre l'esprit humain , nous ont enlevé les poésies de
JMénandre , de Bion , NApollodore, d'Alcée, de
Philemon et de Sapho , dont les fragmens attestent
la perte inesiimable <jue nous avons faite ; c'est en-
core à l'obéissance aveugle des Missionnaires de la
Propagande , aux ordres de la cour de Rome , que
le monde littéraire peut s'en prendre , pour la des-
truction d'un grand nombre de livres trouvés an
Malabar. Il n'y a pas , jusqu'aux Juifs dont on
n'ait détruit les livres, et brûlé le dernier exemplair©
de l'ouvrage hébreu , intitulé : Toldos Jescut.
Quel est le peuple qui peut se flatter d'avoir une
chronologie vraie et ancienne? Les Chinois ne com-
mencent leur cycle sexagénaire qu'à l'empereur Iao y
2357 ans avant notre ère vulgaire : tout le temps qui
précède cette époque, est d'une. obscurité profonde.
JNous n'avons rien des Indiens ni des Perses-, presque
rien des Egyptiens. Les hommes se sont toujours conten-
tés de l'à-peu-près en tout genre; tous nos systèmes
inventés sur l'histoire de ces peuplés , se contredisent
autant que nos systèmes métaphysiques. Les olym-
piades des Grecs ne commencent que 728 ans avant
notre manière de compter. Tite-Live s'est bien gardé
de dire en quelle année Romulus commença son pré-
tendu règne. Il est prouvé que les a4o ans qu'on
attribue au sept premiers rois de Rome , sont le cal-
cul le plus faux, et que les quatre premiers siècles
de Rome sont absolument dénués de chronologie; enfin
des 80 systèmes de chronologie qui subsistent, il n'y
en a pas un de vrai, comme l'a démontré l'abbé de
Condillac. Cela n'empêche pas nos chronologistes.
TOME a. a4
370 état des aIits
modernes de fixer hardiment l'époque de l'origine de
toutes les nations, comme s'ils avaient lu tous les livres
et tous les manuscrits détruits à la Chine , au Mala-*
har , au Thibet, en Egypte et à Rome.
' Quand on observe que les Péruviens avaient com-
mencé par employer l'or, que de l'or ils étaient par-
venu à fondre l'argent; après ce métal, le cuivre;
et que du cuivre , auquel ils donnaient une dureté
égale à celle de l'acier le mieux trempé, ils étaient
parvenu à connaître le fer , sans pouvoir cependant le
forger comme les Européens modernes ; ces décou-
vertes , dis-je, annoncent qu'ils avaient fait des pro-
grès dans les arts, qu'ils étaient inférieurs dans la
science de la métallurgie , pour le fer seulement ,
aux nations policées de l'Europe; niais qu'ils leur
étaient supérieurs pour l'or, l'argent et la trempe du
cuivre, puisque l'Europe savante n'a pli , jusqu'à ce
jour, deviner le secret de donner au cuivre une trempe
pareille à celle que reçoit l'acier.
Parce qu'ils n'avaient pas de monnaie , et ne
connaissaient pas l'usage du fer, M. Paw lès traite
de sauvages. D'après cette manière de raisonner , les
Spartiates auraient été aussi des barbares ; lés Ro-
mains, pendant 4^4 ans , auraient été tels que les
sauvages d'Amérique; il en aurait été de même des
Numides, jusqu'au temps de Massinissa ; des Mos-
covites, jusqu'en i44o.
Si M. Paw avait joui de la vue des Cordillières et
de celle des monumens des peuples indigènes du Nou-
veau-Continent , il eut connu , comme M. Humboldf ,
quelques-unes de ces grandes scènes que présente la
nature dans les hautes chaînes des Andes; il se fut
CHEZ LES PÉRUVIENS ET LES MEXICAINS , etc. $M,;
éclairé sur l'ancienne civilisation des Américains , par
l'étude de leurs monumens d'architecture, de leurs
hiéroglyphes, de leur culte religieux et de leurs rê-
veries astrologiques. Les rives de fleuves américains
lui eussent parlé le même langage que celles de Y Eu-
phrate , du Nil et du Tibre ,• plus d'une fois, il eût
retrouvé, dans Je Pérou , dans le Mexique, quelques
traits de Y Inde, de l' Egypte , de YEtrurie ; parmi
les montagnes américaines, il eût rencontré des mo-
numens remarquables qui portent l'empreinte de la,
nature sauvage des Cordillières. M. Paw eût trouvé,
comme ce savant , l'occasion d'admirer et de décrire la
construction des Téocallis ou pyramides mexicaines ,
comparées à celles du temple àc.Belus; les A rabesques
qui couvrent les ruines de 3Iitla, des idoles en ba-
saltes ornées de la Calant ica , des têtes d'Isis , et un
nombre considérable de peintures symboliques repré-
sentant la Femme au Serpent , qui est Y Eve mexi-
caine , le déluge de Coxn.ox , et les preniières mi-
grations des peuples de race aztèque. Il n'eût pas
manqué de démontrer les analogies frappantes qu'offre
le calendrier des Toltèques, et les catastérismes de
leur zodiaque , avec les divisions du temps des peuples
Tartares ou Thibétains , de même que les tradition*
mexicaines sur les quatre régénérations du globe,
avec les Pralajas des Indous, et les quatre âges
d'Hésiode; de parler des peintures hiéroglyphiques
que M. Humboldt , depuis, a rapportées en Europe;
. des fragmens de tous les <manuscrits aztèques qui se
trouvent à Rome, à Vellétri, à Vienne et à Dresde :
,1e dernier rappelle, par des symboles linéaires, les
3; 2 ITAT 'DES ARTS
kouas des Ch in ois ( voy. Voyage de M. HumL. aux
rég. équin: du Nouv. Cent. )
TA' religion des Américains , l'existence delà ville
. de 31ejcico , qui contient encore, de nos jours , i4o,ooo
, amés, les palais éîégans de Montez u ma , les temples
que les Mexicains y avaient éiigés, le pont qui unit
cette ville à la terre ferme, et qr.i a plusieurs lieues
de long: l'existence de Cuzco , ancienne capitale de
"l'empire péruvien, qui offre encore une population
de 4o,ooo âmes; les monumens des anciens In cas ,
formés de grandes pierres irrégulières qui se joignent
parfaitement, et non pas à petites assises, comme
les édifices européens; les ruines du palais des Incas
et de plusieurs édifices publics-, celles du Temple
du Soleil , à la place duquel l'on a bâti un très-
beau cloître; la vaste masse du pays du Tihuanacu y
ancienne pyramide faite de mains d'hommes et de
pierres les plus grosses, partagées en différons étages;
les statues colossales de deux énormes géans, faites
en pierres, couvertes d'une draperie qui tombe jus-
qu'à terre , et dont la tête porte un espèce de bonnet
que le temps a fort endommagé ; une longue muraille
de pierres énormes; plusieurs restes d'édifices extraor-
dinaires, comme de vastes portes, des statues d'hommes
" d'une taille ordinaire, les unes ayant un vase en main,,
d'autres assises ou debout, d'autres ayant un enfant à
la mamelle , ou le tenant par la main , que la tra-
dition du pays dit avoir été changées en pierres pour
leurs péchés , et le plus étonnant de tous , une mai-
son creusée dans une seule roche que les habitans pré-
tendent avoir été faite par des sorciers, ainsi que
d'autres édifices; à ceux-là, j'ajouterai les pyramides
CHEZ LES PÉRUVIENS ET LES MEXICAINS, etc 373
du Mexique , celles d'Yucatan; les murs surprenans que
dom Ulîoa et quelques autres voyageurs ont trouvés
dans le Pérou ; les ruines à'Autun-Cannar, de Callo?
du palais de Cajambe , construits en pierres consid. -
râbles superposées sans aucun mortier ni ciment; celles
de Traguanaco , où le père Acosta a mesuré une
pierre de 38 pieds de long, sur- 18 de large et
6 d'épaisseur-, les vestiges de plusieurs autres villes et
bourgades; les cartes des côtes de l'empire du Mexi-
que , dessinées par le; Mexicains , et dont Montc-
zuma fît présent aux Espagnols-, le plan très-c; -
rieux- des environs de Mexico, que M. Humboldt
a remarqué parmi les manuscrits de Boturini , con-
servés au palais du vice-roi du Mexique ; les ta-
bleaux élégans que les Mexicains variaient si artis-
tement avec des plumes d'oiseaux, et, qu'à leur ins-
tar, les Européens se sont efforcés d'imiter-, leurs roues
séculaires , moins imparfaites que les almanachs dont
on se servait en Europe du temps des Gotlis , et qu'on
imprime encore aujourd'hui dans quelques provinces ,
à l'usage de ceux qui ne savent ni lire, ni écrire : les
jours de travail y étant désignés par des points noirs,
les 'dimanches et les fêtes par des points rouge.;,
et les rêves des astrologues par des emblèmes. Le
grand Jubilé, que les Péruviens célébraient à la
fin de chaque siècle -, leurs haches de pierre à'agathe
pure et de cuivre péruvien, égales au moins à celles
des anciens Grecs et Romains, l'élégance de leurs sta-
tues, de leurs vases , de leurs gobelets pour boire la
chic a ; Y art avec lequel ils exploitaient les mines d'or,
fondaient ce métal , perçaient les éméraudes; enchâs-
saient les saphirs 3 les formes curieuses qu'ils don-
37^ ETAT DES ARTS
naient aux métaux , à leurs vases façonnés, sculptés
en relief; les broderies riches et rares qu'ils Faisaient;
les étoffes tissues en coton et en laine de Lamas et de
Vigognes, dont ils fabriquaient des vêtemens couverts
de petits grains d'or, plus fins que la semence des'
perles , dont le travail surpassait l'imagination des or-
fèvres de Séville ; les étoffes qu'ils faisaient avec des
fîlamens qu'ils tiraient de l'écorce de certains arbres ;
la pierre des Incas , et la pierre de Gallinace , qu'ils
savaient convertir en miroirs ; V adresse avec laquelle
ils détachaient de grands éclats de rochers , dont ils
employaient dans leurs édifices des morceaux qui pe-
saient jusqu'à trente milliers , comme on en a vu dans
la forteresse de Cuzco ; leur talent à creuser des ca-
naux courbes et réguliers dans l'épaisseur d'un granit ;
les routes percées à travers 5oo lieues de montagnes
coupées par des rochers , des vallées et des précipices ;
leurs pcnls en cordes et en liane -, la médecine , qu'ils
pratiquaient comme lesTSuropéëns; l'astronomie , dont
leurs amantas avaient quelques idées -, la préparatioiL
nutritive du chocolat pur ou à la vanille , dont les
Mexicains sont les premiers inventeurs, et qu'ils fouet-
taient avec une cuillère d'or pour le faire mousser ;
'V industrie des femmes Illinoises a filer le poil de
bœuf en fil si fin , qu'on le prend pour de la soie ; à en
faire des étoiles teintes en rouge, en jaune, en noir,
et dont elles font des habits cousus avec des nerfs de
chevreuil ou d'autres animaux; les téocallis , les cos-
tumes des Floridiens *, Yexpédient extraordinaire dont
parle Champlaiu, des sauvages du Canada, qui n'ayant
"pas de marmites en fer avant 'l'arrivée des Européens y
faisaient bouillir des bœufs entiers dans des marmites
CHEZ LES PÉRUVIENS ET LES MEXICAINS , etc. 3" 5
de bois, qui contenaient souvent plusieurs muids d'eau -7
la fabrication de la poterie , par les Indiennes de Ma-
niquarez , qui suivent encore la méthode employée
avant la conquête-, Y art avec laquelle ces femmes
façonnaient des vases de deux et trois pieds de diamè-
tre, et dont la courbure est très -régulière. A défaut de
fours , elles placent des broussailles de desmantbus, de
cassia et de capparis, autour des pots , et leur donnent
la cuite à l'air; les débris de fayence aztèque, qu'on
trouve dans les provinces internes du nouveau Mexique ;
enfin l 'hospitalité que les Américains exerçaient et
exercent encore sans aucune rétribution ; tous ces faits
prouvent que ces peuples étaient plus policés que
M. Paw les a représentés.
Quand il est avéré que les Mexicains s'amusaient à
faire des tableaux et des manteaux ingénieux avec
des plumes d'oiseaux: de diverses couleurs; que les
Chiliens brodaient des étoiles avec goût; que les Pé-
ruviens, en tissaient d'étonnantes en coton, en laine, en
filamens d'arbres, et les Illinoises , en poils de bœuf
qui imitaient la soie; que les Caraïbes faisaient de
jolis paniers en jonc de plusieurs nuances; qu'ils ti-
raient adroitement la pulpe des courges, pour s'en
servir en guise de bouteilles ; que les Florides se fai-
saient des canots de troncs d'arbres, qui portaient jus-
qu'à 3o hommes, avec lesquels ils allaient aux îles de
Cube et de Bahame ; que les sauvages du Canada se
servaient de marmites en bois, et que les Péruviens
faisaient des vases et des statues, que les curieux
d'Europe ont jugé dignes d'orner leurs cabinets; doit-
on conclure, comme M- PaAV : « Que les Américains
m n'étaient que des sauvages et des ignorans, a par<«?
3^6 ÉTAT DES ARTS
que les tableaux des Mexicains n'égalaient pas ceux
du Titien, de Rubens , ou tout au moins de Paul
"P eronè se , parce que les broderies des Chiliens n'é-
taient pas, suivant le même auteur, comparables à
celles du célèbre Frumeau , et que les ouvrages des
Caraïbes , ceux des autres peuples de l'Amérique , et
les sculptures des Péruviens n'égalaient pas les ou-
vrages des artistes les plus babiles de France et d'Italie ?
N'est-il pas étrange qu'on mette en parallèle des
tableaux qui n'ont aucun rapport entreux, puisque
ceux des Mexicains sont en hiéroglyphes , ou en plu-
mes représentant des paysages, des oiseaux, des fleurs;
quelques-uns peut-être ayant trait à l'histoire de leur
pays, et que les tableaux des peintres italiens sont a
l'huile , représentant des modèles de religion et des
traits historiques de divers pays? Si M. Paw conclut
que les Mexicains , les Péruviens et les Chiliens sont
des bêtes brutes , parce que leurs ouvrages n'appro-
chent pas de ceux des premiers artistes fiançais et
italiens, ne pourrait-on pas conclure par la même rai-
son, que les Allemands, les Prussiens , les Danois,
les Suédois , les Polonais , les Russes , les Espagnols ,
les Portugais et les Turcs , ne sont que des sauvages
et des ignorans, parce que leurs peintures et leurs
broderies n'égalent pas celles des Italiens et des Fran-
çais; et que les Orientaux, les Chinois , les Japonais
sont aussi des sauvages , parce qu'ils ne savent pas
encore dessiner correctement ?
Il me semble que M. Paw, pour rendre sa compa-
raison plus juste, aurait dû commencer par nous mon-
trer les ouvrages des babitans de l'Europe avant leur
Civilisation ; ensuite les progrès qu'ils ont faits, pour
CHEZ LES PÉRUVIENS ET LES MEXICAINS , ete. $77
nous convaincre qu'ils étaient purement le fruit de
leur génie naturel , et non pas se prévaloir de quelques
exceptions, pour généraliser et en conclure que 1 Eu-
rope en cela remporte sur le Nouveau-Monde. Car,
enfin, si les sauvages du nord de l'Amérique , sans avoir
jamais communiqué avec aucun peuple policé de l'an-
cien hémisphère, savaient graver sur des écorces d'ar-
bres , des figures de castors , de tortues, de renards et
autres bêtes , comme autant d'emblèmes qui servaient
à distinguer les hordes, et que des Européens instruits
aient été très-étonnés de voir que les Améiicains du
nord eussent de ces espèces d'armoiries ; cela prouve
que les peuples du nord de l'Amérique étaient moins
barbares dans cette partie, que les Gaulois qui prirent
pour des crapauds, les abeilles queles premiers Francs ,
lors de leur invasion en Grèce, portaient sur eux en
forme d'armoiries, ou que les premiers Francs , si leurs
abeilles avaient des formes si baroques, que les Gau-
lois les prirent pour des crapauds. C'est cependant de
de cette grossière allusion, qu'est venu l'usage des
armoiries en Europe !
Quoi qu'on en dise, les Mexicains , à l'aide de
leurs hiéroglyphes, avaient leur histoire exactement
tracée depuis leur enirée dans le Mexique, jusqu'au
temps où les Européens vinrent en faire la conquête ;
et cette histoire renfermait leurs lois, les réglemens
de leur police, les d.éîails de leur gouvernement.
Comment M. Paw, qui sait qu'au commencement
de la conquête , \m> moines ont brûle les peintures hlé~
rogtyphiques , par lesquelles les connaissances de tout
genre se transmettaient oe génération en génération;
que les Espagnols ont fait périr les Indiens les pl'is
3*8 ÉTAT DITS ARTS
éclairés, et surtout les Tèopixqui , ou ministres delà
Divinité; tous ceux qui habitaient les téocallis , ou les
maisons de Dieu, et que l'on pouvait considérer comme
dépositaires des connaissances historiques, mytholo-
giques et astronomiques du pays , car c'étaient les
prêtres qui observaient l'ombre méridienne aux Gno~
nions , et qui réglaient les intercallations j comment
M. Paw, qui savait que, privé de ces moyens d'ins-
truction , le peuple était retombé dans une ignorance
d'autant plus profonde, que les missionnaires peu ver-
sés dans les langues mexicaines , substituaient peij.
d'idées nouvelles aux idées anciennes ; que le mépris
dont les Espagnols accablaient les Indiens, était tel,
qu'ils les avaient réduits à servir comme de bêtes de
Somme -, que cette foule de mendians qui remplissaient
déjà, du temps deCortez , les rues de toutes les gran-
des villes de l'empire mexicain, attestaient l'imper-
fection des institutions sociales et le joug de la féoda-
lité-, comment cet écrivain , dis- je , n'a-t-il pas rougi
de juger d'après ces restes misérables, d'un peuple
puissant, et du degré de culture auquel il s'était élevé
depuis le i2.e jusqu'au i6.'e siècle et du développe-
ment intellectuel dont il est susceptible?
Si, après un système de gouvernement semblable à
celui ci-dessus , il ne restait un jour de la nation fran-
çaise ou allemande que les pauvres agriculteurs, lirait^
en sur leurs traits qu'ils appartenaient à des peuples
qui ont produit les Descartes, les Clairaut, les Kepler
et les Leibnitz ?
L'Amérique méridionale , outre les traces de culture
<et de civilisation du gouvernement des Tohèques ,
a'oiïre-t-elle pas des formes de gouvememens théocra-
CHEZ LES PÉRUVIENS ET LES MEXICAINS , etc. 879
tiques , tels que ceux de Zaque j qui embrassaient le
royaume de la Nouvelle-Grenade, fondé par Idacan~
zas oti Bochica , personnage mystérieux, qui, d'après
les traditions de Mozcas , vécut dans le temple du
Soleil à Sogamozo pendant deux mille ans ; le gou-
vernement théocratique de Bogota (l'ancienne Cun*
dinamarca) et celui de Tinca du Pérou, deux empire j
étendus , dans lesquels le despotisme se cachait sous les
apparences d'un régime doux et patriarchal? Tandis
qu'au Mexique de petites peuplades , lassées de la
tyrannie , s'étaient donné des constitutions républi-
caines. L 'existence des républiques, n'indique pas une
civilisation très-récente.
Quand on réfléchit sur le soin avec lequel les livres
hiéroglyphiques furent composés sur les manuscrits
aztèques, qui sont écrits ou sur du papier agave, ou
sur des peaux de cerfs , qui ont souvent 60 à 70 pieds
de long, dont chaque page a cent à cent cinquante
pouces carrés •, qui sont plies çà et là , en losange, avec
des planches de bois très-mince, attachées aux extré-
mités, qui en forment la reliure et leur donnent de kr
ressemblance avec nos livres in-'k.o , indépendamment
des autres livres de peintures aztèques , composés
avec les mômes signes, mais en forme de tapisserie de
60 pieds carrés, tels que M. Humboldt en a vus dans
les archives de la vice-royauté à Mexico-, quand 011
se rappelle qu'un Indien, citoyen de Tlascala, au
milieu du bruit des armes , profita de la facilité que
lui offrait l'alphabet romain , pour écrire dans sa langue
cinq gros volumes sur l'histoire d'une patrie dont 41
déplorait l'asservissement-, peut-on douter qu'une par-
tie de la nation mexicaine ne fût parvenue à un certain
38o ETAT DES ARTS
degré de culture et de civilisation? Cortez ne sut-il pas
profiter adroitement d'une tradition populaire d'après
laquelle les Espagnols n'étaient que les descendans
du roi Qaetzalcoatl , qui avait passé du Mexique à
' des pays situés à l'est, pour y porter-la- culture et les
lois? Les livres rituels, que les Indiens composèrent
en caractères hiéroglyphiques, au commencement de
la conquête, ne démontrent-ils pas évidemment qu'à
cette époque le christianisme se confondait avec la
mythologie mexicaine; le Saint-Esprit s'identifiait avec
l'aigle sacré des Aztèques ?
Six grandes routes traversaient la Cordillière , qui
borne la vallée de Mexico, ou de Tenochtitlan, située
au centre de la Cordillière d'Anachuac , sur le dos des
montagnes porphyritiques et d'amygdaloïde basalti-
que qui se prolongent au .sud-est, au nord-ouest. Celte
vallée, d'une forme ovale, a 244 lieues et demie
carrées, dont les lacs n'occupent que 11 lieues carrées,
.ce qui n'est pas tout-à-fait un dixième de toute sa sur-
face. Sa hauteur moyenne est de 3ooo mètres au-des-
sus du niveau de l'Océan. Ces routes s'étendaient de
l'Atlantiaue à la mer du Sud, à travers un nombre
x. 7
infini de petits royaumes. (Humb., Essai polit, sur la
?\ouv.-Espag. )
Quand M. Paw, pages 1 1 8 et 1 19 du second vol. de
ses Recherches sur les Américains, avance que le cli-
x mat de l'Amérique fait dégénérer la nature humai-
ne, au peint qu'on a aperçu, quelque dérangement
» dans les créoles nés dans ce pays, de parens originai-
» res d'Europe ; que les créoles de la 4.e et 5.e géné-
» râlions, ont moins de génie, moins de capacité pour
CHEZ LES PÉRUVIENS ET LES MEXICÀ INS , etc. 38 1
* les sciences, que les vrais Européens ; » et page 1 36
du second volume, « que les Européens qui vont s'é-
» tablir dans ce pays, y dégénèrent aussi. » Je me
contenterai pour toute réponse, de faire observer à ce
judicieux écrivain :
Que c'est aux Etats-Unis de l'Amérique du nord
que l'Europe doit le planétaire , le fourneau , et l'ins-
trument pour prendre le niveau de Rittenhouse , le
conducteur électrique /la cheminée _, et la machine
électrique, négative et positive, de Franklin, le cadran.
de Godfiej } connu sous le nom de cadran de Hadlej ;
le bateau qui , sans rame ni voile, fait 5 , 6 et 7 milles
par heure, contre le vent , le courant et la marée ,
dont Ramsey et Ficht se disputent l'invention, que
Fulton a perfectionné avant sa mort , qu'on vient de
faire connaître à toute l'Europe , et que l'on voit ac-
tuellement dans la Seine; la baguette de pendule de
Leslie ; le bateau pour la pêche de la baleine , appelé
le bateau de la Nouvelle- Angleterre ,• la machine de
Salsom , pour couper les doux; une nouvelle cons-
truction de navire; de nouveaux moulins à farine ; une
nouvelle machine pour tirer le fil-de-fer, et d'autres
métaux; la charrette de Philadelphie, avec un plan
incliné; les machines de Mus s en , pour éteindre le
feu; une manière de monter les horloges, par le vent
et par l'air, de Flanks-, la machine d 'Anderson , pour
battre le bled , et plusieurs autres machines à l'usage
des manufactures , pour carder, filer ' , vanner, etc. ,
le bateau-poisson de Fuldham , qui navigue aujour-
d'hui paisiblement sous l'eau ; les bateaux à explosion,
ou torpilles , de M. Mix , pour faire sauter les vais-
382 ÉTA T DES A RTS
seaux à l'ancre ou à îa voile-, la redoutable frégate k
vapeur , que le génie américain a inventé en 181 5 \ les
Jusées à ressort , de M. Fleath , qui vont 5oo verges
plus loin que celles à la Congrève^ les ouvrages de
l'immortel Washington , la police admirable des Etats-
Unis, la propreté de leurs villes, de leurs édifices,
^eurs découvertes importantes en typographie, etc. , etc.
On saura encore qu'on a observé que lorsqu'un
Indien parvient à un certaiii degré de culture, il mon-
tre une grande facilité d'apprendre, un esprit juste,
une logique naturelle, un penchant particulier à sub-
tiliser ou à saisir les différences les plus fines desobjets
k comparer , et qu'il raisonne froidement et avec ordre.
La musique et la danse des indigènes , dit M. Hum-
■boldt , se ressentent du manque de gaîté dont Tasser-
-vissement les prive. Les Mexicains ont conservé un
«goût particulier pour la peinture , et pour l'art de
•sculpter en pierre et en bois. Ils exécutent avec un
mauvais couteau, et sur les bois les plus durs, des
-images , des statues, que bien des ouvriers européens
•auraient peine à faire avec de bons instrumens et des
.outils bien tranchans. Ils ont conservé le même goût
pour les fleurs , que Cortez leur trouvait de son temps.
:Au grand marché de Mexico , le natif ne vend pas de
pêche , pas d'ananas , pas de légumes , pas de pulque
(jus fermenté de l'agave) , sans que. sa boutique, et ses
paniers ne soient ornés , avec art , de fleurs qui se re-
nouvellent tous les jours.
Aux insinuations méprisables et aux assertions dé-
placées de M. Paw , j'opposerai les observations sui-
-vantes de M. Humboldt.
L'étude des mathématiques ; de la chimie , de la mi-
CHEZ LES PERUVIENS ET LES MEXICAINS , etc. 383
néralogie , de la botanique , est plus répandue à Mexi~
co , kSaitta Eé, à Linia , à Quito , à Popajan et aux
Caraccas , qu'à la Havane même , malgré les efforts
de la Société patriotique de Cuba, qui encourage les
sciences avec le zèle le plus généreux. Partout , on ob-
serve un grand mouvement intellectuel , une jeunesse
douée d'une rare facilité pour saisir les principes des
sciences. On prétend que cette facilité est plus remar-
quable encore chez les liabitans de Quito et de Lima ,
qu'à Mexico et à Santa Fé. Les premiers paraissent
jouir d'une plus grande mobilité d'esprit, d'une ima-
gination plus vive j tandis que les Mexicains et les na-
tifs de Santa Fé ont la réputation d'être plus persévérans
à cqiitinuer les études auxquelles ils ont commencé à
se vouer.
Quant à l'orfèvrerie, et ce qui concerne les arts mé-
caniques et d'agrément , voyez ce que j'en ai dit à l'aiv
ticle Mexique , pages 287 du fci&fcqb , et aéo du 2.d
Aucune ville du nouveau Continent, ^ans en excepter
celles des Etats-Unis, n'offre dos établissemens scien-
tifiques aussi grands et aussi solides que la capitale du
Mexique. On y remarque V Ecole* des mines , dirigée
par le savant d'Elciihyar ; le -Jardin des plantes, et
l'Académie de Peinture et Ae Sculpture 7 dans laquelle
on trouve une collection de plâtres plus belle et plus
complète que dans aucune partie d'Allemagne. On est
surpris de trouver dans un plateau qui surpasse la hau-
teur du couvent du grand Saint-Bernard, Y Apollon
du Belvédère , le Laocoon , et des statues plus colôs-
Sales encore. C'est sur-tout dans l'ordonnance des bâ-
timens, dans la perfection avec laquelle on exécutera
coupe des pierres-, les ornemeus des chapiteaux, las
3.84? ETAT DES ARTS
reliefs en sîuc , que le goût américain se montre. Le*
beaux édifices que l'on voit à Mexico, et même dans
les villes de provinces , à Guanaxuato et à Queretario,
pourraient figurer dans les plus belles rues de Paris ,
de Berlin y ou de Pétersbourg. La statue équestre de
Charles IV 7 que M. Toisa , professeur de sculpture
à Mexico , est parvenu à y fondre , est un ouvrage qui ,
à l'exception du Marc-Aurèle a Rome, surpasse
,en beauté et en pureté de style, tout ce qui est resté
de ce genre en Europe.
Le superbe jardin botanique qui est dans l'enceinte
même du palais du vice-roi , renferme des production*
végétales rares ou intéressantes , des herbiers pré-
cieux, et une riche collection de minéraux mexicains.
Le professeur Cervantes y lait annuellement ses cours,
-qui sont très-suivis. M. Echeveria , peintre de plantes
-et d'animaux , dont les travaux peuvent rivaliser avec
ce que l'Europe a produit de plus parfait en ce genre,
sont deux natifs du Mexique.
Un voyageur européen, dit M. Humholdt lui-même,
serait surpris sans doute de rencontrer sur les confins
de! la Californie, de jeunes Mexicains qui raisonnent
jsur la décomposition de l'eau , dans le procédé de
l'amalgation à l'air libre, lé1 Ecole des JMines renferme
un laboratoire de chimie , une collection géologique
rangée d'après le système de Tferner\ un cabinet de
physique dans lequel on trouve non-seulement des
instrumens précieux de Hamsden , d'Adam s , de
Lenoir et de Louis Berthoud , mais aussi des modèlçs
exécutés dans Mexico même, avec la plus grande pré-
cision et avec les plus beaux bois du pays. C'est dans
cette capitale qu'a été imprimé le meilleur oiwroge
CHEZ LES PÉRUVIENS ET LES MEXICAINS , etc. 385
mincralogique que possède la littérature espagnole ;
le Manuel d' Orjctognosie , rédigé par M. del Rio ,
d'après les principes de l'école de Freiberg , la pre-
mière traduction espagnole des Elémens de Chimie de
Lavoisier ; dans l'école des Mines , on instruit les
jeunes gens dans le calcul intégral et différentiel.
Dans l'Astronomie , dont le goût est assez ancien au
Mexique , trois nommes distingués , T^élasquez , Gama,
et Alzate , ont illustré leur patrie vers la fin du der-
nier siècle ; tous les trois ont fait un grand nombre
d'observations astronomiques, sur-tout des éclipses des
satellites de Jupiter. Le moins savant d'eux, Alzate ,
était le correspondant de l'Académie des arts et des
sciences à Paris.
Le géomètre le plus marquant que la Nouvelle -Es-
pagne ait eu depuis l'époque de Siguenza , était dont
Joachim P elasquez Cardenas J. Léon , qui fut ins-
truit par un indien , nommé Manuel Azentzio , bomme
de beaucoup d'esprit naturel, et très-versé dans la
connaissance de l'Histoire de la Mythologie mexicaine.
Velasquez observa le premier , que dans toutes les
cartes depuis des siècles, par une erreur de longitude,
la Californie avait été marquée de plusieurs degrés
plus à l'ouest qu'elle ne l'est effectivement. Ayant dé-
terminé la position de Sainte-Anne , village indien ,
où il s'était fait construire un observatoire en planches
de mimosa, il apprit à l'abbé Chappe , qui venait dV
arriver , que l'éclipsé de lune du 18 juin 1769 , serait
visible en Californie. Le géomètre français douta de
l'assertion , jusqu'à ce que l'éclipsé annoncée eût lieu.
Il fit lui seul , le 3 juin 1769, une très-bonne obser-
tome 2. a5
386 ÉTAT DES ARTS
ration du passage de Vénus ; il en communiqna le ré-
sultat , le lendemain même du passage , à l'abbé Chappe
et aux astronomes espagnols dom P^icente JDoz et
dom Salvador de Médina. Le voyageur français fut
surpris de Fliarmonie que présenta l'observation de
Velasquez avec la sienne. Il s'étonna sans doute de
rencontrer en Californie un mexicain qui, sans appar-
tenir à aucune académie , et sans jamais être sorti de
la Nouvelle-Espagne , en faisait autant que les aca-
démiciens. En 1773 , il exécuta le grand travail géo-
désique , dont on voit quelques résultats dans l'analyse
de l'Atlas mexicain de M. Humboldt. C'est cependant
à là même époque , que M. I?aw assurait , avec sa
légèreté ordinaire , que le climat opérait des déran-
geméns dans les facultés des créoles , nés dans ce
pays, de pafens originaires d'Europe.
Ganlâ , l'ami de VelasqUez , publia plusieurs me
moirés qui annoncent «ne grande justesse dans les
idées , et de là précision dans les observations sur des
éclipsés de lune, sur les satellites de Jupiter, sur
l'Almanach et la Chronologie des anciens mexicains ,
et sur le climat de la NoUveile-Espagne.
té marquis de san Christobal , autrement M. Te-
téros , nom sous lequel ce savant modeste est connu
en France , s'est distingué à Paris par ses connaissances
en physique et eii physiologie.
Le péruvien dom Juan dé Acuna , homme désin-
téressé et bon administrateur, ne dut qu'à son mérite
l'élévation âù rang de marquis de Casa Fuente et de
Mce-roi du Mexique.
Dom, Pedro Nuno , mexicain 7 fut redevable à ses
CHEZ LES PERUVIENS ET LES MEXICAINS, etc. 38;
vertus et à ses lalens , des titres de duc de Veragua
et de vice-roi du Mexique,
Ces détails sur l'état des sciences au. Mexique , et
Sur le méiite littéraire de trois savans mexicains, doi-
vent prouver , à tout homme impartial, que l'igno-
rance , dont l'orgueil européen se plaît à accuser les
créoles , n'est pas L'effet du climat ou d'un manque
d'énergie morale -, mais que cette ignorance , là où. on
l'observe encore, est uniquement l'effet de l'isolement
et des défauts propres aux institutions sociales.
Que M. Paw jette les yeux sur les opérations chi-
miques de M. Cher vain , habitant de Saint-Domingue,
ne tendant à rien moins qu'à rendre l'eau de la mer po-
table et saine -, sur les recherches en histoire naturelle
de M. Baudrj des Lozières , habitant de Saint-Do-
mingue , dont les efforts vont enrichir le monde d'une
nouvelle étoffe , provenant de Y animal colon, qu'il a,
apportée de Saint-Domingue -, sur l'Histoire des An-
tilles par M. More au de Saint-Méfy , habitant de
Saint-Domingue ; sur les ouvrages dé nombre d'autres
personnages américains de cette colonie , de l'ile de
Cube , de la Martinique , de la Jamaï'que, etc. ; distin-
gués par leur mérite- et quoi qu'il en dise, sur Y His-
toire des Incas , par dom Garcilasso , imprimée à Paris
en 1^44, il sentira combien il est inconséquent dans
son jugement sur l'Amérique et ses habitans.
Qu'il demande au bureau des longitudes , au savant
M. Del ambre et à ses collègues , ce qu'ils pensent des
Américains., ils lui répondront, que le jeune ZeraU
Colhuon , âgé de dix ans, a résolu sur-le-champ, en
février 181 5, plusieurs questions arithmétiques très-
CompîiqueCSj parla seule opération de l'esprit,, et saûs
*5..
388 ETAT DES ARTS
le secours des chiffres. Il se convaincra alors de cette
vérité , qui n'a été contestée par aucun homme sensé j
que les créoles se sont signalés dans les sciences , et
qu'ils pourront s'y distinguer comme les Européens ,
quand ils voudront en faire leur étude particulière.
M. Humbo.ldt observe en outre, que la curiosité qui
>/ se porte sur les phénomènes du ciel et sur les divers
» objets des sciences naturelles , prend un caractère
m bien différent chez les nations anciennement civi-
» lisées , et chez celles qui ont fait peu de progrès
» dans le développement de leur intelligence. Les
» unes et les autres offrent dans les classes les plus
/) distinguées de la société, des exemples fréquens de
» personnes étrangères aux sciences ; mais dans les
» colonies et chez tous les peuples nouveaux , lacurio-
» site, loin d'être oiseuse et passagère , naît d'un
m désir ardent de l'instruction : elle s'annonce avec une
» candeur et une naïveté qui n'appartiennent en Eu-
» rope qu'à la première jeunesse, a
N'y a-t-il pas plus de stupidité à se tourmenter l'es-
prit et le corps , pour satisfaire des besoins factices ,
fruits de notre imagination déréglée , qu'à les ignorer,
ainsi que l'art de les satisfaire? Pourquoi tant de dé-
tours? à quoi sert d'agir en Européen , lorsqu'on pense
en Américain? Ce peuple ne connaissait de besoins,
que ceux qui pouvaient contribuer agréablement à la
conservation de son être •,' il rejetait tous ceux qui pou-
vaient faire le tourment ou le malheurde son existence:
et parce que du temps de Jules-César, il n'y avait
point d'académies chez les Juifs , chez les Timguses ,
chez les Germains de la Forêt-Noire ; M. Paw , pour
prouver la profondeur de son génie, croit pouvoir dou-
CHEZ LRS PERUVIENS ET LES.MEXICA INS , etc. 38q
ter, qu'il y en eut chez les autres peuples , et con-
clure que « les Amantas du Pérou , étaient des igno-
rans titrés , qui ne pouvaient pas enseigner aux Péru-
» viens ( qui étaient , suivant lui , des ignorans qui ne
» savaient pas parler ) , la philosophie naturelle , sans
» le secours d'un Alphahet européen et des écrits de
» morale de Piaton et de Socrate , et Sans recourir à
» des sternutatoires violens , tels que la Ptarmice ,
» l'euphorbe et l'huile de tabac , pour occasionner de
» considérables évacuations de flegmes , et leur resti •
» tuer la faculté mémorative. »
Et cependant , le sincère et modéré M. Paw avait
lu les rapports des écrivains respectables qui assuraient
que les Péruviens avaient une langue vulgaire et une
langue sacrée , comme les Anglais ont un langage
particulier pour la poésie et la prose, et une autre
pour la religion , qui diffèrent autant de la langue du
peuple , que la langue sacrée des Péruviens différait
de la langue royale des Incas et du langage du vul-
gaire \ que ceux-ci se servaient d'une écriture hiéro-
glyphique , et de quipos ou cordons de diverses cou-
leurs , pour faire des calculs et renouveler à la mé-
moire un événement quelconque , et les mystères
de leur religion. Ceci n'est point un paradoxe ; l'ita-
lien san Severo a soutenu depuis peu avoir trouvé le
secret des anciens Péruviens , d'écrire par le moyen
de quelques ficelles diversement nouées et coloriées.
Je ferai observer, qu'une tresse de cheveux unis,
offrait un sens ; que mêlée avec ceux d'une autre cou-
leur , elle en présentait un autre, et ainsi de suite en
variant le dessin; que le poil de lamas simple avait
uue signification particulière *, qu'en la mélangeant ,
^QO ÉTAT DES ARTS
elle était susceptible d'offrir autant d'idées que de
dessins -, qu'il en était de même du poil de chien , de
bœufs , de chèvres; des fiiatnens d'arbres; des grains
d'or , des perles crue ces peuples y ajoutaient.
M. Paw s'imagine que son sentiment doit entraîner
celui de ses lecteurs , et que pour les convaincre, \i.
ne s'agtl que de dire : « J'aimerais autant croire qu'il
» y a eu des académies chez les Juifs , les Tunguses,
» chez les Germains de U Forêt-Noire. »
C'est avec cette démence de citations étrangères au
sujet , avec cette ignorance des premiers principes de
la nature humaine, avec ces préjugés mal conçus et
mal appliqués , que le Nouveau-Monde a été traité par
des hommes qui ont cru se faire une réputation dan»
leur sphère , en dénigrant à plaisir un pays qu'ils n'ont
jamais connu.
Qu'on jette lesyeux sur les hiéroglyphes de l'Egypte ,
combien n'y verra-t-on pas de figures beaucoup plus
grossières que celles du Mexique ! Quelle plus belle
éoniparaison que celle de leur grand Cycle ! Robert-
son en niant quantité de faits , pour faire sa coui a
M. Paw, estforcé cependant de convenir qu'au Pérou ,
le gouvernement était modéré ; que les conquêtes ne
tendaient qu'au bonheur des vainqueurs et non des
vaincus; qu'ils connaissaient la culture des terres;,
l'art du nivellement, de la conduite des eaux; que leurs
édifices étaient solides , les grands chemins bien faits ,
et les ponts _, dont M. Paw a fait un sujet de risée , lui
paraissaient dignes d'éloges. •
Il paraît que les Péruviens avaient comme les Grecs,
les Romains et les Indops, des idées bien conformes
sur la nature de la lune et du soleil. Il faut qu'ils aient
CHEZ LES PÉRUVIENS ET LES MEXICAINS, etc. 3gi
jpris ces globes pour des êtres animés , puisqu'ils cher-
chaient à les éveiller par un grand bruit , dans la pen-
sée que les éclipses n'étaient qu'un sommeil ou un as-
soupissement subit, qui surprenait ces créatures au
milieu de leur course célesto.
Du reste, ils observaient les pléiades, les hyades ,
l'ourse , Vénus ,; ils déterminaient les solstices et les
équinoxes , comme l'ancien hémisphère. La fête des
hydrophonies , la plus ancienne qui ait été instituée
en mémoire de l'inondation du globe , ne leur était
pas inconnue. On représentait la reproduction des
êtres par la forme de la parlie virile ; ils y joignirent ,
comme dans l'Inde, la figure de la partie féminine >
sous le nom de Lingam. On remarquait en Amérique
ce même symbole , particulièrement à Panco , à Cid-
vaca. Il y a i 5ç ans qu'on célébrait encore en France
les orgies du dieu Priape. Ce culte était passé en Es-
pagne. La ville de iSébrissa sur-tout fut renommée
par le culte de son dieu Orthanie , qui est le même
que Priape , désigné par son phal tentigine tumens ,
selon le sens du mot grec orlhos.
Pour un plaisir que la science donne , et fait périr en
le donnant, l'ignorance ne nous en présente-t-elle pas
mille qui nous flattent davantage. L'on nous démon-
tre que le soleil est un globe fixe, dont l'attraction
donne aux planètes la moitié de leurs mouvemens.
Ceux qui le croyaient conduit par Apollon , en avaient-
ils une idée moins sublime ? Ils pensaient au moins que
les regards d'un dieu parcouraient la terre avec les
rayons de l'astre du jour. C'est la science qui a fait
descendre la chaste Diane de son char nocturne : elle
a banni les Hamadryades des antiques forêts , et lef
3()2 ÉTAT DES ARTS
douces Nayad.es des fontaines. L'ignorance avait ap-
pelé les dieux à ses joies , à ses chagrins , à son hyme-
név? et à son tombeau : la science n'y voit pJus que les
éléniens. Elle a abandonné l'homme , et l'a jeté sur la
terre, comme dans un désert. Ah! quels que soient les
ïionis qu'elle donne aux divers règnes de la nature ,
sans doute des esprits célestes régissent leurs combi-
naisons si ingénieuses , si variées , et si constantes '; et
l'homme qui ne s'est rien donné , n'est pas le seul être
da. îs J univers qui ait en partage l'intelligence!
P^.v , page i3i du second volume , on parlant du
Pérou au moment delà venue desPizarres, dit : ce II est
x sûr qu'il n'y avait qu'une seule bourgade dans cette
» misérable contrée en 1 53 1 , lorsqu'on en lit la décou-
ds verte. » Ce il est sûr, prouve le cas que l'on doit
faire ae la bonne toi de cet écrivain, puisqu'il avait sous
les veux l^s relations des premiers conquérants , qui
assurent ayoir traversé trente villes, de Caxamalca
£ôal? oour se rendre à Cuzco ; mais cet écrivain outré
s'est cru en droit de parler avec autant d'assurance ,
paice que Z avale , son ju^e irrécusable , a dit ( ch.g,
pag. 44 , tom. 1. ) « il n'y avait sous les Incas, dans
» tout le Pérou , aucun lien habité par les Indiens ,
» qui eut forme de ville j Cuzco était la seule. » On
peut juger par là , quel crédit mérite cet exagératenr,
lorsque François Xérès , un des capitaines de l'expé-
dition sous Pizarre, et Ulloa nous donnent des détails
ïntéressans sur les villes de Caxas , de Guacamba , de
Caxamalca , de Chinca , de Pachacamac , de Titica ,
de Caran^ua , sur celles que les Espagnols ont aug-
mentées , telles que Vallaâolid , Cumbinama , Ma-
cas , Sévills-d* Or 7 etc. -, lorsque les ruines à'Autun-
CHEZ LES PÉRUVIENS ET LES MEXICAINS , etc. 3g3
€annar,àe Callo , du Palais de Cayambe , de Tra^
guanaco , et plusieurs autres villes ou bourgades , les
magnifiques débris des maisons de plaisance des Incas ,
dans la vallée d'.Iucai j à quatre lieues de Cuzco ;
déposent encore de nos jours, contre ce que lui a fait
avancer un fol amour national , qui ne lui a fait res-
pecter aucune vérité.
Robertson avouelui-mèmequeles Américains avaient
des villes considérables , telles qu'on en voit chez les
nations civilisées ; il décrit ensuite la magnificence des
souverains du Mexique , parle des tribus , du bon ordre
du gouvernement , non seulement dans les points es-
sentiels pour la félicité d'une société bien réglée, mais
même dans plusieurs points relatifs aux ouvrages pu-
blics, au bon ordre, à la commodité des citoyens. Il
apporte pour preuve, la situation de Mexico, bâtie au
milieu de l'eau ; les aqueducs , les rues pavées de bri-
ques , l'établissement des postes. Quant aux ouvrages
de l'art , il ne les trouve imparfaits , que comparés avec
ceux de Londres ou de Madrid.
• Que M. Paw , pour nous expliquer par quelle grada-
tion de découvertes les Péruviens étaient parvenus,
sous le règne de Méta-Capac , quatrième des Incas, à
faire un pont de cordes ou de lianes sur la rivière
d'Apurimae, nous dise avec la gravité d'un magister .
» Qu'on commença par passerles rivières à la nage, et
» que ceux qui ne savaient pas nager se faisaient atta-
» cber an dos des nageurs , en tenant dans leurs mains
m des paquets de roseaux-, que de ces roseaux , on par-
» vint aux calebasses évuidées; qu'on en attachait plu,-
» sieurs ensemble -, que celui qui voulait pisser l'eau
» devait s'y asseoir, et qu'un loageiiï traînait la mar*
3()4 ETAT DES ARTS
• chine ; que de ces calebasses flottantes , on parvint
» à faire de petits radeaux de joncs ; que des radeaux
» on aurait dû naturellement parvenir à la découverte
» des bateaux ou des canots -, mais que cela n'arriva pas
» au Pérou , par une fatalité , que Garcilasso, dit-il,
» attribue au défaut de bois. Que des radeaux on par-
» vint à étendre d'une rive à l'autre , une corde filée
y d'écorces d'arbres, ou de ces osiers qu'on nomme
p lianes ; qu'à cette corde bien tendue et bien attachée,
i> on suspendait un grand panier , qu'on faisait glisser
» le long de la corde , en la tirant à droite ou à gauche ;
» que ceux qui voulaient passer la rivière, se mettaient
?> au nombre de trois dans ce panier : que les Espa-
j> gnols se font , encore aujourd'hui , suspendre de la
» sorte à des cordes, pour traverser quelques torreus
9 du Pérou, où toute autre nation que les Espagnols
a ferait bâtir des ponts. »
Peut-on supposer que les Péruviens , qui avaient fait
autant de progrès dans les arts -, qui avaient des ports
dans la mer du Sud ; qui étaient en k dation avec les
Mexicains,; qui naviguaient sur leurs golies et leurs ri-
yières , ignorassent Fart de faire des canes : lorsque
ies Sauvages les plus grossiers du n<fc*d et du Sud de
l'Amérique , ont tous des canots dans lesquels ils vont
h la pèche et' s'aventurent en pleine mer ; lorsc 'il est
notoire que les Péruviens étaient le peuple du. Nou-
veau-Monde , le plus instruit dans l'ait de const; lire
les vaisseaux, de les mater, et de les conduire au
moyen des voiles. Si les Péruviens n'en faisaient pa? ad.
usage aussi universel que les Mexicains, ce n'était pas
que leur pays manquât de bois propre à la construction
indienne ; mais parcs que la navigation ào Finléiituiv
CHEZ LES PERUVIENS ET LES MEXICAINS, etc. 3o,5
était trop difficile et de trop peu d'utilité-, que leurs
ponts de cordes, suspendus au-dessus des torrens rern-
plis de sinuosités et de rochers , offraient plus de faci-
lité pour le transport de leurs marchandises , et moins
de dangers que des canots, qui pouvaient chavirer,
échouer ou s'écraser àchaqueinstant contre les rochers;
qu'au Mexique comme au Pérou , les petites rivières
étaient traversées par des ponts de bois, faits.avec des
poutres et accompagnés de bascules -, et que pour les
grandes rivières, qui coulent avec la rapidité d'un tor-
rent , les ponts de béjuque étaient certainement une
des plus belles choses qu'on ait inventées.
Il est à propos de faire remarquer en cette occasion
une nouvelle preuve de la mauvaise foi de M. Paw ,
lorsqu'il dit qu'on se mettait au nombre de trois dans
ce panier , puisque les Espagnols y font passer à la fois
plusieurs mules chargées ? qui exigent chacune au
moins un conducteur, sans compter les bateliers pré-
posés pour les passer d'un bord à l'autre. Il se trompe
encore, quand il dit que toute autre nation que les
Espagnols , aurait construit des ponts dans ses posses-
sions d'Auiéiique ; car les Portugais , les Hollandais ,
les Français et les Anglais n'ont pas été plus prévoyaus
sur cet article.
Si , d'après la supposition de M. Paw , s Les Péru-
» viens ignoraient l'art de faire des voûtes, et quand
a il^auraier.t connu cet art , le défaut de chaux le leur
çc eut rendu impraticable , » comment peut-il donc
dire que ce pont de cordes , qui subsistait 4o"o ans avant
la découverte du Pérou , qui subsiste encore de nos
jours ; qui évite de faire un détour de ;>ix ql sept jaur-
rços pour aller paa^ei ailleurs 3 tout ce qui circule de
3g6 ÉTAT DES ARTS
denrées et de marchandises , de Lima à Ouzoo et dans
le haut Pérou , soit un monument éternel de la stupi-
dité et des efforts des Péruviens ? Si leur pays est en-
trecoupé de torrens qui roulent par des routes si tor-
tueuses , qu'il y en a quelques-uns qu'on doit passer
en ligne directe vingt et une fois , tel que celui de
Chuchunga , peut-on dire que ces peuples étaient des
imbécirles, d'avoir inventé un moyen aussi extraordi-
naire que ce] ni des ponts de corde suspendus , pour
passer des rivières qu'on trouvait à chaque pas devant
soi , et qu'il fallait traverser encore , après les avoir
traversées tant de fois ?
La manière dont il prétend que les Péruviens s'y
sont pris pour construire ce pont , n'annonce nulle-
ment ce défaut de génie 7 cette nonchalance , cette
inactivité eteette faiblesse qu'il dit caractériser les Amé-
ricains. S'il a cru-, par cette description , jeter du ridi-
cule sur ces peuples , il s'est trompé autant que pour-
rait le faire celui qui croirait faire tort à l'usage des
pouls en pierre , en décrivant toutes les opérations pé-
nibles que requiert un ouvrage semblable.
« Telle est cette pitoyable machine , conclut M.
» Paw , qu'on voit aujourd'hui sur V Apurimac , non
» qu'elle ait subsisté depuis Meta-Capac , jusqu'à nos
» jours -, mais elle se trouve dans le même endroit où
« ce prince la fît faire , et on l'a peut-être réparée dé-
jà puis ? plus de mille fois. »
Il faut avouer que les peut-être sont d'une grande
ressourceauxliypothèses de cet auîeur! Quand onaurait
réparé ce pont plus de mille fois depuis 600 ans qu'il
exile, cela prouve-t-il que ce ne soit plus le même
pont 7 et qu'il ne soit pas utile? et parce qu'un dégel
<,(y,v//' //V ('</•</< //* /' y<ff s'///<tc , ff/s S< /et
S/, f /;/<'/; ,/<■/////. tt r /r,/ ///Yr/v,/ /w ( //fH'tffftr .
CHEZ LES PERUVIENS ET LES MEXICAINS , etc. 3p^
ou une crue d'eau aura emporté plusieurs fois l'arche
d'un pont de pierres , qu'il y aura fait chaque aunée
un nouveau dégât , dira-t-on pour cela que c'est un
misérahle édifice qu'on a réparé nombre de fois , et
qui n'a pas subsisté tel qu'on le voit ? Si les Espagnols
n'avaient pas reconnu la solidité et l'utilité de ce pont,
s'avantureraient-ils journellement avec leurs mules
chargées , comme ils le font depuis environ 3oo ans ,
à passer au-dessus des torrens impétueux et d'une
rivière de 800 pieds de large , d'une profondeur af-
freuse _, qui s'est fait un passage à travers les rochers ;
dans une machine de 20 pieds carrés , que M. Paw,
appelle une corbeille glissante ?
Lequel enfin est le plus imbécille , de l'américain
qui a inventé ce pont volant , ou de l'européen qui
s'en sert , plutôt que d'en faire un autre plus solide ?
Qui veut trop prouver, par fois ne prouve rien, et
fort souvent prouve contre lui-même.
Il trouve extraordinaire que les JMissoiwis aient
cru, sur la parole d'un marchand français, que la
poudre à canon , cette découverte du i4e. siècle ,
pouvait être la graine de quelque plante : cela n'est pas
surprenant , puisque les grains de la poudre à canon
ont quelque ressemblance avec la graine sèche dé l'in-
di^t , que produisait leur pays. Mais M. Paw n'a pas
vouir être assez franc pour nous dire , comme ils se
sont vengés de cette tromperie. Eh bien , je vais sup-
pléer à n silence! Quand ils eurent su qu'un autre
marchai français , qui était l'associé de celui qui les
avait attrapés, était venu chez eux , ils dissimulèrent ,
et lui prêtèrent la cabane publique pour y étaler ses
ballots. Ausi (H qu'il eut fini , ils y entrèrent en tu-
398 ÉTAT DES ARTS
multe et emportèrent tous les effets dont ils purent
s'emparer. Le marchand se récria contre un pareil pro-
cédé ; il s'en plaignit au grand chef, qui lui répondit
d'un airgiave : « Ton frère a trompé ma nation ; il a
» emporté nos fourrures en échange de la poudre à
j> canon , qu'il nous a engagé de semer, si nous vou-
» lions en avoir une quantité suffisante pour repousser
» tous nos ennemis. Je promets de te dédommager
» sitôt que la récolte en sera faite. »
Cette décision valait bien la ruse..... Les Européens
n'ont-ils pas commis des bévues semblables ? Ne s'é-
taient-ils pas ligures que le coton croissait comme le
chanvre ? Sous Héliogabale , les Romains en 220 ,
ainsi que les autres peuples de l'Europe , ne s'étaient-
ils pas imaginés que la soie poussait comme le coton ?
Dans le 17.^ siècle, une marchande de Saint-Malo ,
correspondante d'une dame dé la Martinique, n'avait-
elle pas engagé cette dame à planter beaucoup de
caret ( écaille de tortue de mer dont on fait les taba-
tières et autres ouvrages), parce que ce fruit , disait-
elle, se vendait plus cher que le tabac, et ne pourris-
sait pas dans le vaisseau pendant la traversée.
En i£i4 , des Anglais ne m'ont- ils pas demandé a
Thame, et dans un pensionnat de demoiselles, tenu
par le révérend père Plaskett , a un tiers de lieue
de cette ville , dans le comté d'Oxford, « Si les choux
» et les arbres croissaient en Amérique de même
» qu'en Angleterre, et comment les hommes faisaient
j) pour marchersur un sol si brûlant, qu'il cuit les œufs
» qu'on j laisse exposés au soleil. »
J'avoue qu'une demande semblable, dans le rayon
de l'université d'Oxford, me surprit grandement. Je
CHEZ LES PERUVIENS ET LES MEXICAINS , etc. 3gg
crus devoir m'amuser un instant de leur simplicité, en
leur parlant de productions capables d'augmenter leur
éîonnement et leur admiration pour un pays aussi ex-
traordinaire. Je leur répondis que les choux poussaient
sur le haut des arbres, qui avaient 70 pieds d'éléva-
tion; qu'on ne pouvait les couper qu'à coups dé hache,
(ce qui est vrai, quant aux palmistes); que pour ce
qui concernait les arbres, les uns allaient se planter
d'eux-mêmes sur le trortc des autres arbres ; qu'ils
étouffaient a la longue ceux sur lesquels leurs graines
étaient tombées ; que leurs racines partaient du som-
met des arbres qui lés avaient reçus , pour aller s'en-
foncer dans là terré ( ce qui est encore vrai pour le
figuier maudit, le mapou et quelques arbres para-
sites); que d'autres, après avoir élevé leurs rameaux
laissaient pendre jusqu'à terre , des filamens qui s'y
couchaient, y prenaient racine, et produisaient de nom-
breux rejetons qui formaient des espèces d'arcades de
cinq et de dix pieds d'élévation, et présentaient un©
terrasse naturelle à jour , sur laquelle on pouvait se
promener ; de manière qu'un seul arbre pouvait de-
venir la source de toute une forêt ; ( ce qui est la vé-
rité yourle palestuvier, le mànglier, etc. ) Mais que la
chaleur n'était pas aussi forte qu'on le disait , puisque
les hommes et les animaux restaient toute la journée
exposés à l'ardeur du soleil , sans en être incommodés.
Ils me remercièrent, et sans plus d'examen, ils pu-
blièrent que les choux poussent en Amérique sur la
cime des arbres, qu'on ne peut ies couper qu'à coups
de haches ; que les arbres se plantent d'eux-mêmes
sur le sommet les uns des autres , et que leurs racines
partent dé cette paï£e pour s'enfoncer dans la terre,
4oO ÉTAT DES ARTS
et souvent de leurs brandies, pour former des forêts.
Voilà cependant comme on induit souvent en erreur
tin public trop crédule, et qu'il est ensuite si difficile
de l'en faire revenir.
Que dira M. Paw lorsqu'il saura que sur 180 officier*
français, prisonniers de guerre à Thame, il en est peu
à qui les marchands et les fermiers anglais, qui lisent
tous les jours les papiers-nouvelles, et dont les com-
patriotes , depuis nombre de siècles , parcourent la
France, n'aient demandé, en 1812, si on labourait la
terre en France comme en Angleterre -, s'il y avait des
vaches, des moutons, du bled, des pommes de terre
et des navets-, et à qui les Français, pour s'amuser de
leur ineptie, n'aient répondu que c'était pour avoir
de ces objets que le gouvernement de France faisait la
guerre aux Anglais pour les punir du refus qu'ils fai-
saient de les lui vendre de gré à gré.
Qu'à Odiam (ville du Hamshire, d'antres Anglais
ayant demandé à des officiers français, détenus sur
parole dans cette ville, s'il y avait en France un soleil
et une lune comme en Angleterre, ceux-ci leur ont
répondu qu'il y avait six soleils et quatre lunes. Par-
bleu ! s'écrièrent-ils, nous ne sommes plus étonnés , si
votre pays est aussi beau et aussi fertile qu'on le dit.
Je ne finirais pas si je voulais rapporter toutes les
sottises de ce genre, toutes celles qui ont occasionné
en Europe les anathêmes du Vatican- qui ont fait
éprouver les funestes effets de la barbarie inquisito-
riale, et qui ont fait donner par les Nègres eux-mêmes,
le surnom de moutons de France ou de hJaiics-<la,iday
à tous les Européens qui arrivent . pour la première
fois aux Antilles j conclurai-je pour cela qne les Eiuor
CHEZ LES PÉRUVIENS ET LES MEXICAINS , etc. 4oi
péens sont plus bornés que nos esclaves noirs? Non,
sans doute; car quoiqu'il n'y ait point de règle sans
exception, cependant on est obligé de convenir que
les Européens ont fait des progrès réellement surpre-
nans dans les arts et dans les sciences, et qui attestent
qu'ils soient loin de manquer de génie.
Qu'importe après tout que les nations éclairées se
vantent d'avoir réuni cbez elles tous les arts et toutes
sciences; n'est-ce pas à des sauvages ou à des hommes
ignorés que nous devons les premières observations
qui les ont fait connaître ? Ce n'est ni aux Grecs ni
aux Romains policés, mais a des peuples que nous
nommons barbares, que nous devons l'usage des sim-
ples , du pain, du vin, des animaux domestiques, des
toiles, des teintures, des métaux, et de tout ce qu'il
y a de plus utile et de plus agréable dans la vie hu-
maine. Celui qui inventa l'imprimerie est si peu connu ,
que l'Allemagne , la Hollande et la Chine s'en attri-
buent l'invention. Galilée n'eût point calculé la pe-
santeur de l'air sans l'observation d'un fontainier, qui
remarqua que l'eau ne pouvait s'élever qu'à trente-
deux pieds dans les tuyaux des pompes aspirantes.7
Newton n'eût point lu dans les cieux, si des enfans,
en jouant en Zélande avec les verres d'un lunetier ,
n'eussent trouvé les premiers tuyaux du Télescope.
C'est au hasard <pi€ Masso Finiguerra , orfèvfe de
Florence, fut redevable, en i448, de la découverte de
la gravure eu taille-douce. C'est ati pâtre qui ramassa
le diamant brut , sans en connaître le prix , que lé
lapidaire doit sa gloire et sa fortune; c'est encore au
hasard que Aloys Sennefelder , médiocre chanteur
de chœur du théâtre de J\Junich , dut la découverte de
TO.MÏ 2, 26
402 ETAT DES ARTS, etc.
la lithographie; c'est par la même cause que Lippers-
Jiem de Middlebourg, et non Me dus , devint l'inven-
teur des lunettes longues-vues; l'artillerie n'eût point
subjugué l'Amérique, si un moine oisif n'eût trouvé
par hasard la poudre à canon; les croisades n'eussent
point introduit en Europe les délices de la tasse d'un
moine mahométan, si la nature n'eût pas montré à
un denviche l'arbre du café dans les montagnes de
l'Yémen ; la conquête du Mexique n'eût point fait
connaître à l'Europe le prix du chocolat, si un. Mexi-
cain n'en eût pas offert à un Espagnol affamé; la prise
du Brésil ne lui eût point dévoilé la douceur de sucre,
et l'usage de tant de substances agréables et de remè-
des salutaires, si le généreux Américain n'en eût pas
fait connaître l'utilité; sans un Caraïbe, l'Europe igno-
rerait le parfum et la vertu du tabac, la plante la plus
céphalique qu'il y ait dans le règne végétal, et dont
l'usage est le plus universellement répandu de toutes
celles qui existent sur le globe , sans en excepter la
vigne et le blé, puisqu'on la cultive jusqu'en Finlande,
au-delà de Vibourg, par le 61. e degré de latitude
nord.
Quand on considère que la Perse n'a plus de Sddi
et de Lockman; la Sicile, à.' Archimède j Athènes,
d1 Anacréon , à? Aristote , de Zeuxis ,• la Grèce , de
Pythagore ,* que Cicéron demandait en plaisantant à
son frère Quintus , lieutenant de César , s'il avait
trouvé de grands philosophes en Angleterre, il ne se
doutait pas que ce pays pût produire un jour des ma-
thématiciens qu'il n'aurait jamais pu entendre; quand
on considère, dis-je, que l'Europe elle-même est re-*
tombée plusieurs fois dans la barbarie; ne peut-on pas
l'hospitalité. 4o3
supposer que l'Amérique "a pu avoir éprouvé une ré-
volution semblable, et que les Américains à leur tour
viendront peut-être un jour enseigner les arts aux
peuples de l'Europe, comme ils leur ont* déjà appris
l'usage du tabac, du quinquina 3 de Yipécacuanha,
du simarouba , de la salsepareille , de la gomme-copal,
du gayac j du sassafras , de plusieurs autres plantes
médicinales- comme ils leur ont appris à cultiver la
pomme de terre et le maïs, à s'en faire un aliment
ainsi que du chocolat _, des tomates , des ananas , du
piment, des dindes , et ce qui n'est pas moins essentiel,
qu'on peut subsister paisiblement sous le régime de
la liberté et de l'égalité, gouvernement inconnu au
ig.e siècle, à l'Europe savante.
CHAPITRE IV.
Il Hospitalité.
Peut-on lire sans étonnement, pour ne pas dire
sans indignation , les raisonnemens singuliers que
M. Paw entasse pour prouver que l'bospitalité est un
besoin impérieux cbez les sauvages, et un manque de
police chez les nations civilisées. Quoi ! un sentiment
qui nous fait compatir aux besoins de nos semblables,
qui nous rapproclie du malheureux pour lui tendre une
main secourable, pour l'empêcher de succomber sous
le poids de ses privations ; d'attenter par désespoir à
la vie de ses concitoyens insensibles à ses maux , est
un crime de lèze-civilisalion aux yeux de cet écrivain ?
Est -il croyable que son injuste prévention contre
l'Amérique, lui fasse oublier un des premiers préceptes
26..
4o4 l'itospitalité.
de sa religion : « Aimer son prochain comme soi-»
m même , » et regarder l'hospitalité comme un devoir
qui ne doit exister que chez les sauvages ! Il ignore ,
on le voit bien, cette jouissance des âmes sensibles et
-bien nées !
Aurait -il prétendu jouer le Démocrite moderne?
Trouver qu'on est dupe, je ne dirai pas de se tour-
menter, mais de s'appitoyer sur les maux des autres;
qu'il n'y a pas de l'inhumanité à refuser des secours
aux indigens, à s'endurcir contre leurs souffrances ou
à s'en amuser ? Je suis cependant loin de penser qu'il
-vaut mieux imiter Héraclide à qui toutes nos actions
semblaient tragiques-, car ce serait montrer bien inu-
tilement de l'inhumanité , que de pleurer et de com-
poser son visage, parce qu'un homme aura fait une
perte , ou se trouve privé des faveurs de la fortune. Dans
ce cas-là, il serait plus digne d'un homme de dire
comme le poëte Simonide, omnia mecum porto, ou
comme Zenon le stoïcien , en apprenant qu'un nau-
frage avait englouti ses biens , « La fortune veut que
» je me livre à la philosophie sans embarras, » parce
que dans les maux il faut savoir ne donner à la dou-
leur que le tribut qu'elle demande, et non celui que
prescrit la coutume ; et que la mauvaise habitude de
se régler sur l'opinion est tellement enracinée, que
l'on contrefait jusqu'au sentiment le plus naturel, je
veux dire celui de la douleur.
Comment M. Paw a-t-il pu établir comme objet de
comparaison , la paresse des moines mendians de l'Eu-
rope , à qui l'on donnait souvent plus qu'ils ne méri-
tent, et qu'ils ne peuvent consommer; et l'hospi-
talité des sauvages du nord de l'Amérique, qui chassent
L* HOSPITALITÉ. 4o5
quelquefois des journées entières, avant d'avoir tué le
gibier qu'ils poursuivent ? Il ne sait pas que le moine
mendiant ne donne aux pauvres du lieu où il se trouve ,
que le superflu des comestibles qu'il ne peut con-
sommer, et qui ne lui coûtent aucune peine à obtenir
de la superstition de ceux qui lui font l'aumône 5 mais
que l'Américain du nord, au contraire, compte pour
rien la peine, les fatigues et les privations, lorsqu'il
s'agit de soulager un voyageur affamé-, qu'il sait bien '
qu'il n'a rien à espérer de la pitié de ceux qui sont
plus riclies que lui, et sur-tout des peuples policés
avec lesquels il n'est pas en relation , puisque ceux avec
lesquels il trafique n'ont pas de bonté de le tromper.
Plus généreux que l'Européen maniéré, il ne fait
pas l'affront à son hôte de le bannir de sa table, pour
le faire manger avec ceux qui sont chargés des fonc-
tions les plus abjectes de la famille : il ne l'oblige pas
d'avoir recours à la ruse du parasite Gelasimus > qui,
pour engager Epignome de le prier à souper, lui di-
sait : « Je ne demande pas d'avoir place sur des lits ,
» vous savez que je suis du nombre de ceux qu'on fait
» manger sur les bancs. »
« Haud postulo eauidem sumnio in lecto accumbere ;
<f Scis tu me esse imi sulseH'ù virum »
( Sticus , de Plaute , act. 3 , scèn. 2 , vers 32 et 33. )
Il l'admet sans façon à sa table, et ne l'assaille point
de questions fatigantes et humiliantes. Il le laisse par-
tager paisiblement la sagamite et les viandes cuites
de sa famille, tant qu'il y en a; et lorsque les provi-
sions tirent à leur fin, il le conduis dans une autre
cabane où il trouve les mêmes secours, des alimens
4o6 l'hospitalité;
simples et non corrompus par l'art et la délicatesse , et
qui valent mieux que \e garum sociorum des Romains,
cette saumure faite du sang corrompu du scomber ou
maquereau, et des poissons les plus malsains. (Seneque,
pag. 34i , vol. i. )
Plus sobres que ces Romains policés, on ne voit pas
les Américains, comme des parasites gloutons, dévorer
tout ce qu'on leur présente, ni mériter le surnom
honteux de Peniculus , pour savoir nettoyer une table
comme il faut.
-
« Ju<>e:itus nomen fecit penîcula mihi
« Ideo quia mensam , ijuando edo , delergo !
( Act. i , scèn. 1 , vers 1 et 2, des Méiiéchmes , de Plaute. )
On ne trouve pas non plus chez eux, de ces esclaves
appelés Servi peniculi , chargés , avec une longue
éponge ou balai en queue de renard, appelés penicu-
lus, d'essuyer dans leurs maisons ou au-deliors , les
traces de l'ivresse des convives mâles et femelles.
(SenÈqtje, pag. 236, vol. n.)
« Peniculi ^ dit Festus , spongiœ longœ propter
s similitudinem caudarwn appelîatœ. » (,De Verbo-
rum Significat, 7 lib. i4, voce Peniculi.)
En Europe, le mendiant ordinaire, quand on lui
épargne un regard d'horreur, de mépris ou un refus
dur, ne reçoit le plus souvent que des vœux stériles,
comme Dieu vous assiste ! en Amérique, un sauvage
a-t-il le malheur de ne pas réussir à la chasse, ses ca-
marades le secourent sans en être priés. Si son fusil se
crève ou se brise, on lui en procure un autre, sans lui
faire promettre de restituer l'équivalent de ce qa'il a
reçu.
l'hospitalité. 407
Je ne vois rien que d'humain et de naturel dans la
conduite des Américains du nord-, je ne vois pas qu'il
soit nécessaire de se mettre l'esprit à la torture, comme
M. Paw fait, pour nous dire (pag. 261 et 262 dn 3.«
vol.) : « Ceci est Lien dans les mœurs d'un peuple
» errant, où l'on suppose que l'hospitalité ne doit pas
» s'étendre au-delà du temps dont les voyageurs ont
» besoin pour se reposer ; cette hospitalité n'est donc
» pas celle que les anciens Romains exerçaient envers
» leurs amis ! »
Quel raisonnement pour un homme instruit ! Il
n'appartient qu'à l'auteur des Recherches sur les Amé-
ricains , d'ignprer qu'on fait pour ses amis ce qu'on ne
fait pas pour des étrangers qu'on n'a ni vus ni connus,
et qu'on ne reverra peut-être jamais; ce qui est le cas
des sauvages du nord et du sud envers les Européens :
quant à l'hospitalité des anciens Romains, il prouve
qu'il n'a jamais bien connu leurs mœurs , comme
nous le verrons un peu plus bas.
« Chez les peuples civilisés, ajoute-t-il (pag. 262
» du 3.e vol.) , les affaires pour lesquelles on voyage,
» exigent souvent un long séjour-, chez les sauvages,
» on n'a point d'affaires qui exigent un long séjour:
» un Huron qui est à la chasse, et un Taitare qui est
» en course, ne s'arrêtent guère au-delà d'une nuit et
» d'un jour dans le même endroit. »
Ils sont en cela plus sages que les Européens qui ,
avec toute leur civilisation , abusent souvent de la com-
plaisance de ceux qui les reçoivent. M. Paw, qui a bien
voulu nous apprendre que, chez les peuples civilisés,
les affaires pour lesquelles on voyage, exigent souvent
un plus long séjour, aurait dû pousser la compiaisan-ce
£°8 l'hospitalit£
jusqu'à nous informer de la manière dont les Romain»
exerçaient l'hospitalité. Pour éviter un oubli sembla-
ble, je vais, avant de lui dire comment elle se pratique
dans les parties civilisées de l'Amérique, lui montrer
comment les sauvages du Brésil l'exercent.
Quand il arrive un étranger chez eux, les femmes
l'accablent de complimens , et lui lavent les pieds s'il
est fatigué. On lui sert une grande quantité d'alimens
et on est attentif à tout ce qu'il peut désirer.
Aux Florides, les étrangers sont reçus avec beau-
coup d'affabilité ; on leur prodigue tout ce qu'on a de
meilleur. »
Dans les parties civilisées de l'Amérique, !es créoles
du continent, ainsi que ceux des Antilles, se font un
plaisir et même un devoir d'exercer l'hospitalité envers
tout le monde indistinctement. Cette vertu chez eux a
sa source dans la générosité et la sensibilité de leurs
cœurs ; tandis que chez les Européens,, l'ostentation ou
l'intérêt le plus souvent en est le principe. L'esclavage
serait un reproche fondé qu'on pourrait leur faire, s'ils
en étaient les auteurs , et s'il n'était maintenu que par
leur autorité. Il faut #n 'a voir jamais séjourné sur les
plantations , il faut ignorer que les économes et les
gérants sont des Européens, et ne pas connaître le ca-
ractère généralement faux , paresseux et voleur du
nègre, pour exagérer les châtimens qu'on inflige aux
Africains, et les attribuer aux créoles propriétai-
res, qui ne sont instruits de ce qui se passe entre leurs
esclaves et leurs économes ou gérans , que par la bou-
che de ces derniers , qui ne manquent pas d'argumens
pour justifier leur sévérité et leur cupidité.
Il en est de même des économes auprès de* habi^
L V HOSPITALITE 4op
tans, comme avec l'officier , l'adjudant ou le sergent ,
qui en veut à un soldat; ils savent , par leur rapport,-
surprendre la crédulité du colonel, pour faire fermer
les yeux sur les chàtimens et les injustices qu'on fait
éprouver à ce pauvre soldat.
Quand un habitant vient à découvrir que son nè-
gre a été injustement puni , et que l'économe est d'une
sévérité déplacée, il le renvoie et en prend un autr«r
moins barbare. Tous les besoins physiques du nègto
sont prévus durant sa maladie ou dans son état de
santé; il a sa femme, ses enfans, sa maison, sa vo-
laille, ses cochons, ses chevaux, son jardin particu-
lier; celui du maître pourvoit à sa nourriture et à
celle de ses volailles et de ses cochons; ses chevaux
mangent la même herbe, et dans la même savane que
ceux de son maître ; il danse chaque fois qu'il en
demande la permission , ce qui a lieu les samedis et
les dimanches. Cette mesure est nécessaire pour le
maintien du bon ordre, parce que les calendas, ou
danses africaines, exigent un grand concours de noir3,
et qu'ils se battent quand ils sont échauffés par îa
danse ou l'eau-de-vie. Enfin , dans le courant de la
semaine et tous les dimanches , le nègre Ya à la ville
faire ses petites affaires et assister au service divin ,
lorsqu'il n'y a point de prêtre sur l'habitation à la^
quelle il appartient.
Lorsqu'un Européen arrive dans une des Antilles ;
s'il débarque, par exemple, au Cap Français , dans
l'ile de Saint-Domingue, cette nouvelle Tarsis où Sa-
lomon puisait son or et ses richesses, l'habitant auquel
il a été recommandé , l'envoie chercher dans une de
ses voitures, le garde chez lui aussi long-temps qu'il
4io l'hospitalité.
juge à propos d'y rester. Pendant son séjour, le*
voitures, les chevaux, les domestiques de cet habitant
sont à son service. Les créoles, qui ont toujours au-
près d'eux un sérail de jeunes filles destinées à les
servir à table et à présenter aux étrangers les raf-
fraîchissemens qu'ils désirent, voyent sans jalousie
l'Hébé qui a frappé les yeux du nouveau-venu, lui
montrer l'appartement qui lui est destiné , lui pré-
parer ses bains aromatiques , et lui fournir le linge dont
il peut avoir besoin.
Plus il prolonge son séjour, pins le plaisir de l'ha-
bitant augmente. Si, malgré toi,:: , ses affaires l'obli-
gent à se rendre, je suppose, au bourg de Cavail-
lon, qui est à 1 38 lieues du Cap-Fraûçâis -, le chaV
griii alors succède au plaisir, et la tristesse du cœur de
cet Américain est peinte sur son visage. Enfin, lors-
qu'après bien des sollicitations , il n'espère plus rete-
nir son bote , la sincérité de ses discours est scellée
par des preuves non équivoques; il lui fait des pré-
sens en fruits, en tout ce qu'il a en sa disposition, et
l'expédie dans une de ses voitures, avec une lettre
de recommandation , pour un autre habitant de ses
amis chez lequel il reçoit le même accueil; celui-ci
l'envoie chez- un autre de ses amis, et ainsi de suite ,
jusqu'à ce que le nouveau débarqué soit parvenu à
sa destination. Combien n'a-t-on pas vu de chevaliers
d'industrie faire ce manège pendant nombre d'années,
jusqu'à ce qu'ils eussent ramassé de quoi vivre agréa-
blement. Le créole ne l'ignore pas-, il le plaint , il ne
voit que son semblable et le plaisir de l'obliger
Quand un Européen ; qui a été recommandé à un
habitant, tombe malade à son arrivée > le créole cliea
l'hospitalité. 4n
lequel il se trouve, le garde cliez lui et ne l'envoie pas
en ville pour y être traité hors de sa vue; il lui
prodigue tous les soins imaginables ; remèdes, visites
de médecin, confitures , friandises , gibier, poisson,
consommés, vins vieux, rien n'est épargné : veilleuse
de nuit, de jour, domestiques pour les bains, pour
le lit, la chambre; draps, linge de corps, tout est
prévu pour aller au-devant du moindre besoin , du
plus petit désir du malade. Aussitôt qu'il est réta-
bli , ce sont de nouvelles fêtes , des bals , des concerts ,
des barbacos (parties de plaisir le long de la rivière,
dans une bananene où les hommes et les femmes mo-
destement couverts , se baignent, s'amusent à se faire
des espiègleries, sans craindre d'effaroucher ces ai-
mables naïades , ni d'éprouver le sort d'Actéon ).
On y déjeûne, on y diue au milieu des roses, des
chèvrefeuilles , des orangers chargés de fruits et de
fleurs-, des ananas parfumés, des sapolilliers avec leurs
fruits sucrés, des bananiers courbés sous le poids de
leurs bananes savoureuses-, et le soir, lorsqu'on est
de retour au logis, on termine la fête par un souper
splendide, comme si l'on avait sauvé, dans cet étran-
ger, un père ou un frère. Ces amusemens sont plus
d'un peuple civilisé que les jeux floraux des Romains,
où les femmes dansaient nues devant le peuple
assemblé.
A son départ , on lui fait promettre de venir pas-
ser quelques jours sur l'habitation , toutes les fois que
ses affaires le lui permettront. Voilà tout ce que le
Créole sollicite en retour de ses bontés et de ses gé-
néreux soins. Le voyageur pauvre y est traité avec
des égards non moins marqués > tombe-t-il malade,
éi-a l'hospitalité.
on le traite comme un enfant de la maison , et s'il se
trouve embarrassé pour son existence, l'habitant lui
offre ou lui procure une place.
L'hospitalité , dans les colonies espagnoles , est telle
qu'un européen qui arrive sans recommandation et
sans moyens pécuniaires, est sûr de trouver du secours.
S'il débarque dans quelque port pour cause de ma-
ladie, le plus pauvre habitant de Sigès ou de Vigo, est
assuré d'être reçu dans la maison d'un Pulpero (pe-
tit marchand ) catalan ou galicien , soit qu'il arrive au
Chili, au Mexique ou aux îles Philippines. Cette
hospitalité n'a pas encore diminué d'une manière sen-
sible , depuis le premier établissement dans le Nou-
veau-Monde (voy. le Voyage de M. Humboldt aux
jRégions équinoxiales du Nouveau-Continent ).
Etait-ce ainsi, M. Paw, que les Romains exerçaient
l'hospitalité? Non, sans doute! Ils avaient des fous et
«les bouffons , tels qu'on en voyait à la cour de nos
rois. Ces misérables ( dit Pline , liv. 9, épist. 17 ) vol-
tigeaient sans cesse autour des tables « Scurrœ, ci-
» jxœdi moriones mensis inerrahant ; » ils cherchaient
à amuser les convives et à dérider le front de leurs
maîtres par des équivoques sales et grossières; par
de mauvaises plaisanteries ou par quelques extrava-
gances. La plupart de ces fous et de ces vils bouf-
fons étaient des monstres d'une laideur et d'une dif-
formité si extrêmes, que JSlartial les peint avec la
lête pointue et de longues oreilles qu'ils faisaient mou-
voir à la manière des ânes.
« Hune vero acuto capite, et auribus longis ,
« Quœ sic moventur , ut soient asellorutn 9
« Quis morionis Jilium neget Gyrtœ V...» »
(Lib. '6, epigram. 29 , vers \Sj€tseç. )
l'hospitalité. 4i3
La vue de tels êtres devait plutôt inspirer le dé-
goût, la répugnance, et nuire aux femmes enceintes,
que réjouir des convives un peu délicats. Mais , répon*
dra cet auteur, « Tous les goûts sont dans la nature^
le meilleur est celui qu'on a. a
Sous le règne des empereurs , les Romains les
admirent à leurs tables, ainsi que les nains. C'étaient
de jeunes esclaves qu'ils achetaient en Egypte, dont
ils corrompaient les mœurs et l'esprit, soit en les fai-
sant servira leurs infâmes plaisirs, soit en s'amusant à
voir insulter par ces jeunes esclaves, ceux qu'ils admet»
taient à leurs tables, et à être quelquefois eux-
mêmes l'objet de leurs froides et indécentes plaisani
teries. Les Romains lesappelaient leurs délices, comme
on peut le voir par ce passage de Stace.
« Non ego mercatus pharia de pube loquaces
(( Dellcias , doctumque sui convivia nili
« Infantem , linguâ nimium , salibusque protervum
« Dllexi »
(Statu , Sylvaruni-, lib. V, vers 66 , etc. ; ex edk. Marhïand.
Londia , 1728. )
Tibère les admettait à sa table , et l'on trouve
même, dans Suétone, un fait qui prouve à quel e?»
ces d'insolence et de liberté ces nains se portaient
quelquefois . « Un homme consulaire, dit-il , rapporte^
» dans ses Mémoires , qu'il avait assisté à un repas
» nombreux où le nain de Tibère, qui était là avec
» d'autres bouffons , lui demanda tout haut pourquoi
;> PaconiuSy accusé de crime de lèze-majesté , vivait
» si long-temps : que Tibère lui imposa silence -, mais
» que peu de jours après , il écrivit au sénat , qu'il eût
» à juger promptement Paconius. »
4l4 L*. H O S P I T A L I T é.
te ^4.nn alib us suis inr consul ari s inserait, frequenti
» quondam convivo , cui et ipse adfuerit , inter-
» rogatum euni subito et clarè a quodani nano ad-
3) s tan te mensœ inter copreas cur Paconius, majestatis
» reus, tamdiii viveret statïni quidem petulantiam lin-
» guœ objurgasse ,• cœtenim postpaucos dies scripsisse
» senatui , ut de pœna Paconii quàm prinium sta-
» tueret ( Sueton*. 3 in Tiberio 7 cap. 61. ).
A l'égard du mot copreas dont Suétone se sert
ici, et dans la vie de Claude ( cliap. 8 ) ; c'étaient des
bouffons d'une figure très- difforme, dont les discours
étaient si or.îuriers, et les mœurs si infâmes, qu'on
leur avait donné ce nom avilissant, et qui exprimait
en même temps l'extrême licence de leurs discours
et la turpitude de leur vie. En effet, coprice vient du
mot grec, kopros ou kopiion , qui signifie fumier,
ordure, excrément, de là l'épithète de stercorarii ,
donnée avec raison à cette espèce particulière de bouf-
fons.
Dion dit que Conuno de avoit à sa cour des bouffons
qu'il aimait passionément , qu'il faisait servir à ses in-
fâmes plaisirs , et auxquels il avait donné les noms des
•organes de la génération des deux sexes.
« Habuit in deliciis homines appellatos nominibus
» verendorum utriusque sexûs , quos libentius suis os-
a culis applicabat ( Lampridius, in Cornmod. vitâ 9
» cap. 10 ). » ;
' Le fait suivant prouve encore que les Romains igno-
raient la bienséance et jusqu'au plaisir d'obliger,
puisqu'à Rome les riches et les grands achetaient et
payaient, par des largesses, la lâche coir*-1' :"snnce
de quelques convives pauvres ëf'fte peu ;àhce
l'hospitalité. 4i5
qui, pour s'assurer . de leur protection, souffraient
patiemment les sarcasmes et les insultes de ces jeunes
esclaves.
« Sed miserum (clienliuni) parvà stlpe mimerai, ut pudibundos
v Exercere sales in ter convivia possit.
« Lucanus , s'we quis auctor carminis ad Pisonem. »
( Apud Lips. in h. loc.)
Enfin la passion de Marc-Aurèle pour le vin, et
non son attachement pour Cléopàtre, en fit un mons-
tre de cruauté, qui se faisait apporter, à table, les
têtes des principaux sénateurs-, qui, au milieu d'un
banquet somptueux et d'une magnificence royale, re-
connaissait les traits et les mains des proscrits, et qui,
rempli de vin, était encore altéré de sang. ( Se-
nèque. ) ■•
- Telle est cependant cotte hospitalité, cette manière
de traiter les convives , que M. Paw préfère à la sim-
plicité franclie des Américains du nord et du sud
et à la sensibilité généreuse et compatissante des
Créoles. Cette préférence, et son extase pour la con-
quête du Nouveau-Monde, donnent la mesure de son
cœur.
Quel est le peuple européen , qui régale un pas-
sant quelconque sans en exiger quelque chose ?
Moins généreux , et moins désintéressés que les
Américains , les Européens d'aujourd'hui ne parais-
sent guère disposés à condamner la conduite des
anciens Alleviands qui donnaient d'une main et re-
cevaient de l'autre. Je demande, après cela, à tout
homme impartial, si l'on n'aurait pas tort de soutenir,
avec M. Paw , que l'hospitalité est encore une qualité
^ue la nature a ôtée" à l'Amérique pour la donner à
4l6 COMMERCE DE L'EUROPE
l'Europe, et de nier avec lui , que le nouvel hémis-
phère j sur ce point , ne l'emporte encore sur l'an-
cien.
CHAPITRE V.
Commerce de V Europe et de V Amérique»
Avant l'arrivée des Espagnols dans le Nouveau-
Monde , les Indigènes avaient un commerce d'é-
change, non-seulement de province à province dé-
pendante du mê*ie souverain , mais encore avec les
nations libres et indépendantes les plus éloignées. On
en veit la preuve dans les curiosités que Motézuma
offrit à Cortez-, dans celles que Pizarre trouva dans
les palais d'Atahualpa. Je ne m'étendrai pas davan-
tage sur ce sujet, parce qu'il ne touche pas directe-
ment au point de l'assertion de M. Paw, sur la pré-
tendue supériorité du commerce de l'Europe , sur ce-
lui de l'Amérique. Je dois examiner le commerce de
ces deux pays.
Le Mexique , indépendamment des productions dont
nous avons parlé , offre près de 5oo endroits célèbres
par les exploitations qui se trouvent dans leurs alen-
tours. Il est probable que ces 5oo réaies , comprennent
près de 3ooo mines ou gîtes métalliques, et qui com-
muniquent les unes anx autres. Ce n'est que d'un très-
petit nombre de mines que sont tirés les 2,5oo,ooo
marcs d'argent qui passent annuellement en Europe
et en Asie, par les ports de la Véra-Cruz et d'Aca*
pulco : les districts de Guanaxuato, de Zacalecas et
4e Catorce , fournissent plus de la moitié ÀQ cette
ET DE L'AMERIQUE. 4i)
éomme. Un seul filon, celui de Guanaxuato, donne
.près du quart de tout l'argent mexicain, et la sixième
partie du produit de l'Amérique entière. Le produit
des mines du Mexique a triplé en 52 ans , et sextuplé
en cent ans : il augmentera davantage, avec la popu-
lation et les progrès de l'industrie et des lumières.
D'après les données exactes qui existent dans les
archives de la monnaie de Mexico, sur la quantité
d'or et d'argent monnoyés, il résulte que les miues de
la Nouvelle-Espagne ont produit de 1690 à 1800 , la
somme énorme de i49,35o marcs d'or , 725 marcs
d'argent ; de 1690 à i8o3 , en or et en argent ,
pour la valeur de 1,353,452,020 piastres fortes , ou
7,1 o5,623, io5 livres tournois , en évaluant la piastre
forte à 5 francs 25 c. , monnaie de France. Depuis 1 13
ans , le produit de l'exploitation des mines a été cons-
tamment en augmentant , excepté , dit M. Humboldt,
la seule époque de 1760 à 1767.
L'Europe serait inondée de métaux, si l'on attaquait
à-la-fois , avec tous les moyens qu'offre le perfection-
nement de l'art des mineurs, les gîtes de minerais de
Bolauos , de Batopilas , de Sombrerete , du Hosario ,
de Pachuca, de Moran , de Zultepecl, de Chihua-
luia , et tant d'autres qui ont joui d'une ancienne et
juste célébrité. Au Pérou, les fameuses mines de Yau->
ricocha ou de Pasco , qui fournissent annuellement
plus de 200,000 marcs d'argent, n'ont encore que 3a
à 4o mètres de profondeur.
Quoiqu'il soit difficile de connaître au juste la
quantité d'or et d'argent qu'on a tirée jusqu'à nos
jours des différentes mines de l'Amérique et que la
somme en soit presqu'innomiuable , cependant ? pour
TOME a. 27
4i8 COMMERCE DE L^CROPE
en avoir une idée, il suffît de dire que l'Espagne a
reçu 26 millions par an , depuis 1 548 , époque de l'ou-
verture des mines du Potosi jusqu'en i638 , ce qui
fait dans un laps de 90 ans , t2;34o,ooo,ooo fr.
Et depuis i638 jusqu'à
181 3 , dans un laps de 17H
ans, l'Espagne a tiré annuel-
lement du Pérou, 3 millions
d'or pesant qui, calculé sur
le quadruple ou doublon qui
pèse 7 gros 4 grains d'or, le
plus pur en monnaie , ont
donné à raison de 84 liv 1 3 s,
4 d l:\.\ 6,399,989,930 1. i3s. 4 à.
L'or non enregistré s'élève
à 2,899,696,886
L'or qui existe en circula-
tion au Pérou, se monte à. . 35i,ooo,oo©
Les impôts sont si consi-
dérables , qu'ils s'en suit im«
grande négligence dans l'ex-
ploitation des mines, et qu'il
y a même peu de débit des
ouvrages d'or et d'argent
que l'on y travaille
Les mines du Brésil , de-
puis Pizarre II , jusqu'en
1^56, c'est-à-dire dans un
lapstie 60 ans , ont produit 2,4oo,ooo,ooo
Depuis 17 56 jusqu'eni 8i3
les mines et les sables ont .-^
14,390,686,8161. i3«. 4 a.
et de i/amérique. 419
D'autre part. . . . 1 4,390,686,81 6 1. 1 3 ». 4 d.
fourni annuellement au Por-
tugal 48 millions 2,736,000,000
L'or non-enregistré 999,800,000 » 4 d.
L'or qui existe en circula-
tion au Brésil 120,000,000 6 s. ce.
En ôtant pour les mines
du Chili le cinquième du pro-
duit de celles du Brésil, on
aura 4,972,240,000
Pour les mines de la Terre-
Ferme , qui ne sont plus en
exploitation , et y compris
l'or non-enregistré et en
circulation 778,000,000
En supputant le produit
des mines de la Castille d'or
sur celui des mines de la
Terre-Ferme, on aura 778,000,000
Pour les mines du Mexi-
que , depuis leur ouverture
jusqu'à 181 3, qu'elles four-
nissent annuellement 5o mil-
lions en argent et 5,900 marcs
d'or 7>389>66a>939
L'or non-enregistré 2,120,000,000
L'or et l'argent en circula-
tion au Mexique 3oo, 000,000
Pour les mines de la Nou-
velle-Grenade , et l'argent
en circulation et non-enre-
34,584,389,755i. 19 «.8 a.
27..
420 COMMERCE DE L* EUROPE
Ci-conire 34,584,389,7551. 19 s. 8 <i;
gish é 980,000,000 « 4 d.
Si Ton ajoute maintenant
pour la 'valeur des diamans. 4oo,oOo,ooo
Pour rot et l'argent façon-
nésou en lingots qu'Atahual-
pa donna en présent à Pi-
zarre. ensuite pour sa rançon
et le pillage de son camp et
de Cuzco. 2?38o,oo5,oo4
Pour celui du Mexique et
de la capitale, ainsi que les
riches présens deMontézuma,
environ - • i,ooo,ooo,o4o
Pour l'or et l'argent œuvré
en lingots et en poudre que
les Espagnols enlevèrent aux
habitans de Saint-Domingue,
de Cube, des autres Antilles
et aux Caciques du Darien
et du Continent 100,000,200
On aura pour total. .'. . . 39,444,395,ooo 1. « «
L'abbé Kajnal , dans les tableaux détaillés qu'il a
donnés sur le produit total des mines de 1 Amérique
Espagnoles, l'évalue année. moyenne à 89,095,649 liv.
tournois. Il a confondu, comme l'observe très-bien
M. Humboldt , le produit de 1750 avec celui de 1 780 ,
puisque déjà en 1775 ce produit total s'était élevé à
1 57,5oo,ooo livres tournois.
Hobertson, dans son Histoire de l'Amérique , vol. 4,
page 62 , évalue la quantité de métaux précieux iin-
ET DE L'AMER IQTTE. 4*41
portés en Espagne depuis *4çja jusqu'en 177s, à
8,800,000 piasties ( 46, 200, 000,000 1. ), el qui plus
est , cet auteur justement célèbre , regarde son cal-
cul comme fondé sur des suppositions très-modérées ,
quoiqu'il estime le produit annnel , pendant 283 an-
nées consécutives , à 96 millions , et le total de la con-
trebande, pendant cette période, à 5,082 millions.
M. Humboldt estime, comme suit, la valeur de l'or
et de l'argent retirés des mines de l'Amérique, depuis
1492 à i8o3 :
Enregistre ( N.o I, )
Des Colonies Espagnoles 21,1 84, $69,000 L
Des Colonies Portugaises 3, 59^,856,000 1.
Non-enregistré ( N.o II. )
Des Colonies Espagnoles 4,28^,000,000 h
Des Colonies Portugaises 897,750,000 1.
Total 29,960,175,000 livres tournois, dont 22,45o
millions de livres, ont été portés aux Indes Orien-
tales , converties en vaisselles; dispersées parles re-*
fontes , et échangées par des nègres. Celte somme , à
laquelle M. Humboldt a cru devoir s'arrêter, diffère
de plus de 16 milliards de francs de celle indiquée par
Robert son.
A cette somme, dit M. Humboldt, il faut ajouter
le butin en or et en argent que les premiers conque-*
rans ont fait passer en Europe, avant que les Espa-
gnols aient commencé à exploiter les mines de Tasco t
au Mexique, ou celles de Porco , au Pérou. Il ne s'agit
pour cela que de jeter les yeux sur les faits rapportés
par les historiens de la conquête.
La flotte de 18 vaisseaux commandée par Bovadilïa
422 COMMERCE DE L'EUROPE
et Roi dan , qu'Orando envoya en Espagne en i5o2 ,
contenait 2, 56o marcs d'or ( 1,750,000,000 liv. tournois.)
Les présens que Cortez reçut , lors de son passage par
Çlialco , s'élevaient à 38 marcs d'or -, le tribut en or
que Cortez demanda , lorsque Montézuma réunit ses
vassaux pour prêter serment de fidélité à Charles-
Quint , s'élevait à 2080 marcs ; le butin des Espagnols
lors de la prise de Tenochtillan s'élevait, d'après Ber-
nai- Diaz y à 4,890 marcs. La rançon d'Atahualpa ,
d'après Garcilasso , était de 3, c)3o,ooo ducats en or ,
et de 672,670 ducats en argent; en tout 4,602,670
ducats (20,149,80-i liv. tournois. ) Le père Blas-Va-
lera , la porte à 4, 800, 000 ducados. Ces trésors que l'on
avait réunis dans une maison , dont M. Humboldt a vu
les ruines lors de son séjour à Caxamalca, en 1802 ,
avaient servi d'ornemens aux temples du Soleil de
Pachacamac > de Huailas , de Cuzco , de Guamachuco
et de Sicllapampa. Le butin de Cuzco valait , d'après
JSerrera, au-delà de 2.5,700 marcs d'or. Il est probable
d'après ees données , que les conquêtes du Mexique
du Pérou ont fait tomber entre les mains des Espa-
gnols , au-delà de 80,000 marcs d'or , auxquels il faut
ajouter 106^000 mates d'or y pour ce qui a été enlevé
aux Antilles , sur les côtes de Paria et de Saùitc-
JManhe , sur celles du D arien et de la Floride , en ne
comptant que 2000- marcs par an , jusqu'au commen-
cement de l'exploitation de Taseo el de Potosi. ( Vov.
l'Essai Fol. sur la Nouv. Esp. , par M. Humboldt. )
Dans ce détail étonnant , ne sont pas compris les
trésors immenses que les habiîans de Quito empor-
tèrent pour les soustraire à la cupidité des Espagnols ;
. ceux que les Indiens cachèrent dans leur retraite -, les
• ET DE î/amÉRIQUE. 423
richesses qu'ils jetèrent dans leurs lacs ; et si j'ajoute
maintenant le montant des productions du continent
d'Amérique et des Antilles , qui a surpassé cette somme,
toute prodigieuse et inconcevable qu'elle soit , M. Paw
me permettra bien de lui observer , en passant , que
l'Amérique l'emporte encore sur l'Europe , pour les
richesses et les revenus.
Cette somme immense ne doit pas sGrprendre, si
l'on considère la quantité d'or que la mer engloutit
journellement; que les persécutions et l'avarice ont
fait enfouir dans la terre , celle qu'absorbent tous
les jours le commerce de l'Inde , les dorures , les fontes ,
les bijoux, le numéraire, les vaisselles, les- statues-,
les dons pieux , etc.
En examinant bien la nature du commerce que
l'Europe fait avec le Nouvean-Monde , on verra :
i .o Que parmi tous les articles d'exportation, il ny
en a pas un qui ne concerne le nécessaire physique ,
' puisque l'Amérique du nord fournit à l'Europe et au
reste du monde, des bois de chauiîagcs et deconstruc-
tion -, des grains, des farines , des viandes salées 3 de la
■ morue et autres poissons. Ils sont si nombreux sur ses
cotes , qu'on voit les harengs , les aloses , lesrougets ,
• les esturgeons et les lamproies , passer de la mer dans
ses rivières-, qu'au Pérou, on ne plan-te le maïs qjue
dans les têtes de sardines, qui servent d'engrais aux
terres à'Atica, à^Atilipa , de Vhllacori 3 de MaMa
et de Chiloa ; que depuis Aréquipa jusqu'à Taracapa,
où il J a plus de 200 lieues de long, la terre n'est fu-
mée que paria fiente des passereaux maiins , nommés
gana , qui ne se nourrissent que de poissons ; cette
: fiente fertilise la terre au point de lu-i. faire produire
4a4 COMMERCE DE l'europe
4 à 5oopour un , de tous les grains qu'on y sème*, que
le long de la Susquehanna , on engraisse les terres et
les vaches avec des aloses ; que le Pérou , le Brésil , le
Chili , la Terre-Ferme , la Castille d'or, et le Mexique
fournissent pour la facilité des échanges , l'or et l'ar-
gent , que la civilisation , bien des siècles avant la
découverte de l'Amérique, avait rendu besoin de pre-
mière nécessité; que les Antilles et une partie du
nouvel hémisphère , pourvoient à tout ce qui peut
flatter la sensualité , et préserver la santé des Euro-
péens , des maladies les plus critiques.
2.0 Que les principaux articles d'exportation comme
l'or, l'argent, les perles, les saphirs , les émeraudes , la
soie , le caret ; les pelleteries, les cuirs , les cotons , la
cochenille, l'indigo, le café , le sucre , le cacao, les gom-
mes , les goudrons, les chanvres, les bois de construction,
d'ameublement, de placage et de teinture , prouvent
qu'un pays qui, indépendamment des productions qui
lui sont communes avec l'Europe , peut encore fournir
des productions comme celles ci-dessus, est un pays
riche , excellent , utile et indispensable pour tous les
peuples, et plus encore pour les nations policées ,
commerçantes , et ayant des manufactures.
3.o Que l'Amérique, outre les grains , les farines,
les viandes et les poissons salés, offre encore à l'Europe
«ne subsistance dans les prodoits du grand et du petit
bancs de Terre-Neuve ; qu'en échange des vins , des
eaux-de-vie , des draps ? des petites étoffes en laine,
des bas , des chapeaux , des soieries , du papier, des
meubles , des ustenciles en fer ; du verre souftlé et
coulé, de la mercerie; de la cannetille, des toiles
blanches et peintes ; des cotonnades et des nègres» qui
ST DE î. * A M é R T Q V M 4^5
s*e sont pas une production de l'Europe ; l'Amérique
<donne du rhum , du tafia , des liqueurs, des confitures
sèches et liquides , du sucre, du sirop , du café, <Ju
cacao, des baumes, de la vanille, des drogues, de la
cochenille , de l'indigo , du rocou , du safran , du co-
ton , de la soie écrue , des chapeaux , des souliers , des
bottes ; des cuirs tannés et crus , des pelleteries , de
la cannetiile , du caret, des saphirs, des émeraudes ,
des perles, de l'or, de l'argent , de la plaiiue , des
gommes, des chanvres, du goudron , des bois de far-
dage , de construction , d'ameublement , de placage et
de teinture.
M. Paw doit voir, d'après cet exposé , pourquoi
l'Europe vet autant d'acharnement à suivre ses rela-
tions commerciales avec le Nouveau-Monde dont la
partie méridionale consomme pour plus de 60 millions
sterL, ou i,44o,ooo,ooo fr. d'articles d'Europe, dans un
laps de six ans , sans compter les bénéfices sur les re-
tours. Cet auteur peut juger, d'après ce léger aperçu ,
quelle serait la détresse de l'Europe , si l'Amérique
qui possède dans son sein une partie des manufactures
européennes , venait à les encourager toutes , pour
rompre un commerce qui lui est désavantageux , puis.-
qu'indépendamment de ses productions, il est sorti
de ses mines, huit fois plus d'or qu'il n'y en avait en
Europe eu 1490. L'Europe échangerait alors, des ma-
nu mens tant anciens que modernes , pour les denrées
des Etats-Unis , peut-être même pour les produits de
leurs manufactures ! Ils finiront par être le prix de leur
commerce avec les Indes orientales; et les Antilles, ces
iiiles légitimes du continent Américain, échapperont
à leurs ravisseurs. Cette révolution, qui tire tous les
4^6 COMMERCE DE l'eURÔPK
jours vers sa fin, réduira l'Europe à la dure nécessite
de ne plus négocier à la Chine , au Japon , aux côtes
de Coromandel et du Malabar , parce que les expor-
tations qu'elle en fait n'ayant lieu qu'en soldant ai>
gent comptant , il lui sera difficile de s'en procurer de
l'Amérique, dont elle pourra à peine acheter une très-
faible partie des denrées coloniales ou autres. L'Eu-
rope à son tour aura l'humiliation de devenir un jour
colcnie d'Amérique. Elle sera contrainte de céder à la
. force des circonstances universelles r de voir traiter ses.
productions comme autant de superflu ités , puisque le
nord de l'Amérique fournit plus de grains, plus de
farine et de salaisons , qu'il n'en faut pour nourrir ses
habitans du nord et du sud ; que l'Ame. "..ain de la
partie méridionale , qui est naturellement sobre , sait
de prus* se contenter de ses ignames , de ses bananes ,
de sespatates, de ses pommes de terres , de son ma*-
nioc j de sa cas s ave , de son mais , de son petit miel ,
de son riz, et de quantité d'autres racines et végé -
taux y qu'il préfère en général au pain , non par éco-
nomie y. puisque la Floride , le Mexique , le Pérou -,
îe royaume de la Plata , la JSouv elle -Grenade } etc. ,
lui fournissent du blé ; que la douceur du climat lui
permet de se vôtir aussi légèrement qu'il le juge à
propos, soit avec le coton, soit avec les fîiamens àe
diflérens arbres ou ceux de diverses plantes, soit avec
sa propre soie , soit enfin avec les laines superfines de
ses lamas , de ses vigognes, de ses berendos , sans que
l'Amérique ait à craindre , comme M. Paw le pré-
tend follement , « de voir les huit millions d'Espa-
» gnols , de Portugais et autres Créoles qu'elles con-
x tient, aller nus les premières années, faute de re-
et dl l'Amérique. £27
» cevoir des étoffes d'Europe. » L'exemple des Amé-
ricains du nord , que j'ai cité, doit lui faire voir que sa
prédiction est sans fondement-, j'ajouterai aussi qu'il
s'est trompé sur la population de ce pays , comme
dans presque tout ce qu'il a écrit , car M. Humboldt
assure que la population seule , depuis les rives de 1g
Plata et du Chili jusque dans le nord du Mexique,
s'élève à quatorze millions d'ames. ( Voy. Rég. èquin.
du Nouv.-Contin. )
Que pourrait alors l'Europe , offrir en échange à
l'Amérique ? Seraient-ce ses habitans et leur industrie,
pour tirer tout le parti possible des trésors du Nouveau-
Monde ! Je le demande à M. Paw : l'échange de ces
Européens , toujours inquiets et remuans* , et dont une
grande partie est si corrompue, ne meltrait-il pas la
sûreté personnelle des Américains plus en danger que
les maux que le luxe pourrait entraîner après lui !
Qu'il parcoure les Etats-unis , la Louisiane , la Wlo~
ride , le Mexique , le Pérou , le Brésil , les Antilles,
il n'y verra point , comme en Europe , des gardes nom-
breuses , armées de bayonnettes étincelantes , pour
imposer aux maîveilians ; des places publiques garnies
d'échailauds , d'instrumens de destruction , et rougies
du sang des malheureux , que la misère et le crime ont
fait expirer à la potence ou sur la roue. La Religion et
la bonne foi, sont les seules armes qui maintiennent la
sûreté publique et personnelle des Américains.
Les plaintes journalières que la Suisse et V Angle-
terre adressent à leurs eufans qui abandonnent tous les
"ans le sol de leur patrie , pour aller se fixer en Amé-
rique; les lois extrêmement rigoureuses que la Bavière
«t d'autres états d'Allemagne oui faites pour empocher
4^8 COMMERCE DE L'EUROPE
les émigrations qui allcient remplacer les malheureux
Américains que la^ rage et la cupidité des anciens con-
quérans Européens avaient exterminés , prouvent en-
core que le nouvel hémisphère offre plus d'attraits et
de ressources que l'Europe 5 puisque tous les avis qu'on
a pu donner aux émigrans de l'Allemagne , toutes les
remontrances, tous les tahleaux effrayans de mortalité
qu'on n'a cessé de mettre sous les yeux des divers peu-
ples de l'Europe, n'ont pu les convaincre , pas même
les Badois , les Suisses et les Anglais , en 1816,1817
et 1818, qu'ils seraient plus heureux ou moins à plain-
dre , de déchirer péniblement avec le soc de la charrue,
et d'arroser de la sueur de leur front la terre ingrate
de leur patrie , que d'aller cultiver le sol de l'Amérique
qui ne demande qu'à être dégagé du superflu de sa vé-
gétation , pour récompenser la main secourable , par
tout ce que l'ambition et la cupidité peuvent convoiter.
Si , comme il est prouvé, la mauvaise qualité d'une
partie des terres de l'Europe , l'esprit de finance, le
désordre des mœurs , suite de la misère du peuple , en
condamnent au moins le tiers à manquer du premier
nécessaire , pourquoi forçons nous les peuples de l'A-
frique à cultiver les terres en Amérique , tandis que
les paysans manquent de travail en Europe ? Que n'y
transporte-t-on les familles les plus misérables tout en-
tières, enfans, vieillards , amans , cousines, les cloches
même et les saints de chaque village, afin qu'elles re-
trouvent dans ces terres lointaines , les amours et les
illusions de la patrie ? Ah si dans ces pays , où les cul-
tures sont si faciles , on avait appelé la liberté et l'éga-
lité -, les cabanes du Nouveau-Monde seraient aujour-
d'hui préférables aux palais de l'Ancien. Ne reparaîtra-
ET DE l'aMERIQC E. ^g
t-il jamais , dans quelque coin de la terre , une nou-
velle Acadie ?
V;ila ce que M. Paw ne peut raisonnablement con-
tester , quoiqu'il s'imagine que , pour soutenir la
fausseté de ses assertions , il ne s'agisse que de dire :
5) La relation de M. Bristock est un tissu de faussetés,
» aussi bien que les relations des espagnols et celles
» des autres écrivains , » parce qu'ils s'accordent à
faire l'éloge d'un pays , que lui-même est ultérieure-
ment forcé de reconnaître préférable au sien. N'im-*
porte ; en dépit de son pyrrhonisme historique in-
sensé, et de tout ce. qu'il pourra débiter contre l'A-
mérique, les Européens continueront , comme l'ob-
serve très-bien dom Prenettj , d'y aller chercher le
sucre , le café, le cacao , les confitures , les liqueurs ,
les parfums, pour flatter leur goût et satisfaire leur
sensualité ; la cochenille , Y indigo , le jocou, les bois
de teinture et de placage, pour leur luxe et leurs fantai-
sies; lesbaumes duPérou, de eopahiba , Y alcornoque ^
le quinquina , le gayac , le sassafras , et mille autres
drogues pour guérir leurs maladies ,• l'or, Y argent,
que les Sauvages appellent avec raison les dieux des
chrétiens , pour se procurer leurs besoins -, les pierres
précieuses , pour leur parure -, les pelleteries , les ce -
tons j les laines et les soies , pour se vêtir ; les cuirs
pour se chausser -, les carets , pour les préserver de la
vermine ; le tabac , pour dissiper leurs humeurs ; les
bois, les gommes, le chanvre , le goudron , pour les
abriter des injures du temps , et les transporter d'un
bout du pôle à l'autre -, parce qu'il est prouvé que les
bois d'Amérique sont plus incorruptibles et moins su-
jets à la piqûre des vers que ceux d'Europe , et que les
4*8o COMMERCE DE l'fUTxO PE , elC.
chanvres dn-Nou veau -Monde , imbibés d'eau , offrent
plus de résistance et de force que ceux de l'Ancien.
Telles sont les productions et les ressources .que
l'Europe , cette terre si riche, si fertile, à laquelle
la nature , selon eet écrivain , a tout donné au détri-
ment de l'Amérique , est forcée d'aller chercher
journellement dans ce pays , ne pouvant trouver rien
de cela dans son propre terrain. On ne peut discon-
venir que l'Amérique ne soit redevable de quelque
bien à l'Europe ; mais aussi par quelle foule de maux t
qu'il serait trop long de détailler ici , ce bien n'a-t-il
pas été malheureusement acheté ?
ÏIECAPILULATION ^ES AVANTAGES , ■etc. 43l
Récaoitulation des avantages de lf Amérique
\sur l'Europe,
C'est en Amérique que Ton trouve les choses
ies plus extraordinaires ; le territoire le plus étendu
et le plus varié; le sol le plus fertile , les mon-
tagnes les plus hautes et les plus longues-, les plantes
les plus grandes -, les grottes les plus curieuses et
les plus imposantes , les forêts les plus vastes , les
hois les plus gros 5 les plus droits et les plus hauts 5
la botanique la plus diversifiée , puisque sur 38, 000
espèces A<e plantes connues dans les diverses parties du
globe, l'Europe ne figure que pour 7000 , l'Asie pour
i3,5oo, et l'Amérique 17,500; sans compter que plus
du tiers de ce pays n'a jamais été visité par les natu-
ralistes ; les mers les plus profondes , les lacs les plus
considérables-, les fleuves les plus grands, les plus lar-
ges, les plus nombreux et les plus poissonneux'-, les
poissons les plus monstrueux , les plus utiles et les plus
agréables à manger -, les coquillages les plus variés ;
les hommes les plus grands dans lesPatagons et les plus
petits dans les Eskimaux ; les plus diversifiés dans leur
couleur , dans les Arras noirs de la Guyane -, dans les
Cagnares des Cordiliières , dont la blancheur rivalise
celle de la neige; dans les autres peuples de l'intérieur,
dont la complexion est chez les uns , couleur de cuivre
rouge , jaune; chez d'autres _, d*im blanc plus ou moins
clair, d'un teint plus ou moins obscur , plus ou moins
foncé; les arbres les plus curieux dans le maquèy ;
dans V agace ou aloè's piste; dans l'arbre à cirera beurre,
k soie /à dentelle, à cuirs ; les£o*Vles plus nécessaires
43à HÉCÀPITULATION DES AVANTAGES
pour la construction dans les chênes de dix espèce? f
dans les pins , les cèdres , les gayacs ; les plus élégans
pour l'ameublement , daus Y acajou , le satiné , le rose,
Yébène ; les plus utiles pour la santé dans Yalcornoque ,
le cassier, le calebassièr\ les baumes les plus salutaircsy
les fruits les meilleurs et les plus grossies pierres et les
perles les plus précieuses ; les coquillages les plus bril-
la us ,- l'or , l'argent le plus pur- la seule cochenille f
le poisson à pourpre , les plus riclies productions , la
véritable hospitalité* qui n'e&t jamais dégradée par au-
cun esprit d'intérêt j enfin la bonne-foi et la confiance
la plus délicate dans le commerce.
Qu'on aille aux Caraccas et dans la majeure par-
tie ùe la Côte-Ferme , on verra les babitans déposer
leurs denrées sur le rivage 7 allumer divers feux le
long de la côte , pour faire connaître aux bâtimens qui
font leurs affaires , qu'ils peuvent venir prendre leurs
ebargemens ; les laisser enlever , sans tirer de reçus ,
et attendre paisiblement des six mois de temps , le re-
tour du produit de la vente de leurs denrées , sans
examiner , si on ne leur a pas fait payer plus de frais
de commission, de magasinage et de vente , que le ta-
rif véritable le porte.
Si dans une partie de chasse , un colon tue dans les
bois une chèvre sauvage , qu'il aperçoive que ce n'est
pas sa propriété , il la porte de suite chez son voisin y
ou à celui à qui elle appartient. « Pendant deux jours ^
» dit M. Humboldt , nous entendîmes citer partout ,
a comme un exemple de perversité rare , qu'un habi-
p tant de Maniquarez avait perdu une chèvre , dont
» probablement une famille voisine s'était régalé dans
» un repas. Ces traits, qui prouvent une grande pureté
DE l'àmerique sur l'etjrope. 413
» 3e mœurs parmi le bas peuple , se répètent encore
» souvent dans le nouveau Mexique, au Canada et
» dans les pays situés à l'ouest des Alleganys. » ( Voy,
aux Rég. équin. du JSouv.-Contin.')
Que M. Paw regarde la superficie de la terre de
l'Amérique, il la verra couverte de blé, de vignes, de
fruits de tous les pays -, de sucre , de cafiers , d'indi-
gotiers, de cocbenilles , de cotonniers et autres produc-
tions rares ; qu'il descende dans ses entrailles , ses
yeux seront éblouis par l'or , l'argent , une multitude
innombrable de métaux , par les saphirs , les émé-
raudes , les diamans ; qu'il se promène sur ses rivages,
une ceinture de palmiers auxquels sont suspendus la
datte et le coco 5 l'entoureront entre les brûlans tro-
piques -, il y verra des monceaux de coquillages bril-
lans et précieux ; qu'il se penche un peu le long de
ses cotes, il sera également dédommagé de sa peine
par la quantité de perles fines qui s'attacheront à ses
doigts, et par les poissons nombreux que ses filets lui
présenteront -, qu'il lève enfin la tête , et les oiseaux
*du plumage le plus rare , et le gibier de toute espèce 7
lui prouveront qu'ils ne sont pas étrangers au bon-
heur.
Oui , malgré toutes les oppositions contre l'évi-
dence des faits, les gens sensés conviendront avec
M. Bernardin-de-Saint-Pierre , que la nature a tout
disposé en Amérique avec des attentions maternelles ,
pour dédommager les Européens de l'éloignement de
leur patrie. Il n'est pas besoin là , de se brûler au so-
leil pour moissonner les grains, ou de se morfondre à
la gelée pour faire paître ses troupeaux , ou de fendre
la terre avec de lourdes charrues , pour lui faire pro-
TOM£ 2. 28
434 RÉCAPITULATION DES AVANTAGES
duire des alimens , ou de fouiller ses entrailles pour en
tirer le fer, la pierre', l'argile et les matières pre-
mières de nos meubles et de nos maisons. La nature
facile y a placé sur des arbres , à l'ombre , et à la
portée de la main , tout ce qui est nécessaire et agréa-
ble à la vie humaine. Elle y a mis le laitage et le
Leurre dans les noix du cocotier; des crèmes parfu^
mées dans les pommes de datte ; du linge de table et
des mets, dans les grandes feuilles satinées et dans
les figues de bananiers ; des pains tout prêts à cuire
■dans les ignames , les patates et les racines de ma-
nioc ; du duvet plus fin que la laine des brebis, dans
les gousses du cotonnier ; de la vaisselle de toutes les
formes , dans les courges du callebassier. Elle y a
-ménagé des habitations impénétrables à la pluie et
aux rayons du soleil , sous les rameaux épais du figuier
d'Inde qui, s'élevant vers les cieux et descendant en-
suite vers la terre, où ils prennent racine , forment,
par leurs nombreuses arcades , des palais de verdure.
Elle a dispersé , pour les délices et le commerce , le
long des fleuves , au sein des rochers ©t dans le lit deê
torrens , le maïs ,Ja canne à sucre, le cacao, le tabac ,
avec une multitude d'autres végétaux utiles ; et par
la ressemblance des latitudes de ce Nouveau-Monde
avec celles des diverses contrées de l'ancien , d'adopter
en leur faveur , le café , Vindigo et les productions
végétales les plus précieuses de l'Afrique et de l'Asie.
( Foy. pour le café, ce que j'ai dit lig. 5, p. 3io, et
-lig. 12, p. 338 du T. I.er- et pour l'indigo, lig. i8,pag.
3i2 du T. I.er)
Il n'y a ni frimats-, ni chaleurs excessives à craindre;
et quoique le soleil y passe deux fois l'année au zénith;
de l'amériqtjk sur l'europe. 435
chaque jour , lorsqu'il s'élève sur l'horizon , il amène
avec lui , de dessus la mer , un vent frais , qui rafraî-
chit jusqu'au soir , les forêts , les montagnes et les val-
lons. Que de retraites heureuses , ces îles fortunées
offrent aux pauvres soldats et aux paysans sans posses-
sions ! Que de frais de garnison y peuvent êtr« éparJ
gnés ! Que de petites seigneuries pourraient devenir
la récompense des braves officiers ou des bons citoyens!
Que d'habiles marins , la pêche des tortues , dont les
écueils voisins sont couverts , ou celle des morues dm
banc de Terre-Neuve encore plus abondante , peu-
vent former ! Il n'a fallu que les frais d'établissement
des premières familles , étendues à la manière même
des Caraïbes , pour que la puissance européenne s'é-
tendît jusqu'au centre du continent de l'Amérique , et
y fût inexpugnable.
Tels sont les avantages réels qui rendent le Nou*»
veau -Monde préférable à l'Europe. Pourquoi l'ambi-
tion de l'Europe a-t-elle fait couler dans ces heu-
reux climats le sang et les larmes des hommes ! Ah !
si la liberté et la vertu en avaient rassemblé les
premiers cultivateurs , que de charmes l'industrie
européenne eût ajoutés à la fécondité du sol et à l'heu-
reuse température des Tropiques !
aS.
43-6 CONCLUSION.
CONCLUSION.
Les arts et les sciences que l'Europe a reçus de
l'Asie, ont été cultivés par les Européens avec un
succès qui prouve la puissance du génie de l'homme.
Cependant les systèmes et les disputes qu'ils ont occa-
sionnées , et les découvertes qui se font journellement ,
prouvent qu'ils sont encore loin d'avoir atteint le der-
nier degré de la perfection.
L'Europe, comme l'observe judicieusementl'Auteur
du Traité élémentaire de Géographie, est parvenue,
avec le temps , à cet état de prospérité et de force
qui la rend aujourd'hui supérieure aux autres parties
du inonde. Cette destinée est due à sa situation topo-
graphique , à la nature de son climat et au caractère
de ses habitans.
En effet , l'Europe est prequ'entièrement environ-
née de mers -, la pêche et la navigation sont devenues
pour elle un besoin, une habitude facile; le bois, la
résine, le chanvre qui croissent chez elle en abondance,
lui ollrent de grandes ressources en manne; l'ingra-
titude de beaucoup de parties de son sol et la grande
variété de sa température ont accoutumé les Euro-
péens à un travail opiniâtre , et les ont rendus à-la*
fois robustes et industrieux. L'inquiétude habituelle
de leur esprit les a portés à chercher dans d'autres
climats les trésors et les productions que la nature leur
avait refusées : moins riche que l'Asie et l'Amérique,
l'Europe ne renferme dans son sein que le fer, instru-
ment de la culture , de la guerre et des arts; peut-être
ce métal ? le plus divisible de tous, qui s'incorpore
CONCLUSION. 43y
avec toutes les substances des trois règnes, a-t-il donné
au tempérament des Européens , cette vigueur mar-
tiale , cette stature haute et nerveuse , cette énergie
de courage , d'invention et d'activité qui les distin-
guent de toutes les autres nations.
En jetant un coup-d'œil sur l'histoire de l'Europe ,
on voit que les peuples méridionaux de la Sicile , de
l'Italie et du milieu de la Gaule , furent d'abord sub-
jugués et policés par les Grecs et les Carthaginois ;
ensuite par les Romains qui soumirent la Grèce , une
partie de l'Asie, l'Espagne, les Gaules, l'Angleterre,
une partie de l'Allemagne ; mais ces vainqueurs ne
purent résister à l'abondance et à la mollesse , fruit de
civilisation, qu'ils étendaient vers le nord-, ils laissè-
rent PItalie et la Sicile en friche, pour aller contrain-
dre l'Egypte et l'Afrique à labourer pour eux.
Les nations les plus septentrionales , excitées par la
cupidité et par la vengeance , fondirent alors comme
d'impétueux torrens sur l'Italie, les Gaules, la Sicile
et l'Espagne, et s'en rendirent maîtresses; elles dé-
pouillèrent Rome qui avait dépouillé tant d'autres na-
tions; et des débris de l'empire romain, se formèrent,
comme au hasard , toutes les sociétés politiques qui
subsistent aujourd'hui en Europe.
La liberté se montra à coté de la tyrannie , la puis-
sance des lois à côté de la volonté absolue, l'anarchie
auprès du despotisme -, dans ces divers gouvernemens ,
lçs droits naturels furent souvent sacrifiés à la politi-
que, au fanatisme, à l'intolérance, aux discordes ci-
viles, aux guerres étrangères. Les peuples, lassés de
courber leur front sous le joug du caprice et de la
tyrannie, poussés par un esprit d'aventure et de cupi-
438 CONCLUSION.
dite, abandonnèrent leur patrie pour s'en créer une
autre , et coururent disputer aux habitans du Nou-
veau-Monde, les fayeurs dont le ciel les avait comblés.
La même cause fit sortir jadis des forêts de la Scan-
dinavie et de la Scjthie , les Goths 3 les Huns et d'au-
tres barbares , leurs ancêtres , pour s'emparer du
X)aneniarck et de toute la côte qui borde la Baltique.
Us forcèrent les habitans de ces lieux à se jeter
avec eux sur les Francs, ceux-ci sur les Gaulois , et
ces derniers sur les Romains ; ils laissèrent dans ces
divers pays cet esprit d'inquiétude, d'action et de
réaction qui tourmente les Européens jusqu'à ce jour.
L'Asie avait attiré leurs regards \ mais l'Amérique;
pour son malheur, fixa leur cupidité.
On reproche, avec raison, à quelques hordes farou-
ches de l'Amérique, d'avoir massacré des équipages
au moment où ils débarquaient sur le sol américain.
L'Europe, hélas ! n'a donné que trop d'exemples aussi
barbares ! Que de peines n'a-t-on pas eues à extirper
des côtes européennes , le droit de naufrage et de
strand-recht , ce brigandage contre -nature qui cho-
quait les premières lois de la société et les notions du
sens commun -, le droit de rançonner les voyageurs ,
que tous les seigneurs, depuis le JMein et le Vfeser,
jusqu'au pays de Slaves , comptaient, en 1069, parmi
les prérogatives féodales.
On parle de la barbarie des sauvages de l'Amérique -,
certes elle ne peut être comparée à celle de quelques
nations civilisées, et peut-être chercherait-on en vain
dans toute leur histoire un trait semblable à celui de
Quiberon, où. des alliés cannonèrent les malheureuses
victimes qu'ils avaient débarquées pour seconder lueurs
CONCLUS 10 N. 43p
projets hostiles, et qui trouvèrent la mort là où ils de-^
V-aient espérer un asyle.
Si le Pérou et le Mexique ont eu à gémir des. guerres
et des vexations de quelques-uns de leurs souverains ,
l'Europe, à diverses époques, a-t-elie été plus heu-
reuse ? Les proscriptions des Marins , des Sylla , des
IVéron ; celles des Grégoire VII , des Innocent III
et des Boniface VIII ; les proscriptions des Richard,
des Henri VIII ', des Marie , des Elisabeth , des.
Edouard , des Cromwell en Angleterre; enfin, les
persécutions de quantité d'autres princes du conti-
nent de l'Europe, n'attestent-elles pas le contraire?
Depuis la civilisation de cette partie du glohe jus-
qu'à nos jours, les deux tiers de ce temps se sont
écoulés au milieu des guerres étrangères, intestines,
féodales, religieuses, de familles, de successions, de
conquêtes , de révolutions , qui ont fait disparaître de
l'Europe au-delà de la population actuelle, sans comp-.
ter les victimes de la cruauté de leur gouvernement ,
de la sévérité barbare des lois, du poison et du poi-
gnard des assassins, sans parler de ceux qui ont suc-
combé sous le pouvoir des grands vassaux, si fatal à
l'autorité des rois de France, si pesant pour leurs infé-
rieur* et si désastreux pour la masse du peuple? Quelle
que soit l'étendue de l'Europe , les trois-quarts de sa
surface ont été arrosés de sang; sauvage, elle se servait
de flèches et de massues ; demi-barbare , elle remplaça
ces armes parle sabre et la hache; civilisée, elle eut
les baïonnettes, les canons , Téchafaud.
Si les Mexicains ont eu des sacrifices qui faisaient:
frémir l'humanité, on peut également reprocher aux
Européens, des anathêmes incendiaires y des édita de
44o CONCLUSION.
proscriptions, des martyrs et des auto-dafés, plus
cruels encore que les sacrifices de ces Indiens occi-
dentaux.
, Que de vertus l'ambition et le vil intérêt des nations
qui se disent civilisées, n 'ont-elles pas bannies de leur
sein , et qui se retrouveraient cbez les prétendus bar-
bares américains ! Combien d'bommes vivant dans le
crime en Europe, sont devenus gens de bien dans les
îles de l'Amérique !
Ce sauvage qu'on trouve malheureux , n'est pas
obligé, comme l'Européen , de payer en impositions
les fenêtres de son logement, les rayons du soleil qui
percent à travers sa chambre; l'eau qui sert à le dé-
saltérer ; les électuaires destinées à l'entretien de ses
dents-, sa chaussure et ses accoutremens; le bois, le
charbon qui cuisent chaque plat de son dîner 5 ses li-
queurs ou autres boissons; sa correspondance, son ma-
riage et jusqu'au coin de terre où. ses os doivent reposer.
, Les Américains sont trop sages pour écrire, comme
le jurisconsulte Alexandre Alexandro , deux savans
chapitres, afin de prouver qu'il y a des spectres y des
hommes marins et des syrènes qui étaient amoureuses
à la fureur de Théodore de Gaza et de George de
Trapezunte ; pour révérer, comme les Sionites d'Al-
lemagne, une de leurs femmes ou filles, qu'ils hono-
rent du titre de mère de Sion ; pour admettre Finfail-
libilité des conciles composés d'hommes; pour soutenir
des factions semblables à celles des Guelfes et des
Gibelins; pour confirmer la trêve de Dieu, ce monu-
ment horrible du 1 2.e siècle, cette trêve qui défendait
aux seigneurs et aux barons en guerre les uns contre
lçs autres, de se tuer les dimanches et leg fêtes* seu-
CONCLUSION. 44 1
lement , le reste de la semaine devant suffire à leur
férocité ; pour déclarer, comme un certain pape , que
l'Amérique ne pouvait pas exister; pour excommunier
quiconque osait croire que notre globe avait deux
hémisphères habités par des êtres raisonnables ; pour
faire présent au premier prince venu, d'un pays qui
n'appartenait pas à celui qui le donnait, ainsi que fit le
pape Alexandre VI , donnant l'Amérique à Ferdi-
nand, roi d'Espagne; pour nier, comme le pape Za-
charie j et Lactance père de l'Eglise, la possibilité
des antipodes éclairés par le même soleil et par la
même lune ; pour solliciter d'un pape , comme les
Vénitiens en i346, la permission d'acheter du poivre
et de la canelle en Asie -, et comme Lopez d'Azeredo
en i44o, pour Alphonse V, roi de Portugal, de per-
mettre, au sujet de son prince, de doubler le Cap de
Bonne-Espérance, et de réduire les nègres en servi-
tude perpétuelle, parce qu'ils n'allaient jamais à la
messe , et qu'ils avaient le teint des réprouvés ; pour
disserter, comme les anciens médecins Aëtius et Paul
OEginette , sur l'excision des femmes, que les Aby-
nissens nomment la régénération de la virginité ; pour
vouloir, comme un Langallerie , réunir toute la na-
tion juive dans l'île de Chypre, après avoir volé les
trésors delà chapelle de Loretle , afin de payer les
frais de cette théocratie -, pour dire , comme certains
théologiens, des injures contre Descartes et Newton ;
condamner en géographie l'êvéque Virgile } en astro-
nomie Galilée, en métaphysique Jordan , Lebrun et
Locke , en physique tant de magiciens , de sorciers et
de bons livres qui ont été brûlés ; pour attribuer en
histoire naturelle l'origine des nègres à des héros de
44a conclusion.
l'histoire juive-, pour soutenir, comme M. Guignes ,
dans un ample mémoire académique , que les apôtres
n'ont jamais voyagé bien loin ; mais que les bonzes de
Samaroande , s'étaient embarqués sur un navire chi-
nois qui allait, tous les ans, parle Kamtchatka, au
Mexique où ils avaient prêché le culte de Dieu du
grand Lama du Thibet , vers fan 458 de l'ère chré-
tienne, c'est-à-dire, io34 ans avant la découverte du
Nouveau- Monde 5 pour prétendre que la première
femme du genre humain avait des ovaires qui conte-
naient des œufs blancs d'où naquirent les Européens ,
et des œufs noirs d'où sortirent les Africains ; pour
démontrer , comme Arias Montait, que les Améri-
cains sont issus de quelques matelots qui, ayant re-
fusé de servir plus long-temps sur les flottes de Salo-
mon , aimèrent mieux s'établir à Orphire et y fonder
la ville de Cusco, que de retourner dans les rochers
stériles de la Palestine; pour vouloir prouver qu'on
déduit le mot Pérou de Piru, et celui de Pirru d'Or-
phire ; pour vouloir démontrer, enfin, que la Chine
était une colonie égyptienne , qu'un roi d'Egypte ,
appelé Menés par les Grecs , était le roi de la Chine
Yu, quAtoës était Ki en changeant seulement quel-
ques lettres, et qu'il n'y a plus de doute que les Chi-
nois ne soient une colonie égyptienne, puisqu'ils al-
lumaient des lanternes, et que les Egyptiens allumaient
des flambeaux quelquefois pendant la nuit.
Ainsi que je l'ai dit en commençant, les arts et les
sciences ont été portas en Europe à un point de per-
fection qui n'existait pas en Amérique lors de sa dé-
couverte ; mais on ignoro en quel état Us étaient avant
la malheureuse catastrophe qui a enseveli sous .les
conclusion. 443
flots une partie du Nouveau-Monde , et qui en a fait
disparaître ces espèces monstrueuses d'animaux dont
on retrouve des traces à chaque pas. L' Ethiopie ,
Y Abyssinie , le royaume de Sèba et une grande partie
de l'Afrique, étaient jadis renommées par leur com-
merce et leur civilisation-, on ne les connaît aujour-
d'hui que de nom. Ces mêmes sciences se sont perdues
plusieurs fois en Europe; ce coin du monde est tombé
dans la barbarie à plusieurs reprises , et ce n'est pas a
«on propre génie que l'Europe est redevable de sa
civilisation, mais bien au voisinage de la Grèce et de
l'Egypte, qui les ont introduites et encouragées dans
son pays; à la stérilité de la majeure partie de son
sol et au besoin qui les ont rendues indispensables à
l'existence des Européens. La nature qui priva l'Amé-
rique d'un voisinage aussi utile que celui de la Grèce ,
l'a dédommagée en accordant à ses habitans un génie
capable de concevoir , d'inventer de lui-même^ et en
leur prodiguant ce qui pouvait les exempter de toute
espèce de travail.
Cependant je demanderai à M. Paw quelle opinion
les Athéniens eux-mêmes devaient avoir de Y éloquen-
ce 7 quand ils l'écartèrent, avec tant de soin, de ce
tribunal intègre , des jugemens desquels les dieux
mêmes n'appelaient pas ? Quelles idées les Laeédé-
moniens s'en étaient faites, lorsqu'ils exilèrent Ctê-
sipkon qui, pour donner une haute idée de son élo-
quence, se vantait de parler pendant un jour, sans
préparation r sur le premier sujet qui serait proposé?
Que pensaient les Romains, de la médecine, lorsqu'ils
la bànnireut de leur république ? Que deviendrait l'his-
toire , s'il n'y avait ni tyrans , ni guerres ; ni conspi-
444 CONCLUSION.
rateurs? Sans les injustices des hommes, à quoi servi-
rait la jurisprudence ? Quelle idée iallait-il que les
Espagnols en eussent , lorsqu'ils défendirent à leurs
hommes de loi l'entrée de l'Amérique ? Ne croyaient-
ils pas par ce seul acte, réparer tous les maux qu'ils
avaient faits à ces malheureux Indiens ?
Qnand on considère les malheurs que les arts ont
amenés à leur suite , on serait presque tenté de leur
préférer la simplicité des Américains , qui ne font
tourner leurs idées qu'à leurs besoins réels, plutôt
que de poursuivre sans relâche ce qui ne peut flatter
qu'une ambition démesurée et une vanité puérile.
Depuis 2000 ans que de maux n'ont-ils pas produits
en Europe ! L'anarchie universelle dégénérée en des-
potisme ; le système féodal s'appropriant les divers
royaumes comme un patrimoine-, l'abjection des peu-
ples ; l'asservissement des lois et des droits naturels à
la volonté arbitraire -, un fanatisme effrayant ; des
crimes de tout genre , le viol , l'incendie , l'assassinat ,
l'empoisonnement , des vices non moins honteux que
le crime; la traite des nègres, ce commerce contre
nature-, 1800 ans d'usurpations successives, de con-
quêtes ou de démembremens , de trahisons , de perfi-
dies , de vengeances, de guerres de successions, de
guerres de famille , de guerres féodales , de guerres de
religion, servant toujours de prétexte à quelque inté-
rêt politique qu'on osait avouer et dont les ambitions
particulières profitaient pour disposer de la force po-
pulaire; des édits de proscriptions, des anathêmes ,
des auto-da-fé, enfin, tous les maux que l'esprit hu-
main peut inventer et concevoir.
Quand les Américains auront passé deux mille ans
CONCLUSION. 445
4 se policer co mme les Européens , alors on pourra se
permettre de juger s'ils sont foncièrement plus stu^
pides et plus méchans que les habitans de l'Europe ;
en attendant , si certains d'eux préfèrent loger dans de
chétives cabanes , qui valent toujours mieux que le
tonneau dans lequel le pbilosophe Diogène se tenait
en double, et ne pas cultiver la terre comme elle pour-
rait l'être , ils sont plus politiques qu'on ne le pense ,
puisqu'ils évitent des guerres avec les Européens, dont
l'avidité trouverait bientôt des prétextes pour envahir
des terrains qui tenteraient leur insatiable cupidité.
Quoiqu'il soit mortifiant pour l'amour-propre et
la vanité de certains Européens qui se croient les
plus éclairés , les plus ingénieux et les plus raison-
nables des hommes , de trouver , dans le Nouveau-
Monde, un pays préférable au leur , et des habitans
qui les valent à beaucoup d'égards -, ce préjugé, mal-
gré tout, ne doit pas les aveugler au point de nier
que, si l'ignorance des arts et des sciences de l'Eu-
rope prive les Américains non policés de beaucoup
de commodités et de plaisirs, ils n'éprouvent pas en
revanche les soucis, les peiues qui se multiplient chez
les Européens, à proportion de leurs connaissances et
de leur ambition -, jouissances que les Américains peu-
vent payer avec des insectes, des coquillages, des
cailloux luisans et de la terre jaune.
On ne voit point en Amérique des hommes égor-
ger de sang-froid leurs frères , ni servir de faux témoins
pour les faire condamner , afin d'hériter de leurs biens ;
l'intrigue y est inconnue 5 on ne s'y enrichit que par des
voies justes et des moyens honnêtes. Nulle femme n'y
empoisonne son mari pour convoler à de secondes
446 CONCLUSION/
noces. On n'y trouve point, comme en Europe, de ce»
femmes assez lascives ni assez audacieuses pour décla-
rer publiquement l'impuissance de leurs maris : la
femme d'un cacique rougirait d'agir comme cette prin-
cesse de Naples , qui fit étrangler ses maris parce
qu'ils n'assouvissaient pas sa brutale passion. Aucune
fille n'y conserve l'apparence de sa cbasteté par un
crime. Les femmes sauvages ont en horreur les fille»
chrétiennes qui détruisent ainsi le témoin de leur fai-
blesse ; elles leur opposent la conduite des bêtes les
plus féroces de leurs forêts, qui ont un grand soin de
leur progéniture.
Ceux que, par habitude, on appelle sauvages ou
barbares , le sont bien moins que certains Européens
fiers de leurs lumières ; ils laissent souvent éclater
des sentimens remplis de délicatesse et d'honneur:
en voici un exemple dont M. Bossu a été témoin. Un
Chaclas parlait un jour fort mal des Français, et
disait que les Indiens, voisins de sa nation, étaient
leurs chiens. Un autre Chactas, indigné de ses in-
jures, le tua et se retira à la Nouvelle-Orléans. La
nation des Chactas envoya des députés au gouver-
neur pour réclamer le coupable. On fut obligé de le
remettre entre leurs mains. Un officier français se char-
gea de cette triste commission. Les Chactas assemblés
reçurent leur victime en présence de la peuplade
voisine. Le coupable harangua, debout , suivant Tu-
sage de ces peuples , et dit : « Je suis homme ( c'est-
a à-dire je ne crains pas la mort ) , mais je plains le
» sort d'une femme et de quatre enfans que je laisse
» après moi , dans un âge fort tendre ; je plains mon;
a père et ma mère qui sont vieux et que jelabais sub-
CONCLUSION. 447
» sister par ma chasse; je les recommande aux Fran-
» çais puisque c'est pour avoir pris leur parti que je
» suis sacrifié.... » A peine eut-il achevé ce discours
que son père , qui était présent , se leva , s'avança au
milieu de l'assemblée des deux nations, et parla en
ces termes : « C'est avec justice que mon fils meurt ,
» puisqu'il s'est rendu coupable d'un meurtre ; mais
» étant jeune et vigoureux, il est plus capable que moi
» de nourrir sa femme , sa mère et ses quatre jeu-,
» nés enfans : il faut donc qu'il reste sur la terre
» pour en prendre soin. J'ai assez vécu; je souhaite
n que mon fils parvienne jusqu'à mon âge pour élever
» mes petits-fils; je ne suis plus bon à rien; quel^
» ques années de plus ou de moins me sont indiffé-
» rentes; j'ai vécu en homme, je veux mourir de
» même ; c'est pourquoi je vais prendre sa place, »
J£n achevant ces mots , il embrassa sa femme , son fils ,
sa belle-fille et ses petits enfans qui fondaient en
larmes ; il prit ensuite dans ses bras ses petits en^?
fans , les présenta aux Français, et s'avança vers les
parens du mort auxquels il offrit sa tête ; elle fut ac-
ceptée. Le vieillard s'étendit sur un tronc d'arbre j
on lui abattit la tête d'un coup de hache. Les Chactas
la mirent au bout d'une pepche et l'emportèrent en
triomphe dans leur village , comme un acte signalé
de justice.
La vertu de ce vénérable vieillard est au moins
comparable à celle du célèbre orateur romain , que
son fils cacha dans le temps du triumvirat , et qui ne
pouvant supporter qu'on tourmentât cruellement un
fils tendre et vertueux , vint se présenter aux meur-
triers et prier Les soldats de le tuer , et de sauver son
448 conclusion.
fils. Le jeune homme les conjura de le faire mourir et
d'épargner les jours de son père ; mais les soldats plus
barbares que les sauvages de la Louisiane, les firent
mourir ensemble. Quelle différence entre l'action de
ce vieillajd américain et celle d'un Brutus qui con-
damna son fils à la mort , et l'action de ce fils qu'arra-
che la vie à son père? Que peut-on penser d'Abraham
immolant Isaac , de Samuel égorgeant Atys, de Judith
assassinant Holopherne.
Exempts de préjugés, plus sages que les Européens,
les habitans de l'Amérique ne se créent point de be-
soins factices et un bonheur imaginaire -y ils n'ont chez
eux ni espions , ni délateurs ; on n'y voit point de juges-
de-paix instruire des misérables sans pudeur et sans
frein, à faire tomber des innocens dans le piège; ou
tenter de faire condamner leurs concitoyens devant
des cours de justice, sur la foi du serment de mé-
créans souillés de crimes et de parjures. Leur tran-
quillité n'est point troublée par les subsides , ni par
l'inégalité des conditions. Ce ne sont que les préjugés
de l'éducation qui nous les font regarder comme des
hommes réduits à la dernière misère. On n'entend
point crier dans leurs carrefours , comme dans les
nôtres , ces mots terribles : arrêt qui condamne , et
jamais arrêt qui récompense. Jamais le fouet , le fer
chaud et l'exil, n'ont contraint un coupable à se faire
voleur et assassin ; ses parens déshonorés à abandonner
le pays , à devenir vagabonds, et ses sœurs des pros-
tituées. A l'abri de l'impôt du chrisargire , établi par
Constantin sur toute espèce d'industrie , on ne verra
pas chez eux , comme chez les Romains , les pères
vendre leurs enfens , et les inères prostituer leurs
CONCLUSION. 44()
filles j pour se procurer par ce misérable trafic l'argent
que venaient leur arracher les exacteurs.
Etrangers aux folles illusions de la vanité , aux fri-
volités éblouissantes qui composent la félicité des Eu-
ropéens , ils ne connaissent d'autres biens, que les biens
Solides d'une famille immense , riche par son union ,
par son activité.
Contens de leurs pays et de leurs productions, les
Américains ne s'occupent que de leurs champs et de
leurs chasses. Plus justes que les Européens , ils ne
s'arment que pour repousser l'agression > et non pour
forger des fers à leurs semblables , pour immoler par
des croisades , par des assassinats , comme ceux de
i4i2 , par une Saint-Barthelemi , par des Vêpres
Siciliennes, par des massacres semblables à ceux d'îr»
lande , tous ceux qui ne pensent pas comme eux ;
encore moins pour susciter pour la barbe , une guerre
pareille a celle qui , dans le IX. e siècle , coûta la vie
à trois millions de Français.
Les habitans des Etats-Unis ( comme l'a très-bien
observé M. Bonnet ) n'auront pas le ridicule de s'èlre
battus ni pour le cèdre qui excita Adrien à détruire
Jérusalem ; ni pour le bois de campèche , pour lequel
VJEspagne et V Angleterre se sont deux fois fait la
guerre-, ni pour le figuier, pour lequel se battirent
Xercès et les Athéniens > Home et Cartilage ; ni
pour le baume , qui fut un sujet de guerre entre les
Juifs et les Romains ,* ni pour le thé , qu'ils jetèrent
dans la mer plutôt que de le recevoir aux conditions
des Anglais ; ni pour l'acajou , pomme de discorde
journalière entre les Portugais et les Brésiliens ; ni
pour le dattier, qui a fréquemment divisé les peuples
2FOME 2» 29
45© CONCLU S I O N.
de l'Orient ; ni pour la muscade et les épiceries , dont
les Hollandais ne possèdent le commerce qu'au prix
de la guerre. ( Tabl. des Etats-Unis. )
Le public est maintenant à même de juger si quel-
ques écrivains qui n'ont jamais habité le Nouveau-
Monde , dont ils se sont faits les historiens , ont eu
raison de sacrifier l'Amérique à l'Europe, et d'avan-
cer que ce dernier pays l'emportait sur l'autre. Témoin
des faits que j'ai tracés ; sur des renseignemens que
j'ai transmis à mes lecteurs , et soutenu par l'impar-
tialité et la vérité _, je crois pouvoir attendre avec con-
fiance la décision d'un public juste et éclairé.
FIN DU TOME SECOND ET DERNIER.
TABLE
DES MATIÈRES
DU SECOND VOLUME.
LIVRE TROISIEME.
Chap. unique. Ubser.vations sur les animaux de l'Amérique, et sur
ceux qui ont été importés dans ce pays Page i
Guyane « Ib,
Terre-Ferme 10
Nouvelle-Grenade 1 3
Panama • 1 4
Guyaquil Ib.
Pérou Ib.
Chili 19
Patagonie 20
Paraguay 22
Brésil 24
Mexique , 29
Californie , 34
Louisiane 36
La Floride 42
Etats-Unis Ib.
Canada 48
Antilles 5o
LIVRE QUATRIÈME.
Chap. I. Population de l'Europe et de l'Amérique 74
Sur la constitution des premiers Américains 85
LIVRE CINQUIÈME.
Chap. IL Mœurs , Usages et Religion des Américaius 145
Dts Brésiliens. , . ■ * i46
45a TABLE DES MATIERES.
Des Amazones i53
Des Peuples du Paraguay i58
Des Patagons 161
Peuples du Ciiili 1 68
Des Péruviens . • 1 ; ; < *... 171
Chap. III. Sur la résistance des premiers Américains lors de l'in-
vasion de leur pays 1 . . . 268
LIVRE SIXIÈME.
Chài». I. Sur la langue des Péruviens 4 . 320
« — II. Sur la Religion des anciens Européens, Péruviens, Mexi-
cains, etc.. 1 343
— III. Etat des Arts chez les Péruviens et les Mexicains, lors de
la découverte de l'Amérique. * 366
-i- IV. L'Hospitalité 4o3
— V. Commerce de l'Europe et de l'Amérique « . . 4l6
Récapitulation des avantages de l'Amérique sur l'Europe 43i
Conclusion 436
ri» DE LA TABLE DES MATIERES.
IMPRIMERIE DE GUEFFIER, RUE GUÉSÉGAUD, N.° 3i.